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Réguler les excès de la finance, Hervé Causse Art du droit et théorie politique de la régulation La refondation du système monétaire et financier international (Dir. R. CHEMAIN, CEDIN):Cahiers internationaux, n° 25, Pédone 2011 Réguler les excès de la finance Art du droit et théorie politique de la régulation par Hervé Causse Professeur des Universités, Directeur de master (Droit des Affaires et de la Banque) « Face à l’arbitraire, se dresse le droit ; et le rempart qui semblait de papier ne cède pas toujours au premier assaut de la force brutale » Christian ATIAS, Théorie contre arbitraire, PUF, 1987, n° 1. 1. – « Réguler les excès de la finance » ?1 La crise financière de 2007-20102 appelle du juriste une double réponse incisive, outre la détection de l’excès3. On régulera les excès de la finance avec des règles de qualité, et non des idées, à défaut rien ne sera régulé car la régulation exige de l’art juridique. L’exclusion des juristes des débats de ces dernières années surprend. On régulera en outre les excès avec des autorités de surveillance dont les agents auront dans la surveillance le souci de la règle et de la technique juridiques – et l’esprit des textes, disent d’illustres banquiers4. Ces deux réponses disent la place du Droit dans ce sujet. Il n’est guère sérieux d’imaginer cent réformes sans analyses juridiques approfondies, ni débats juridiques publics. Diverses difficultés de conception, de réalisation ou d’applications des réformes tiennent à l’absence du droit. La difficulté a certes d’autres causes (technicité bancaire et financière, contexte international, intérêts nationaux, lobbying des banques et des places financières, incompréhension du grand public, oppositions entre libéraux et collectivistes, mayonnaise médiatique…), dont la recherche d’un nouveau paradigme économique monétaire5 et d’un paradigme politique et juridique de la régulation. Car paradoxalement, on invoque l’amélioration de la régulation sans même la définir, on s’y attachera (infra n° 6). Réguler les excès de la finance suppose d’exposer les mécanismes précis et notamment juridiques de la régulation. Un combat quotidien s’impose en outre. L’observation administrative des flux financiers et l’initiation de rapports, commissions, consultations…, ponctuées de capitulations (… l’AMF et l’affaire EADS…6), ne suffisent pas. Réguler c’est, au plus précis, trouver les règles techniques qui font mouche quand les entreprises, banques et cabinets d’avocats créent des techniques contractuelles formant de nouveaux pans d’activités. Ce sont les « bulles », gages de l’échec de la régulation et d’instabilité financière. Brouillonne, l’invention juridique (?) de la stabilité financière, ou la stabilité du système financier (infra n° 36), veut contrer les excès sans s’identifier en droit, tout un symbole du mépris du Droit et de la Science juridique. Techniques et sciences juridiques restent mal appréhendées malgré un chapitre dans un nouveau « rapport STIGLITZ » remis à l’ONU7. La précision de la méthode juridique manque, revenons aux termes du sujet. 2. – De l’excès, point simple, aux techniques juridiques. Le juriste sait traquer les « excès ». Ce terme autoriserait à réduire le sujet à l’extrême et à discourir sur l’excès, un vernis de philosophie et de sociologie satisfaisant les académismes. Mais ces derniers éloignent parfois d’une recherche répondant aux préoccupations de la société, encore qu’il permette un instructif détour. Pour le juriste, l’excès est usuel, y compris dans la vie des affaires. Il se complète et s’exprime par d’autres techniques. L’abus, la clause abusive, la fraude, le détournement, le dilatoire, le léonin8, voire l’exceptionnel, l’extraordinaire… que d’autres techniques chassent : le sérieux (qui chasse le non-sérieux), la grâce, la dispense, la raison, la modération, l’ordre public… sinon la stabilité que le juriste connaît moins bien ou pas… Ces notions, mécanismes et techniques organisent habituellement la société. Universellement utilisés par le législateur et le juge, pourquoi ne permettraient-ils pas de circonscrire les excès financiers ? Ces techniques peuvent s’appliquer à des cas concrets de bilans bancaires si la règle (comptable) est bien écrite et appliquée, autant que pour le « bancaire d’en bas », la technique contractuelle bancaire (… comme les crédits subprimes). C’est même une nécessité. L’excès passe par la technique juridique la plus fine, rejaillit sur les personnes et affecte leur équilibre financier. La science juridique enseigne qu’il s’instille partout, même si l’une de ses conséquences s’observe (soudainement ?) avec les « bulles ». Elles sont une suractivité pour un contrat ou secteur donné, pour une personne donnée et un pan de comptabilité donné. La « bulle » n’est que le fruit de l’excès9, lequel doit être disséqué en ses diverses manifestations, soit les causes de la mauvaise régulation ouvrant sur l’ensemble des sujets de la crise. 