I – LA JUSTICE AU SERVICE DU POUVOIR POUR LA REPRESSION DES citoyens Le pouvoir tunisien qui impose des sanctions sévères à l’égard de ses opposants s’est appliqué à renforcer le caractère répressif du code pénal, considéré parmi les législations les plus répressives, à travers des amendements tels que la loi 112 du 22 novembre 1993 dans son article 52 bis intitulé : “ Ce qui donne au crime un caractère plus grave ” ou la loi 93 du 9 novembre 1995 qui a élevé les peines des crimes prévus dans l’article 132, de 5 à 12 ans ; on encore à travers la violation du code de procédure pénale relatif aux garanties favorables au prévenu.
A - Obstruction pour empêcher le justiciable de se défendre Le code tunisien de procédure pénale accorde au citoyen le droit de se défendre devant les tribunaux soit de façon personnelle soit en ayant recours à un avocat. En pénal, la présence du prévenu est obligatoire afin de lui permettre de présenter ses moyens de défense et recourir à un avocat (article 141 CPP). Ces garanties correspondent à l’article 14, paragraphe 3 (d) du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques. – Ce droit est souvent violé par les tribunaux, comme ce fut le cas pour le Docteur Marzouki dans l’affaire n° 2000/27557. Le Président du tribunal, Mustapha Kaabachi, lors de la séance du 30 décembre 2000 l’avait empêché de poursuivre sa défense, rétorquant : “ Je ne vous permets pas d’attaquer le régime ! ”. Ce qui a provoqué la réaction de la défense qui a réclamé pour le prévenu l’exercice de son droit et rappelé les dispositions du CPP. Le juge avait cependant maintenu l’interdiction pour M. Marzouki de poursuivre sa défense et les avocats durent sa retirer en signe de protestation. Le tribunal avait prononcé contre M. Marzouki une condamnation d’un an de prison sans entendre le prévenu ni les plaidoiries de la défense.
- Le même scénario s’est reproduit dans d’autres procès, notamment dans l’affaire pénale n° 1/592 où comparaissaient Abdellatif Bouhjila et ses compagnons le 24 novembre 2000. Les avocats de la défense ont été obligés de se retirer pour protester contre l’insistance du juge Taher Yaferni à poursuivre l’audience alors que les prévenus étaient dans un état d’extrême faiblesse à la suite d’une grève de la faim, menée depuis 80 jours et qui avait entraîné l’incapacité des prévenus non seulement de se tenir debout mais également à parler et présenter les instruments de leur défense. Malgré cela, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis avait prononcé de sévères condamnations allant de 12 à 17 ans d’incarcération.
-Exemple de pression sur la défense, l’avocat Noureddine Behiri, fut convoqué par le procureur de la République qui l’a accusé d’atteinte au prestige du tribunal.
- Des prévenus avaient tellement perdu confiance dans la justice qu’ils refusèrent de se présenter devant la cour d’appel, présidée par le juge Jedidi Ghani pour juger leur affaire n° 5, 13/477 en date du 15 Mars 2001 parce qu’ils étaient convaincus de la totale dépendance de la cour. Malgré l’absence des justiciables la cour avait prononcé le jugement.
- Les prévenus impliqués dans l’affaire numéro 753, jugés en appel, concernant Ahmed Amari et ses compagnons, extradés en 1997, par les autorités libyennes, avaient demandé le renvoi de l’affaire pour leur permettre de récuser le président du tribunal, Jadidi Ghani. Lorsqu’ils avaient voulu présenter les justifications de leur demande, ils furent interdits de parole. La défense intervint pour rappeler le droit à la parole des prévenus, mais la cour les a empêchés de poursuivre la présentation de leurs instruments de défense. Les avocats ont été alors obligés de se retirer. La cour a mis l’affaire en délibéré et prononça le jugement lors de la séance du 26 Juin 2001. La cour alla encore plus loin en falsifiant le déroulement de l’audience, omettant de mentionner la demande de récusations, présentée par Ahmed Amari. Elle attribua à la défense la demande “ d’enregistrement des plaintes contre des parties déterminées ” sans mentionner ces parties déterminées. Il s’agit là d’un truquage pour ne pas évoquer la demande de récusation du Président du tribunal. Pourtant cette demande fut présentée d’une façon claire par les avocats de la défense. Les deux avocats en charge durent présenter une note de clarification (supplément n° 2).
