Master 1 – semestre 1
aline.tenenbaum@free.fr
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ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN
Introduction Le cours se propose d’étudier les règles applicables aux litiges transfrontières de nature civile et commerciale élaborées dans le cadre européen, ce qui exclut les règles relatives à l’espace judiciaire européen dans sa dimension pénale. Deux questions se posent donc : qu’est-ce qu’un litige transfrontière ? a quel titre le droit communautaire s’applique-t-il ?
Qu’est-ce qu’un litige transfrontière ?
Des exemples vers la problématique de la définition de l’élément d’extranéité
biblio : Revue lamy droit des affaires 2002 n° 46 SUPPLEMENT « l’internationalité, bilan et perspectives »
De multiples exemples qui sollicitent ce type de règles existent du fait des relations transcommunautaires croissantes, impliquant parfois des déplacements d’un Etat à un autre des personnes privées d’ailleurs encouragées par le droit européen lui-même (en particulier au travers des libertés de circulation).
Ex1/ Un salarié domicilié en France travaille pour une société établie en France ; après plusieurs années, elle décide de détacher ce salarié pour une durée de 2 ans dans la filiale espagnole. Un litige survient pendant le détachement en Espagne et le salarié est licencié. Il souhaite contester ce licenciement : quel tribunal saisir : celui de son domicile en France ? Celui de son lieu de travail en Espagne? Celui du siège de l’employeur ? Ex2/ Deux époux, l’un de nationalité américaine, l’autre de nationalité britannique se marient à Londres où le coupe s’établit. Le mari possède des biens en Angleterre. Il réside, du fait de son travail, plusieurs années en France; il saisit les tribunaux français d’une demande en divorce et l’épouse de son côté saisit de la même demande les tribunaux anglais et obtient devant ces derniers une mesure provisoire d’allocation de pension alimentaire ; l’épouse demande alors l’exécution en France de cette mesure provisoire ; les tribunaux anglais étaient-ils compétents, les tribunaux français peuvent ils refuser cette demande ? Ex3/ (tiré de CJUE 13 juin 2013 Goldbet Sportwetten Gmbh C-144/12) une société établie en Autriche conclut un contrat avec une personne résidant en Italie : cette dernière s’engage à diffuser l’activité de paris sportifs ne Italie EN COLECTANT LES MISES EN Italie et en transférant les sommes collectées, sous déduction des gains, à la société autrichienne ; Cette dernière estime que les obligations du prestataire n’ont pas été exécutées conformément au contrat : quel est le tribunal compétent pour connaître de ce litige ?
Notion d’internationalité a priori simple : à l’internationalité caractérisée par des éléments d’extranéité s’opposent les situations internes : il y a un éparpillement entre plusieurs Etats des éléments de la situation (lieu du fait dommageable, lieu de conclusion ou d’exécution d‘un contrat, résidence des parties concernées) ; les situations internes ainsi caractérisées en creux relèveraient de normes internes tandis que les situations internationales relèvent de normes internationales.
Notion plus complexe quand on l’approfondit. En effet, on peut avoir plusieurs acceptions du caractère transfrontière ou international d’un litige : le litige est international car il met en présence des plaideurs établis dans des Etats différents (v. les exemples ci dessus) ; le litige pourrait également être international s’il oppose deux parties établies dans le même Etat mais à propos d’une situation qui est elle internationale (litige alors international de manière sous jacente) ex/ tiré de la JP SORELEC Civ 1ère 17 décembre 1985 RC 1986.537 : litige entre deux sociétés établies en France à propos d’un contrat de sous traitance relatif à un contrat principal conclu entre l’une des sociétés françaises et un organisme de travaux publics libyen pour la réalisation de travaux en Lybie. La question posée était relative à la validité et l’applicabilité de la clause attributive de juridiction aux tribunaux libyens contenue dans le contrat principal à laquelle renvoyait le contrat de sous traitance. La Cour de cassation considère que ce litige est international pour admettre le principe de la licéité de telles clauses dès lors qu’elles ne dérogent pas à une compétence exclusive des juridictions françaises. V. aussi la définition de l’arbitrage international art 1504 NCPC : « est international l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international ». On a pu ainsi distinguer l’internationalité juridique de l’internationalité économique (flux et reflux par delà les frontières) : un prêt conclu entre deux personnes résidant dans le même Etat mais destiné à financer une opération internationale ne serait pas juridiquement internationale mais le serait économiquement.
