L’université embastillée
Les autorités publiques se sont ingéniées à marginaliser l’université tunisienne et à réduire son rôle dans la société. Outre les mesures réglementaires interdisant toute activité syndicale ou culturelle non autorisées par le doyen (circulaire du 12 mars 1991), c’est par une présence policière étoffée que l’université est mise sous contrôle. Toute institution universitaire est surveillée par un poste de police installé à l’intérieur de l’enceinte universitaire qui contrôle les entrées. Il arrive souvent que des étudiants responsables syndicaux, régulièrement inscrits, soient interdits d’accès par la police dans le but de les empêcher de poursuivre leur action en faveur des libertés syndicales à l’Université. Plusieurs policiers se présentant comme des étudiants et disposant des cartes d’étudiants régulièrement inscrits effectuent les contrôles à l’intérieur des amphis, rédigeant des rapports pour le ministère de l’intérieur sur les méthodes et les contenus des enseignements dispensés par les professeurs.
Contrôle policier sur l’activité académique de l’université :
Le plus grave est cette nouvelle pratique assurée par l’administration qui consiste à soumettre les décisions des jurys d’examens au visa du ministère de l’intérieur avant la proclamation définitive des résultats d’examens qui reviennent souvent modifiés.
Toutes les activités académiques sont soumises à contrôle. Ainsi aucune publication de thèse n’est effectuée par le centre de publication universitaire sans l’accord préalable du Ministère de l’intérieur. A titre d’exemple, les thèses du Pr Sana Ben Achour et du Pr Hafidha Chekir ont été interdites de publication malgré un avis favorable du jury d’examen.
208 universitaires ont signé une pétition où ils s’élèvent contre « l’atteinte au statut d’indépendance scientifique de l’université tunisienne » et contre cette censure draconienne du ministère de l’intérieur sur toutes leurs activités (qui peuvent être modifiées ou interdites) et notamment :
- Contrôle préalable des colloques et rencontres scientifiques (envoi de la liste des participants, des supports utilisés, thèmes et sujets des interventions )
- Examen préalable du dossier personnel des chercheurs et enseignants étrangers invités.
- Limitation arbitraire des abonnements aux revues et périodiques scientifiques dans les bibliothèques.
- Retrait de certains ouvrages et périodiques des rayons des bibliothèques.
- Verrouillage de l’accès aux réseaux de communication et d’information électroniques.
Répression de l’activité syndicale autonome des étudiants
L’Université est souvent le théâtre de brutalités policières. A la fin de l’année 2001, à l’occasion des élections des conseils scientifiques, dont les résultats ont été considérés par le parti au pouvoir comme une déconvenue électorale, une vague de violences a été déclenchée par la milice du RCD au sein de l’université. Les incidents les plus graves ont eu lieu à la faculté des sciences de Monastir dans l’après-midi du 1er novembre 2001, immédiatement après le dépouillement des urnes. Les étudiants de la cellule du RCD ont alors délibérément agressé les étudiants présents. Les agents de la police universitaire, rejoints par la milice du parti au pouvoir, sous la conduite de Yassine Boudrigua, membre du comité de coordination de Monastir (instance régionale dirigeante du RCD) se sont livrés à un passage à tabac d’une rare brutalité sur les étudiants de la liste indépendante soutenue par l’Union Générale des Etudiants de Tunisie, provoquant des blessures graves chez de nombreux étudiants. L’étudiant Sassi Ghabi, frappé à la tête au moyen d’un coup de poing américain a eu une triple fracture du crâne (temporale, frontale et occipitale) entraînant une hémorragie cérébrale. Il a dû être opéré d’urgence au centre de neurochirurgie. Le lendemain vendredi 2 novembre, une grève de solidarité a été déclenchée à la Faculté. A nouveau les étudiants du RCD, épaulés par les miliciens du parti, ont violemment pris à partie les étudiants grévistes. Les différents corps de police présents sur les lieux ne sont intervenus que pour apporter leur concours aux agresseurs et réprimer sévèrement les militants de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie dont un bon nombre ont été interpellés ; Plusieurs blessés ont également été hospitalisés. Mohsen Nabti, membre du bureau fédéral de l’UGET, et Dhaoui Aouni, qui souffraient de fractures de la jambe et du bras ont été gardés à vue, sans soins au district de Monastir jusqu’à une heure du matin et n’ont pu être hospitalisés et soignés que le lendemain.
Ces événements démontrent que le parti au pouvoir est incapable de se soumettre à la sentence des urnes, même lorsque l’enjeu est mineur (structures représentatives universitaires). Ils révèlent aussi le marasme profond dans lequel est plongée l’université tunisienne, régie depuis plus de dix ans par la circulaire liberticide du 12 mars 1991 de sinistre mémoire.
Encore une fois l’administration universitaire a été incapable de respecter sa neutralité et s’est rangée, comme toujours du côté du parti au pouvoir, cautionnant la violence dans l’enceinte universitaire.