IV- Persécution des défenseurs des droits humains
L’année 2000/2001 a été dominée par la persécution des défenseurs des droits humains qui ont été la cible privilégiée du régime policier de Ben Ali ainsi que la multiplication des procès politiques.
Les atteintes à l'intégrité physique et les agressions sont devenues le recours systématique de la police politique contre les opposants et les militants des droits humains, la gravité de ces pratiques de délinquants, méthodiquement utilisées en vue de faire taire les voix qui s'élèvent pour dénoncer les abus commis en matière de libertés et de droits humains, s’est accentuée, mais elle révèle en même temps une combativité et une résistance accrue de la société civile. Agressions - Le 10 avril 2000, des forces de police encerclent la maison d’édition Aloès, où Taoufik Ben Brik poursuivait une grève de la faim. Ils venaient exécuter un ordre de fermeture de la maison d’édition pour trois mois sur ordre du gouverneur de Tunis. Taoufik a été évacué par la force et sa famille violentée.
- Le 21 avril 2000, la police a usé de violences à l’encontre de maître Hachemi Jegham, président de la section tunisienne d’AI ainsi que le juriste Hichem Moussa, afin d’empêcher une réunion qui devait se tenir au local d’AI.
- Les 25 et 26 avril 2000, plusieurs actes de violences ont été commis par la police politique contre les représentants de la société civile venus apporter leur soutien à Taoufik Ben Brik à son 27e jour de grève. Parmi les victimes, Khémaies Ksila, vice-président de la LTDH et sa femme Fatma qui ont eu des séquelles de ces agressions. Ali Ben Salem, Jalel Zoghlami et Sihem Bensedrine ont été passés à Tabac au commissariat d’El Manar.
- Le 2 septembre 2000 M.Lassad Jouhri, ancien prisonnier politique qui se déplace au moyen de béquilles, avait été violemment jeté à terre, frappé à plusieurs reprises et insulté par l’officier de police Abdessalem Sallami, qui lui a reproché de se rendre au siège du CNLT.
- Le 9 octobre 2000, le président de RAID a été agressé par la police politique en plein jour à Tunis.
- le 3 décembre 2000 A l’occasion de la réunion du Conseil national de la LTDH qui devait se tenir à Bizerte au local de la section de Bizerte. Un extraordinaire déploiement policier a bloqué toutes les issues de la ville, procédé à des contrôles d’identité systématique et refoulé la plupart des responsables de la Ligue venus de différentes régions du pays. Le téléphone de la maison de Ali Ben Salem, où est domiciliée la section bizertine de l’organisation, a été coupé toute la matinée. La police a poursuivi des militants de la Ligue jusqu’au café d’un hôtel où ils s’étaient réfugiés et les a contraints à évacuer les lieux. Un scénario identique s’est répété par la suite lorsque le Comité directeur de la LTDH a voulu se regrouper au domicile de sa vice-présidente, Souhayr Belhassen à Tunis. Un immense dispositif policier avait cerné la maison empêchant toute personne de s’en approcher. Mme Khedija Cherif, ex-dirigeante de la Ligue, a même été molestée.
- Le vendredi 8 décembre 2000, la rue Abou Dhabi où se trouve le siège du CNLT a été bouclée par plusieurs dizaines de policiers en civil empêchant toute personne d’accéder de l’immeuble. Maître Néjib Hosni, dirigeant du CNLT, ainsi que M. Hamadi Rdissi, éminent juriste et professeur de droit à l’université de Tunis ont été violemment frappés par Walid Belazrag, l’adjoint du préfet sous la supervision de ce dernier, dans un acte aussi gratuit que délibéré. Le porte-parole du Conseil National des Libertés en Tunisie Dr Moncef Marzouki, a été bousculé de même que son Trésorier, M.Ali Ben Salem à qui on a confisqué sa carte d’identité. Auparavant, Sihem Bensedrine, membre du CNLT, a été brutalisée et empêchée d’accéder à l’immeuble par une douzaine de policiers sous la direction du chef du district d’El Menzah, devant le domicile de Sadri Khiari à El Khadra, encerclé par d’importantes forces de police.
- Le Samedi 9 décembre 2000, le jour du démarrage des travaux des ateliers de la Conférence Nationale démocratique, d’importantes forces de police encerclaient toujours le siège du CNLT ainsi que les domiciles de Sadri Khiari à El Khadra et Salah Hamzaoui à El Manar où devaient se tenir les ateliers. Maître Abderraouf Ayadi, Ahmed Smiai et Ali Zedddini, membres du CNLT ont été violemment agressés par des policiers en civil. Dans le même temps, plusieurs membres du CNLT étaient soumis à une filature collante composée de voitures et de motos tout-terrain.