Les deux affaires précédentes présentent un caractère extrêmement grave. La loi tunisienne rend obligatoire la présence de l’avocat dans les affaires pénales. Le prononcé du jugement, en l’absence des avocats de la défense, représente une violation de l’article 141 qui rend les sentences nulles et non avenues.
B– L’incarcération du prévenu avant de l’avoir entendu Le droit à la liberté est considéré comme l’un des droits fondamentaux de la personne.
Par son article 5, la constitution tunisienne a garanti ce droit. “ La République Tunisienne garantit l’inviolabilité de la personne humaine… ”.
Nul ne peut porter atteinte à la liberté de l’individu sauf dans des cas fixés par la loi et selon des modalités sous contrôle du pouvoir judiciaire.
L’article 3 de la déclaration des Droits de l’Homme a établi ce droit. Il proclame : “ Chaque individu a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité pour sa personne ”.
La réalité est bien différente lorsque le pouvoir judiciaire exécute les directives émanant du pouvoir exécutif. La justice se hâte alors d’arrêter le citoyen sans même l’entendre préalablement à propos des accusations qu’on lui impute, ce qui est en contradiction flagrante avec la réglementation de la procédure pénale. – Ahmed Amari, poursuivi pour des actes terroristes avec le concours d’une bande de délinquants, tous livrés aux autorités tunisiennes en Novembre 1996 par les autorités libyennes, fut présenté le 3 Juillet 1997, au juge d’instruction, en vertu d’un mandat d’amener comme cela ressort du procès verbal n° 17/2. Le juge a émis un mandat d’arrêt à la prison civile de Tunis sans l’avoir interrogé. Il le convoqua une seconde fois le 28 Juillet 1997 sans l’interroger encore. Il ne l’interrogea que le 31 Juillet 1997, c’est à dire 28 jours après ses incarcérations. Cela constitue une violation claire de l’article 79 du code de procédure qui impose au juge d’instruction l’interrogation du prévenu, présenté à la suite d’un mandat d’amener, dans une période qui ne dépasse pas les trois jours. – Le juge d’instruction, chargé de l’affaire 4/88045 avait livré un mandat de dépôt à l’encontre de Sihem Bensedrine, sans l’avoir entendu à propos des accusations dont elle faisait l’objet ; cette conduite est en contradiction avec les articles 84 et 85 du code de procédure, qui énoncent que l’arrestation préventive est un recours exceptionnel. Or Sihem Bensedrine ne fait pas l’objet de flagrant délit, comme le stipule l’article 85 du code de procédure. Cette arrestation avait frappé la liberté d’une citoyenne qui avait simplement donné une interview télévisée au profit d’une chaîne basée à l’étranger (Al Moustaquilla). L’arrestation fut opérée sur demande du pouvoir exécutif, à la suite d’une plainte déposée par le juge Jadidi Ghani qui a demandé sa poursuite en jugement « pour servir d’exemple » selon lui, comme cela a été textuellement exprimé dans la plainte (supplément n° 3).
C– Restrictions imposées aux avocats aux droits de visite des prévenus Dans son article 70, le code de procédure pénale a autorisé l’avocat à demander la visite en prison de son client. Ce droit n’est soumis, comme le prévoit le dernier paragraphe de cet article, à aucune restriction.
Toutefois, Dans l’affaire de S. Bensedrine, le juge d’instruction a fixé à cinq le nombre des avocats, autorisés à visiter le prévenu, le même jour. Cette décision est en violation de la loi. Le juge n’a pas caché l’objectif de cette décision illégitime, prise sur directive des responsables du Ministère de la Justice en vue d’empêcher Sihem Bensedrine de prendre conscience de l’appui apporté par le corps des avocats et de porter ainsi atteinte à son moral.
A titre de rappel, le juge d’instruction a refusé le 7 Août 2001, à l’avocate Radhia Nasraoui, le droit de visite. Le bâtonnier de l’ordre des avocats, Béchir Essid, a entrepris des démarches auprès du Ministère de la Justice. Le ministre lui a dit textuellement : “ Nous ne lui donnerons pas une autorisation de visite ”. C’est là une preuve de l’intervention de l’exécutif dans un domaine relevant strictement des juges.
