III. ÉTAT DE DROIT ET IMPUNITE
III.1. Violations alléguées des droits de l’homme par des agents de la PNH et de la DGD
III.1.1. Usage excessif de la force
Au cours du second semestre 2012, la SDH a documenté plusieurs cas d’allégations d’usage excessif de la force par des agents de la PNH et de la direction générale des douanes (DGD). Ces actes auraient été commis lors d’opérations d’évictions forcées, de la répression de mouvements de protestation, d’opérations de lutte anti-criminalité, ou encore, plus généralement, dans le cadre d’arrestations de droit commun. Au moins huit personnes, dont une femme13, ont été tuées, plusieurs dizaines d’autres ont été blessées et de nombreux biens matériels ont été détruits suite à un usage excessif de la force14. S’il arrive qu’une enquête disciplinaire soit conclue par l’Inspection générale de la PNH (IGPNH), dans aucun cas l’une de ces allégations n’a fait l’objet de conclusions dans le cadre d’une enquête judiciaire.
Usage excessif de la force dans le cadre d’opérations d’évictions forcées
- Le 23 juillet, des éléments de la PNH et de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO) de Jacmel ont tué par balles quatre personnes non-armées et détruit cinq maisons au cours d’une opération d’éviction forcée menée contre 147 familles vivant à Parc La Visite, à Galette Sèche Seguin (département du Sud-est). Les policiers étaient soutenus par des civils armés d’outils et accompagnés par le juge de paix de Marigot, le commissaire du gouvernement et le délégué départemental. Les familles des victimes ont tenté de porter plainte mais se sont heurtées au refus du juge de paix de Marigot de leur transmettre une copie certifiée du procès-verbal, alors que ce document est indispensable au dépôt de plainte. Par ailleurs, le procureur du tribunal de grande instance de Jacmel n’a pas ouvert d’enquête sur ces faits au motif que le constat du juge de paix était incomplet et qu’il attendait donc que celui-ci le termine. - Le 3 octobre, des éléments des UDMO et des officiers de police, conduit par le responsable du commissariat de Cabaret (département de l’Ouest), sont arrivés au camp de Mer frappée, soutenus par un groupe de 20 civils vêtus de tee-shirts blancs. Ces derniers, désignés comme “bandits” par la population, auraient incendié un nombre non déterminé de tentes et de maisonnettes, pendant que les policiers lançaient des gaz lacrymogènes et tiraient des coups de feu afin de forcer la population à évacuer les lieux. Au cours de cette opération, le bureau du comité du camp, la réserve d’eau et des biens privés ont été brûlés. Le jour suivant, un des juges de paix de Cabaret est venu au camp pour rédiger son constat. Cependant, le 5 octobre, la police et le groupe décrit par la population comme les « bandits » sont revenus pour finir de détruire le camp. Une femme de 43 ans aurait été violée par deux “bandits” alors qu’elle s’enfuyait. Selon différentes sources, des propriétaires terriens privés, qui se seraient déjà opposés à la présence de ces personnes sur ce terrain auraient “commandité” cette opération15.
