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« FIGURES DU PARQUET » Sous la direction de Christine Lazerges, professeur de droit pénal et politique criminelle à l’Université de Paris I, et directrice de l’Ecole doctorale de droit comparé. Cet ouvrage propose une réflexion sur la Justice à travers le du ministère public en Europe et hors de l’Europe par l’exploration de dix pays (Allemagne, Angleterre, France, Grèce, Italie, Roumanie, Russie, Turquie, Brésil et Iran). L’explosion du contentieux pénal dans tous les Etats de droit ainsi que les luttes engagées contre le terrorisme et la grande criminalité suffisent à expliquer l’intérêt renouvelé pour le ministère public, représentant de l’Etat lors du procès pénal. Les différents modèles étudiés n’empêchent pas de relever des caractéristiques communes, telles que la permanence du parquet et la ténacité du lien entre statut et fonction au sein du ministère public. PREMIERE PARTIE : FIGURES DU PARQUET AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE LE MINISTERE PUBLIC ALLEMAND, UNE INSTITUION AMBIVALENTE Le ministère public allemand, implanté en 1811, s’est inspiré de l’exemple français afin de conjuguer l’idée libérale du contrôle de pouvoir et l’idée conservatrice d’une supervision étatique de la justice pénale. L’ambivalence qui perdure réside dans la manière de désigner le ministère public, celui-ci étant parfois considéré comme « Cavalerie de la Justice ». Chargé de l’accusation, le procureur représente les intérêts de l’Etat et ne bénéficie pas de l’impartialité ni de l’indépendance ou de l’inamovibilité contrairement aux juges. Son organisation et son statut montrent qu’il dépend de l’exécutif : il sert donc LE politique. C’est également un corps fortement hiérarchisé à l’intérieur duquel se dessinent deux pyramides; l’une propre à l’Etat fédéral et l’autre propre aux Etats fédérés. Ainsi, le ministère public et le ministre de la Justice de l’Etat fédéral ne peuvent donner aucun ordre aux ministères publics des Etats fédérés. C’est un organe qui sert aussi LA politique puisque c’est le principe de la légalité des poursuites qui est appliqué afin que toute infraction soit réprimée du fait de l’atteinte qu’elle porte à l’ordre social, nonobstant la considération de la personne ou la gravité des faits. Toutefois, le législateur a atténué la rigueur du principe qui entraînait une explosion du contentieux pénal en autorisant des classements en opportunité pour les petites et moyennes infractions. Le procureur allemand a semble t-il hérité de fonctions relevant en principe d’un juge d’instruction ou d‘un juge des libertés, devenant alors « juge avant le juge ». En effet, c’est la police qui a exclusivement connaissance des faits délictueux grâce aux dépôts de plaintes. Elle est donc « souveraine de la mise en l’état », laissant au ministère public le contrôle de la régularité de l’enquête, fonction en principe propre au juge. De même, le procureur est compétent en cas d’urgence, laissant au juge d’instruction un simple contrôle de régularité. Le procureur procède également en opportunité en matière d’ordonnance pénale qui constitue une réponse plus rapide et permet de condamner un individu en économisant le déroulement d’une audience de jugement. Enfin, le procureur peut proposer un classement de l’affaire sous conditions, qui ne constitue pas une sanction pénale au sens du Code de procédure pénale allemand puisqu’il est effectué avec l’accord de l’intéressé. D’où certaines critiques qui voient en ces sanctions pénales un recul des exigences du procès équitable et d’autres qui doutent de l’indépendance et de l’impartialité du parquet dès lors qu’il représente et sert l’intérêt public. ANGLETERRE : UN AUTRE PARQUET ? Le cadre procédural était traditionnellement accusatoire c’est-à-dire qu’il était mis en mouvement par une accusation privée après laquelle la police recherchait les preuves permettant de dresser l’accusation. A l’audience, un avocat salarié de la police soutenait l’accusation devant la juridiction répressive. En 1985 était créé le Crown Prosecution Service (CPS), service public de poursuite travaillant conjointement avec la police. Ainsi a émergé un parquet à deux visages comme