Quels droits pour les travailleurs détachés dans l'Union européenne?
(eurogersinfo.com – art de D.Aguilar)
La libre prestation de services est une des libertés économiques fondamentales du marché intérieur européen. Comment se concilie-t-elle avec la protection des droits des travailleurs, notamment détachés? Telle est la question qui se pose à la suite de différents arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne et à laquelle la Commission essaie de répondre dans une réforme proposée le 21/03/2012. La libre prestation de services est une déclinaison de la libre circulation des services, une des quatre libertés attachées au marché intérieur européen (libre circulation des marchandises, libre circulation des travailleurs, des services et des capitaux). Elle est consacrée dans l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle signifie notamment qu'un prestataire de services établi dans un pays de l'Union européenne a le droit de détacher temporairement des travailleurs dans un autre pays membre pour y prester un service. En raison du caractère temporaire du détachement, la relation de travail entre l'entreprise et ses employés reste alors régie par le droit du pays d'envoi et non par celui du pays où s'effectue la prestation (pays d'accueil). L'intérêt de cette liberté de prester des services dans d'autres pays de l' UE est qu'elle offre aux clients un plus grand choix de prestataires et qu'elle peut être une solution aux pénuries de main d' oeuvre que connaissent certains secteurs. Mais elle ouvre aussi la voie au dumping social, en confrontant les entreprises et les travailleurs locaux à la concurrence déloyale de prestataires de pays où les règles de protection des travailleurs comme les règles en matière de cotisations sociales sont moins exigeantes, ce qui permet de casser les prix et de contourner les droits des travailleurs. En termes quantitatifs, selon les chiffres donnés par la Commission européenne, on estime à environ un million le nombre de travailleurs qui sont détachés chaque année par leurs employeurs dans un autre pays de l’Union pour des prestations de services (soit 0,4 % de la main-d’oeuvre de l’UE). Les pays d'où sont originaires ces travailleurs sont essentiellement la Pologne, l'Allemagne, la France, le Luxembourg, la Belgique et le Portugal. Les secteurs économiques les plus concernés sont la construction, l’agriculture ou les transports. Mais le détachement est également utilisé de façon importante dans la prestation de services très spécialisés, comme les technologies de l’information, par exemple.
La directive 96/71 sur le détachement des travailleurs L'adoption de la directive 96/71 du 16/12/1996 concernant le détachement de travailleurs avait pour but d'éviter cet écueil en formulant un socle de règles impératives en vigueur dans le pays d’accueil qui doivent s’appliquer aux travailleurs détachés. Cet ensemble de règles oblige l'employeur des travailleurs détachés à respecter pendant la période de détachement certaines règles protectrices du pays d’accueil résultant soit de la législation soit de conventions collectives déclarées d'application générale soit de « dispositions d’ordre public » qui englobe des règles jugées fondamentales par le pays. La directive s'applique à trois types de situations: - le détachement dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d'envoi du travailleur et le destinataire de la prestation de services («contrat ou sous-traitance»); - le détachement sur le territoire d’un autre Etat membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe («transferts internes»); - la mise à disposition d'un travailleur par une entreprise de travail intérimaire ou une agence de placement au bénéfice d'une entreprise établie sur le territoire d’un autre Etat membre. Le socle de normes impératives qui doivent être respectées, comprend: - les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, - la durée minimale des congés annuels payés, - les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires (hors régimes complémentaires de retraite professionnels) (NB: cette règle oblige les entreprises à appliquer le salaire minimum lorsque le droit du pays d'accueil en prévoit un, mais elle n’oblige pas les pays où il n'existe pas de salaire minimum à en fixer un); - les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des sociétés d'intérim, - la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, - les mesures de protection applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes, - l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination. Ces règles impératives ne s’appliquent que si elles sont plus favorables que celles en vigueur dans le pays d’origine. Jusque là tout semble propre à éviter cette concurrence déloyale et ce dumping social si redoutés... Pourtant, l'application de la directive 96/71 n'est pas allée sans déceptions et interrogations quant à sa portée et à son efficacité. C'est l'argument de la Commission européenne pour justifier une révision du texte. Mais pour les syndicats de travailleurs, fédérés au niveau européen dans la Confédération européenne des Syndicats (CES) ce n'est pas tant la directive qui est en cause que la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne relative à la façon dont les droits sociaux fondamentaux et le principe de libre prestation s'articulent...ou s'opposent. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne La confrontation des libertés du marché intérieur et des droits sociaux
