Pourquoi écrire aujourd’hui ?








télécharger 1.85 Mb.
titrePourquoi écrire aujourd’hui ?
page2/28
date de publication26.12.2016
taille1.85 Mb.
typeDocumentos
l.21-bal.com > littérature > Documentos
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   28

défaut
d’identité


Se regarder dans une glace et ne pas se reconnaître. Aux petits matins blêmes, résonnent surtout les maux de tête et les incertitudes…
Chacun est sommé de se définir, alors que même les continents dérivent. Voilà un récit singulier où les personnages, hors du temps, ne savent pas. Ils vivent l’indifférenciation sexuelle, le nomadisme affectif, le passage des idées. Ce sont les mutants de notre planète hybride.
Et vous, où vous cachez-vous ?

C’est bien dans les Mille et une nuits qu’adviennent tant de cochoncetés ? Au sein du monde musulman ? Et aux Etats-Unis que les Amishs persistent à raboter leurs chaises comme au XVIIe siècle ? Notre héros, ou hérosine suivant cette composition hybride des mots que nous aurions pu adopter pour respecter son indétermination –de fomme (female ?) en français ou shemale en anglais--, notre héros se perdait en conjectures. Il (ile ?) voulait comprendre à quelle culture se rattacher, dans quel coussin de soie douillet se pelotonner. Il aimait pareils récits successifs. Il s’y reconnaissait. Mais sa naissance avait dû s’opérer ailleurs, en Extrême-Orient. Il songeait. Ses mots étaient des mirages, des plans successifs imbriqués. Des errances relatives. Il avait planté son piquet en Chine. Il repoussa machinalement le papier gras du beurre avec son packaging fluorescent. Il ne voyait que la motte jaune. Ou rien.
Beaucoup aimaient le faire souffrir. Image flétrie. Il fuyait. Toujours.