Usage excessif de la force dans le cadre de la répression de mouvements de protestation ou d’opérations anti-criminalité
Au dernier semestre 2012, les éléments des forces de l’ordre ont, à plusieurs reprises, fait l’objet d’allégations d’un usage excessif de la force lors de manifestations ou d’opérations anti-criminalité. - Le 31 juillet, à Martissant, commune de Port-au-Prince (département de l’Ouest), des agents de la PNH s’en sont pris à la population après que plusieurs de leurs collègues eurent été blessés dans une attaque par des individus armés. Selon différentes sources, les agents locaux de la PNH appuyés par des agents d’autres localités et des membres des UDMO ont pénétré sans mandats dans les habitations des « suspects », ont jeté leurs biens dans la rue et les ont brûlés. Pendant l’opération, des habitants du quartier et des passants auraient été malmenés par les agents. L’Inspection générale de la PNH (IGPNH) a été saisie de la question et plusieurs policiers ont été mis en mesure conservatoire16. Ils ont ensuite été renvoyés à leur service. - Le 4 octobre, à Barette (section communale de Petit Goâve, département de l’Ouest), des membres de la PNH ont détruit des propriétés, tué du bétail et frappé deux conducteurs de motocyclettes avant de brûler ces dernières. Une femme âgée de 81 ans est décédée après avoir inhalé des gaz lacrymogènes. - Le 8 octobre, à Fort-Liberté (département du Nord-est), un homme a été tué et un autre blessé lors de protestations contre l’annulation d’un projet de construction portuaire dans la ville. L’homme, faisant partie d’un groupe qui aurait lancé des pierres à l’encontre des policiers, serait mort après avoir reçu une balle dans le dos, tirée par un membre identifié de l’UDMO qui aurait ouvert le feu pour disperser la foule. Par la suite, un autre homme, venu voir le corps de l’homme abattu, déposé près du commissariat de police et de la prison de Fort-Liberté, a été blessé d’une balle qui aurait été tirée par un agent identifié de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), alors en patrouille autour de la prison. Selon les autorités de la PNH, le membre de l’UDMO a dû rendre son arme et son badge et soumettre un rapport à sa hiérarchie. Toutefois, il a été transféré aux Cayes (département du Sud) et aucune enquête n’a été ouverte. Aucune enquête n’a, non plus, été ouverte concernant l’agent de la DAP. - Le 30 novembre, au cours de démonstrations à Jérémie (département de la Grande Anse), un homme a été tué par balles et trois autres ont été grièvement blessés, lorsqu’un membre des forces, très probablement de celles venues en renfort de Port-au-Prince (Corps des brigades motorisés et Corps d’intervention et de maintien de l’ordre), aurait tiré au hasard pour disperser les manifestants, qui protestaient contre le retrait d’une compagnie étrangère privée contractée pour construire une partie de la route nationale 2. Fin 2012, aucune arrestation n’avait encore eu lieu et aucune enquête n’avait été ouverte par le parquet. La famille de la victime a reçu la somme de 400,000 HTG (10.000 US$) de la part des autorités, en dehors de toute procédure civile. - Le 10 décembre, des agents de l’UDMO ont réprimé des manifestations organisées par des personnes vivant au camp Pelé, à Port-au-Prince, qui avaient érigé des barricades, afin de protester contre leurs conditions de vie et demander leur relocalisation. Les agents ont utilisé des gaz lacrymogènes, ont battu les manifestants et ont tiré sur eux, blessant cinq personnes, dont quatre par balle, y compris un bébé de sept mois. Plus de 300 tentes ont été endommagées à coups de couteaux. Selon les occupants du camp, ces violences policières ont pris fin lors de l’arrivée des patrouilles de la MINUSTAH.
Usage excessif de la force dans le cadre d’incidents isolés
- Le 29 octobre, à Terrier Rouge (département du Nord-est), un agent de la DGD a tiré sur un véhicule pensant que le conducteur cherchait à échapper à un contrôle, blessant quatre personnes dont une grièvement. L’agent public a été arrêté et son arme confisquée. Toutefois, il était libéré quatre jours plus tard sur ordre du commissaire du gouvernement de Fort-Liberté. Fin 2012, son arme lui avait été rendue et il avait réintégré son poste. - Le 17 novembre, à Quartier Morin (département du Nord), un agent de la PNH a tué par balles deux personnes, dont une femme, qui se trouvaient aux alentours d’une distribution de nourriture et de vêtements devant le commissariat de la commune. L’agent de la PNH avait ouvert le feu pour empêcher le pillage des produits de la distribution par un groupe de personnes Fin décembre 2012, le policier suspecté d’être l’auteur des tirs était toujours en poste au commissariat de Quartier Morin et une enquête administrative était en cours. Une plainte, déposée par les familles des victimes auprès du parquet du tribunal de première instance de Cap Haïtien, était en cours d’instruction.
