3.Problèmes 3.1.Divergences actuelles entre les règles de conflit des États membres Les règles de droit matériel applicables à la cession dans les États membres présentent des différences considérables. Par exemple, il existe des exigences différentes en matière d'obligations de notification pour rendre une cession opposable28, en matière de règles de priorité ou de cession de créances futures, et des restrictions différentes quant à la cessibilité de créances. En l’absence d’harmonisation de ces règles de droit matériel, il est extrêmement important que le droit international privé offre des solutions pour résoudre les conflits de lois.
Or, il a été constaté que les différents États couverts par l'étude suivent des approches différentes pour déterminer la loi applicable aux aspects de la cession touchant aux tiers.
La loi du contrat entre cédant et cessionnaire régit tous les aspects patrimoniaux de la cession aux Pays-Bas. Cette solution favorise l’autonomie des parties, mais comporte un risque de fraude au détriment des créanciers du cédant. Pour remédier à de tels abus, il est possible d'invoquer le principe général fraus omnia corrumpit ou l'exception d'ordre public. Pour ce qui est de la question du rang en cas de cessions concurrentes, la loi qui régit la seconde cession détermine la protection des seconds acquéreurs de bonne foi. Cette approche a reçu un certain appui dans d'autres États membres, tels que l'Allemagne. On la retrouve également en Suisse.
En droit belge, c'est la loi du pays dans lequel le cédant a sa résidence habituelle qui détermine les aspects de la cession touchant aux tiers. Certains spécialistes italiens sont favorables à ce que la loi du pays dans lequel le cédant a sa résidence habituelle s'applique aux cessions en bloc et aux cessions de créances futures. Au Luxembourg, dans le secteur spécifique de la titrisation, la loi applicable aux aspects de la cession touchant aux tiers est la loi du pays dans lequel le cédant est établi. Le droit des États-Unis prévoit lui aussi que c'est le droit du pays d'établissement du cédant qui régit la perfection de la plupart des cessions.
La loi régissant la créance cédée sous-jacente est privilégiée dans plusieurs États membres, comme l’Espagne et la Pologne. En l’absence de dispositions légales, la jurisprudence et la doctrine soutiennent cette solution au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. On trouve aussi cette approche en Australie, au Canada, au Japon et dans la Fédération de Russie.
D’autres solutions appliquées dans les États membres sont la lex rei sitae (République tchèque et Suède) et la loi du pays dans lequel le débiteur a sa résidence habituelle (France). Dans d’autres États membres, tels que la Finlande, il n’existe pas de règle claire.
3.2.Insécurité juridique L’absence de règles de conflit de lois uniformes est à l'origine de plusieurs grandes zones d'insécurité juridique.
L’hétérogénéité ou l'ambiguïté des solutions en matière de conflits de lois concernant l'opposabilité d'une cession, ou l'absence de telles solutions, risquent de produire des résultats contradictoires. Par exemple, dans l’exemple 3 ci-dessus, A peut penser que son rang de priorité est déterminé par la loi de l'État dans lequel C a sa résidence habituelle, tandis que B s'appuie sur la loi du contrat de cession avec A. Chacun juge opposable la cession à laquelle il est partie, et estime que ses droits prévalent sur ceux de l'autre. Dans la majorité des cas, ils ne seront pas au courant des droits des uns et des autres, mais s'appuieront sur des contrôles pour vérifier l'absence d'autres cessionnaires, qu'ils réaliseront dans le respect de la législation qu'ils supposent applicable, c'est-à-dire des contrôles sur la base d'obligations d'information qui, certes, protègent peut-être les cessionnaires potentiels en vertu du droit d'un État membres, mais peut-être pas en vertu de celui d'un autre État membre.
En ce qui concerne les créances découlant de contrats futurs, il n'est pas aisé de déterminer, au moment de la cession, la loi qui régit la créance cédée. Dans l’exemple 2, A serait incapable de déterminer à l'avance les lois régissant les créances sous-jacentes et, confronté au risque de devoir se conformer à des règles encore inconnues, il peut, soit refuser de financer C, soit exiger une prime nettement plus élevée que celle qu'il aurait demandée dans d'autres circonstances.
Outre l'absence de réglementation, ces aspects de la cession déjà réglementés suscitent certaines incertitudes, en particulier en ce qui concerne les instruments financiers négociés sur les marchés financiers. Par exemple, la portée exacte de l'article 14 du règlement 593/2008 (Rome I) n'est pas claire29. En effet, alors qu'il est communément admis que les «valeurs mobilières» classiques (actions ou obligations, par exemple) ne relèvent pas de cette disposition30, les sûretés qui sont négociées [électroniquement] sur certains marchés des capitaux sont considérées, pour leur part, comme couvertes par cette disposition régissant les conflits de lois31.
C'est dans le cas de l'insolvabilité du cédant que la question de l'insécurité juridique se pose avec le plus d'acuité au moment d'établir l'opposabilité de la cession et son rang. Par conséquent, bien que l'article 14 du règlement Rome I précise le droit applicable entre les parties, en présence d'une insolvabilité, c'est bien souvent une troisième loi qui entrera en jeu pour déterminer l'opposabilité des cessions et leur rang respectif, à savoir la loi applicable à la procédure d'insolvabilité à l'encontre du cédant.
Le règlement 2015/848 relatif aux procédures d'insolvabilité (refonte) [le règlement sur l'insolvabilité (refonte)]32 fixe les règles de conflit de lois applicables aux procédures d'insolvabilité. De manière générale, l'État d'ouverture de la procédure d'insolvabilité est l'État où se situe le centre des intérêts principaux du cédant au moment de l’ouverture de la procédure. Par dérogation à cette règle, dans le cas où le débiteur possède un établissement dans un autre État membre, une procédure secondaire peut aussi être ouverte dans cet État, ses effets étant cependant limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire33. Le droit de l'État d'ouverture de la procédure d'insolvabilité (lex concursus) détermine notamment les biens qui font partie de la masse de l'insolvabilité, les règles régissant la distribution du produit de la réalisation des actifs, le rang des créances et les règles relatives à la nullité, à l'annulation ou à l'inopposabilité des actes juridiques préjudiciables à la masse des créanciers. Le règlement précise l'endroit où les actifs, tels que les actions nominatives de sociétés, les titres en compte courant, ainsi que les espèces, sont considérés comme étant situés aux fins de déterminer la portée de la procédure secondaire34. Par ailleurs, dans le cas où la procédure d'insolvabilité est ouverte dans un État membre autre que celui où se trouvent les actifs, les droits réels des tiers et la réserve de propriété sont protégés35.
Par conséquent, le droit applicable à l'opposabilité d'une cession aux tiers peut, dans le cas de procédures d'insolvabilité ouvertes contre le cédant, être déterminé par le règlement sur l'insolvabilité (refonte). En effet, l'insolvabilité est une situation dans laquelle les questions de propriété entre titulaires de droits concurrents deviennent particulièrement importantes. Aussi les futures règles harmonisées régissant les aspects de la cession touchant aux tiers devront-elles être scrupuleusement alignées sur l'acquis existant dans le domaine de l'insolvabilité.
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