intermédiaire entre le pouvoir exécutif (police) et l’autorité judiciaire (juge de jugement). Toutefois, le CPS n’est pas sans faiblesses puisque c’est la police qui déclenche les poursuites en opportunité selon une organisation décentralisée : chaque force est dirigée par un chef de police responsable de l’action policière devant une autorité de police composée de représentants locaux et de membres des magistrates’ Courts. Le CPS apprécie ultérieurement la suite à donner à l’affaire. La police est donc prépondérante tant sur les plans fonctionnel qu’institutionnel au moins dans la procédure d’avant-procès. En outre, le statut du CPS ne garantit pas son indépendance et ses décisions subissent un contrôle juridictionnel. Si le CPS reste dépendant de l’exécutif (par sa relation avec l’Attorney General, conseiller juridique du gouvernement), cette dépendance est contrebalancée par la jurisprudence de la Court of Appeal et par l’autonomie fonctionnelle dont bénéficient ses membres. L’extension des prérogatives du CPS et l’équilibre de ses rapports avec la police ont donc donné naissance à une nouvelle forme de parquet, composé de deux organes distincts. Toutefois, environ 25% des poursuites sont menées par des autorités publiques spécialisées et indépendantes qui disposent à la fois du pouvoir de poursuivre et de la faculté d’enquêter, d’où l’originalité du parquet anglais. QUELS VISAGES POUR LE PARQUET EN FRANCE? Le ministère public est historiquement identifié au système inquisitoire avec un déclenchement des poursuites au nom d’un intérêt supérieur. Depuis la Constitution du 4 octobre 1958, le parquet est à mi-chemin entre l’autorité judiciaire et le pouvoir exécutif. Une réforme constitutionnelle du 27 juillet 1993 modifiait la composition du Conseil supérieur de la magistrature afin de rendre le parquet moins dépendant de l’exécutif, et une loi du 24 août 1993 limitait la possibilité pour le garde des Sceaux de donner des instructions de poursuite dans des dossiers individuels. Le parquet a vu ses pouvoirs et ses domaines d’intervention s’étendre, à la fois dans l’exercice des poursuites en application du principe d’opportunité des poursuites, mais encore dans le rapprochement avec la fonction de juger dans les procédures dites de « troisième voie » (dans la procédure de composition pénale, le parquet peut proposer de véritables peines y compris un emprisonnement ferme), et enfin dans ses pouvoirs d’enquête renforcés notamment dans la lutte contre certaines criminalités (criminalité organisée, terrorisme et trafic de stupéfiants). Ayant bénéficié de l’éclatement des procédures pénales, le parquet tend à devenir l’acteur principal de la phase préliminaire du procès pénal, ses pouvoirs excédant largement l’exercice de l’action publique. Cette prise de pouvoirs nécessite donc des garanties en termes de contrôle et de statut. Les magistrats du parquet ont un statut hybride du fait qu’ils appartiennent à l’autorité judiciaire et sont indépendants et donc garants des libertés individuelles. Toutefois, l’action publique fait du ministère public le représentant de l’Etat, Etat qui gère la carrière des magistrats du parquet (nomination, révocabilité, régime disciplinaire). La loi du 9 mars 2004 a d’ailleurs renforcé l’organisation pyramidale ou « verticale » du ministère public. Les partenariats (préfets, maires, police judiciaire) sont pour leur part sources d’influences « horizontales » pour le ministère public qui est devenu un acteur des politiques locales de prévention et de sécurité. La faiblesse des contrôles juridictionnels est un facteur d’autonomie pour le ministère public. En effet, trop peu de moyens sont alloués aux juges du siège pour contrôler la légalité des procédures et aux juges des libertés et de la détention pour autoriser lui-même les mesures les plus attentatoires aux libertés. De même en matière de composition pénale et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, les contrôles ont une portée limitée puisque le juge du siège ne fait qu’homologuer l’accord intervenu entre le délinquant et le parquet. L’auteur insiste sur le fait que le parquet se rapproche de l’exécutif, faisant subir à l’autorité judiciaire de profondes mutations. Le