D– Restrictions imposées aux avocats pour assister à l’instruction Les procès d’opinion mobilisent de plus en plus les avocats, qui se constituent spontanément pour défendre les prévenus, exprimant ainsi leur appui à des militants pour les droits humains et à des démocrates qui sont présentés à la justice pour l’exercice de leur droit d’expression et de réunion. Le pouvoir recouru dans certains cas à l’argument de l’exiguïté du bureau de l’instruction pour réduire le nombre des avocats qui ont le droit d’assister à l’instruction.
– Boubaker Trabelsi, le juge d’instruction auprès du tribunal de première instance (Bureau n° 4) a refusé, le 10 Mars 2001 la présence de tous les avocats, au nombre de soixante, qui s’étaient constitué pour défendre Moktar Trifi, Président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, dans l’affaire n0 4/86975 sous prétexte de l’exiguïté de son bureau. Il refusa d’effectuer l’instruction dans une salle pouvant contenir tous les avocats. Le même juge a adopté la même attitude dans l’affaire de Sihem Bensedrine, dont le nombre des avocats, constitués pour la défense, avait dépassé les deux cents. Jusqu’à la date de la rédaction de ce rapport, la justice n’a pas encore entrepris l’instruction de ces deux affaires, ce qui prouve que cette position repose sur des motivations politiques et non pas judiciaires.
– Lors de l’instruction, conduite le 29 septembre 2000, par le juge d’instruction, auprès du tribunal de première instance du Kef, de l’affaire numéro 19439, impliquant l’avocat Nejib Hosni, accusé de diffamation de l’ordre public et de propagation de fausses nouvelles, un avocat français Richard Sidion, mandaté par l’organisation Avocats sans frontières (ASF) avait présenté une constitution qui fut acceptée par le juge d’instruction pour défendre le prévenu. Un Délégué de la Fédération des Jeunes Avocats Français était également présent. A peine le juge avait terminé son instruction que le téléphone sonne. Après une discussion au téléphone, les avocats furent surpris de voir le juge quitter le bureau pour y revenir après une demi-heure environ et leur annoncer sa décision de revenir sur l’acceptation de la constitution de l’avocat français et pour recommencer à nouveau l’instruction. Les avocats tunisiens avaient refusé d’entériner cette décision, ils insistèrent sur le droit de leur collègue d’assister à l’instruction et observèrent qu’il n’y avait aucune justification juridique pour recommencer l’instruction. Par une note remise au juge d’instruction, ils exprimèrent-leur conviction que la décision de recommencer l’instructions a été imposée par une partie qui était intervenue illégalement dans les affaires de la justice (supplément n° 4).
E- Traduction devant des juridictions non compétentes
La législation tunisienne considère que la traduction doit se faire devant un tribunal compétent. On entend par compétence, la conformité avec l’examen judiciaire, comme la loi l’avait fixé. Le principe est considéré comme résultant de l’ordre général et que sa violation entraîne la nullité, selon la disposition de l’article 199 du code de procédure pénale.
Ce principe représente l’une des garanties d’un jugement équitable parce qu’il s’oppose à la traduction d’un accusé auprès d’institutions politiques non compétentes d’après la loi. L’examen des procès qui se sont déroulés ces derniers mois, montrent que le pouvoir en Tunisie a violé ce principe d’une façon directe, en violant directement la base de la compétence et indirecte, en manipulant les règles de la compétence, pratiquant ainsi une violation indirecte.:
Violations indirectes.
Par la voie du Ministère Public, qui est sous l’autorité directe du Ministère de la Justice depuis 1995, le pouvoir agence les faits liés aux activités d’un parti politique, non reconnu, pour leur donner le caractère de “ participation à une bande de malfaiteurs et d’appartenance à une organisation terroriste ”. Cette opération consiste à modifier la compétence pour traduire l’affaire non pas devant la chambre correctionnelle, habilitée à examiner les violations de la législation sur les partis politiques et les associations mais devant la chambre criminelle qui s’occupe des délits plus graves. Il est évident que derrière cette manipulation de la procédure il s’agissait de soumettre tous ceux qui exercent une activité politique d’opposition à de sévères sanctions originelles et complémentaires (contrôle administratif pour une durée de cinq ans). Pour atteindre ce résultat, il suffit de qualifier de terroriste l’organisme auquel appartient le prévenu en ajoutant un simple rapport émanant de la sûreté de l’Etat.
