Les Guerres entre Catholiques et Protestants dans le Cotentin au 16ième Siècle Tina von Rechenberg Le 16ième siècle est l’époque de l’émancipation religieuse. On y découvre l’homme comme sujet de la foi dont il était capable de décider seul; l’église n’étant plus l’institution tout puissante qui distribue le salut aux fidèles et la damnation aux autres. Comme souvent en l’histoire, les idées ont succédé aux événements – des idées qui finalement formulées dans l’œuvre théologique de Martin Luther et de ses combattants.
En France Jean Calvin fonda l’église protestante ou réformée, dont les membres furent bientôt connus sous le nom de « huguenots ».
Une citation donne une description plutôt bizarre de ce processus, mais de la façon que les catholiques regardaient les nouvelles idées : « …ce grave événement, préparé depuis longtemps dans l’esprit des peuples, et semblable à ces maladies qui éclatent tout à coup dans le corps humain, quoique les germes s’en soient formés lentement et depuis longues années. »
Le Cotentin fit très tôt partie du mouvement. C’est dans les manoirs et châteaux de la noblesse où on parlait philosophie, religion et politique, car on avait les moyens et du temps à consacrer aux études et aux livres. Les familles et voisins étaient très liés, il y avait toujours des invitations et des rencontres et il y eut bientôt des cercles protestants. (Il ne faut pas oublier que la réforme était soutenue par la haute société, c’étaient d’abord les maîtres puis les serviteurs qui suivirent l’exemple de leurs seigneurs.) Et le Cotentin était tranquille et assez loin de Paris où les bûchers étaient déjà allumés.
Je cite encore la chronique : « On est étonné de voir avec quelle rapidité le protestantisme se répandit dans la Normandie : notre province fut une de celles où il fit le plus de progrès. » L’historien des évêques de Coutances attribue cette facilité à « l’inconstance naturelle » des Normands.
Saint-Lô devint le premier centre du mouvement. Protégé par le seigneur d’Agneaux il y avait un ancien moine du nom de Soler qui prêchait avec zèle la parole de la bible, dans les écoles pour les enfants et en public pour les adultes. En peu d’années la majorité des habitants de Saint-Lô se convertit au protestantisme. Comme ils n’avaient pas le droit d’occuper les églises (l’église catholique était encore sous la protection du roi), ils se rassemblaient dans d’autres endroits : dans un lieu nommé le Clos-Varec, au manoir seigneurial d’Agneaux, dans une caverne de rochers, située près de là et que les catholiques nommaient la Caverne au Serpent, et auprès un arbre qui fut appelé la Chaîne au Diable – des noms qui reflètent l’hostilité à cette minorité.
En même temps les écrits d’un certain Jean Brouault étaient distribués dans la région. Ancien prieur de Saint-Eny près de Carentan il était devenu protestant et médecin et s’intéressait à toutes les sciences. Faisant de la médicine et de la pharmacie, Brouault répandait les principes de calvinisme à Carentan et aux environs. Il était fermement et brutalement contredit par un père Feuardent, dont les œuvres grotesque étaient imprimés à Caen (et dont quelques unes sont encore en possession de la ville de Cherbourg). Par exemple il a accusé le docteur Brouault d’avoir une telle habileté en chimie, « qu’il savait extraire l’âme du corps humain et la mettre dans une bouteille ».
Il y avait beaucoup d’autres prédicateurs dont les noms sont tombés dans l’oubli, et beaucoup de lieux qui ont joué leur rôle dans le protestantisme et dont il reste peu de traces. Par exemple il y a à Morville (à coté de Valognes) un endroit encore aujourd’hui appelé le Cimetière des Huguenots, près de l’ancien manoir, et aussi une chaire en plein air, faite en maçonnerie, la Chaire de Morville. Cependant il reste peu de reliques de cette époque où les calvinistes ou huguenots régnaient sur presque toute la région. Il y avait des prêches protestants à Rouen, à Caen, à Alençon, et dans toutes les villes des anciens diocèses de Coutances et d’Avranches. Seuls Cherbourg, Granville et le Mont St. Michel résistaient à la nouvelle confession.
En 1560 le Cotentin aussi fut finalement envahi par des troupes du roi comme déjà beaucoup d’autres régions de France où le protestantisme avait fait des progrès. Et comme dans toutes ces régions la résistance s’organisa. En tête des troupes protestantes il y avait le comte de Montgomery (le même qui avait tué Henri II dans un tournoi) et le seigneur de Briqueville-Colombières de la famille de Briqueville, qui était député de l’arrondissement de Cherbourg en ce temps. Les catholiques avaient à leur tête Jacques de Matignon, lieutenant et commandant de Cherbourg.