A l'occasion de différentes affaires (Laval, Viking, Rüffert et Commission/Luxembourg), la Cour de Justice de l'Union européenne a eu l'occasion de répondre à cette question importante: la protection des travailleurs et de leurs droits est-elle une raison impérieuse d'intérêt général seule à même de justifier, comme le prévoit le droit communautaire, une restriction à la libre prestation de services? Ceux qui attendaient une réponse positive claire ont été déçus: la Cour a placé des conditions jugées inquiétantes à l'exercice de certains droits des travailleurs et en particulier, au droit à l'action collective (droit de grève et blocus, en l'occurrence). Les affaires Viking et Laval avaient pour origine des actions collectives (droit de grève, blocus) menées par des syndicats de travailleurs contre des entreprises prestataires de services pour obliger une entreprise d'un autre pays de l'Union européenne à respecter les droits prévus par une convention collective sectorielle du pays hôte (Laval ) ou empêcher une entreprise de délocaliser dans un pays de l'UE aux règles sociales moins contraignantes pour ensuite détacher des travailleurs dans le pays où elle était établie à l'origine (Viking) . Dans l'affaire Rüffert, un land allemand voulait imposer à une entreprise d'un autre Etat membre d'appliquer un taux de salaire prévu par une convention collective qui n'était pas d'application générale comme condition de l'attribution d'un marché public de travaux. Dans les arrêts Viking et Laval, la Cour s'est reconnue compétente pour juger l’affaire portée devant elle. Cela n’allait pas de soi puisque ces affaires mettaient en cause l’exercice d'une action syndicale (droit de grève, blocus), une matière qui n’est pas de la compétence de l’Union européenne, comme le reconnaît la Cour elle-même. Pourtant, elle balaye l’objection en soulignant que le fait que le droit de grève et échappe à la compétence communautaire ne signifie pas que son exercice soit affranchi du respect du droit communautaire, dont, elle, la Cour est garante de l’application. D’autant plus, rappelle la Cour, que le droit syndical n’est pas tout à fait étranger au champ d’application du droit communautaire, puisque la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont elle est également chargée de veiller à ce qu’elle soit respectée, contient des dispositions sur les droits sociaux (NB : dans le respect des législations et constitutions nationales: par exemple : Article 53 de la Charte : Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d'application respectif, par le droit de l'Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l'Union, ou tous les Etats membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres). Le droit de mener une action collective est bien un droit fondamental dont le juge communautaire doit assurer le respect, reconnaît la Cour (considérant 91 de l'arrêt Laval) mais elle va plus loin en rappelant dans les deux arrêts que l'action de la Communauté ne se limite pas au marché intérieur mais comporte aussi une politique dans le domaine social. Elle met alors en balance, ce qui est sa démarche habituelle, les droits liés au principe de libre circulation avec les objectifs poursuivis par la politique sociale (amélioration des conditions de vie et de travail, protection sociale adéquate et le dialogue social, comme le rappelle la Cour en se référant à l'article 136 du traité sur la Communauté européenne, traité en application au moment des faits). Une restriction à cette liberté qu'est la prestation de services est possible, mais elle doit répondre à un objectif légitime et non contraire au traité, être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et ne pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi (proportionnalité). Mais si la Cour réaffirme que le droit de mener une action collective pour protéger les travailleurs locaux contre des pratiques de dumping social peut effectivement être une raison impérieuse d’intérêt général justifiant de restreindre une liberté du traité, dans l'affaire Laval, elle l'estime non justifiée car l'action des syndicats avait pour but d'imposer des normes sociales allant au dela du socle de règles prévues par la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs. L'action collective des syndicats a donc été jugée illégale. Dans l'affaire Viking, elle a rappelé que les revendications syndicales et l'action menée pour