Pour se rendre compte de ce type de manipulations de la législation, il suffit de constater qu’un même prévenu a été, pour les mêmes faits, accusé d’appartenance à une association non reconnue, relevant donc de la loi sur les associations en date du 7 Avril 1959, on lui colle ensuite une nouvelle accusation de participation à un projet terroriste collectif et de constitution de bande de malfaiteurs pour la préparation d’agressions contre des personnes et des biens (Articles 52 bis et 131 et suivants du code pénal) on peut même lui coller une troisième, voire même une quatrième affaire.
A titre d’exemple nous citons les trois procès numéros 590, 591 et 595 qui ont vu Ahmed Amari et ses compagnons impliqués dans une affaire pour appartenances à une association non reconnue, au début des années quatre vingt dix, ils furent impliqués de nouveau à la suite de leur extradition de Libye, d’actes terroristes et participation à une bande de malfaiteurs alors que l’accusation se réfère aux même faits qui étaient qualifiés au début de la décennie 90 d’appartenance à une association non reconnue. Les violations directes
– Le pouvoir peut violer la règle de la compétence d’une façon directe. Lotfi Farhat n’a aucun bien avec l’armée tunisienne. Il résidait en France pour poursuivre ses études supérieures. Il fut jugé devant le tribunal militaire permanent de Tunis dans l’affaire portant le numéro 8503, avec l’accusation d’appartenance à une organisation terroriste, opérant à l’étranger en temps de paie. Il fut condamné le 31 Janvier 2001 à une peine de sept ans de prison, de cinq ans de contrôle administratif et de confiscation de ses biens.
– Mohamed Saïdani fut lui aussi défère devant la section pénale du tribunal militaire permanent de Tunis dans deux affaires numéros 1304 et 1305. Il n’était ni officier, ni élève de l’académie militaire comme le prévoit l’article 8 de la législation sur les plaidoiries ou les sanctions militaires. Il exerçait en Italie, où il résidait, la profession de peintre de voitures dans un garage. Malgré la dénonciation de la défense de la non compétence du tribunal, il fut condamné à une peine de vingt ans et de cinq ans de contrôle administratif lors de la séance du 28 novembre 2001.
Il n’est pas exceptionnel de voir le pouvoir user de ces pratiques par mesure de rétorsion et de répression à l’égard des opposants. Il est notoire que les sanctions prononcées par le tribunal militaire permanent de Tunis se caractérisent par leur sévérité excessive. Par ailleurs, son code de procédure ne prévoit pas l’appel ce qui empêche les citoyens de profiter d’un jugement à deux niveaux. Le jugement des civils par la justice militaire constitue une violation chaire de la législation sur les plaidoiries militaires article n° 1.
- Le pouvoir a également recours à la justice d’urgence pour proclamer une décision émanent du Vice Président du Tribunal de Première Instance de Tunis, Ali Maraoui, dans l’affaire numéro 1786 en date du 30 Novembre 2000 dans le but d’instituer un contrôleur judiciaire sur la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, en contradiction flagrante avec la règle de la compétence car il ne rentre pas dans les prérogatives de la justice d’urgence d’écarter une direction élue légalement sous le prétextes “ que les biens et les archives de cette organisation sont menacés ”. Il a dépouillé cette direction de sa représentativité légale afin d’arrêter ses activités. Le pouvoir a entrepris ces actions parce qu’il était insatisfait des résultats des élections de la nouvelle direction de la Ligue comme l’avait affirmé le Secrétaire Général du parti au pouvoir, Abderrahim Zouari dans une déclaration faite au journal Echourouk deux jours après le congrès.