Rouen et Caen furent très vite prises par les forces protestantes, et dès1562 toute la Normandie était « sous le joug des nouveaux sectaires » (comme dit la chronique). Matignon se retira dans le château de Cherbourg et se contenta de laisser quelques troupes à Granville et au Mont St. Michel. Montgomery tenta d’attaquer Cherbourg, peut-être même dans l’intention d’établir la liaison avec l’Angleterre d’où la reine Elisabeth donnait en sous main des secours aux protestants français. Mais la ville était imprenable, et il se retira. Les chroniques de cette époque sont sûrement exagérées, mais elles donnent un tableau assez triste de la haine et la terreur. Les « ennemis de la vraie religion » ont dévasté les églises, « l’eucharistie livrée aux chiens ou jetée dans la boue, les maisons des familles pieuses pillées et incendiées, les prêtres et les moines torturés avec tous les raffinements de la cruauté et de la vengeance, mutilés souvent d’une manière que la pudeur ne permet pas d’exprimer… » Certainement les vainqueurs ont pris l’argent et l’argenterie des églises et monastères ainsi que les
cloches et ils les ont fondues pour faire de la monnaie et des canons. Il y eut aussi des iconoclastes, des statues brisées et des tableaux déchirés.
Mais la victoire rapide de fut pas d’une très longue durée. L’armée protestante était trop disséminée, et la cour envoyait des troupes de la capitale au secours de Matignon. Valognes fut très vite reconquise. Matignon y laissa un commandeur du château du nom Cartot, un ennemi déclaré des protestants. La vengeance des habitants catholiques était encore plus cruelle et sanglante qu’avait été le comportement des huguenots dont un grand nombre fut massacré – bourgeois et seigneurs (parmi eux les seigneurs d’Houesville et de Cosqueville). Un pauvre bourgeois protestant qui était encore en vie au-dessous un tas de pierres et relevait sa tête ensanglantée, fut tué « à coups de broches et d’autres instruments de cuisine ». Enfin ces assassinats furent arrétés par le duc de Bouillon, gouverneur général de Normandie, qui envoya des troupes contre Valognes. Matignon fut forcé de se retirer du château et de livrer les assassins à la justice. Mais il garda le château de Cherbourg, car le duc - bien qu’il soit gouverneur de toute la province –avait perdu toute autorité dans la fureur des deux religions ennemies.
Matignon, qui ne se croyait pas assez fort avec le peu troupes que la cour lui avait envoyé, appela de Bretagne le duc d’Etampes qui assiégea Saint-Lô, capitale des protestants dans le Cotentin. Montgommery dut en sortir secrètement dans la nuit pour échapper à la cruauté des vainqueurs. Comme dit la chronique : « Les Bretons s’y conduisirent comme des bêtes féroces, tuant le catholique comme le protestant, au point qu’en exécration de tout le monde, ils se virent forcer de regagner la Bretagne. » A la fin de 1562 il n y avait plus de troupes protestantes en Normandie, et le culte catholique reprit dans les églises et les couvents. Mais très vite la situation changea de nouveau. Après la victoire de la couronne à Dreux où Catherine de Medicis et son fils Charles IX ont battu les protestants et où le prince de Condé fut fait prisonnier, les protestants allemands envoyèrent un secours de huit mille soldats à leurs frères de France, bientôt renforcés par des troupes anglaises. A la recherche des moyens de financement et comme l’amiral Coligny n’avait pas d’argent pour payer ces troupes, il envahit la Normandie. Il faisait payer les villes qui capitulaient, et livrait les autres au pillage. On a dit qu’a elle seule l’argenterie des églises de Caen (converti en monnaie) lui rapporta plus de quatre-vingt mille francs. Bayeux souffrit beaucoup plus de cette invasion que de la première :
« Tout ce qu’on trouva de prêtres et de religieux furent pendus ou fusillés ou mutilés. L’évêque n’eut que le temps de se sauver promptement et de s’embarquer sur la cote du Bessin ; encore l’ennemi arriva-t-il sur le rivage assez à temps pour tirer quelques coups de feu contre l’embarcation, qui cependant n’en reçut aucun mal. Le gouverneur nommé Ravillo, italien peux courageux, s’était fait emmurer dans un coin de sa maison, avec une provision de pain, de jambon, de vin, et une jeune fille qu’il avait enlevée à ses parents. Les protestants ne l’auraient pas trouvé sans la trahison d’un de ses domestiques qui découvrit le secret de sa retraite. Il fut pendu comme coupable de rapt, sur la plainte du père de la jeune fille.»
La terreur, attachée au nom de Coligny, glaçait d’effroi toute la Basse-Normandie. Matignon ne pouvait faire autre chose que mettre les places fortes en état de défense : Cherbourg, Granville, Pontorson, le Mont-Saint-Michel et Saint-Lô. Presque toute la population de Saint-Lô étant protestante ce n’était pas facile pour le petit nombre de gens-d’armes qu’il y a laissés, et bientôt les capitaines prirent la fuite et se sauvèrent à Cherbourg.
