


| Convention relative aux
droits de l’enfant
| Distr. GÉNÉRALE
CRC/C/GC/81 2 mars 2007
FRANÇAIS Original: ANGLAIS
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COMITÉ DES DROITS DE L’ENFANT Quarante-deuxième session Genève, 15 mai 2 juin 2006
OBSERVATION GÉNÉRALE No 8 (2006)
Le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (art. 19, 28 (par. 2) et 37, entre autres)
TABLES DES MATIÈRES
Paragraphes Page
I. OBJECTIFS 1 − 3 2
II. RAPPEL 4 − 9 2
III. DÉFINITIONS 10 − 15 4
IV. NORMES RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME ET ADMINISTRATION DE CHÂTIMENTS CORPORELS AUX ENFANTS 16 − 29 5
V. MESURES ET MÉCANISMES NÉCESSAIRES POUR ÉLIMINER LES CHÂTIMENTS CORPORELS ET LES AUTRES FORMES DE CHÂTIMENTS CRUELS OU DÉGRADANTS 30 − 52 8
1. Mesures législatives 30 − 37 8
2. Mise en œuvre de l’interdiction des châtiments corporels et des autres formes de châtiments cruels ou dégradants 38 − 43 10
3. Mesures éducatives et autres 44 − 49 12
4. Suivi et évaluation 50 − 52 13
VI. PRÉSENTATION DE RAPPORTS AU TITRE DE LA CONVENTION 53 14
I. OBJECTIFS
1. Dans le prolongement des deux journées de débat général qu’il a consacrées à la violence contre les enfants, en 2000 et 2001 respectivement, le Comité des droits de l’enfant avait décidé de publier une série d’observations générales, dont la présente est la première, concernant l’élimination de la violence contre les enfants. Le Comité vise à aider les États parties à comprendre les dispositions de la Convention qui ont trait à la protection des enfants contre toutes les formes de violence. La présente observation générale est axée sur les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, qui sont à l’heure actuelle des types largement acceptés et répandus de violence contre les enfants.
2. La Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme reconnaissent à l’enfant le droit au respect de sa dignité humaine et de son intégrité physique, de même qu’à une protection égale par la loi. Le Comité publie la présente observation générale afin de mettre en lumière l’obligation incombant à tous les États parties de prendre rapidement des dispositions aux fins d’interdire et d’éliminer tous les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments à l’égard des enfants et d’exposer dans leurs grandes lignes les mesures législatives, les autres mesures de sensibilisation et les mesures éducatives qu’il appartient aux États de prendre.
3. S’attaquer au problème de la large acceptation ou tolérance à l’égard des châtiments corporels contre les enfants et les éliminer, tant dans la famille qu’à l’école ou dans tout autre contexte, est non seulement une obligation incombant aux États parties en vertu de la Convention, mais aussi un moyen stratégique déterminant sur la voie de la réduction et de la prévention de toutes les formes de violence dans la société.
II. RAPPEL
4. Dès ses premières sessions, le Comité a été particulièrement soucieux de faire valoir le droit des enfants à une protection contre toutes les formes de violence. Lors de l’examen des rapports d’États parties et, plus récemment, dans le contexte de l’étude du Secrétaire général de l’ONU sur la violence contre les enfants, le Comité a noté avec une grande préoccupation la légalité généralisée et l’acceptation sociale persistante des châtiments corporels et autres châtiments cruels ou dégradants à l’égard des enfants1. Dès 1993, dans le rapport sur sa quatrième session, le Comité «a estimé qu’il ne fallait pas négliger la question des châtiments corporels si l’on voulait améliorer le système de promotion et de protection des droits de l’enfant et il a décidé de continuer à tenir compte de cette question lorsqu’il examinerait les rapports des États parties»2.