les défendre ne doivent pas être disproportionnées. Dans l'arrêt Rüffert, la Cour juge injustifiée la restriction à la libre prestation de services qui résultait de l'obligation de verser aux salariés la rémunération prévue par la convention collective. La Cour estime que cette obligation va au delà du socle de règles protectrices défini par la directive 96/71. Le juge explique que l’Etat membre d’accueil ne peut pas subordonner la réalisation d’une prestation de services sur son territoire à l’observation de conditions de travail et d’emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale car la directive prévoit explicitement le degré de protection dont cet Etat peut imposer le respect aux entreprises établies dans d’autres Etats membres en faveur de leurs travailleurs détachés sur son territoire. Une telle possibilité reviendrait à priver la directive d’effet utile c’est à dire de donner un cadre sûr et facilement compréhensible par une entreprise étrangère qui veut faire des prestations transfrontalières et doit savoir quel est le droit applicable pour pouvoir exercer son droit de libre prestation de services (une des libertés fondamentales du marché intérieur). C’est aussi la solution consacrée par les arrêts Laval et Viking. L'argument tiré de la protection des intérêts des travailleurs qui pourrait faire échec à la liberté de prestation de services n'est pas recevable en l'espèce, juge la Cour car le taux de salaire fixé par la convention ne s’impose qu’à une partie du secteur de la construction et non pas à l'ensemble des travailleurs, notamment parce que la convention n’a pas été déclarée d’application générale. Enfin, dans l'arrêt Commission c.Luxembourg (CJUE, 19/06/2008, aff. C-319/06, Commission des Communautés européennes c.Grand Duché du Luxembourg), la transposition de la directive sur le détachement des travailleurs par le Luxembourg est jugée non conforme notamment parce qu'elle fait une place trop importante aux dispositions d'ordre public (celles qui, bien que ne faisant pas partie des règles du scole minimal prévu par la directive, peuvent aussi être imposées par le pays d'accueil à l'entreprise étangère prestataire) et que la législation de transposition outrepasse la directive en créant des obligations supplémentaires pour les entrepises.
Une jurisprudence qui inquiète En définitive, cette jurisprudence reconnaît que le droit de mener une action en tant que droit fondamental fait partie intégrante des principes généraux du droit communautaire et reconnait la protection des travailleurs comme un intérêt légitime pouvant justifier, en principe, une restriction à l’une des libertés fondamentales. Elle rappelle que l'Union européenne ne se limite pas au marché intérieur mais a aussi une finalité sociale qui implique l'amélioration des conditions de travail et de vie. Elle reconnait qu'un blocus organisé par un syndicat de travailleurs du pays d'accueil pour garantir aux travailleurs détachés des conditions de travail et d’emploi correspondant à des conditions déterminées, relève de l’objectif de protection des travailleurs. Autant d'éléments qui sont favorables à la défense de travailleurs menacés par le dumping social. Pourtant, ces arrêts ont aussi beaucoup inquiété, car, comme on l'a vu, ils ne reconnaissent pas un droit "illimité" à l'action collective et admettent que des restrictions peuvent lui être apportés. Comment interpréter les signaux contradictoires donnés par cette jurisprudence? Ainsi, la Confédération européenne des Syndicats, par exemple, tout en reconnaissant les points positifs de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment: Viking et Laval, Exposé des motifs, Pour le Comité exécutif de la CES, 4 mars 2008) estime que cette jurisprudence est un mauvais coup porté à l'Europe sociale dans le mesure où la négociation et l’action collective se voient imposer des conditions (notamment l'exigence de respecter le principe de proportionnalité) qui sont autant d'entraves. De plus, l'interprEtation jugée très restrictive des dispositions de la directive 96/71 constitue un frein supplémentaire à l'exercice des droits des travailleurs, estime la CES et peut paralyser les revendications. Pour la Confédération, le cas est entendu: "La CJE a confirmé une hiérarchie de normes, avec les libertés de marché au plus haut dans la hiérarchie et une position secondaire pour les droits sociaux fondamentaux issus des négociations collectives et des actions" et ces décisions " menacent les modèles de partenariat social" (Résolution de la CES, "Réaliser des progrès sociaux au sein du marché unique : propositions concernant la protection des droits sociaux fondamentaux et le détachement des travailleurs", adoptée lors du Comité exécutif des 7-8 décembre 2011). Si cette analyse de la CES peut être discutée, car il n'est pas évident à lire les considérants des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne que les arrêts aient la portée que leur prête