parquet, dominant la procédure pénale, en ressort défiguré et rompt ainsi les équilibres sur lesquels reposent la cohérence et la légitimité du système judiciaire. Reste à retrouver une unicité et une articulation efficaces entre statut et fonction… ASPECTS MODERNES DU MINISTERE PUBIC HELLENIQUE : INDEPENDANCE ET RESPONSABILITE POUR DES PROCUREURS OMNIPOTENTS La Constitution hellénique impose depuis 1911 l’inamovibilité des procureurs et institue le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), autorité responsable de toute question relative au statut des magistrats et des procureurs. Cependant, le XX ème siècle a constaté une réalité bien différente avec un exécutif hostile à une indépendance accrue du parquet .Il a fallu attendre 1975 pour que la tendance s’inverse, bien que le principe constitutionnel d’indépendance personnelle et fonctionnelle soit à relativiser. En effet, si l’inamovibilité est garantie et que les problèmes d’avancement et de déplacement sont gérés par le CSM, l’ingérence et les pressions de l’exécutif sont toujours présentes, notamment en matière de responsabilité disciplinaire. L’indépendance fonctionnelle résiderait dans une liberté absolue face aux ordres et aux instructions surtout d’influence politique. Mais en l’espèce, la dépendance est externe en ce qu’elle provient du ministre de la Justice, et est interne en ce qu’elle provient d’une structure pyramidale avec une interférence possible dans le déclenchement des poursuites. Le parquet est cependant omniprésent car il domine le procès pénal. Responsable de l’exercice de l’action publique, il supervise également l’enquête de police et dirige l’instruction préliminaire en même temps qu’il joue un rôle déterminant dans la procédure devant la chambre de l’instruction. Le parquet applique le principe de légalité des poursuites bien qu’il soit relatif du fait d’une application progressive du principe d’opportunité pour favoriser la célérité de la procédure pénale, octroyant plus de pouvoirs au parquet. Malgré la place prépondérante que tient le ministère public lors du procès pénal, il reste néanmoins la cible privilégiée de l’exécutif, d’où le sentiment de sa perte d’intégrité. AU NOM DE L’INDEPENDANCE : LE MINISTERE PUBLIC EN ITALIE La Constitution de 1948 consacre l’autonomie de la magistrature par rapport à l’exécutif mais aussi une autonomie interne des membres du parquet, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de lien de subordination entre les différents parquets et le rapport hiérarchique est limité à l’intérieur de chaque parquet. L’indépendance du ministère public paraît donc totale car elle est à la fois interne et externe. Dans un souci de respecter l’obligation du délai raisonnable, le législateur a été incité, dans un souci de désengorgement des tribunaux, à confier de nouveaux pouvoirs au parquet durant la phase préliminaire (procédures alternatives). En Italie, c’est le principe de légalité des poursuites qui s’applique mais l’impossibilité pratique de traiter toutes les affaires a rendu le principe d’opportunité appliqué et inhérent à l’activité du ministère public. Il ne se contente pas d’exercer l’action publique ; il se voit également attribuer de plus en plus de compétences propres au juge du siège, allant jusqu’à « juger » :il décide de la manière de poursuivre l’infraction, de son classement ou de la détermination de la peine. L’extension de pouvoirs devient le corollaire de l’indépendance de chaque ministère public. Toutefois, la volonté affirmée de mettre en place une coordination globale suppose la mise en place d’un minimum de contrôle hiérarchique. Cependant, ce contrôle paraît insuffisant dans la mesure où il se déroule dans un corps unique qui s’apparente en réalité à un contrôle interne. La mise en place d’un véritable contrôle de ses pouvoirs paraît donc nécessaire. QUEL MODELE POUR UN MINISTERE EUROPEEN ? La question est de savoir quel serait le contenu concret d’un ministère public européen pour qu’il soit compatible avec les systèmes des différents Etats membres. L’indépendance d’un parquet serait ambiguë non seulement par rapport aux autorités européennes mais aussi par rapport aux autorités étatiques. Il y aura de fait une relation