3. – Problème de culture juridique. Parmi les causes de l’excès, la mauvaise règle figure en bonne place. Y remédier, pour mettre en œuvre les bonnes idées économiques et financières, suppose d’user d’une grande culture juridique. Un administrateur polyvalent renonce ou ignore souvent l’art juridique : la langue administrative « consensuelle » est commode. Le défi de la régulation de la finance est ainsi en partie une affaire de culture juridique, ce qui n’est pas dit puisque les juristes sont exclus du débat. Écrire les règles dans une langue administrative élude souvent le raisonnement juridique rigoureux pour éviter de réellement purger les problèmes. À l’inverse, le terme juridique idoine donne, non sans un certain paradoxe, un esprit à la règle (loi, décret, arrêté, délibération, décision). Les concepts mous, qui semblent tout régler, posent en réalité nombre de difficultés nouvelles et forment le terreau des excès financiers. Cette œuvre administrative10, délice des parlementaires, gouvernements et autorités de régulation, est la trame d’un libéralisme financier bien voilé. 4. – Liberté financière et culture administrative. Sous l’impulsion des financiers, les juristes innovent sans limite sur deux plans techniques : - la liberté conventionnelle et contractuelle qui, malgré mille limitations, reste le principe juridique majeur et un puissant moteur de l’activité économique et financière ; - la liberté de création et de transformation des « institutions-patrimoines » (sociétés, fonds, patrimoines affectés…), en interne (transformation du bilan, « hors bilan »)11 et externe (partenariats divers, co-exploitation, pacte d’actionnaires, fusions…). Réguler les excès de la finance exige, sur cent techniques en cause de maîtriser ces deux dimensions (outre le besoin de pertinence des missions des institutions publiques ou professionnelles). Or, sur ces deux points, les administrateurs sont en rupture de culture avec les juristes du secteur privé. Les règles longues et molles prises dans un style administratif sont vaines. Des ajouts incessants de législation laissent devant un magma de textes qui, privés de rareté, sont privés d’autorité, exposés à l’incompréhension de tous, voire à un dédain des juges. L’art juridique est souvent celui de la brièveté car le bon concept, finement choisi, tient en un mot et un seul. On restera sur cette idée globale alors qu’on pourrait, à ce titre, ordonner notre discours : notions, sources du Droit (le comité de Bâle, source de droit ?), type de droit12, types de règles (droit écrit, droit professionnel, soft law…), règles substantielles… Mais nous resterons sur l’idée générale d’art du droit, il y faudrait un ouvrage entier. 5. – Des considérations juridiques. La stabilité recherchée doit avoir un contenu juridique pour renforcer les innombrables propositions13. Le juriste reconnaît aux économistes (lato sensu) de pouvoir dire quelles orientations économiques et financières sont nécessaires, au fond, pour limiter les excès financiers. Mais, sur diverses idées générales, le juriste peut pleinement opiner tant les propositions formulées sont générales ou banales (infra sur la notation, n° 31) et ne ressortissent ni de l’économie ni de la gestion. Se placer sur le terrain juridique est délicat car les principes majeurs sont oubliés de ceux qui ont la parole publique. Ainsi en est-il, en période de grand désordre, de l’ordre public et financier et de la police de la monnaie et du crédit dont parle si bien le professeur P. DELVOLVE14. Plus bas, peu de choses sont considérées ne serait-ce que la nature des règles (impératives, dérogatoires, professionnelles, déontologiques….). Un art juridique millénaire est évacué sans sourciller, économistes et gestionnaires adoptant, en perdant leur langue, sans traduction ni analyse juridique15, les termes de la pratique anglo-américaine. Le juriste, moins docile et plus attaché à ses concepts nationaux, avance à l’inverse des idées juridiques tirées de sa culture millénaire, en refusant les idées générales qui font mode, tout en acclimatant les nouveaux phénomènes (la régulation) ou domaines (la finance). 