Ts’a Yeu n’écoutait pas le crachotement ponctué de quelques notes cristallines et passablement étranges qui sortait ce gros instrument ventru venu des contrées lointaines et vulgaires. Ts’a Yeu dormait. Elle savait son nom. Elle savait son temps. Elle savait sa fonction. Elle savait son sexe. Elle savait.
Ts’an Kiang. Derrière le paravent, Onti, lui, s’amusait à tripoter son petit phénomène ridé encore tout frais d’une promenade dans la campagne au-delà des faubourgs, là où régnaient les brigands aux longues et fines moustaches, mais où un enfant pouvait rêver en vagabondant près des marais, en haut des collines pointues et en caressant les quelques plantes grasses et tordues qui persistaient à demeurer entre les herbes. Il avait vu l’astre mourir en baignant dans son sang. Il avait vu la nuit et ses insectes. Il avait senti la fraîcheur et le silence et était rentré, courant, jouant à se faire peur, dans la demeure.
Ts’a Yeu ne pouvait se douter de rien, elle qui, hippopotame stagnant des marigots, blottie dans sa vase et ses algues, ne se levait jamais, laissant son nez, seul, interpréter l’espace.
Il la regardait en souriant, tournait la tête, un peu songeur, un peu poseur, un peu moqueur, tandis que ses mains s’activaient toujours. Derrière, après la glace tachée, rongée, crevée en certains endroits par ses lichens intérieurs, en suivant le corps sinueux de serpent rouge du tapis, hérissé de dards et parsemé de fleurs, là où les mâchoires crachaient feu et fiel, grimpait au mur en petites cases asymétriques l’étagère des parfums. Son opiniâtreté et son omnipotence, ses effets langoureux de vigne vierge, la myriade des reflets ténus soupirés par les minuscules coques de corne de tortue incrustées de nacre qui recelaient chacune leur trésor singulier, ne pouvaient manquer de le fasciner. Il s’amusait tant à grimper sur l’échelle étroite de bambou où se calaient ses petits pieds, à saisir un pot dont on ne s’était pas occupé depuis bien longtemps, à dévisser le couvercle sur lequel s’étalaient des signes soigneusement peints en or comme des griffures resplendissantes, à le déposer doucement près de la vieille dame, tout en volant à pleines narines la traînée odoriférante, et à attendre, que le reste du temps lui semblait un temps improbable. Un râle, l’image renversée d’une ivresse, un sourire, un mot prononcé d’une voix rauque mais tendre, lui répondaient. Quand le sommeil enlaçait à nouveau la grosse tête, sa dernière jouissance passée, il reprenait son travail de fourmi méticuleuse, il refermait avec précautions le réceptacle, et effaçait les traces de son passage. Sur le mur, une énorme gueule de dauphin, sombre, lui souriait, la bouche ouverte, immobile.
Ts’a Yeu s’affalait, caressait le thorax cuirassé d’un guerrier, le métal encore visqueux de la sève des carapaces crevées qui avaient pissé leur jus en hurlant, pour cracher une dernière fois la haine. Elle se répandait amoureusement sur ce hanneton, soudainement amadoué, qui faisait le mort pour être découvert, pour laisser s’évanouir ses vraies armes, pour frémir ; et elle se réveilla. Sa fille accouchait, on entendait des cris, des gens couraient dans les salles.
Elle ne comprenait plus bien le haut et le bas, les couloirs, la chaleur, l’humidité, les intrigues. Dans l’atmosphère moite, ses yeux aiguisés fouillaient la réalité suggérée par quelques petits lampions diaphanes. Il faisait froid. Ca remuait dans les alvéoles : les cercles, les complots, le couperet de la guerre, les carnages au coin des routes, un bruit, quelqu’un qui entre, une main qui vous égorge, vite –parce que cela a été décidé ?-, la peur. Elle sombrait, elle se laissait aller, elle se fixait dans sa pose, pour rester belle, toujours belle, elle s’enfonçait dans une eau que l’on avait rendue chaude, elle se sentait bien, un lotus sur la tête, et puis d’infimes vaguelettes. Elle se raidit.
Sa fille s’était vendue à un commerçant français. Comment ce paquet débordant de viande et sa grosse bite tumescente avaient-ils pu pénétrer un petit corps blanc, à peine formé, minuscule, tellement frêle ? Elle n’osait l’imaginer. Il en était resté quelque chose, quelque chose qui criait. Seul son ami Segalenne, diaphane, savait rendre visite sans laisser de trace nauséabonde, dans ses costumes clairs. Il côtoyait, il regardait, il repartait, sa sueur s’en allait avec lui. Un brave ami : il fixait ses yeux sur vous, il vous dévorait, et vous restiez entier. La chèvre disparaissait pleine de bonds, de sauts imaginaires sur vos pics : peut-être n’y avait-il rien eu.
Ts’a Yeu se sentait vraiment fatiguée. Au coin du parc, près d’un bosquet de résineux torturés, montait la longue complainte d’une Tibétaine. De l’eau traînait dans un vase. Des sourires, des fausses portes.
Une comptine, son petit-fils se cachait. Quel numéro. Une autre s’annonçait en hurlant. Tout le monde hurlait autour de lui. Bizarre. Cet adjectif ne devait plus le quitter.
Elle n’aimait décidément pas l’air moelleux que la poussait à l’abandon. Oh oui, Ts’a Yeu était folle, et dans les mille préceptes et les dix mille règles de courtoisie, elle seule savait encore s’amuser à respecter et à transgresser. Ts’a Yeu oubliait, Ts’a Yeu était une vieille femme, Ts’a Yeu savait compter.
Elle le comprit, refusa sa mort. L’embrassa pour la première fois. Il lui dut sa survie.

