B. Diffuser une approche intégrée de l’égalité dans toutes les sphères de la société Le gendermainstreaming est un « processus technique et politique qui exige des changements de la part de tous les protagonistes, tant au niveau de la culture des organisations et des modes de pensée que du point de vue des objectifs, des structures et de l’allocation de ressources».19 Porter cette démarche, comme le fait aujourd’hui le Ministère des droits des femmes, demande d’avoir des appuis solides, des relais institutionnels puissants. Le Haut Conseil à l’égalité, en étant à la fois un lieu de rencontre des différents acteurs de l’égalité et un lieu de veille et de diffusion de l’information, est ce partenaire indispensable, à même d’irriguer la société, à l’instar de l’Institut de la femme en Espagne. + CONCERTATION + PRODUCTION DE RECOMMANDATIONS Créé en 1983, l’Institut de la femme est né de la convergence de politiques d’égalité, d’abord élaborées dans les régions, qui ont été, ensuite, reprises à l’échelon national. L’Institut de la femme est actif dans de nombreux champs : éducation, santé, monde du travail, communication et publicité, culture, sport, discrimination multiple, mise en réseau, « programme de mainstreaming de genre ».
Certaines régions espagnoles ont adopté, plus tôt que d’autres, une approche intégrée de l’égalité, et sont devenues une source d’inspiration pour les régions voisines. Et c’est à mettre à l’actif de la gauche espagnole que d’avoir repris ces innovations régionales pour créer cet Institut de la femme, à vocation nationale.
Comme l’indique Maxime Forest, « quand vous avez une institution dédiée, comme l’Institut de la femme qui existe depuis 1983, sans discontinuer, qui a voix au chapitre médiatiquement, qui diffuse cette manière d’envisager le problème et des éléments de langage, cela finit par irriguer l’ensemble de la société. »20 Et de poursuivre : « En Espagne, cela s’est traduit par l’usage du terme « genre » qui n’a pas connu les mêmes résistances qu’en France, mais qui n’était pas répandu, auparavant, non plus. Il est devenu d’usage transversal. Quand on dit « violences de genre » en Espagne, cela signifie « violences liées à une inégalité structurelle entre les hommes et les femmes, qui commence avec l’éducation etc. ».21 En Espagne, depuis les années 2000, cette approche est partagée par tous les Gouvernements, de gauche comme de droite, et n’a jamais été remise en cause, parce que l’Institut qui a porté cette vision s’est imposé dans le paysage institutionnel.
C’est ce qui lui permet, aujourd’hui, d’avoir toujours voix au chapitre, en dépit des coupes budgétaires drastiques dont il fait l’objet. C. Enrichir la démarche du Ministère des droits des femmes sur les études d’impact genrées Sandrine Dauphin le résume en quelques mots, « le défi de la période est de mesurer et évaluer les actions en faveur des femmes et plus globalement pour l’égalité des sexes ».22 L’heure n’est plus à la construction d’un arsenal législatif, mais à l’évaluation des effets des politiques publiques sur les femmes. L’évaluation peut intervenir à différents moments dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique publique :
-En amont, pour étudier ses impacts éventuels et sa faisabilité.
-Au cours du débat, pour évaluer les ajustements nécessaires.