avec le pouvoir politique notamment au niveau de la nomination qui sera nécessairement politique (législative ou exécutive). Une des préoccupations actuelles réside dans le fait qu’il n’y aura aucune définition préalable au niveau européen ni de transparence en matière de politique criminelle : le champ d’action du pouvoir politique sera d’autant plus grand. En outre, aucune responsabilité politique n’est envisagée mais l’indépendance du ministère public risquera fort de dépendre des personnalités en place. La solution serait donc soit de consolider l’indépendance en supprimant les nominations, soit d’expliciter la dépendance par un système transparent en établissant préalablement une politique criminelle. Bien que le parquet connaisse une certaine uniformité (indivisibilité, hiérarchie), la décentralisation est totale et il n’y a pas de véritable corps judiciaire dans l’Union européenne. Il incombera au parquet de s’adresser aux autorités judiciaires étatiques à la fois pour le contrôle juridictionnel de ses actes et pour le jugement au fond des affaires relevant de sa compétence. Toutefois, cette décentralisation risque de déséquilibrer ses forces et de rendre plus difficile le contre balancement des influences politiques. Pourtant, cette ambiguïté est endémique et due à l’originalité même de la construction européenne. Le problème de l’indépendance du ministère public reste relatif à condition que son action soit circonscrite. Le ministère public bénéficiera d’une compétence d’attribution limitée aux intérêts financiers de l’UE mais rien n’empêchera que les attributions du ministère public s’étendent ultérieurement. L’application du principe de légalité, même si elle est souhaitable, sera tempérée par diverses exceptions. Cette construction du ministère public européen, entre indépendance imparfaite et action limitée, semble être le seul moyen de concilier des procédures pénales bien différentes. SECONDE PARTIE : FIGURES DU PARQUET HORS DE L’UNION EUROPEENNE LE MINISTERE PUBLIC ROUMAIN : EVOLUTION ET CONTROVERSES Présent dans le système judiciaire au début du XIX ème siècle, le ministère public a connu sa période « moderne » après la chute du communisme en décembre 1989. L’institution a du faire face à d’incessantes réformes au cours des seize dernières années en vue de l’intégration à l’UE. Auparavant avait été créée en 1952 après l’éviction du parquet de l’ordre judiciaire la Procuratura communiste, institution d’inspiration soviétique représentant un « quatrième pouvoir » de l’Etat. Indépendante sur les plans organique et fonctionnel, les compétences antérieures du parquet ne représentaient plus qu’une partie du cadre complexe de ses attributions. La Procuratura resta un instrument essentiellement politique en raison de son activité en vue de « l’accomplissement de la politique socialiste du parti ». La Constitution de 1991 a marqué une rupture définitive avec un retour au nom et aux attributions traditionnelles du ministère public qui appartient désormais à l’autorité judiciaire. La réforme adoptée en 2004 a également contribué au détachement progressif de l’exécutif. Le ministre de la Justice n’a plus de « pouvoirs » mais un « rôle » vis-à-vis du parquet qui se résume à un contrôle « administratif » assorti de prérogatives de politique pénale. Le ministre de la Justice peut adresser des orientations écrites aux parquets mais tout droit de donner des instructions aux procureurs a été supprimé. Cette loi introduit également la « subordination hiérarchique » : les procureurs de chaque parquet sont subordonnés au dirigeant de ce parquet, qui est lui-même subordonné au dirigeant du parquet hiérarchiquement supérieur. Toutefois, la réforme de juillet 2005 marque un retour à l’ancienne procédure pour la nomination du procureur général auprès de la Haute Cour de cassation et de justice puisque c’est le ministre de la Justice qui propose un nom au président de la République. Le Conseil supérieur de la magistrature est pour sa part responsable du recrutement des juges et des procureurs ainsi que du développement de leur carrière et des sanctions éventuelles. Si le parquet, traditionnellement fort, a gardé intactes ses compétences en matière de poursuite pénale (déclenchement ou non de l’action publique : atténuation du principe de légalité des poursuites), les dernières réformes, en revanche, lui ont fait perdre ses pouvoirs de décision sur la liberté de la personne au profit du juge du siège (pouvoir d’arrestation par exemple). En outre, la réforme de 2003 marque un progrès en instaurant un contrôle des actes du parquet par le siège. Si le parquet est encore « rudimentaire », il faudra le doter de moyens fonctionnels à l’avenir pour qu’il puisse voir ses attributions se diversifier au-delà de l’action publique. LA PROKURATURA DE RUSSIE ENTRE STAGNATION ET EVOLUTION Comme la Procuratura roumaine, la Prokuratura russe est marquée par une dualité de ses pouvoirs, à la fois ministère public et gardienne de la légalité. Historiquement, c’est une institution de 1972, « l’œil du tsar », qui était chargée du contrôle de la légalité des actes des administrations. La perestroïka, politique de restructuration définie par Mikhaïl Gorbatchev, a eu pour effet une réforme en profondeur des institutions dont celle de la Prokuratura. C’est un organe indépendant en apparence puisque d’après la Constitution il ne relève d’aucun ministère, fonctionne en autarcie et est maître de la mise en mouvement de l’action publique jusqu’au jugement. Il est caractérisé par une organisation pyramidale hiérarchisée à la tête de laquelle se trouve le procureur général nommé sur proposition du président. Les agents sont des fonctionnaires non magistrats nommés par leurs supérieurs hiérarchiques et sont soumis à des conditions strictes de recrutement et à des incompatibilités comme l’interdiction de prendre part à toute forme de mouvement politique. Si le nouveau Code de procédure pénale a multiplié les pouvoirs propres du ministère public, un certain nombre de mesures préventives et notamment attentatoires aux libertés a cependant été confié au juge (perquisition, placement en détention provisoire). Dans des cas limitativement énumérés par le Code, la victime peut se constituer partie civile et déclencher l’action publique. Le principe de la légalité des poursuites étant de vigueur, le procureur mène l’information judiciaire par une instruction ou une enquête. L’instruction préparatoire est effectuée par des agents relevant de trois administrations différentes : la prokuratura, le Ministère de l’Intérieur et le Service fédéral de sécurité (ex-KGB). Une fois l’instruction terminée, le procureur rend une décision de non-lieu ou de renvoi. Le rôle du procureur en tant que « gardien de la légalité » aussi bien dans la phase préliminaire que de jugement est source de critiques pour la doctrine quant à l’incompatibilité de la défense des libertés individuelles avec la fonction de jugement. LE MINISTERE PUBLIC TURC ENTRE EVOLUTION ET REVOLUTION Si le parquet a été mentionné pour la première fois dans la Constitution de 1876 comme organe chargé de défendre l’intérêt de l’Empire, il n’a été complètement institué que dans le cadre du Code de procédure pénale de 1879, inspiré du Code de l’instruction criminelle français de 1808. Maintes fois modifié, il a laissé place au nouveau Code de procédure pénale entré en vigueur le 1er avril 2005. Aujourd’hui, selon la procédure accusatoire, le jugement et l’accusation sont confiés à deux autorités différentes, le juge et le ministère public. Toutefois, en pratique, le rôle du procureur est réduit lors de la phase de poursuite car il se contente de rassembler des preuves par le biais de la police, qui sont présentées ensuite au tribunal. De plus, l’enquête n’étant pas toujours terminée, certains actes sont pris lors de la phase de jugement. C’est suite au souhait de la Turquie de rentrer en Europe qu’une loi a été votée par le Parlement avant d’entrer en vigueur le 1er juin 2005 pour mettre en conformité son système pénal avec les critères européens. Afin de favoriser l’indépendance politique des procureurs, le Parlement a abrogé les dispositions du Code de procédure pénale qui prévoyaient l’intervention du gouvernement pendant la phase de poursuite. En effet, les organes internationaux et la majorité de la doctrine considéraient le parquet, au vu de l’ensemble de ses fonctions, comme un organe administratif représentant