F– Violation de la législation en vue d’aggraver la sanction et la répression du justiciable
– Violation du principe de la légalité des délits et des peines
L’article 13 de la constitution de la République Tunisienne stipule que « la peine est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi antérieure au fait punissable ». Ce qui signifie qu’on ne peut juger une personne que pour des faits considérés comme des délits de la part du législateur et authentifiés par un texte de loi, et qu’on ne peut, par conséquent, juger une personne pour des actes non délictueux. Or les affaires impliquant Nejib Hosni, Moktar Trifi et Salah Eddine Jourchi représentent une violation du principe de la légalité des sanctions et des crimes.
- Néjib Hosni a été déféré devant la tribunal du Kef, présidé par le juge Marouan Tlili puis devant le tribunal de Kébili, présidé par Mehdi Atig. Successivement deux affaires numéros 59326 et 13464 pour le délit de non-soumission à une décision de justice, article 315 du code pénal, parcequ’il ne s’était pas soumis à la peine complémentaire de privation d’exercer son métier d’avocat pendant cinq ans. En réalité, il avait obtenu une autorisation de poursuivre l’exercice de se profession de la part du Conseil de l’Ordre des Avocats, seul organisme habilité à organiser la profession (inscrire et radier du tableau) selon la loi en date du 7 novembre 1989. Il avait même obtenu une attestation qui prouve son inscription au tableau des avocats, signée par le bâtonnier de l’ordre portant le numéro 2372 en date du 21 Août 2000 (supplément n° 5). L’exercice des activités professionnelles de la part de Hosni ne pouvait en aucun cas être considéré comme un acte délictueux.
Le Ministère Public en la personne des deux juges, Mohamed Saghaïer Gharabi et Sakod Cherif ont opéré la confusion entre des décisions administratives, indiquées dans l’article de mise en déféré et les peines judiciaires afin de reprimer Maître Hosni en l’incarcérant, c’est-ce qui s’est réellement passé avec les sanctions prononcées dans les deux affaires et l’incarcération de Hosni deux fois pour une durée de 15 jours.
Tout cela fut instrumentalisé par le pouvoir qui s’est appuyé sur ces deux condamnations pour justifier une décision du Ministre de L’intérieur annulant la décision de liberté conditionnelle datée du 14 décembre 1996 au profit de Maître Hosni qui avait été condamné à huit ans de prison, dans un procès pénal monté de toutes pièces par le pouvoir pour usage de faux…
Moktar Trifi et Salaheddine Jourchi furent déférés devant le juge d’instruction, le premier dans une affaire portant le numéro 86975/4, menée par le juge Boubaker Trabelsi le second dans l’affaire 86400/5 conduite par le juge Mahmoud Taha pour propagation de fausses nouvelles et non-soumission à une décision émanant de qui de droit (article 315). La décision en question concerne un jugement d’urgence n° 78930 prononcé par le tribunal de première instance de Tunis et relatif à la désignation d’un administrateur judiciaire sur la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme. Comme c’est connu, il s’agit d’une décision judiciaire à caractère civil, exécutée avec le recours de la force publique. Mais le pouvoir avant jugé que la poursuite des activités de la ligue, sous forme de déclarations publiées par la direction légitime, constituent un défi à sa volonté ce qui à ses yeux, représente en soi même un crime.
Comme il n’y avait aucun fondement juridique pour criminaliser ces faits, la mise en déféré fut tout de même décidée d’après un texte qui ne peut, en aucun cas concerner ces faits (article 315 du code pénal). Cette opération exprimait l’intention de la part du pouvoir exécutif d’aboutir à une condamnation et d’exercer des représailles même s’il fallait violer le principe de la légalité.
G - Violation du principe de l’autorité de la chose jugée : Les législations de tous les pays du monde sont d’accord pour établir qu’il n’est pas permis de juger une personne deux fois pour le même fait.
Il arrive souvent que le pouvoir défère le même prévenu, plusieurs fois devant la justice pour le même motif et les mêmes faits, dans le but d’exercer des représailles, faisant ainsi fi du principe qui établit qu’il n’est pas permis de juger plus d’une seule fois la même personne pour le même délit (articles 5 et 132 bis du code pénal, connus sous l’appellation : principe de l’autorité de la chose jugée)
Le procureur général récuse toute sanction considérée comme clémente. Le tribunal a toujours adopté la récusation même s’il fallait violer la loi d’une façon réfutable comme nous allons le montrer.