la CES, il n'en reste pas moins que cette jurisprudence a jeté le trouble au dela des syndicats. Par exemple, la commission des affaires européennes du Sénat français s'est aussi saisie de la question à différentes reprises et a proposé une résolution afin, en particulier, de protéger le droit de mener des actions collectives (réunion du mercredi 6 avril 2011, Proposition de résolution de M. Denis Badré). Demande d'une réforme et d'une clarification des règles européennes applicables Du côté des institutions européennes, des initiatives ont été prises pour tenter de préciser les conditions d'application de la directive 96/71, notamment à la la lumière des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne et de l'expérience de plus d'une décennie d'application. Mario Monti qui avait été chargé par la Commission en octobre 2009 de réfléchir à une stratégie de relance du marché unique, mettait en garde, dans son rapport (rapport au Président de la Commission européenne: "Une nouvelle statégie pour le marché unique – Au service de l'économie et de la société européennes", 09/05/2010) contre le risque d'une fracture entre les nécessités du marché intérieur et les droits sociaux garantis par les droits nationaux, ce qui "pourrait avoir pour effet qu'une partie de l'opinion publique, des associations de travailleurs et de syndicats...se retourne contre le marché unique et l'UE". Il préconisait de clarifier les règles européennes applicables, ce qui ne peut être la responsabilité de la Cour de justice mais celle des responsables politiques "qui doivent rechercher une solution conforme à l'objectif du traité d'instaurer une économie sociale de marché". Il proposait aussi d'insérer une clause qui garantirait que le détachement des travailleurs, dans le cadre de la fourniture transfrontalière de services, ne remet pas en cause le droit de mener des actions collectives et de faire grève, sur le modèle de l'article 2 du règlement 2679/98 du 07/12/ 1998 qui dispose : "Le présent règlement ne peut être interprété comme affectant d'une quelconque manière l'exercice des droits fondamentaux, tels qu'ils sont reconnus dans les Etats membres, y compris le droit ou la liberté de faire grève. Ces droits peuvent également comporter le droit ou la liberté d'entreprendre d'autres actions relevant des systèmes spécifiques de relations du travail propres à chaque Etat membre" (Règlement (CE) nº 2679/98 du Conseil du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du marché intérieur pour ce qui est de la libre circulation des marchandises entre les Etats membres, dit "règlement Monti").
Quelques mois plus tard la Commission européenne annonçait une révision de la directive sur le détachement des travailleurs, dans sa communication « Vers un acte pour le marché unique » (Un programme pour une Union européenne rénovée?). De son côté, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) a présenté ses propres propositions pour la révision de la directive sur le détachement des travailleurs (CES, "La directive sur le détachement des travailleurs:propositions de révision", Résolution adoptée lors du Comité exécutif de la CES, 9-10 mars 2010) et pour renforcer la protection des droits sociaux fondamentaux (CES, Résolution : Réaliser des progrès sociaux au sein du marché unique : propositions concernant la protection des droits sociaux fondamentaux et le détachement des travailleurs, adoptée lors du Comité exécutif des 7-8 décembre 2011). La Confédération réclame tout d'abord une clause de progrès social qui permettrait "d’aborder les implications générales des affaires de la CJE et de toutes les affaires à venir“. Cette clause prendrait la forme d’un protocole, à annexer aux Traités européens et qui aurait la même valeur légale. Le rôle de ce Protocole, poursuit la CES, est de rétablir l’équilibre entre les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux et devrait faire échec à une interprEtation contraire par la Cour de Justice de l'Union européenne. Dans sa résolution du 08/12/2011, la CES fixe en quelque sorte les lignes directrices de la jurisprudence future de la Cour: - Les libertés économiques et les règles de concurrence ne peuvent pas avoir la priorité sur les droits sociaux fondamentaux et le progrès social. De plus, en cas de conflit, les droits sociaux doivent être prioritaires