le pouvoir exécutif. Toutefois, l’indépendance politique du parquet reste fragile en raison de la présence du ministre de la Justice au sein du conseil supérieur des juges et des procureurs (influence des orientations politiques et absence d’autonomie budgétaire car les dépenses sont réglées par le ministère de la Justice). Pour combler les défaillances de l’action publique (les poursuites sont en pratique exclusivement exercées par la police générale dont la formation technique et juridique est lacunaire) a été créé un système de renvoi des réquisitoires incomplets par les juges. Le ministère public doit alors compléter les manquements ou corriger les erreurs afin de déposer un nouveau dossier auprès du tribunal. Afin d’assister les procureurs dans la phase de poursuite a été créée une police judiciaire « consciente de la primauté des droits de l’Homme » et dont les membres sont munis des moyens techniques nécessaires à la bonne conduite des enquêtes (insertions dans le Code de procédure pénale en 1992 et dans la Constitution en 2001 d’articles permettant d’écarter les preuves acquises par des méthodes contraires aux lois et de sanctionner l’auteur de mauvais traitements). ll est encore trop tôt actuellement pour analyser les applications des nouvelles dispositions du Code de procédure pénale mais il faut souhaiter qu’elles se traduisent dans les faits par la même volonté réformiste. LE PARQUET BRESILIEN ENTRE SENS ET CONTRESENS Le ministère public a véritablement commencé à se développer après la chute de la dictature militaire. La Constitution fédérale de 1988 lui confère un nouveau statut qui en fait, outre un organe de poursuite, un gardien des acquis démocratiques. Chargé de la défense de l’ordre public et des intérêts collectifs et individuels, il est conçu comme un organe fonctionnel indépendant et autonome administrativement. Il a le monopole de l’action publique, l’initiative des procédures alternatives et a également en charge le contrôle externe de la police judiciaire. Il existe un parquet fédéral (de la République) ainsi qu’un parquet par Etat. Le parquet brésilien est monté en puissance notamment par son indépendance fonctionnelle, ayant des effets internes et externes. Sur le plan interne, son indépendance est marquée par l’absence totale de lien hiérarchique entre les procureurs de la République et leurs procureurs généraux respectifs. N’étant tenus par aucune instruction, les procureurs sont en contrepartie soumis à l’obligation de motiver de façon claire, suffisante et précise leurs décisions. Cependant, des différences persistent entre les Etats, engendrant un risque de discontinuité et de manque de clarté dans l’action du parquet. A ce titre, il appartient au procureur général de la République et aux procureurs généraux des Etats de développer des stratégies internes pour répondre aux différents défis auxquels ils doivent faire face tout en maintenant la nécessaire continuité. En outre, il appartient aux procureurs de la République de trancher des conflits de compétence entre les membres du parquet et d’élaborer des recommandations sans caractère normatif. Sur le plan externe, l’indépendance du parquet vis-à-vis des trois pouvoirs paraît incontestable puisqu’ aucun n’a compétence pour donner quelque ordre ou instruction au parquet. L’autonomie administrative du parquet est cependant à nuancer car s’il élabore son propre budget et organise sa propre structure, la mise en œuvre de ce principe n’est pas sans faille. D’une part, son rapport avec le pouvoir judiciaire est clair (statut équivalent des juges et des procureurs) mais la proposition de loi que peut déposer le parquet sur une modification de sa structure n’oblige en rien les assemblées. D’autre part, le procureur général de la République est nommé sur proposition du président de la République avec validation du Sénat et les procureurs des Etats sont choisis par les présidents des Etats sur une liste d’élus par leurs pairs. La fonction première du parquet est l’exercice du monopole des poursuites. A ce titre, il décide seul de la suite à donner à l’affaire mais les décisions de classement et les actes d’accusation sont soumis au contrôle du juge avec une nouvelle possibilité de