-Le 15 décembre 2000, alors qu’une délégation se rendait au ministère de la santé à l’appel du “Comité National de défense du Dr Moncef Marzouki” pour remettre au ministre une pétition de protestation contre le licenciement abusif du Dr Marzouki de ses fonctions de professeur à la Faculté de médecine de Sousse, d’importantes forces de police ont interdit l’accès des bâtiments aux membres de la délégation. Arrivés au niveau de la rue menant au ministère, Mohamed Bechri, coordinateur du Comité, Omar Mestiri, SG du CNLT, Mohamed Talbi et Sihem Bensedrine, membre du CNLT ont été pris à partie et brutalisés par une cinquante de policiers en civil dirigés par le préfet de police de la Médina, Omar Mestiri qui a résisté a été jeté à terre et passé à tabac par une dizaine de policiers qui l’ont par la suite embarqué dans une voiture de police et jeté en rase campagne à 5 km de Tunis. Par ailleurs, Sihem Bensedrine a découvert ce matin sa voiture sens dessus-dessous, housses enlevées, vitre baissée et posée sur la banquette, un couteau à cran d’arrêt.
- Le jeudi 1er mars dans l’après-midi, une réception organisée par le CNLT, à l’occasion du renouvellement du Comité de liaison, a été violemment empêchée par un imposant déploiement de forces de police. Tous les invités, représentants des associations de la société civile ainsi que membres du CNLT, ont été interdits d’accéder au local où devait se tenir la cérémonie par un impressionnant dispositif qui a bouclé tout le quartier. Plusieurs personnalités ont été brutalisées : Moncef Marzouki, Ali Ben Salem, le syndicaliste Ali Romdhane, la journaliste Om Zied, Ahmed Galai (membre du CD de la LTDH), l’historien Mustapha Kraiem…Deux d’entre elles ont été particulièrement violentés et sauvagement frappées : La sociologue Khédija Chérif, membre dirigeante de l’ATFD, membre fondatrice du CNLT ainsi que le Professeur Abdelkader Ben Khémis, chimiste, membre du Comité de liaison du CNLT. Tous les militants présents se sont vus traiter de “ traîtres à la patrie ” et de “ vendus aux puissances étrangères ”.
- Le 28 février 2001, maître Naziha Boudhib, s'est vue délester d'un dossier en pleine rue, alors qu'elle sortait d'un colloque organisé par l'Association des jeunes Avocats à l'occasion de son 30ème anniversaire.
- Le samedi 10 mars 2001, alors qu'elle sortait du palais de justice où elle était venue exprimer sa solidarité avec maître Mokhtar Trifi, président de la LTDH qui passait devant le juge d'instruction, Khadija Cherif a fait l'objet d'une nouvelle agression de la part de la police. L'un d'entre eux s'est brutalement jeté sur elle, tentant de lui subtiliser un dossier qu'elle tenait à la main. Devant sa résistance, il la traîne à terre et la violente finissant par lui arracher son dossier.
- Le soir du 14 avril 2001, Souhayer Belhassen, vice présidente de la Ligue Tunisienne de défense des Droits de l’Homme chargée des relations internationales a été agressée par deux hommes de la police politique qui l’ont violemment frappée en la traitant de “ putain ”, de “ traître à la patrie ” et de “ vendue aux puissances étrangères ” à l’aéroport de Tunis-Carthage.
- le 6 septembre 2001. Une cinquantaine d’hommes en civil ont encerclé en fin d’après-midi le cabinet de maître Ayadi, secrétaire général du CNLT et membre du Conseil de l’ordre des avocats, face au palais de justice et ont interdit l’accès du cabinet à toute personne sans raison apparente. Omar Mestiri, Maître Mokhtar Trifi, Président de la LTDH ainsi que maître Mohamed Jemour, Secrétaire Général du Conseil de l’ordre des avocats, arrivés sur les lieux ont été également empêchés d’accéder au cabinet et brutalisés. Le matin même, le siège du CNLT a été encerclé par des dizaines de policiers en civil qui en ont interdit l’accès à toute personne étrangère à l’immeuble et les riverains étaient obligés de montrer leurs cartes d’identité pour rentrer chez eux. C’est ainsi que plusieurs membres et amis du CNLT se sont vus refuser l’accès. Dr Marzouki qui venait d’essuyer ce refus, s’est vu également interdire l’accès du cabinet de maître Trifi, président de la LTDH, une heure plus tard !
-Le mercredi 26 décembre 2001, Nizar Amami, membre du comité de coordination de RAID, a été sauvagement agressé et blessé en plein jour devant son domicile par trois individus qui ont pris la fuite à bord d’une voiture immédiatement après leur forfait.