6. – Définition de la régulation, «un quatrième pouvoir transversal ». La première explication due est relative à la régulation, dont on a jamais autant parlé depuis la dérégulation des années 80-90… Invoquée à tort et probablement de travers, on peut lui donner un sens précis en Droit16. Pour de nombreux juristes et pour d’autres, elle reste mystérieuse17, ignorée par un substantiel Dictionnaire de la culture juridique18, bien que banalisée dans une langue journalistique qui ignore ses termes. Galvaudée, la régulation est collée sur toute institution ou action administrative. La régulation pose une question juridique et politique car la Constitution ignore le pouvoir de la régulation qu’il faudrait qu’elle mentionne. Une autorité de régulation est généralement un organisme disposant de prérogatives publiques d’énonciation de règles, d’agrément de professionnels, de surveillance de l’application desdites règles et personnes, de poursuites de ces personnes, le tout sur habilitation de la loi et sous le contrôle du juge. Les autorités de régulation concentrent des pouvoirs – contrairement à la séparation des pouvoirs – pour être plus efficaces ; si elles sont inefficaces, leur échec signe inévitablement celui de la « régulation financière ». Cette situation pose un problème de théorie politique aussi net que l’avantage visé. Sous le principe de la séparation des pouvoirs, la régulation est un pouvoir de concentration peu acceptable. Elle aura cependant pu quasiment compléter la Constitution par une insertion juridique subtile reposant sur une technique affinée et un fondement dissimulé. Techniquement, la régulation repose sur un exécutif qui se démembre en autorités (commissions, agences…) dotées de pouvoirs de police administrative (contrôle et surveillance), la loi les habilitant à un pouvoir de réglementation et, enfin, à un pouvoir de sanction légal s’il échoie finalement à un vrai juge (recours)19. La concentration du pouvoir de régulation procède de l’ingénierie juridique en touchant chaque frontière de la séparation des pouvoirs. Fondamentalement, le pouvoir de régulation résulte de l’abandon de la verticalité habituelle du pouvoir, le pouvoir s’imposant à tous, cette hiérarchie habituelle se fondant elle-même sur un rapport de haut en bas20. Avec la régulation échappe à cette logique, ce qui la rend acceptable. Le pouvoir concentré est limité à un secteur (l’audiovisuel) ou un domaine (la finance) : la régulation est ainsi un pouvoir horizontal. Ce pouvoir affecte la théorie de l’Etat. La concentration des pouvoirs permet notamment aux autorités de régulation de suivre concrètement la vie pratique, notamment économique, avant même toute difficulté. Ce pouvoir concret postule leur efficacité – à voir. Or cette réalité manque aux administrateurs. M. de LAROSIERE21 réduit ainsi la régulation à la réglementation et en exclut la mission de surveillance et de sanction. Comment réformer avec de telles ambigüités quand la régulation est un nouveau paradigme de la théorie de l’Etat. Elle justifie la recherche du professeur FRISON-ROCHE pour un « droit de la régulation »22 qui le signe. La régulation demeure incomprise quand ces nouvelles autorités, véritable quatrième pouvoir constitutionnel23 et « cinquième pouvoir » sociétal, doivent être « plus responsable ». La dimension politique de pouvoir de la régulation leur impose de s’expliquer devant l’opinion publique24 pour une régulation responsable, c’est particulièrement vrai quand le public est sollicité par la finance. 7. – La finance et la finance. Toute la finance est impliquée dans la crise, mais à des titres divers et pour des réalités différentes. Le juriste qui a souhaité un « droit financier »25 ramassant toute la matière financière s’en accommode tous en subissant la difficulté d’un tel sujet sur la crise. Ses origines (les créances de subprimes et cessions permettant une titrisation) 26 et sa principale conséquence (une crise économique), se distinguent de ses développements (atonie ou « illiquidité » de divers compartiments du marché des capitaux, credit crunch, faillites de banques et assurances, crise des finances publiques). Il n’y a eu que deux ou trois finances excessives (subprimes, titrisation, traders hors contrôle), mais les malfaçons du système sont apparues un peu partout. En méthode, on se voit amené à traiter de divers sujets. Toutefois, si la globalisation de la crise financière est un fait, il n’y a pas de droit globalisé (le rapport STIGLITZ envisage ainsi abusivement la réforme d’un droit global). La question de la