recours. Le caractère monopolistique de l’action publique n’a pas été sans généré des tensions. En effet, il est possible que le parquet ait ordonné des investigations dans des affaires où la police ne pouvait ou n’avait pas intérêt à les diligenter en raison d’un manque de moyens techniques ou en raison du caractère politique des personnes impliquées. C’est pourquoi les syndicats de police ont pu formé une « action directe d’inconstitutionnalité » afin de contester le transfert injustifié de leurs compétences. Des tensions existent également avec le pouvoir judiciaire par la mise en œuvre de procédures alternatives (la « négociation pénale » applicable pour les infractions de moindre gravité, et la « suspension conditionnelle de la procédure » réservée aux infractions punies au maximum d’un an d’emprisonnement) car elles retirent au juge la prérogative de dire la sanction. La création plus récente du « Conseil national du ministère public » qui a pour vocation l’exercice d’un contrôle externe de l’activité du ministère public semble constituer une tentative d’atteinte à l’indépendance administrative et fonctionnelle du parquet, qui n’est pas sans laisser de crainte quant à la permanence des acquis de l’institution. LE MINISTERE PUBLIC EN IRAN. LA PLUME EST SERVE, LA PAROLE AUSSI Le ministère public iranien est le reflet d’une politique criminelle tumultueuse notamment en raison des tendances d’islamisation qui n’ont pas épargné la sphère judiciaire et la procédure pénale. Son parcours suit une courbe sinusoïdale avec une période de construction et solidification (1911-1978) suivie d’une phase de déformation et d’abolition (1979-2001) avant de renaître en 2002. Le parquet, garant de l’intensité répressive, traduit une politique criminelle totalitaire qui se vérifie par sa dépendance institutionnelle et fonctionnelle vis-à-vis du chef du pouvoir judiciaire (il peut décider de l’amovibilité d’un parquetier et ses instructions doivent être suivies) mais aussi par l’automaticité du déclenchement des poursuites qui fait de la répression un but en soi (système de la légalité des poursuites synonyme d’une intensification répressive généralisée). De plus, le droit pénal islamique ne connaît pas la gravité comme critère de classification des infractions. Selon l’auteur, il est primordial que le législateur intervienne afin d’autoriser l’opportunité des poursuites. Cependant, le parquet a connu un déclin de sa capacité répressive qui paraît paradoxal avec une politique criminelle totalitaire. D’abord affaibli par une nouvelle possibilité de saisine directe du juge par la partie lésée et par son effacement au profit de la police, le ministère public a ensuite été supprimé. C’est par la loi du 6 juillet 2002 qu’il a été partiellement restauré, prévoyant un parquet unique (pas de distinction entre le parquet de première instance et celui de l’appel) qui représente la société devant toutes les juridictions de droit commun. Chaque parquet de département remplit son office non seulement devant les tribunaux de droit commun mais aussi devant le Tribunal révolutionnaire « garant de la pérennité de l’élan répressif contre les malveillants à l’égard du régime islamique ». La loi de 2002 a confié une nouvelle prérogative au ministère public qui peut désormais, même quand toutes les voies de recours sont épuisées ou que leur délai d’exercice a expiré, interjeter un « appel » contre les décisions ayant acquis force de chose jugée, dans le mois qui suit le prononcé du jugement. Un des principes resté intact est celui de l’indissociabilité des réquisitions écrites du réquisitoire prononcé à l’audience : les adjoints du procureur doivent se conformer aux avis de leur supérieur hiérarchique tant dans leurs conclusions écrites qu’à l’audience. Ainsi, il n’y a pas de liberté de parole qui est restée serve, tout comme la plume. LE BUREAU DU PROCUREUR PRES LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CPI), ENFANT D’UNE METAMORPHOSE La CPI fut créée par le Statut de Rome du 17 juillet 1998 prévoyant qu’elle « peut exercer (…) pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale ». Entré en vigueur le 1er juillet 2002, ce Statut institue au sein de cette cour un Bureau du procureur