Les villes du Cotentin et de l’Avranchin tombèrent de nouveau aux mains des calvinistes, sous la conduite de Montgomery et de Briqueville-Colombières. Enfin le traité de paix de 1563 calma pour très peu de temps la rage des guerres civiles.
Par ce traité le prince de Condé était rendu à la liberté, les protestants devaient avoir partout l’exercice libre de leur religion (à la réserve de Paris et d’autres lieux désignés) ; ils devaient rendre au roi toutes les villes dont ils s’étaient emparés ; les auxiliaires allemands et anglais devaient entre renvoyés dans leur pays.
Mais l’animosité des partis persistait. Quand une des religions avait la majorité, elle tyrannisait l’autre. A Valognes les catholiques faisaient souffrir les protestants, et à Saint-Lô les protestants le peu de catholiques qui y restaient.
« Dans le même temps, un gentilhomme calviniste, nommé Depierrepont, crut pouvoir surprendre Cherbourg et tromper la vigilance de Matignon, en faisant cacher des soldats aux environs. Le foret de Brix, qui s’étendait jusqu’au pied de la montagne du Roule, et n’était pas traversé que d’un petit nombre de sentiers, lui présentait de grandes facilités pour un coup de main. Mais Matignon, instruit de tout, le fit charger subitement par ses troupes, qui taillèrent en pièces celles de ce partisan. Pierrepont, couvert de plusieurs blessures graves, mourut après avoir indiqué comme ses complices plusieurs personnes de Cherbourg même, que l’on surveilla soigneusement ou que l’on bannit de la ville. » ( Histoire de Cherbourg.)
La guerre reprit, non seulement dans le Cotentin, mais dans toute la France. La bataille de Saint-Denis fut perdue par les protestants, et un nouveau traité fut signé, mais resta sans exécution. Dans les années suivantes il y eut les sanglantes batailles de Jarnac (où le prince de Condé fut tué) et de Montcontour, où les protestants laissèrent plus de dix mille morts sur place. Matignon et Montgomery avec la noblesse normande ont participé à ces batailles, sous des drapeaux différents, bien sûr. Un autre traité de paix fut conclu en 1570 qui ne satisfit ni les protestants ni les catholiques. Et deux ans plus tard la nuit de Saint-Barthélemy éclata, le plus horrible tableau de ce temps, où le sang coulait dans les rues de Paris et la population, avec la bénédiction du clergé, se déchaînait trois jours contre les « hérétiques », faisant 2 000 à 3000 morts.
Montgommery et Colombières avaient été invité à se rendre à Paris comme les autres seigneurs et notables protestants, mais étaient logés à l’extrémité du faubourg St. Germain. Ils n’eurent que le temps de monter à cheval et de se sauver.
La nouvelle du massacre provoqua en province d’autres massacres, explosions de haine anti-huguenote. C’est Matignon qui a protégé les protestants normands d’un tel destin. Apprenant qu’à Alençon on méditait une répétition de cette tragédie parisienne, il y vole, il fait assembler tous les protestants dans la place publique, il les fait jurer qu’ils ne se révolteront pas et il déclare les prendre sous sa protection. Il fit de même à Saint-Lô et Valognes, laissant des corps-de-garde sur tous les endroits où la répétition d’une Saint-Barthelemy était à craindre.
La Saint-Barthélemy n’eut pas l’effet de rendre la France plus tranquille, au contraire : Les Protestants reprirent les armes. Montgomery était allé en Angleterre et avait réuni une armée considérable, Anglais et Français, dans l’Ile de Wight. En Normandie rien n’était préparé contre une nouvelle attaque, on manquait des troupes et d’argent. Matignon fortifiait encore Cherbourg et Granville. Montgommery ne pouvant aborder à Cherbourg descendit alors à la Hougue avec une armée de cinq ou six mille hommes. Celle-ci fut bientôt doublée par des protestants du pays, et une autre armée descendit près de Coutances sous la conduite de Briqueville-Colombières.
Montgommery n’eut pas de peine à occuper Carentan, Saint-Lo et Valognes, mais ne put pas entrer à Cherbourg et se contenta de piller l’abbaye. Il choisit Saint-Lô comme son centre et fortifia Carentan, clef de la presqu’île, isolée d’une mer à l’autre par le marais. Les paysans des environs furent forcés, « à coups de bâtons et de fouet », à creuser un canal autour de la ville, rempli par la mer et l’eau de la Douve.