Cl/ une notion polymorphe La plupart des auteurs s’accordent pour dire qu’il existe plusieurs notions et fonctions de l’internationalité et donc plusieurs critères. Il faut sans doute d’une part distinguer les situations internationales/internes et les normes internationales / provenant des Etats de même qu’il faut distinguer des notions d’internationalité selon les domaines concernés (droit pénal/affaires/biens immatériels dans lesquels les situations internationale devraient relever de normes elles mêmes internationales ex : Unidroit ou CVIM et droit de la famille ou biens matériels notamment immos qui relèvent davantage de normes nationales même dans des situations où il existe des éléments d’extranéité) ; une notion encore plus complexe dans le cadre communautaire. Dans le cadre communautaire en effet, les normes émanent du législateur communautaire, donc transcendent les Etats grâce aux mécanismes de l’UE, mais ces normes ont pour but de permettre la construction d’un espace communautaire unifié sans frontières économiques (donc la finalité est un peu différente car il ne s’agit pas de savoir si une situation est transfrontière et de coordonner des ordres juridiques différents ou non pais plutôt de savoir si elle dresse des obstacles à ce marché unifié). Du fait de cette spécificité, le vocabulaire est différent : il s’agit davantage de distinguer les situations intra communautaires des situations extérieures. Les situations intracommunautaires ne sont en outre pas toujours des situations dans lesquelles existe un élément d’extranéité : une situation intracommunautaire peut être interne et se voir pourtant appliquer des règles communautaires. Ex : art 3.3 et 3.4 Règlement Rome I du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles : si le contrat est interne (éléments de la situation localisés dans un autre pays que la loi choisie au moment du choix ou dans un autre Etat membre, ie hypothèse d’un contrat totalement interne si ce n’est le choix de la loi), préservation des règles impératives d’origine étatique de l’Etat où sont localisés les autres éléments ou d’origine communautaire dans le second cas.
Les solutions spécifiques de droit international privé (rappel de la distinction entre les règles de, conflits de lois, les règles de conflits de juridictions et les règles matérielles)
rappel des distinctions fondamentales : juge compétent ou exécution = règles de conflit de juridictions en principe unilatérale – règle de conflit de lois = chaque juge applique ses règles de confit de lois (lex fori pour la procédure) – stratégie conséquente dans le choix du juge puisque le choix implique le choix d’un système de DIP- origine étatique des règles de conflit de lois - structure savignienne de la règle de conflit – règle en principe neutre abstraite et bilatérale – règles matérielles propres aux contrats internationaux ex/ validité de la clause compromissoire souscrite par un Etat dans un contrat passé pour les besoins et dans les conditions conformes aux usages du commerce international mettant en jeu les intérêts du commerce international (alors qu’une telle clause est interdite en droit interne art 2060 CC qui reprend des dispositions autrefois contenues dans le CPC et dont le principe est considéré par le Conseil d’Etat comme un principe général du droit public français) JP GALAKIS Civ 2 mai 1966.
Sur quels fondements le droit européen est-il compétent pour régir la coopération judiciaire civile ?
la communautarisation progressive de l’espace judiciaire européen
L’art 220 du Traité de Rome prévoyait que les Etats membres devaient engager des négociations pour assurer à leurs ressortissants la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l’exécution réciproques des décisions judiciaires. C’est le mécanisme de la coopération intergouvernementale qui présidait alors. La convention de Bruxelles a été signée le 27 sept 1968 entre les 6 Etats membres originaires avec une ambition plus grande : convention double. Accompagné d’un protocole du 3 juin 1971 confiant l’interprétation de la Convention à la CJCE via un mécanisme proche du recours en interprétation préjudicielle (obligatoire pour les juridictions suprêmes si elles estiment que l’interprétation est nécessaire pour rendre leur décision – facultative pour les juridictions statuant en appel ie impossible pour une juridiction de première instance – l’interprétation de la CJCE s’impose aux juridictions nationales). Chaque nouvel Etat membre a adhéré à la Convention et au protocole, avec des modifications qui ont pour certaines reflété la JP de la CJCE. Et parallèlement a été négociée la Convention de Lugano du 16 sept 1988 qui est quasi calquée sur la Convention de Bruxelles pour les pays de l’AELE (association européenne de libre échange créée en 1960 entre Autr, Danemark, RU, Norvège, Portugal, Suède et Suisse puis Finlande, Islande et Liechstestein – certains Etats ont rejoint l’Union eur) et qui a été révisée en 2007.