résulte de l’effort de la communauté internationale pour assurer la répression des infractions graves au droit international et de l’établissement subséquent de juridictions pénales internationales ayant vocation à en connaître. C’est ainsi qu’ont été créés le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994. Le procureur ne représente plus l’Etat dont il est issu mais la communauté internationale dans son ensemble. Au sein des TPI, seul le procureur (et son Bureau) est conçu comme un organe de la Cour. A la différence des TPI qui sont des juridictions ad hoc, la CPI est une juridiction permanente dotée d’une compétence générale prévue dans un traité international. En outre, alors que les TPI bénéficient d’un principe « de primauté » à l’égard des juridictions nationales, la CPI est « complémentaire » aux juridictions nationales. Par conséquent, la CPI n’est compétente qu’en cas d’inaction des Etats ou seulement, en cas d’action de ceux-ci, « lorsque la conduite des enquêtes ou des poursuites exercées au niveau national fait apparaître un manque de volonté ou une incapacité de l’Etat de mener à bien ce processus». Le statut de Rome a innové en conférant l’autonomie du Bureau du procureur (fonctionnement indépendant) et lui a attribué un régime spécifique par une indépendance opérationnelle totale (le procureur a autorité sur la gestion du Bureau). Pour ’inciter le procureur à la minutie dans le processus de recrutement, le statut de Rome prévoit également une procédure interne qui ne fait intervenir aucun organe extérieur. Parmi les membres du Bureau, le droit statutaire distingue d’une part le procureur et ses adjoints (élus par l’Assemblée des Etats parties et responsables devant elle) et d’autre part le reste du personnel (nommé et contrôlé par le procureur et responsable devant lui). La notion de complémentarité est à entendre largement car c’est aussi un idéal à atteindre dans la relation entre la CPI et les Etats dans la mesure où le Bureau est privé de « bras armé » : comme les TPI, il ne dispose ni de la police judiciaire ni d’armée pour assurer l’efficacité de la justice. Si le Bureau peut paraître fragilisé sans l’action complémentaire des Etats, il faut cependant souligner que la plupart du temps, c’est l’Etat qui a sollicité l’intervention de la Cour en soutien se sa propre action (Ouganda, République démocratique du Congo). Reste la question de l’Etat impliqué dans des crimes où la CPI est saisie par le Conseil de sécurité : le défi du Bureau du procureur est de faire collaborer l’Etat impliqué (Darfour, province du Soudan). Sur les pouvoirs du procureur, celui-ci peut enquêter de sa propre initiative avec autorisation préalable de la Chambre préliminaire, outre l’hypothèse de sa saisie par un Etat partie ou par le Conseil de sécurité. S’il refuse d’enquêter ou de poursuivre, il doit en informer la Chambre préliminaire et l’auteur de sa saisine. C’est la Chambre préliminaire qui contrôle le travail quotidien du Bureau du procureur et qui s’assure de la conformité de son action avec le Statut de Rome. Bénéficiant d’une indépendance administrative et fonctionnelle, le Bureau de la CPI apparaît mieux armé que ses prédécesseurs des TPI. La mise en place de contre-pouvoirs par le Statut de Rome devrait permettre au Bureau du procureur de trouver un certain équilibre dans son action. Dans les différents pays étudiés, le ministère public semble être une figure clé de la procédure pénale comme organe de déclenchement et d’exercice de l’action publique. C’est un « Janus » à deux visages, l’un conservateur (« superviseur étatique de la justice pénale »), l’autre libéral (« gardien des acquis démocratiques »). Toutefois, ces deux visages se sont éclairés différemment selon les pays et les époques mais il semblerait que plus la démocratie serait ancienne, plus le visage libéral s’afficherait. Sur le plan procédural, les différentes figures ne permettent pas de modélisation commune, les champs des fonctions procédurales ouverts aux ministères publics étant infiniment variables. Deux renforcements paraissent cependant souhaitables : celui de la figure libérale du parquet et celui de la garantie judiciaire quant à ses champ, nature et effectivité. - / - |