5. Depuis qu’il a commencé à examiner des rapports d’États parties, le Comité a recommandé à plus de 130 États des différents continents d’interdire tout châtiment corporel, au sein de la famille comme dans les autres contextes3. Le Comité constate avec satisfaction que les États parties sont toujours plus nombreux à prendre des mesures législatives ou autres pour faire valoir le droit de l’enfant au respect de sa dignité humaine et de son intégrité physique, ainsi qu’à une égale protection par la loi. Le Comité croit savoir qu’à ce jour, en 2006, plus d’une centaine d’États ont interdit les châtiments corporels à l’école et dans le système pénal pour enfants. Un nombre grandissant d’États parties ont édicté l’interdiction de tels châtiments au domicile et dans la famille, ainsi que dans toutes les catégories d’institutions de protection de remplacement4.
6. En septembre 2000, le Comité a tenu la première de ses deux journées de débat général consacrées au problème de la violence contre les enfants. Axée sur la violence d’État contre les enfants, elle a débouché sur l’adoption de recommandations détaillées, préconisant en particulier l’interdiction de tous les châtiments corporels et le lancement de campagnes d’information du public «pour sensibiliser davantage l’opinion à la gravité des violations des droits fondamentaux dans ce domaine et à leurs incidences néfastes sur les enfants ainsi que pour lutter contre l’acceptation culturelle de la violence contre les enfants et inciter plutôt à un "niveau zéro" de tolérance de la violence»5.
7. En avril 2001, le Comité a adopté sa première observation générale, concernant les «buts de l’éducation», et a réaffirmé que les châtiments corporels étaient incompatibles avec la Convention, dans les termes suivants: «Les enfants ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux du seul fait qu’ils franchissent les portes de l’école. Ainsi, par exemple, l’éducation doit être dispensée dans le respect de la dignité inhérente de l’enfant et doit permettre à l’enfant d’exprimer ses opinions librement conformément au paragraphe 1 de l’article 12 et de participer à la vie scolaire. L’éducation doit également être dispensée dans le respect des limites strictes de la discipline conformément au paragraphe 2 de l’article 28 et de façon à encourager la non violence dans le milieu scolaire. Le Comité a indiqué clairement à maintes reprises dans ses observations finales que le recours aux châtiments corporels allait à l’encontre du respect de la dignité inhérente de l’enfant et des limites strictes de la discipline scolaire…»6.
8. Dans les recommandations qu’il a adoptées à l’issue de la seconde journée de débat général, consacrée aux «violences contre les enfants au sein de la famille et à l’école» et tenue en septembre 2001, le Comité a demandé instamment aux États parties «de prendre des mesures d’urgence pour promulguer des lois ou abroger les textes existants, selon les besoins, afin d’interdire toutes les formes de violence, aussi légères soient elles, au sein de la famille et à l’école, y compris en tant que mesure disciplinaire, comme l’exigent les dispositions de la Convention…»7.
9. Les journées de débat général organisées par le Comité en 2000 et 2001 ont de plus débouché sur la formulation d’une recommandation selon laquelle il convenait de demander au Secrétaire général de l’ONU, par l’intermédiaire de l’Assemblée générale, de réaliser une enquête internationale approfondie sur la violence contre les enfants. L’Assemblée générale des Nations Unies a donné effet à cette recommandation en 20018. Dans le contexte de l’étude des Nations Unies, menée de 2003 à 2006, la nécessité d’interdire toutes les formes actuellement légales de violence contre les enfants a été soulignée, de même que la profonde préoccupation des enfants eux-mêmes face à la prévalence quasi universelle des châtiments corporels au sein de la famille et la persistance dans de nombreux États de sa légalité à l’école et dans d’autres institutions, ainsi que dans le système pénal pour les enfants en conflit avec la loi.
III. DÉFINITIONS
10. La Convention définit les «enfants» dans ces termes «tout être humain âgé de moins de 18 ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable»9.