- Les libertés économiques ne peuvent pas être interprétées comme des éléments donnant droit aux entreprises d’esquiver ou de détourner les lois et pratiques professionnelles et sociales nationales, ou à des fins de concurrence déloyale au niveau des salaires et des conditions de travail. Sur la révision de la directive, la CES formule huit demandes: - exposer clairement les objectifs sociaux de la directive: respecter les droits des travailleurs et assurer un climat de concurrence équitable - garantir le droit fondamental aux négociations collectives et à l’action collective dans la directive indépendamment de la clause sociale demandée - couvrir le seul détachement temporaire: en dehors des cas de détachement de courte durée régis par la directive, la présomption que le lieu de travail habituel est l’Etat membre d’accueil doit être appliquée (et donc, les lois de cet Etat); par ailleurs le détachement, au sens de la directive doit être justifié dans le cadre d’une véritable prestation de services transnationale (cela exclut les entreprises qui n'ont qu'une simple boîte aux lettres dans l'Etat où elles sont sensées être établies: les travailleurs employés par celles-ci ne relèveront pas de la directive mais des dispositions du Traité sur la libre circulation des travailleurs et du droit de non-discrimination dans l’Etat membre d’accueil) - garantir un traitement égal en matière de salaire, par opposition au paiement du salaire minimum prévu par la directive actuellement - respecter les différents modèles de relations industrielles et définir des critères moins rigides afin de permettre le respect des règles sociales résultant d'une convention collective même si elle n'est pas d'application générale - permettre aux autorités publiques de réclamer le respect des conventions collectives applicables grâce à des clauses sociales dans le marché public - adopter une interprEtation plus large des dispositions d’ordre public pour y inclure sans ambiguïté les objectifs sociaux et la protection des travailleurs - assurer un contrôle effectif du respect des règles par l'Etat d'accueil (par exemple, pour vérifier que le travailleur détaché est réellement employé de manière habituelle dans le pays d’origine) et une mise en œuvre efficaces grâce à des sanctions dissuasives (par exemple, en faisant échec à la dilution des responsabilités générée par le recours à des chaines de sous traitance en rendant le contractant principal responsable du respect des conditions d’emploi en vigueur et des contributions à la sécurité sociale par tous les sous-traitants). La position de la Commission européenne : les propositions du 21/03/2012 Les propositions rendues publiques par la Commission européenne le 21/03/2012 prennent la forme d'une directive d’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs (*) et d'un règlement (appelé aussi Monti II) destiné à prendre en compte la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et, selon la Commission, à démentir les commentaires selon lesquels ces arrêts donnent aux libertés économiques une primauté sur les droits sociaux, notamment sur le droit de grève (*).
La directive d'exécution Elle a pour objectif d'assurer l'application de la directive 96/71 de façon plus efficace, notamment en améliorant le contrôle. La directive 96/71 elle-même n'est pas remise en cause et le socle de règles impératives que doit respecter l'employeur reste donc inchangé. Tout d'abord, la proposition de directive incorpore dans son article 1 ce que l'on appelle la "clause Monti" : "La présente directive ne porte pas préjudice de quelque manière que ce soit à l'exercice des droits fondamentaux reconnus par les Etats membres et le droit de l'Union, notamment le droit ou la liberté de faire grève ou d'entreprendre d'autres actions prévus par les systèmes de relations du travail propres aux Etats membres, conformément à la législation et aux pratiques nationales. La présente directive n’affecte pas non plus le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et de mener des actions collectives conformément aux législations et pratiques nationales". Ensuite, pour améliorer l'application de la directive 96/71, elle impose notamment: - d'améliorer l'information des travailleurs et des entreprises sur les conditions de travail et d’emploi applicables dans le pays d’accueil (article 5); - d’établir des règles claires de coopération au niveau des autorités nationales compétentes en matière de détachement (articles 6 à 8) avec l'utilisation du système d’information du marché intérieur (IMI) en tant que système électronique d’échange d’informations pour faciliter la coopération administrative en matière de détachement de travailleurs (article 18); - de donner les éléments permettant d’améliorer et de mieux contrôler les applications de la notion de détachement, afin d’éviter la multiplication de sociétés «boîtes aux lettres» qui utilisent le détachement pour contourner les règles en matière d’emploi (l’article 3 §1 et 2 donne une liste indicative et non exhaustive de critères et d’éléments qui permettent de déterminer la nature temporaire qui caractérise la notion de détachement pour la prestation de services et l’existence d’un lien réel entre l’employeur et l’Etat membre depuis lequel le détachement est effectué); - de définir la portée de la surveillance assurée par les autorités nationales concernées, ainsi que leurs compétences pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui interdit à l'Etat d'accueil d'imposer certaines obligations au prestataire qui détache des travailleurs pour