Sur le plan de la procédure, l’article 21 du code de procédure stipule que le ministère public présente des demandes écrites en conformité avec les directives qui lui sont adressées ( ministère de la justice ) selon les dispositions de l’article 22 du code cité plus haut et qui stipule textuellement que les procureurs en exercice sont chargés sous les auspices du secrétaire d’Etat à la justice, de veiller à l’exécution de la loi pénale sur tout le territoire de la République.
Que l’on s’arrête à ce propos sur quelques exemples :
Ahmed Amari, Khaled Rabii, Youssef Khedhri, Zouheir yakoub et Choukri Gargouri furent déférés devant le tribunal de première instance de Tunis, sous la présidence de Hédi Ayari dans trois affaires 590,591 et 595 déjà jugées par le cour d’appel de sfax dans les deux affaires 8672 en date du 16 / 12 / 1999 et 8506. Ils furent de nouveau juges par le cour d’appel de Tunis dans l’affaire 28423 en date du 01 / 6 / 1999. Ils étaient donc quatre poursuivis pour les mêmes faits.
Le 17 / 4 / 2001 un non lieu fut prononcé en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée. Toutefois le ministère public a cassé le jugement pour empêcher la mise en liberté de ceux qui avaient purgé leur peine.
Lotfi Mlouki fut déféré devant la chambre criminelle de Tunis dans l’affaire 25425/12 pour des faits remontant à 1988-1990 selon la décision de l’acte d’accusation. Ce sont faits pour lesquels il avait été jugé précédemment dans l’affaire 76111 jugé par le tribunal militaire permanent de Tunis qui l’avait condamné le 29 / 8 / 1992 pour une peine de quatre ans qu’il avait purgé entièrement. Ses Avocats avait plaidé un non lieu en vertu du principe de l ‘autorité de la chose jugée mais le tribunal pénal sous la présidence du juge Ali Jaballah l’avait de nouveau condamné à une peine de douze ans de prison.
On peut remarquer que le principe de l’autorité de la chose jugée concerne l’ordre public et que lorsque ce principe est en cause, le ministère public peut s’assurer que le prévenu ou n’a pas fait l’objet d’un jugement antérieur ou avoir en cas de nécessité une copie du jugement antérieur.
En fait, la cour se montre indifférente au recours de l’accusé au principe de l’autorité de la chose jugée et lui demande de présenter une copie du jugement .
En ce qui concerne l’affaire de Lotfi Mlouki, la secrétariat du tribunal militaire permanent de Tunis à refusé de fournir à l’avocat Maître Samir Ben Amor une copie du jugement qu’il avait prononcé dans l’affaire 76111 en date du 29 / 8 / 1992 pour la présenter à la justice, L’avocat dut écrire au procureur de la république par la voie d’une lettre recommandée avec accusé de réception, portant le numéro 113 en date du 18 / 3 / 1999, la mère de l’accusé a écrit au ministre de la défense nationale en usant du même procédé sous forme de lettre recommandée numéro 427 en date du 25 / 02 / 1999. Toutes démarches n’ont abouti à aucun résultat ce qui a poussé le citoyen au désespoir au point de refusé la cassation.
Mountabah Chebi a été déféré devant la cour d’appel de Tunis dans l’affaire numéro 19581/14 en date du 14 / 02 / 2001 sous l’inculpation du maintien d’une association non reconnue alors qu’il avait purgé la peine de deux ans d’incarcération administratif à la suite de son procès devant le tribunal de première instance comme cela a été notifié dans la copie du jugement émanant de la chambre correctionnel de Ben Arous dans l’affaire 17642 conduite par Tahar Yafrani en date du 27 / 02 / 1992.
Malgré l’intervention de la défense, qui avait donné la preuve que l’accusé avait été jugé et condamné pour la même accusation dans l’affaire 23983 jugée en première instance le 21 / 01 / 1993 par la chambre correctionnelle de Ben Arous en s’appuyant sur le même rapport d’instruction numéro 210 en date du 16 / 12 / 1992 soulignant que la même peine fut confirmée par la cour d’appel de Tunis dans l’affaire 88601 jugée le 28 / 6 / 1993 sous la présidence du juge Mustapha Khanchel et malgré la présentation par la défense de deux copies des jugements en première instance et en appel et un certificat de sortie de prison en date du 16 / 6 / 1976 attestant la purge complète de la peine et malgré le principe de l’autorité de la chose jugée la cour d’appel présidée par Mohamed Tahar Sliti avait décidé de confirmé le jugement prononcé par le tribunal de première instance en allégeant la peine à une année de prison ( supplément n° 11 ).