11. Le Comité définit les châtiments «corporels» ou «physiques» comme tous châtiments impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il. La plupart de ces châtiments donnent lieu à l’administration d’un coup («tape», «gifle», «fessée») à un enfant, avec la main ou à l’aide d’un instrument − fouet, baguette, ceinture, chaussure, cuillère de bois, etc. Ce type de châtiment peut aussi consister à, par exemple, donner un coup de pied, secouer ou projeter un enfant, le griffer, le pincer, le mordre, lui tirer les cheveux, lui «tirer les oreilles» ou bien encore à forcer un enfant à demeurer dans une position inconfortable, à lui infliger une brûlure, à l’ébouillanter ou à le forcer à ingérer quelque chose (par exemple, laver la bouche d’un enfant avec du savon ou l’obliger à avaler des épices piquantes). De l’avis du Comité, tout châtiment corporel ne peut être que dégradant. En outre, certaines formes non physiques sont également cruelles et dégradantes et donc incompatibles avec la Convention. À leur nombre figurent, par exemple: les châtiments tendant à rabaisser, humilier, dénigrer, prendre pour bouc émissaire, menacer, effrayer ou ridiculiser l’enfant.
12. L’administration de châtiments corporels et d’autres formes cruelles ou dégradantes de châtiment à des enfants intervient dans différents cadres, à savoir le domicile et la famille, les différents types d’institutions de protection de remplacement, les écoles et autres établissements d’enseignement, le système de justice − tant sous forme de condamnation par un tribunal que de châtiments infligés dans les établissements pour peine ou autres − dans le cadre du travail des enfants et dans la communauté.
13. En rejetant toute justification de la violence et des humiliations en tant que formes de châtiment à l’encontre des enfants, le Comité ne rejette en rien le concept positif de discipline. Le développement sain des enfants suppose que les parents et les autres adultes concernés fournissent les orientations et les indications nécessaires, en fonction du développement des capacités de l’enfant, afin de contribuer à une croissance les conduisant à une vie responsable dans la société.
14. Le Comité reconnaît que l’exercice des fonctions parentales et l’administration de soins aux enfants, en particulier aux bébés et aux jeunes enfants, exigent fréquemment des actions et interventions physiques destinées à les protéger mais elles sont très différentes du recours délibéré à la force en vue d’infliger un certain degré de douleur, de désagrément ou d’humiliation à des fins punitives. En tant qu’adultes, nous connaissons par nous mêmes la différence entre une action physique de protection et des voies de fait punitives; il n’est pas plus difficile d’établir une distinction en ce qui concerne les actions mettant en jeu des enfants. Dans tous les États, la loi autorise, expressément ou non, le recours à la force non punitive nécessaire pour protéger les gens.
15. Le Comité reconnaît qu’il existe certaines circonstances exceptionnelles dans lesquelles des enseignants et d’autres personnes, par exemple celles qui travaillent avec des enfants en institution ou avec les enfants en conflit avec la loi, sont susceptibles d’être confrontés à un comportement dangereux qui justifie l’usage d’un degré raisonnable pour le contrôler. Là aussi, il existe une distinction manifeste entre l’usage de la force motivée par la nécessité de protéger un enfant ou d’autres personnes et l’usage de la force à des fins punitives. Le principe d’usage aussi réduit que possible de la force pour une durée aussi brève que possible doit toujours s’appliquer. Des orientations précises et une formation s’imposent également, tant pour réduire au minimum la nécessité de faire usage de la contrainte que pour veiller à ce que toutes les méthodes utilisées soient sans danger et proportionnées à la situation et ne donnent pas lieu à l’infliction délibérée d’une douleur en tant que moyen de contrôle.
IV. NORMES RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME ET ADMINISTRATION DE CHÂTIMENTS CORPORELS AUX ENFANTS
16. Avant même l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, la Déclaration internationale des droits de l’homme − c’est à dire la Déclaration des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels − garantissait le droit de «chacun» au respect de sa dignité humaine et de son intégrité physique, ainsi qu’à une égale protection de la loi. Lorsqu’il insiste sur l’obligation incombant aux États d’interdire et d’éliminer tous les châtiments corporels et toutes les autres formes de châtiments dégradants, le Comité fait valoir que la Convention relative aux droits de l’enfant repose sur ces fondements. La dignité de chaque individu est le principe directeur fondamental du droit international des droits de l’homme.
17. Le préambule de la Convention relative aux droits de l’enfant proclame, conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et réaffirmés dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, que «la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde». Dans ce même préambule il est rappelé que dans la Déclaration universelle les Nations Unies «ont proclamé que l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales».