Ainsi put naître Owi Cochenille. Mais comme lui-même ne s’en souvient pas, qui le saurait ? Cochenille, père adoptif, avait tout du fabriquant de casseroles bourguignon. Il lustrait avec sa manche et vendait avec sa moustache. Il l’avait recueilli et couvert sous son aile et sous son nom, puisqu’il était seul. Il se foutait du qu’en dira-t-on ? Et personne n’avait jamais osé lui demander comment cette oiselle était arrivée au nid.
Il l’avait laissé partir. Owi ne se retient pas. Owi guette toujours l’appel de la route. Owi ne revoit personne. Owi découvre, Owi s’arrache. Owi aime par attachements puissants, intenses, réels, mais successifs. Owi n’est pas instable, Owi est le mouvement.
Aujourd’hui, ébouriffé, s’ébroue ce satané loustic aux cheveux verts, aux bottes marrons, au manteau rouge, et à l’œil terriblement noir. La main sans ligne. La pensée sans soupir.
« Oblark, datark, federk ». Owi, que l’on appelait en fait de son second prénom Iwa, s’amusait à délirer. Ile avait été battu salement par des Kurdes à Khartoum. Réussi à filer. Oublié.
Ile oubliait. Toujours. Chaque instant était neuf. Amnésie vitale, biceps de l’esprit.
« Fakud, borodurur, shimremko » disait-il.
Iwa ne voulait souffler mot à quiconque de sa rencontre avec Sylvioa Keystone, cette jeune fille imberbe qui lui avait donné une caresse sur la joue alors qu’il allait ouvrir la porte de sa chambre d’hôtel à Londres en barrant la pub superposée, et qui lui avait demandé :
« Vous êtes slave ? »
Iwa lui avait rendu sa caresse et lui avait fait croire qu’il était indiarménien. Ils avaient joué au photographe, pensé que Londres était le siège d’une guerre secrète, chapardé à Leicester Square, et s’étaient quittés.
Son hôtel lui avait paru très pittoresque. Il avait tout vendu, sa valise et ce qu’il y avait dedans.
Il ne voyait d’ailleurs pas à qui il pourrait raconter l’histoire de Sylvioa Keystone. Qui n’avait aucun intérêt, sauf à savoir pourquoi ces photos. Sauf à connaître de la molécule. Sauf à décrypter leurs gangues.
Dans la chambre à côté, un couple se déchire en directenregistré pour la 273e fois derrière une vitre.
Il avait fui. L’énergie, l’angoisse, la jeunesse, les éclairs brillants ou pathétiques, tout se vivait en accéléré, broyant le sens, passant d’une bouffée violente de mâle poilu, tueur à Gitanes rauques, fébrile au printemps, à l’atonie douillette d’un feu de cheminée en plein hiver, source chaude, profonde, cachée. Zébrures d’âmes. Insatisfactions superposées. Erratisme brouillon, confus, zénithal. Iwa n’était plus dans ces prairies vertes aux arbres verts et aux maisons rouges. Iwa s’emplissait du calme vitreux de ce petit lac de montagne qu’il allait traverser grâce à un vapeur et un peu d’argent.
En fait, Iwa faisait tout bonnement la queue sur l’embarcadère.
Ce qu’il fallait regarder : le ciel bombé d’un gris lumineux sans limites, ses oreilles qui lui brûlaient les joues, la brume légère s’exhalant aux confins du lac, son écharpe écossaise. Iwa le taciturne humait le calme, en bouffées et en longues inspirations. De lui s’échappait par instants une vapeur très fine qui se propageait, hésitante, en volutes gracieuses avec mille caresses au paysage austère, avant de s’évanouir.
Il étalait avec délectation l’ennui. Il tartinait le banal. Ile agrippait le non-sens comme une bouée de survie. Pareil exercice le sauvait, seul, de la peur, de son inadaptation foncière, incarnation du malaise, peau impossible et grenue de transhumance, mutant.
Iwa aimait ce silence que le clapotis de l’eau et le cri des canards faisaient mieux comprendre.
Il s’en imprégnait tel un légume que l’on cuit jusqu’au cœur.
Un bruit feutré : de la neige qui avait dû tomber d’un sapin dans elle-même.
Il faisait vraiment très froid. Croâ, croâ, les corbeaux s’amusaient à délirer à sa place.
Et puis, comme toujours, la neige, encore, sans fin, organisait son habituel complot. Escamoteuse. Comment lui échapper ? Elle était douce, montait sur les sommets, caressait les flaques, endormait les sons, ouvrait les forêts. Elle était chaude.
Le lac ne bougeait pas –ce qu’on appelle une mer d’huile. Quelques plaques de glace restaient mouchetées par endroits de blanc. L’eau s’enfonçait en un large bleu profond.
La température humide perçait décor et acteurs comme un début d’hypnose, sous le turban de maharadjah. Le vapeur retardait son entrée en scène. Et l’on eût cru à autre chose si des feux s’étaient allumés sur des pilotis, de leurs longues colonnes, et si quelques guerriers s’étaient dispersés d’un pas lent et silencieux dans la forêt, à la recherche de racines ou d’un animal égaré.
La terre se montrait dure sous le pied comme le calme des camps d’hiver. Iwa se sentait envahi par la puissance des mythes du froid.
Il savait ce que cachait le vide de cette cuvette, résonnant par moments du cri et des sillages de ces oiseaux noirs qui osaient, un bref instant, la blesser.
Soudain, il vit sa tête brûlée, broyée par la masse titanesque de ces immenses murailles de roc des repaires de montagne, éternels, où les Burgondes dorment, où les chants grondent d’invocations meurtrières, où les sentinelles allument leurs longues pipes et regardent la vallée, le lac, les arbres, en remontant leurs couvertures, tandis qu’à l’intérieur on laisse le temps passer en songeant au sommeil des loups.
Le silence était barbare.
Mais oui, on devait sûrement pouvoir atteindre ce petit casino blanc adossé à la falaise. En marchant sur les mains des mendiants alignés.
Maintenant la fumée du vapeur approchait et les deux ou trois autres prétendants à la traversée commençaient à s’ébrouer.
Raison suffisante à Iwa pour rester invariablement immobile. Là-bas, il voyageait en traîneau, glissait sur les pentes, coupait la montagne d’un coup sec, ne bougeait pas. Ile attendait et n’attendait rien.
Ile regardait la lente évolution du navire dans cette eau calme, il respirait l’air frais et léger, il suivait doucement la fumée qui s’épanouissait en virevoltant sur elle-même. Il souriait.