méthode se règle en partie en observant quelle que soit l’organisation mondiale de la finance, un client doit être en sûreté financière, l’assurance ou la banque devant exécuter son obligation de restitution. Ainsi, une réforme des changes, du FMI, du PSCE etc., se distingue de la sûreté du système bancaire et financier d’un pays27. Certes, le système international n’est pas neutre28, mais, d’une part, toute réflexion plus vaste est impossible ici et, d’autre part, toute réforme simultanée interne et internationale est illusoire (position du Rapport STIGLITZ). Le juriste doit donc travailler à des solutions internes. Au reste, nombre de citoyens – qui payent la crise par l’impôt ou le chômage – adhèrent à l’idée que, quelle que soit l’organisation financière mondiale, le client a droit à une protection absolue dans son droit interne29. Par hypothèse du reste, le juriste est aux prises avec des règles qui sont finalement nationales. Nombre de choses tiennent dans la finance globalisée, tout ne s’y dissout pas, notamment pas le Droit – ou pas entièrement. 8. – Diversités des contextes juridiques. Les financiers dominent la planète au moyen de la liberté conventionnelle et contractuelle et de la liberté de création et transformation des « institutions-patrimoines » (sociétés, compagnies, fonds…). Les Etats peuvent s’y attaquer, malgré le phénomène de forum shopping. La réflexion mérite néanmoins d’être menée au plan national à défaut de solutions juridiques internationales (on s’étonne d’ailleurs que la voie du traité international n’ait à aucun moment été évoquée pour le moindre aspect). Les nouvelles « gouvernances » ont la faveur exaltée et naïve de tous. La régulation s’esquisse dans les « Sommets du G20 » et leurs relevés de conclusions, ou les réunions des banquiers à Bâle. La réforme du droit de l’Union européenne est plus simple à appréhender dans sa forme. Néanmoins, tous ces contextes ne seront pas notre point d’analyse car ils aboutissent à une règle nationale. Leur conception doit donc s’adapter aux systèmes de droit écrit. La difficulté internationale donne ainsi d’autant plus d’intérêt à l’art de la règle et du droit. Au plus haut, il s’exprime dans des textes universels (rappr. infra , conclusion), telle celle du Code civil30. La difficulté rappelle que la bonne réforme exige une bonne forme, que la forme est le fond qui remonte à la surface31. Après la méthode, on repasse au fond. La linguistique juridique, rappelle ainsi l’un des maîtres du Droit français, tient au choix d’un vocabulaire puis d’un discours32. Forme et fond font alliance, et l’erreur commune est de penser que le juriste ne parle que de formes (dans l’urgence des réformes ou pas) ! Le Droit est alors écarté, laissant ceux qui monopolisent la parole sans l’arme de la règle et avec l’illusion qu’ils l’ont. En effet, à tous les échelons, les administrateurs qui inspirent les Parlements, Gouvernements et Autorités de régulation façonnent des coques normatives qui ne résistent pas aux techniques fondées sur la liberté conventionnelle. 9. – De l’idée au texte. Une idée politique, administrative ou économique, fût-elle bonne, n’est pas du Droit et encore moins une règle – un ministre des finances, un symbole, le souligne avec difficulté33. La crise financière, survenue entre autres par un mauvais droit financier, pourrait revenir par lui bouleverser « nos » économies et nos vies. Cacher le Droit c’est un peu cacher ce risque, tout s’explique. Cacher le Droit c’est aussi ne pas démasquer les comportements administratifs, les comportements suffisants autant que les insuffisances de techniques. C’est cacher la réalité consternante que « tout le droit prudentiel d’hier » a peu servi : les règles n’étaient pas efficaces. En effet, nul ne dit que la régulation d’hier a failli exclusivement pour de mauvaises idées économiques ou de gestion ; au contraire, divers économistes voyaient les limites du système ; c’est donc bien dire que ce sont les règles adoptées qui ont failli en un point ou un autre (conception, insertion, rédaction, interprétation-compréhension, application). Réintroduisons le Droit dans le discours de la crise. Que les juristes disent, puisqu’ils doivent exprimer la règle qui préviendra les crises, leurs idées34. Cette tâche dépasse naturellement l’entreprise individuelle, opérée sans moyens officiels, cette modeste réflexion personnelle donnant que, pour réguler les excès de la finance, il convient de juguler la suffisance des institutions administratives (I) et leur insuffisance de technique juridique (II). |