- Le vendredi 28 décembre 2001, la porte d’entrée du domicile de madame Gilda Khiari, militante pour les libertés de longue date et mère de Sadri Khiari, membre dirigeant de RAID a été défoncée, le battant et le chambranle brisés. Rien n’a été volé..
Le même vendredi 28, la villa de Fathi Chamkhi, président de RAID, est cambriolée à Soliman plage. La porte d’entrée ainsi que les portes intérieures de la villa ont été défoncées. Le fer forgé de la fenêtre du garage a été arraché. Tout le matériel de plomberie, le chauffe-bain, le matériel de l’installation électrique et plusieurs outils ont été emportés.
Tarissement des ressources : -M.Ali Ben Salem, Trésorier du CNLT, est en butte à une persécution constante et multiforme (filature, surveillance rapprochée, intimidations de tous ceux qui lui rendent visite, privation de retraite pour cause de “ disparition du dossier ”, pressions sur les locataires qui s’aventurent à louer son appartement...) visant à le priver de ressources et à l’isoler de son environnement social.
-Le 30 juillet 2000, Docteur Moncef Marzouki, porte-parole du CNLT, a été informé, par un courrier signé du Ministre de la Santé publique, d’une mesure de licenciement définitif de son poste d’enseignant à la Faculté de médecine de Sousse. On lui a interdit de fait toute activité clinique et de recherche, après lui avoir retiré ses fonctions de chef de service et dissout le service privant ainsi des enseignants et des étudiants d’un cadre clinique et de recherche.
Privation de passeport et interdiction de voyager : En dépit de l’amendement de 1998 sur les passeports qui limite la décision d’interdiction de voyager à la seule compétence du juge, l’administration policière continue de disposer de la liberté de circulation du citoyen à sa guise. Plusieurs milliers de citoyens et particulièrement des jeunes continuent à être arbitrairement privés de passeport dont la police use comme d’un privilège qu’elle monnaye.
- Le Dr Moncef Marzouki, ancien porte-parole du CNLT a été interdit de quitter le territoire tunisien par la police des frontières de Monastir, le 10 mars. Cette interdiction de voyager est une autre forme de sanction pour l'empêcher de rejoindre sa famille qui vit en France et de donner des cours dans une Université française qui vient de lui ouvrir un poste. Elle fait partie de la panoplie des mesures imaginées par le régime pour tarir les ressources des militants de droits humains et les affamer. La même interdiction arbitraire s’est répétée en octobre 2001, alors que l’interdiction prononcée par le juge a été levée depuis sa comparution devant le tribunal de première instance au mois de décembre 2000.
- Sadri Khiari, dirigeant de RAID a été empêché de quitter le territoire le 19 juin 2001, sous le prétexte qu’il ferait l’objet de poursuites judiciaires en rapport avec la mission qu’il avait menée à l’étranger pour le compte du CNLT au printemps 2000. Cette interdiction s’est répétée en septembre 2001, alors qu’il se rendait à un colloque, et se maintient à la date de la rédaction de ce rapport
- Au même prétexte fallacieux, M.Mohamed Ali Bedoui, membre du CNLT, s’est vu refuser l’embarquement le mardi 12 juin 2001 à l’aéroport de Tunis ; la police des frontières lui a aussi confisqué le passeport qu’il venait de recevoir en février après en avoir été longtemps privé.
- Kamel Jendoubi, président du CRLDHT, est privé de passeport et interdit de retourner sur le sol natal. Un mandat d’amener a été lancé contre lui.
- Tahar Chaieb, militant syndicaliste, a été empêché de voyager le 28 juillet dernier, suite au vol de son passeport par un agent de la compagnie Tunis Air, à l’instigation de la police politique, lors des formalités d’enregistrement. Cet acte fait suite à une série de harcèlements qui ont ciblé ces derniers temps M. Tahar Chaieb et sa famille après sa décision de constituer avec un groupe de syndicalistes un nouveau syndicat autonome.
- La police politique a mis à contribution des agents de la compagnie Tunis Air qui ont annulé leurs réservations le 17 août, afin d’empêcher Madame Souad Gharbi, membre du BP du MDS et Maître Ayachi Hammami, militant des droits de l’homme, de partir à Londres afin de participer à une émission de la chaîne Al Mustakillah consacrée à Mohamed Moada, président du MDS détenu arbitrairement.
- Maitre Néjib Hosni, membre dirigeant du CNLT continue d’être arbitrairement privé de passeport. Il en est de même de du Professeur Moncef Ben Salem auquel la police a refusé de délivrer l’accusé de réception de la demande qu’il a déposée le 30 juillet 2001.