Owi -ou en fait Iwa- se retrouva à bord, dans la salle à manger, claire, de ce vapeur frais. On eût dit que tout était en bois peint, crème ou beurre, avec çà et là quelques entourloupes plus foncées pour faire croire que rien n’était si simple.
De petits rideaux blancs et vaporeux, les vitres qui laissaient percer le lac bleu intense et la neige et les arbres et le soleil qui avait dû oser quelques caresses gaies mais encore acides.
Iwa Cochenille semblait ravi du fait que le navire ne fût pas trop chauffé et que les lattes de bois ne gonflassent point, distendues, boursouflées sous l’atmosphère suffocante provoquée par l’installation (pour le bonheur épanoui de vieilles dames jacassantes) d’un de ces lourds poêles russes, monumentaux, dominateurs, avec cependant certaines fantaisies colorées et légères que seuls les peuples slaves savent dispenser selon un humour très particulier qui tient souvent du délire parfaitement admis.
Enfin, il faisait frais, et Cochenille le métisse, seul en ces lieux à cette heure précoce de la journée, le savourait.
Il avait pu obtenir quelques fruits de mer (chose rare dans cette région), avec un vin blanc sec mais charmeur (pas ces acides rêches que l’on vous sert avec une rigueur de sergent-chef dès qu’il s’agit de poisson). Ensuite il avait donné libre cours à son désir de crudités, de viande rouge, sans rien chercher de capiteux et en bannissant les sauces. Puis il s’était décidé pour un gâteau lourd et crémeux qui lui paraissait un bon contrepoids, digne d’asseoir ce repas, avant de se laisser aller sur la fin, très joyeusement, à goûter un vin de Sauternes qu’il prisait fort.
Ile n’avait pas commandé de café, ne voulant pas remuer son délicat assemblage, mais s’entretenait avec un cigare.
Les choses ne se passaient pas trop mal pour notre gaillard, aux quatre doigts de la main gauche –comme Mickey.
Iwa appréciait particulièrement les salles vides, le matin, quand les clients se terraient, follement craintifs à l’idée de se lancer à l’assaut du repas, sous prétexte que le midi fatidique n’avait toujours pas sonné. Habitant la salle, il ondulait délicieusement, avec lenteur, au gré d’une eau calme et berceuse, l’oreille uniquement occupée du ronronnement de la lourde mécanique qui prenait son temps avec un rythme cardiaque plutôt soporifique.
De temps en temps, une sirène –appel lançant ses échos contre les parois des montagnes, on ne savait vraiment pourquoi.
Après un long moment d’oubli et de plénitude, son esprit ayant respiré, Iwa quitta la salle à manger.
Ile ferma la porte et descendit un long escalier étroit et sombre. Il n’y voyait pas grand-chose entre les parois faites de lattes de bois, heureusement assez rapprochées. Il oublia qu’il avait ainsi été rossé et violé dans une jonque au Tonkin, pendant les mêmes craquements de bois.
Il s’arrêta. Que valait sa peau ? Pourquoi s’intéressait-on à lui ? Toujours de façon excessive : agressé ou désiré --pareil.
L’enfance d’Iwa avait consisté à attendre de ne plus y être, sa fortune et ses diplômes à ne pas en avoir. Il avait traîné dans les pauvres bars et les pauvres terrains vagues des pauvres faubourgs. Il
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   28

similaire:

Pourquoi écrire aujourd’hui ? icon1. Structure de la présentation
...

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconChrist aujourd’hui nous appelle, Christ aujourd’hui nous envoie

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconProgramme Histoire et civilisations
«Peut-être arrivera-t-il bientôt dans la manière d’écrire l’histoire ce qui est arrivé dans la physique. Les nouvelles découvertes...

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconI. Pourquoi parler d’action publique et non de politique publique?
«Public choice» insiste sur le poids des clientèles électorales, montrant comment les périodes pré-électorales étaient des périodes...

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconLa laïcité aujourd'hui

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconHier, aujourd'hui, demain…

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconHier, aujourd'hui, demain

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconLes partis politiques aujourd’hui

Pourquoi écrire aujourd’hui ? iconÇa c’est aujourd’hui, tant pis !

Pourquoi écrire aujourd’hui ? icon1. 3 La professionnalisation des enseignants de primaire aujourd’hui 12








Tous droits réservés. Copyright © 2016
contacts
l.21-bal.com