- Une autre illustration de la violation du principe de l’autorité de la chose jugée est fournie par le procès de Abdel Moumen Belanes militant communiste ( Parti Ouvrier communiste tunisien ) devant la cour d’appel de Monastir dans l’affaire 4350/2001, il fut alors condamné le 19/11/2001 à une peine exécutoire de trois mois alors que la justice avait déjà examiné deux fois la même affaire et avait décidé de la classer pour prescription.
H- Aggravation des peines par violation de la loi : L’article 13 de la constitution tunisienne stipule : “ la peine est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi antérieure au fait punissable ”.
Le citoyen Lassâad Khmiri après avoir été interrogé par la brigade d’enquête de la garde nationale de l’Ariana d’après le rapport n° 92381 daté du 18 / 11 / 1992 a été déféré devant le tribunal de première instance de l’Ariana pour appartenance à une association non reconnue activité non autorisée à l’intérieur des mosquées distributions de tracts et recueil de dons. Il fut jugé et condamné dans l’affaire n° 24432 en date du 04 / 02 / 1993 pour toutes ces accusations à une peine de quatre ans et un mois de prison.
En appel il fut condamné le 09 / 7 / 1993 dans l’affaire 88776 par la cour d’appel de Tunis par et d’une façon définitive avec l’adoption de l’appel sous sa forme et dans son contenu à la confirmation du jugement en première instance.
Le condamné a refusé ce jugement et ce fut de nouveau l’affaire n° 7951 qui fut jugée en présence de l’accusé et définitivement par le tribunal de première instance en ce qui concerne l’activité à l’intérieur de la mosquée la distribution de tracts et le recueil de dons à cause de la prescription et en conformant la condamnation de première instance au sujet de l’appartenance à une association non reconnue en allégeant la peine à huit mois d’incarcération.
Toutefois le ministère public a cassé ce jugement après avoir blâmé l’allégement de la peine au profit de l’accusé lors du jugement en cassation. Il est étonnant de considérer les motifs choisis par la cour de cassation qui est un tribunal chargé d’imposer la loi quant il affirme : “ Vu que le cour d’appel a jugé d’alléger la peine de trois ans à huit mois sans mentionner les raisons à la base de cet allègement et sans considération de l’article 52 bis (pénal ) qui établit l’impossibilité d’alléger la peine au de la moitié ( supplément 6 ).
La cour de cassation semble oublier la non rétroactivité de la loi pénale puisque l’article 52 bis sur lequel il s’appuie pour casser l’appel fut décrété le 22 / 11 / 1993 donc à une date postérieure à la présentation de l’accusé devant la justice intervenue en 1992 ”. Accusation dénuée de fondements :
Le paragraphe 4 de l’article 168 du code de procédure pénale dispose que la cour de justice doit citer les arguments de fait et juridiques même en cas d’acquittement. C’est ce qui est connu sous l’appellation de justification du jugement pour assurer que la sentence de la cour n’est pas fondée sur des preuves fragiles ou faibles ou non susceptibles de constituer un fondement comme c’est le cas à propos des preuves arrachées sous la torture et autres formes de contraintes, l’article 12 de la déclaration contre la torture énonce en effet : “ lorsqu’il est établi qu’une déclaration est le résultat de la torture ou d’autres formes de traitements violents ou de punitions sévères inhumaines ou dégradantes, il n‘est pas permis de prendre ces déclarations comme une preuve à l’encontre de la personne concernée ou contre toute autre personne impliquée dans n’importe quel procès.”
Ce qui se produit d’habitude, c’est que la cour s’appuie pour condamner l’accusé sur des déclaration arrachées sous la torture et la contrainte lors de son interrogatoire par la police politique, la cour ne dispose ni d’autres preuves ni d’autres témoignages susceptibles de corroborer ces déclarations ce qui fait que les sentences ne s’appuient pas sur des preuves comme l’exige la loi.