une prestation temporaire de services dans la mesure où elles seraient des entraves injustifiées à la liberté de prestation de services (par ex: l'Etat d'accueil ne peut obliger le prestataire à avoir un établissement sur son territoire, ou encore à s'enregistrer auprès de ses autorités compétentes, à s'inscrire sur un registre ou à s'affilier à un organe ou une association professionnelle sur son territoire, ou toute autre exigence équivalente qui ne serait pas prévue dans la législation de l'Union européenne) (articles 9 et 10); - d’améliorer la prise en compte des droits des travailleurs grâce, par exemple, à l’introduction d’une responsabilité solidaire des contractants principaux et des sous traitants, qui s'appliquera dans le secteur de la construction et au détachement de travailleurs par des agences d'intérim s'il porte sur des activités du secteur de la construction (articles 11 et 12); - d'organiser l'exécution des sanctions prises (amendes, sanctions administratives) infligées en cas de non-respect des règles applicables dans un Etat membre par un prestataire de services établi dans un autre Etat membre (articles 13 à 16). Le règlement Monti II Afin de clarifier les rapports entre le droit de grève et la libre prestation des services, la Commission présente aussi un nouveau règlement qui tient compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Car l’Union (la Cour de justice elle même le rappelle dans ses arrêts, comme on l'a vu), a, à la fois, une finalité économique, et une finalité sociale. La première est bien connue et ancrée solidement depuis l'origine de la construction communautaire, la seconde a été affirmée et développée plus récemment (article 3 §3 du traité sur l'Union européenne selon lequel le marché intérieur oeuvre pour" une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social", "clause sociale" introduite par le traité de Lisbonne qui oblige l'Union européenne à "prendre en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate et à la lutte contre l’exclusion sociale" lorsqu'elle adopte des textes et met en oeuvre ses politiques, charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne, convention européenne des droits de l'homme). A ce contexte juridique proprement européen, il faut également ajouter celui que constituent les conventions internationales signées par les Etats membres de l'UE et, en particulier, la convention n°87 de l’OIT, qui consacre le droit de grève. La Commission explique que laisser les choses en l'Etat maintiendrait une insécurité juridique persistante qui pourrait entraîner "une perte du soutien apporté au marché unique par une part importante des parties prenantes et créer un environnement hostile pour les entreprises, pouvant s’accompagner de comportements protectionnistes". Les syndicats de travailleurs, pour leur part, pourraient hésiter à exercer leur droit de grève de crainte de se voir exposés à des risques d’actions en dommages-intérêts, et dans l'ignorance de ce que pourraient décider les juridictions nationales. L'article 1er reprend, en lui donnant une portée générale, la "clause Monti" : "Le présent règlement ne porte en rien atteinte à l’exercice des droits fondamentaux, tels qu’ils sont reconnus dans les Etats membres, y compris le droit ou la liberté de faire grève ou d’entreprendre d’autres actions relevant des systèmes de relations du travail propres à chaque Etat membre, conformément aux législations et aux pratiques nationales. Il n’affecte pas non plus le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et de mener des actions collectives conformément aux législations et pratiques nationales". L'article 2 pose les principes généraux applicables aux relations entre les droits fondamentaux et les libertés économiques. Il les place sur un pied d'égalité, écartant que les uns ou les unes puisse primer sur les autres. Mais dans la mesure où il y a égalité, cette égalité implique que les uns et les autres doivent être respectés...ce qui peut justifier des restrictions à leur exercice. Les considérants 8 à 10 de la proposition de règlement l'énoncent: "La protection des travailleurs, en particulier leur protection sociale et la protection de leurs droits contre le dumping social, ainsi que la volonté d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi ont été reconnues comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général justifiant de restreindre l’exercice d’une des libertés fondamentales prévues par le droit de l’UE...Il convient que les syndicats conservent la capacité de mener des actions collectives pour garantir et protéger les intérêts, les conditions d’emploi et les droits des travailleurs, à condition de le faire dans le respect des législations et pratiques de l’Union et des Etats membres...Tant les libertés économiques que les droits fondamentaux, ainsi que leur exercice effectif, peuvent donc faire l’objet de restrictions et de limitations". Pour décider si une restriction