III.1.2. Actes de mauvais traitements
Au cours de la période en revue, des allégations de mauvais traitements commis par des agents de la PNH et des agents de la DAP ont été documentés par la SDH à Arcahaie (département de l’Ouest), à Cap Haïtien (département du Nord) et à Trou-du-Nord (département du Nord-est). La réponse des autorités judiciaires et disciplinaires donnée à ces cas est inégale. - Le 4 octobre, la SDH s’est entretenue avec un homme de 30 ans, détenu à la prison de Cap Haïtien (département du Nord) depuis un mois pour avoir frappé un agent de la PNH. Selon ses déclarations, des gardiens de la prison l’ont régulièrement giflé et battu à l’aide d’un bâton. La SDH a pu constater des traces de blessures sur son corps y compris sur ses parties génitales. Le 9 octobre, SDH a été informée qu’une enquête avait été ouverte afin d’identifier les auteurs de ces actes, toutefois, fin 2012, aucune suite n’y avait été donnée. - Le 14 octobre, trois détenus de la prison d’Arcahaie (département de l’Ouest) ont informé la SDH que des gardiens de la prison les auraient battus avec des barres de fer et des bâtons le 18 septembre, indiquant que cela faisait partie de la “discipline”. Ils ont affirmé avoir pu consulter un docteur après les faits. Aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre les gardiens impliqués, notamment le chef de poste et le chef des opérations, que les détenus auraient formellement identifiés. - Le 23 octobre, un homme s’est rendu au commissariat de Trou-du-Nord (département du Nord-est) pour porter plainte suite à une agression. Il affirme avoir été giflé à plusieurs reprises par un officier de police, qui lui aurait également tordu le poignet et l’aurait obligé à s’agenouiller sur une de ses jambes blessées devant le responsable du commissariat. A la suite de cet incident, il a porté plainte auprès du tribunal de paix de Trou-du-Nord, qui a transmis la plainte au parquet du tribunal de première instance de Fort-Liberté. L’audience, fixée au 18 décembre, n’a pu avoir lieu, l’accusé ne s’y étant pas présenté. Fin 2012, l’affaire était toujours en cours.
III.1.3. Suivis d’enquêtes concernant 47 allégations de violations soumises par la SDH à l’IGPNH
En mai 2012, la SDH a transmis 47 allégations de violations commises par des agents de la PNH à l’IGPNH et n’a reçu de réponses que pour dix cas. Parmi ces cas se trouvait celui de Serge Démosthène, torturé à mort au commissariat de Pétion- Ville, le 15 juin 201117. Dans son rapport d'enquête finalisé en août 2011, l'IGPNH a recommandé le renvoi du commissaire de police mis en cause. Toutefois, cette recommandation n’a pas été suivie puisque fin 2012, ce dernier était toujours à son poste. Aussi, aucune instruction n’avait encore été ouverte fin 2012, malgré la transmission du dossier au parquet fin 2011. Les 47 cas incluent également le cas de Frantzi Duverseau tué lors d’une arrestation menée par la police, le 18 octobre 2010 ; le cas de Fritz Fernicien tué par balles, le 31 octobre 2010, dans le quartier de Bel Air ; le cas de Jeune Sterson et Louis Frantz, colleurs d’affiches pour la candidate Mirlande Manigat, tués par balles, les 5 et 6 mars 2011 respectivement, dans le quartier de Savane Pistache; le cas d’André Markerson, décédé après avoir été sévèrement battu lors de sa garde à vue, le 6 avril 2011, dans la commune de Cité Soleil et le cas de trois hommes tués par balles, le 3 mai 2011, dans le quartier de Mais Gâté. Ces cinq cas ont fait l’objet d’un rapport publié par la SDH en décembre 2011. Parmi les 47 cas se trouvait aussi celui d’un policier affecté au palais présidentiel, suspecté d’avoir commis deux homicides, en 2010 et 2011, et ayant bénéficié jusque-là d’une immunité totale18. A new complaint was lodged in February against the same police officer by a Ministry of Justice staff member for alleged death threats.Une nouvelle plainte avait été déposée en février 2012 contre lui, par un membre du personnel du ministère de la Justice pour menaces de mort. Toutefois, fin 2012, l’enquête de l’IGPNH avait été abandonnée et aucune instruction judiciaire n’avait été ouverte.
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