Malgré les affirmations de l’accusé devant la cour, affirmant avoir subi des tortures et d’autres formes de contrainte comme ce fut le cas pour Khaled Rebii, Youssef Khridhi et Ahmed Amari qui avait remarqué qu’il continuait encore à porter les séquelles des violences physique effectuées par la police politique sur son corps, la cour n’a prêté aucune attention à les témoignages qui n’ont influencé en aucune façon leurs sentences.
La cour se contente, comme il est textuellement mentionné dans la copie du jugement n° 24432 “ comme l’accusé a reconnu les faits qu’on lui attribue …et que sa réfutation devant la cour n’est qu’une tentative de sa part pour échapper aux conséquences de ses actes ” .
Plus grave, la justice recourt désormais à un imprimé de condamnation établissant des termes permanents pour justifier ses sentences sans entrer dans les détails ni considérer les tenants et les aboutissants ni les spécificités matérielles de chaque affaire. Dans l’affaire évoquée précédemment nous rencontrons les termes suivants : “ Vu que des preuves suffisantes et de forts indices se sont recoupés pour affirmer la culpabilité de l’accusé pour ce qui lui a été attribué et qui l’on s’est orienté pour l’inculper pénalement et lui attribuer les sanctions susceptibles de le dissuader en fonction de la nature du crime commis ” (supplément n° 7 ).
Il n’existe plus de justifications valables lorsque la justice recourt à un tel imprimé avec ce qu’il contient de termes et des phrases toutes faites pour justifier des condamnations sans prêter attention à la spécificité de chaque affaire.
Nous trouvons dans l’affaire 19581 jugée par la cour d’appel présidée par le jugé Mohamed Tahar Sliti en date du 14 / 02 / 2001 et dans laquelle fut impliqué, Montabah Chabbi a réclamé l’application du principe de l’autorité de la chose jugée pour le délit d’appartenance à une association non reconnue : ces affirmations … “ Et en plus, comme l’appartenance à une association non reconnue et considéré comme un crime interrompu tant que l’accusé n’aura pas annoncé une position claire relative à sa désafiliation de l’association non reconnu … ”.
Il est connu que l’accusé avait purgé une peine de prison après sa condamnation par le tribunal de première instance dans l’affaire 23938, confirmée en appel par la sentence 88601 comme l’atteste le certificat de sortie de prison en date du 16 / 6 / 1996.
Il semble d’après l’interprétation de la cour de justice que celle-ci le considère toujours coupable, même après avoir purgé toute la peine de quatre ans d’incarcération tant qu’il n’avait pas annoncé sa désaffiliation d’un mouvement qui n’avait plus existence depuis 1991 ( supplément 11 ).
Dans l’affaire n° 1210 examinée par la chambre criminelle du tribunal militaire permanent de Tunis en date du 20 / 02 / 1999 un jugement fut prononcé condamnant l’accusé en se fondant sur ses déclarations auprès de la police politique, déclarations qu’il avait niées devant la cour en affirmant qu’il avait subi des tortures lors de son interrogatoire, ce qui soulève l’étonnement c’est la quiétude de la cour à propos du contenu d’un rapport de renseignements émanant de cette même police alors qu’on ne trouve dans le dossier aucun élément susceptible de confirmer le contenu de ce rapport, voici les justifications de la cour : “ l’appareil de la sûreté de l’état est un appareil spécialisé pour enquêter sur toute menace contre la sécurité du pays venant de l’intérieur ou de l’extérieur et la lutte contre les fléaux avant qu’ils ne se produisent. Par conséquent, ses agents ont une connaissance des organismes et des groupements qui s’activent particulièrement hors du pays contre le régime. Il en résulte que le tribunal ne voit pas d’inconvénient pour demander l’aide auprès de ces agents qui ont une connaissance particulière des groupements et des organisations diverses et pour comprendre la nature de leur organisation les méthodes de leurs actions et leur objectifs ( supplément n° 8 ).
A vrai dire, jamais les juges n’ont refusé d’achever le travail de la police politique dans son activité de répression, même si cela se faisait aux dépens de la loi et des droits légitimes de l’accusé.
|