La communautarisation a pris un essor nouveau avec les réformes successives d’une part liées à l’élargissement des compétences du législateur communautaire (la communautarisation) et d’autre part aux réformes des institutions et processus de décisions. Trois étapes fondamentales :
Ainsi, le Traité de Maastricht de 1992 a été fondamental en créant une nouvelle structure institutionnelle composée de trois piliers : le premier correspond aux trois communautés (CE, CECA et EURATOM) – le deuxième et le troisième à deux actions nouvelles permettant aux Etats membres de créer une Union européenne en plus de la Communauté européenne : politique étrangère et sécurité commune d’une part et coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Le Traité d’Amsterdam de 1997 a transféré une partie de ces nouvelles actions dans le premier pilier sous couvert de la libre circulation des personnes : ce texte a assigné comme nouvel objectif à l’Union et à la Communauté de maintenir et développer un espace de liberté, sécurité et justice au sein duquel est assurée la liberté de circulation des personnes en liaison avec les mesures appropriées en matière de contrôle de l’immigration et de la criminalité. De la coopération intergouvernementale on passe donc à la compétence des autorités communautaires. L’article 65 du traité CE qui en est résulté a consacré cette communautarisation mais qui restait limitée : la Commission doit partager son droit d’initiative avec les Etats membres et le Parlement est simplement consulté. Malgré ce frein, mouvement de transformation des conventions en règlement et propositions nombreuses pour adopter des règlements dans ce domaine, donc instruments obligatoires et directement applicables dans les ordres juridiques des Etats membres. `-
Programmes d’orientation de la coopération civile et pénale arrêtés par le Conseil européen (le 1er dit Tampere en 99, le deuxième dit La Haye en 2004 et le troisième actuel de Stockholm en 2010). Dans le premier programme (Tampere 1999) : reconnaissance mutuelle des décisions devient l’élément central de la coopération judiciaire civile et pénale. Le Traité de Nice de 2003 et le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009 ont renforcé la communautarisation : ils suppriment les piliers mis en place par le traité de MAASTRICHT au profit de la création de l’Union européenne (dans le Traité de Lisbonne) - l’espace judiciaire entre dans le domaine des compétences partagées : les Etats exercent leurs compétence en matière d’espace judiciaire dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne (art 4 j) du Traité sur le fonctionnement de l’UE) - aux termes de l’art 81 TCE (ex-article 65 TCE)
« 1. L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l'adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des mesures visant à assurer:
a) la reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions judiciaires et extrajudiciaires, et leur exécution;
b) la signification et la notification transfrontières des actes judiciaires et extrajudiciaires;
c) la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence;
d) la coopération en matière d'obtention des preuves;
e) un accès effectif à la justice;
f) l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres;
g) le développement de méthodes alternatives de résolution des litiges;
h) un soutien à la formation des magistrats et des personnels de justice.
3. Par dérogation au paragraphe 2, les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière sont établies par le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale. Celui-ci statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen.
Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision déterminant les aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière susceptibles de faire l'objet d'actes adoptés selon la procédure législative ordinaire. Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen.
La proposition visée au deuxième alinéa est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision n'est pas adoptée. En l'absence d'opposition, le Conseil peut adopter ladite décision. »
La coopération judiciaire civile relève donc désormais de la majorité qualifiée au sein du Conseil (et non plus de l’unanimité) sauf en matière de droit de la famille (procédure renforcée car les valeurs peuvent être différentes d’un Etat à un autre), en codécision avec le Parlement (procédure de codécision nommée aujourd’hui procédure ordinaire). Le champ d’application matériel est donc très large : ils concernent certes des mesures transfrontières (si les mesures ne concernent que l’ordre juridique d’un Etat membre, pas d’intervention) mais la liste des mesures énumérées n’est pas limitative. La plupart des mesures se sont traduites par des règlements (v. ci-dessous). Ce volet de mesures dites internes s’accompagne d’un volet externe qui permet au législateur européen de conclure des actes avec des pays tiers dans le domaine de la coopération judiciaire civile ex/ décision de 2006 de devenir membre de la Conférence de La Haye ce qui va permettre à l’Union européenne elle-même de devenir partie contractante des conventions conclues (situation complexe auparavant qui avait obligé le conseil à donner mandat aux Etats membres de ratifier des conventions dans l’intérêt de la Communauté européenne puis à partir de 2002 clause spécifique insérée dans les conventions de La Haye qui avait autorisé des organisations régionales d’intégration économique comme l’Union européenne à signer les conventions). Sur un tableau de ces évolutions, v. « La coopération judiciaire en matière civile et commerciale dans l’Union européenne : bilan et perspectives » F. Paulino Pereira RC 2010.1 |