-Et enfin, en aval, pour estimer l’efficience de la politique entrée en vigueur. L’Observatoire de la parité, a, depuis sa création, réalisé des évaluations à chacun de ces cycles. Comme l’explique son actuelle Secrétaire générale, « les membres ont largement contribué aux réformes constitutionnelles instituant le principe de parité. Ils ont analysé les projets de lois en cours et présenté des recommandations, dès qu’ils le jugeaient nécessaire, pour améliorer le texte en vue d’une meilleure prise en compte ou de besoins spécifiques ou des droits des femmes. L’expertise de l’Observatoire s’est beaucoup fait connaître ces dernières années pour ses évaluations, ex-post, de la mise en œuvre des lois dites sur la parité, après chaque élection. » 23 Aujourd’hui, comme l’indique la lettre de mission24, le Haut Conseil à l’égalité doit étendre cette fonction « d’assurance-qualité » à l’ensemble des champs d’intervention qui lui sont dévolus. Il doit accompagner le Ministère des droits des femmes dans sa démarche d’études d’impact genrées, en apportant avis et recommandations comme le précise la circulaire du 23 août 2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d'égalité entre les femmes et les hommes : « la grille d’analyse sera enrichie et précisée (…) grâce à des travaux méthodologiques complémentaires, menés à l'initiative du Ministère des droits des femmes, associant les experts et les organismes de recherche compétents en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. » 25
Cette démarche innovante est en complète rupture avec la vision du précédent Gouvernement qui -bien qu’il fût à l’origine d’une réforme constitutionnelle obligeant le gouvernement à assortir tout projet de loi d’une étude d’impact-26 n’avait pas jugé nécessaire, par exemple, de s’assurer que les dispositions du projet de loi portant réforme des retraites n’accroissaient pas les inégalités entre hommes et femmes (en particulier, les articles 5 et 6 portant sur le relèvement des âges de liquidation de la retraite -âge de départ et âge sans décote).
C’est au Haut Conseil qu’incombe cette mission de vigilance. Il s’agit de pointer les éventuelles carences, tant sur les conclusions des études d’impact, que sur leur méthodologie et de travailler, en lien avec le Ministère, à leur amélioration en lien.
Il doit, notamment, être attentif à la question des moyens et des ressources nécessaires aux politiques envisagées, ce que l’on appelle le « gender budgeting »27.
Dans ce cadre, il peut notamment se charger d’analyser le « Document de politique transversale sur la politique d’égalité entres les femmes et les hommes » annexé chaque année, depuis 2009, au Projet de loi de finances. Ayant pour objectif de « rendre compte de la mobilisation des politiques sectorielles dont l’Etat a la charge »28, ce document présente la politique transversale interministérielle, la liste des programmes qui y participent, la stratégie globale d’amélioration de ses performances et les principales dépenses fiscales concourant à la mise en œuvre de cette politique.
Ainsi, pour le PLF 2013, ce sont près de 192 millions d’euros qui seront mobilisés en faveur de la politique d’égalité entre les femmes et les hommes.29
Voilà une application concrète de la démarche d’évaluation des politiques de gendermainstreaming qu’aura à mener le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Parce qu’il sera une institution indépendante, quelque soient les orientations politiques, le Haut Conseil devra également s’assurer, que, dans le cadrage général de l’action de l’Etat, les plans mis en œuvre et les objectifs fixés sur le long terme, relèvent bien de la même approche intégrée de l’égalité femmes-hommes.
Il devra être une vigie, un instrument de contrôle des résultats de l’action publique et garantir une continuité. J’expliciterai un peu en repartant de l’audition de M. Forest et en donnant un exemple. élaborer un paradigme transversal de l'action publique en faveur de l'égalité f/h, ancré dans une argumentation scientifique solide, susceptible de structurer dans la durée l'action des pouvoirs publics, et permettant d'étalonner tout changement de cap ou d'approche dans les différentes problématiques relevant de l'égalité. Approche cognitive des politiques publiques : pol publiques ne servent pas seulement à résoudre des problèmes mais construisent aussi des 'cadres d'interprétation du monde' qui peuvent déconstruire ou au contraire renforcer l'ordre sexué. Ex: le scrutin binominal proposé pour les cantonales. Certes cela entraînerait une stricte parité, mais cela risquerait dans le même temps de renforcer l'ordre sexué en confortant l'idée de complémentarité f/h avec ces couples de candidat-e-s, et de laisser la place à l'expression de rapports dissymétriques à l'intérieur de ces couples, la femme pouvant être vue comme la suppléante de l'homme (le candidat homme mis en avant au détriment de la candidate femme : sur affiche, dans la prise de parole, etc..).
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