18. En vertu de l’article 37 de la Convention, les États sont tenus de veiller à ce que «nul enfant ne soit soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». Cette disposition est complétée et élargie par l’article 19, qui fait obligation de prendre «toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalité physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié». L’expression «toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales» est dépourvue de toute ambiguïté et ne laisse aucune place à un quelconque degré de violence à caractère légal contre les enfants. Les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments sont des types de violence et les États sont donc tenus de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour les éliminer.
19. En outre, en vertu du paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention, qui renvoie à la discipline scolaire, les États parties sont tenus de prendre «toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention».
20. L’article 19 et le paragraphe 2 de l’article 28 ne mentionnent pas expressément les châtiments corporels. Dans le Recueil des travaux préparatoires de la Convention ne figure aucune mention d’un débat consacré aux châtiments corporels dans le cadre des sessions de rédaction. Comme tous les instruments relatifs aux droits de l’homme, la Convention doit cependant être conçue comme un instrument vivant, dont l’interprétation évolue dans le temps. Depuis que la Convention a été adoptée, voilà 17 ans, le phénomène des châtiments corporels infligés aux enfants chez eux, à l’école et dans diverses autres institutions a acquis davantage de visibilité grâce au processus d’examen des rapports présentés en application de la Convention et aux travaux de recherche et actions de sensibilisation menés, entre autres, par les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales (ONG).
21. Cette visibilité accrue fait clairement apparaître que cette pratique est directement attentatoire au droit égal et inaliénable des enfants au respect de leur dignité humaine et de leur intégrité physique. La singularité des enfants, leur dépendance initiale, leur état de développement, de même que leur potentiel humain unique et leur vulnérabilité sont autant de considérations militant en faveur d’un supplément de protection juridique et autre contre toutes les formes de violence.
22. Le Comité souligne qu’éliminer les châtiments violents et humiliants à l’égard des enfants par la voie d’une réforme législative et d’autres mesures nécessaires constitue une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties. Il note en outre que d’autres organes conventionnels, à savoir le Comité des droits de l’homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité contre la torture ont exprimé la même opinion dans des observations finales adoptées à l’issue de l’examen de rapports d’États parties soumis en application des instruments pertinents et recommandent l’interdiction des châtiments corporels et l’adoption d’autres mesures contre ces châtiments à l’école, dans le système pénal et, dans certains cas, dans la famille. Pareillement, dans son observation générale no 13 de 1999 sur «le droit à l’éducation», le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a indiqué: «De l’avis du Comité, les châtiments corporels sont incompatibles avec un des principes directeurs clefs du droit international relatif aux droits de l’homme, inscrit au préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des deux Pactes, à savoir la dignité humaine. D’autres règles disciplinaires peuvent l’être aussi, par exemple l’humiliation en public.»10.
23. Les châtiments corporels ont aussi été condamnés par des mécanismes régionaux de défense des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné progressivement dans une série de jugements les châtiments corporels contre les enfants − d’abord dans le système pénal, puis dans les écoles, y compris les écoles privées, et, plus récemment, au domicile11. Le Comité européen des droits sociaux, qui surveille le respect par les États membres du Conseil de l’Europe de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale révisée, a estimé que le respect de ces chartes passait par l’interdiction par voie législative de toute forme de violence à l’égard des enfants, que ce soit à l’école ou dans d’autres institutions, à leur domicile ou bien où que ce soit12.
24. Dans une opinion consultative relative au statut juridique des droits de l’enfant (2002) la Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que les États parties à la Convention interaméricaine des droits de l’homme «sont liés par l’obligation … d’adopter toutes les mesures positives requises pour assurer la protection des enfants contre les mauvais traitements, que ce soit dans leurs relations avec les autorités publiques ou dans leurs relations avec d’autres individus ou avec des organismes non gouvernementaux». La Cour cite les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant, les observations finales du Comité des droits de l’enfant et des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’obligation incombant aux États de protéger les enfants contre la violence, y compris au sein de la famille. La Cour interaméricaine a conclu: «L’État a le devoir d’adopter des mesures positives pour donner pleinement effet à l’exercice des droits de l’enfant.»13.
25. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui surveille l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, a estimé dans une décision en date de 2003, relative à une communication individuelle dénonçant la condamnation d’élèves à des «coups de fouet», que ce type de châtiment violait l’article 5 de la Charte africaine − qui interdit les châtiments cruels, inhumains ou dégradants. La Cour a demandé au gouvernement concerné de modifier la loi, d’abolir la peine de flagellation et de prendre les dispositions voulues pour indemniser les victimes. Dans sa décision, la Commission a estimé: «Il n’existe pas pour les individus, en particulier pour les agents publics d’un État, de droit d’infliger une violence physique à un individu pour le punir d’une infraction. Un tel droit reviendrait à faire justifier la torture d’État par la Convention, contrairement à la nature même de cet instrument relatif aux droits de l’homme.»14. Le Comité des droits de l’enfant note avec satisfaction que les cours constitutionnelles ou autres juridictions supérieures de nombreux pays ont rendu des décisions condamnant les châtiments corporels contre les enfants dans certains cadres ou dans tous et se sont, dans la plupart des cas, référées à la Convention relative aux droits de l’enfant15.
26. Lorsque le Comité a abordé la question de l’élimination des châtiments corporels avec certains États durant l’examen de leurs rapports, des représentants de gouvernement ont fait valoir que des châtiments corporels d’un degré «raisonnable» ou «modéré» pouvaient se justifier dans l’«intérêt supérieur» de l’enfant. Le Comité a dégagé un principe général important, à savoir l’obligation que fait la Convention de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants (paragraphe 1 de l’article 3). La Convention dispose en outre, en son article 18, que les parents doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant. L’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant doit toutefois être compatible avec l’ensemble de la Convention, en particulier l’obligation de protéger l’enfant contre toutes les formes de violence et la nécessité de prendre dûment en considération les opinions de l’enfant eu égard à son âge et à son degré de maturité; l’intérêt supérieur ne saurait servir à justifier certaines pratiques, dont les châtiments corporels et autres formes cruelles de châtiments, attentatoires à la dignité humaine de l’enfant et au droit à l’intégrité physique de sa personne.
27. Dans le préambule de la Convention, il est affirmé que la famille constitue l’unité fondamentale de la société et le milieu naturel pour la croissance et le bien être de tous ses membres et en particulier des enfants. La Convention fait obligation aux États parties de respecter et de soutenir les familles. Il n’y a pas le moindre conflit avec l’obligation incombant aux États de veiller à ce que la dignité humaine et l’intégrité physique des enfants, de même que des autres membres de la famille, bénéficient d’une protection entière dans la famille.
28. En vertu de l’article 5 de la Convention, les États sont tenus de respecter la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents de donner à leur enfant, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la Convention. Là encore, l’interprétation de l’expression «l’orientation et les conseils appropriés» doit être compatible avec l’ensemble de la Convention et ne laisse pas la moindre place à une quelconque justification de formes de discipline violentes ou d’autres formes de discipline cruelles ou dégradantes.
29. Certains avancent des arguments liés à la foi pour justifier les châtiments corporels, faisant valoir que certaines interprétations des textes religieux non seulement justifient leur usage mais imposent le devoir d’en faire usage. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 18) garantit à chacun la liberté de conscience religieuse, mais la pratique d’une religion ou d’une conviction doit être compatible avec le respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique d’autrui. La liberté de pratiquer sa religion ou ses convictions peut être légitimement restreinte dans le souci de protéger les libertés et droits et fondamentaux d’autrui. Le Comité a relevé que dans certains États des enfants, parfois dès un très jeune âge ou à compter du moment où ils sont considérés pubères, sont susceptibles d’être condamnés à des châtiments d’une violence extrême, notamment la lapidation et l’amputation, que prescrivent certaines interprétations du droit religieux. Pareils châtiments sont à l’évidence contraires à la Convention et aux autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, comme l’ont aussi souligné le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture, et doivent être interdits.
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