- Sihem Bensedrine a été arbitrairement empêchée le 1er septembre 2001 courant de quitter le territoire. Le juge d’instruction du 4e bureau qui instruit son affaire a affirmé qu’il n’a pas émis à son encontre d’interdiction de voyager.
-La même interdiction illégale a été pratiquée au mois de juin 2001 à l’encontre de Mohamed Ali Bedoui, membre du CNLT, en l’absence de toute disposition judiciaire. Intimidations des avocats :
- Maître Anwar Kousri : Ces derniers temps, les pressions sur maître Kousri, vice-président de la LTDH, se sont multipliées (à l’occasion de ses plaidoiries dans l’affaire du mort de Menzel Bourguibe, Ridha Jeddi), prenant la forme d’agressions verbales de la part d’agents de la police politique qui le suit pare-choc contre pare-choc, interrompt régulièrement ses lignes téléphoniques et intimide ses clients devant son cabinet.
- Maître Hédi Manaï, membre du comité de liaison du CNLT, subit un harcèlement permanent ; ses clients sont dissuadés de lui confier leurs affaires, par des policiers en faction (dans une voiture de police régulière) devant son cabinet à Jendouba,. Ceux qui persistent sont menacés de perdre leurs affaires et interrogés au commissariat sur leur lien avec l’avocat. Les chauffeurs qu’il engage pour conduire sa voiture (une insuffisance motrice l’empêche de conduire) sont systématiquement harcelés jusqu’à ce qu’ils démissionnent (il a recruté 4 en l’espace de trois mois), les voitures de transport public qu’il prend subissent une fouille minutieuse dans le but d’éviter ce voyageur encombrant. Quatre voitures de police banalisées l’escortent en permanence jusqu’à son domicile afin qu’il soit infréquentable dans cette petite ville frontalière de l’Algérie. Ses lignes de téléphone sont régulièrement perturbées. Maître Manaï a déposé une plainte auprès du Conseil de l’Ordre des Avocats.
- D’autres avocats actifs dans le domaine de défense des libertés subissent à des degrés divers le même encerclement policier, comme Maîtres Mokhtar Trifi, Néjib Hosni, Samir Ben Amor, Mohamed Abbou, Anwar Kousri, Ayachi Hammami ou Raouf Ayadi qui voient leur portefeuille clientèle réduit comme peau de chagrin.
Maître Radhia Nasraoui qui connaît depuis des années ce genre de persécution, a vu ces derniers jours (depuis que son mari, Hamma Hammami, Porte parole du PCOT contraint à la clandestinité, a intervenu sur la chaîne Al Mustakillah) la surveillance policière se resserrer autour d’elle, allant jusqu’à la suivre à la plage et la surveiller en train de baigner ses enfants !
- Intimidation de maître Raouf Ayadi, Secrétaire général du CNLT et membre du Conseil de l’Ordre des Avocats. Le bureau de Tunis du Conseil de l’Ordre a reçu vendredi 16 mars 2001 une lettre anonyme datée du 28 février, usant de propos orduriers contre maître Ayadi, l’accusant d’abuser sexuellement de sa secrétaire et proposant au Conseil de lui fournir une cassette vidéo prouvant leurs accusations. Maître Ayadi a déjà été pris à partie, et dans les mêmes termes, par la presse de caniveau en janvier dernier, suite à son intervention à la chaîne T.V. Al Jazeera.
La coupure des lignes de téléphone : Une autre forme de persécution consiste à couper les lignes de téléphone des militants en vue de les isoler. C’est ainsi que ces derniers temps, Taoufik Ben Brik, Om Zied, Moncef Marzouki, Lassad Jouhri, Tahar Chaieb, Omar Mestiri, Souad Gharbi, Ayachi Hammami, ont vus leurs lignes abusivement coupées. Maître Néjib Hosni reste privé de téléphone à son cabinet et à son domicile depuis 1996.
Le vol et l’effraction : Après omar Mestiri et Radhia Nasraoui, Maître Jameledine Bida, membre du comité de liaison du CNLT, et Moncef Marzouki se sont vus voler leurs voitures.
Les cambriolages nocturnes effectués par les agents de la “ sécurité de l’état ” en signe de représailles sont devenus monnaie courante et sont commis avec arrogance. La nuit du 4 août 2001, Hichem Gribaa, ancien vice-président de la LTDH a vu son cabinet d’études en communication saccagé, ses dossiers déchirés et ses meubles détruits, rien n’a été emporté. Le cabinet est actuellement hors d’usage et M. Gribaa ne peut pas reprendre son travail.
De même Sihem Bensedrine a vu son GSM disparaître de son armoire personnelle à son domicile le 24 août 2001 et le lendemain, la puce du GSM a été retrouvée dans une enveloppe cachetée au nom des services de la “ sécurité de l’état ” !
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