ou une limitation est légale ou pas, il sera fait application du principe de proportionnalité comme l'explique le considérant 12: "Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui". Ce que développe le considérant 13 : "La juste conciliation entre droit fondamental et liberté fondamentale en cas de conflit ne sera assurée que si la restriction d’une liberté fondamentale par un droit fondamental ne peut pas aller au-delà de ce qui est approprié, nécessaire et mesuré aux fins de la réalisation du droit fondamental. Inversement, la restriction d’un droit fondamental par une liberté fondamentale ne peut pas aller au-delà de ce qui est approprié, nécessaire et mesuré aux fins de la réalisation de la liberté fondamentale". Mais comme le reconnait le règlement, l'appréciation de la proportionnalité n'est pas aisée car il "exige ou implique souvent des évaluations complexes de la part des autorités nationales" (considérant 11). Les juridictions nationales qui devront trancher les litiges entre entreprises et travailleurs n'auront pas la tâche facile. "Au passage", la Commission européenne prend soin de rappeler que le règlement proposé n'a aucune incidence sur la législation nationale en matière de droit de grève et ne crée aucun obstacle à son exercice. Elle rappelle aussi que lorsque les éléments transfrontières sont absents ou hypothétiques, une action collective est présumée ne pas constituer une violation de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services. En d'autres termes, les conflits purement internes à un pays ne sont pas concernés par le règlement (voir aussi l'article 1er§1). Cela va sans dire...mais va mieux en le disant. L'objectif est de faire échec aux manoeuvres d'entreprises qui invoqueraient de fausses situations de détachement des travailleurs par exemple pour demander réparation des préjudices causés par une action collective syndicale. L'article 3 de la proposition de règlement rappelle la compétence des Etats pour définir les procédures nationales de règlement des conflits, y compris les procédures extrajudiciaires (médiation, conciliation, arbitrage). Un second paragraphe ouvre cependant la voie à la mise en place de procédures européennes en encourageant les partenaires sociaux au niveau européen à conclure des accords ou à définir des lignes directrices pour des procédures amiables ou extrajudiciaires de règlement des litiges dans les affaires ayant un caractère transnational. Enfin, l'article 4 crée un mécanisme d'alerte qui oblige les Etats à informer sans délai leurs partenaires (l'Etat membre d’établissement ou d’origine du prestataire de services et les autres Etats membres concernés) ainsi que la Commission européenne si se produisent des actes ou des circonstances graves "qui portent atteinte à l’exercice effectif de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services et qui sont de nature à perturber fortement le bon fonctionnement du marché intérieur, à nuire gravement à son système de relations du travail ou à entraîner des troubles sociaux considérables sur son territoire ou sur le territoire d’autres Etats membres". La veille de la présentation des propositions de la Commission, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) avait averti: "Les travailleurs européens exigent que le droit à l’action collective soit garanti sans restriction. Ni les libertés économiques, ni les règles de concurrence ne peuvent avoir priorité sur les droits sociaux fondamentaux. En cas de conflit, les droits sociaux fondamentaux prévaudront » (communiqué de la CES: La CES demande au Président Barroso s’il tiendra ses promesses, 20/03/2012). C'est pourquoi, elle a rejeté le règlement Monti II, considérant que « Les propositions de la Commission sont malheureusement loin de corriger les problèmes provoqués par les affaires Viking et Laval » (communiqué de la CES, La CES dit « non » à une réglementation qui affaiblit le droit de grève, 21/03/2012). La proposition de directive d'application de la directive 96/71 n'est pas non plus épargnée par les critiques. Pour les syndicats de travailleurs, elle ne va pas assez loin en se focalisant sur les moyens d'améliorer la surveillance et le contrôle de l'application de la directive, et surtout, en limitant la règle de la responsabilité conjointe des entreprises contractantes principales et de leurs sous traitants au secteur de la construction. Pour les représentants des entreprises au contraire, les propositions vont engendrer une surcharge de procédures bureaucratiques qui vont accabler les entreprises et nuire à la croissance. Quant aux Etats et au Parlement européen qui doivent voter ces textes, il reste encore à connaitre leur position.
Le 12/09/2012, la Commission européenne a annoncé qu'elle retire sa proposition de règlement sur le droit de grève, après que différents parlements nationaux se soient insurgés contre cette initiative qui outrepasse selon eux les compétences de l'Union européenne. |