Cependant l’armée qui avait débarqué près de Coutances, se jeta avec fureur sur cette ville. On lit dans « L’histoire des évêques de Coutances » que les calvinistes ont emmené l’évêque Arthur de Cossé et son clergé à Saint-Lô. « Là, ils le promenèrent par les rues, couvert d’une vieille jupe au lieu de chape, avec une mitre de papier sur la tête ; monté sur un âne, la face tournée vers la queue, qu’on le forçait de tenir en guise de bride. Ses prêtres le suivaient avec des costumes non moins ridicules, et toute la populace huguenote accompagnait cette mascarade impie en poussant des vociférations et en les accablant d’ordures et d’insultes. Tant d’outrages excitèrent la pitié de ce qui restait d’honnêtes gens parmi les calvinistes. Ils trouvèrent le moyen de faire évader le prélat. Arthur de Cossée, habillé en valet de meunier, les cheveux et les habits enfarinés, un gros fouet entortillé autour de son corps, et chassant devant lui un cheval chargé de sacs de blé, sortit de Saint-Lô, et se réfugia à Granville … »
En même temps Matignon était allé à Paris et avait informé la cour – la reine Catherine, dont le fils Charles IX était mourant – que le Cotentin était toujours « en proie à la rage des protestants ». On lui donna les moyens de rassembler une nouvelle armée, environ dix mille hommes, à Caen. Son objectif était Saint-Lô, le centre huguenot et le cœur du calvinisme dans la Manche. Mais la ville, gardée par l’élite de l’armée calviniste avec à sa tête Montgommery et Colombières, n’était pas facile à prendre.
Matignon eut donc l’idée de diminuer la force de cette garnison. Il fit semblant porter toutes ses forces à Carentan et ordonna au seigneur d’Agneaux (protestant mais fidèle à la couronne) de venir l’y rejoindre. D’Agneaux le communiqua à Montgommery qui se hâta d’y envoyer une partie de son infanterie. Matignon s’installa tout de suite le long de la Vire, la ville étant bloquée également de ses autres côtés. Dix-huit canons et quatre couleuvrines furent pointés sur les fortifications. Cependant Montgommery réussit à s’échapper avec soixante cavaliers en direction de Domfront où il espérait être rejoint par la noblesse des environs.
Matignon le suivit sans tarder. Car la reine lui avait commandé de prendre vivant Montgommery, qu’elle haïssait comme meurtrier de son époux. Lui, il avait six cent chevaux et Montgommery se trouva très vite bloqué dans le château. Il ne lui restait que quelques fidèles. Matignon leur envoya le baron de Vessay, cousin de Montgommery, qui le persuada de se rendre en lui assurant que Matignon écrirait à la reine en sa faveur. Montgommery se rendit. Avec son prisonnier Matignon retourna au siège de Saint-Lô, le présentant à Briqueville-Colombières et espérant que celui décide à une capitulation aussi : « Montgommery, Matignon et plusieurs seigneurs catholiques parurent au pied des remparts ; Colombières se montra par-dessus le parapet, tenant à la main ses deux fils. L’un âgé de quinze ans et l’autre de douze, et entouré d’une foule de ces officiers et soldats. » Montgommery le pria de se rendre, car « la cause de la religion reformée semblait perdue en Normandie » et pour sauver la vie des beaucoup de braves gens dont la mort serait inutile Colombières lui répondit d’un ton fier et « en vrai guerrier du sang de Briqueville » :
« Je ne puis assez m’étonner de votre faiblesse… Vous êtes indigne de l’honneur que vous avez eu de commander à tant de gens de bien, puisque, non content d’avoir fait une action basse, vous voulez encore me persuader de commettre une lâcheté : il faut que vous ayez perdu le sens et le jugement pour avoir préféré une fin honteuse et tragique à une mort glorieuse pour le salut de votre âme et la défense de l’évangile. Pour moi, je suis résolu non seulement à mourir pour la défense de ma foi et la liberté des miens, mais encore à sacrifier à une cause aussi juste et aussi chère mes deux enfants que voici à mes côtés. »
Montgommery, frappé comme d’un coup de foudre, resta plusieurs jours dans l’état d’une stupeur. Peu après il eut la tête tranchée sur la place de Grève, comme coupable de rébellion. Il mourut avec courage.
Colombières trouva la mort au sommet des remparts. « Il buvait par mépris à la santé des assiégeants, lorsqu’un coup d’arquebuse à croc lui cassa la tête ; son sang et des morceaux de sa cervelle rejaillirent sur un de ses enfants et sur des soldats qui étaient auprès de lui. »
L’armée catholique entra à Saint-Lô le 18 juin 15 74. Après avoir repris aussi Carentan et Valognes, Matignon rentra à Cherbourg en vrai triomphateur. Quatre ans plus tard le roi Henri III le nomma maréchal de France.
Bibliographie : 1) Annuaire du Département de la Manche : Récit des guerres entre les catholiques et les protestants.
2) H. Dubief et J. Poujoul : La France Protestante, Histoire et lieux de mémoire
3) Musée Nationaux : Les Rois de France
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