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Chapitre 1 - SignesLe Robert définit le signe comme étant un mouvement volontaire, conventionnel, destiné à communiquer avec quelqu’un, à faire savoir quelque chose. Deux facettes découlent de cette définition : La visibilité et le sens. 1.0 La Visibilité1.1 Étendue de la visibilité Selon Veblen (1899) « Pour s’attirer et conserver l’estime des hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir, il faut encore les mettre en évidence, car c’est à l’évidence seule que va l’estime » (p. 27). Pour qu’un symbole puisse atteindre son objectif, c’est-à-dire sa signification sociale, il doit y avoir au moins deux agents : - Le possesseur du symbole qui est généralement un consommateur désirant exprimer son identité par rapport aux autres. - L’observateur du symbole. Ce qui implique qu’il y a un phénomène social qui s’instaure. La consommation de produits symboliques est une action collective (Hirschman 1983). Cette idée est basée sur le raisonnement selon lequel pour qu’un objet puisse fonctionner en tant que symbole, il doit y avoir une réalité partagée et visible parmi les consommateurs. En d’autres termes, les consommateurs et surtout ceux qui font partie du groupe de référence doivent partager entre eux une signification proche ou commune de la symbolique du produit. ![]() Holman dans un article publié en 1981 discute des signaux de communication des consommateurs et illustre son idée en prenant comme exemple les vêtements. Holman précise que pour que les vêtements puissent servir de moyen de communication, il faut que deux conditions soient remplies : - Qu’ils soient visibles. Cette idée avait déjà été évoquée par Robertson en 1971 qui a montré que les produits diffèrent dans leur degré de visibilité. Les vêtements qui ne sont pas visibles (ex : les sous-vêtements) ou les accessoires qui ne sont pas portés dans le but d’être vus (ex : extension de cheveux) ont un faible degré de visibilité. Par contre, les produits qui sont achetés dans le but d’être remarqués (ex : bijou) ont un degré de visibilité élevé. Holman poursuit son analyse en notant que les produits ou items qui ont une faible visibilité ne servent pas à lancer un signal de communication pour la simple raison que l’observateur ne peut pas les identifier. Toutefois, si nous transformons un vêtement défini à la base par la société à laquelle nous appartenons comme étant discret et non visible en un vêtement visible alors le processus de communication a lieu. Une illustration de cette idée serait le sous-vêtement féminin débordant d’un jean consciemment. - Qu’ils soient variables ou différents: si tout le monde montre le même produit, alors ce dernier perd toute signification envers un groupe social déterminé. En résumé, le comportement prend un sens s’il diffère dans une certaine mesure du comportement entre les individus d’un même groupe. La différence peut être dans la couleur, dans la texture, etc. Pour Solomon (1983), l’apparence est un facteur important qui contribue à véhiculer un sens. Cette idée avait déjà été évoquée par Stone en 1962 qui établit que chaque transaction sociale est composée de deux parties: l’apparence ou la visibilité et le discours ou le verbal. Les vêtements ainsi que tout autre produit visible établissent un lien plus fort entre le « moi » et l’appropriation de rôles sociaux que le discours. Veblen avait d’ailleurs écrit « we may escape our discursive obligations, but not our clothed appearances »1 (1899, p.169). Le sociologue Williams (1956) a discuté de l’importance de la visibilité des produits en écrivant : « Le type de rideaux que l’on trouvait aux fenêtres de la plupart des maisons du village variait en fonction du degré de visibilité de chaque fenêtre. Les rideaux les plus onéreux se trouvaient ou ils pouvaient être vus le plus clairement et étaient de loin supérieurs à ceux pendus aux fenêtres qui étaient cachées du public. De plus, il était d’usage pour ce genre de tissu qui a des motifs imprimés uniquement d’un côté, qu’il soit utilisé de façon telle que la décoration soit orientée vers l’extérieur. Cet emploi de tissus les plus en vogue et les plus coûteux de façon qu’ils soient le plus sûrement remarqués, est un moyen typique d’acquérir du prestige » (p.75). Il faut noter que la notion de visibilité peut être ajoutée à la fonction première de l’objet consommé. En d’autres termes, le produit acheté ne remplit pas uniquement la fonction d’être visible, il a aussi une fonction utilitaire. Pour Veblen, les objets ne sont jamais purement futiles ou utiles, les deux dimensions coexistent. Toutefois, si un produit n’est pas visible socialement, il ne peut pas intégrer la notion de « consommation ostentatoire », nous allons illustrer ce concept en étudiant dans ce qui suit le cas des produits de luxe. 1.2 Le cas du luxe ostentatoire Veblen en utilisant le terme « consommation ostentatoire » en 1899 se référait aux individus désirant mettre en avant des évidences visibles sur leurs capacités à se procurer des objets luxueux montrant leur richesse ou leur pouvoir. Le travail de Veblen a été motivé par les excès de son époque. Solomon (1996) note que durant cette époque, des billets de 100 dollars étaient brûlés dans les soirées pour allumer des cigares. Dans son analyse, Veblen ainsi que de nombreux chercheurs après lui assimilèrent la consommation ostentatoire aux produits dits de luxe. Or, dans ce qui suit, nous démontrerons que la consommation ostentatoire ne se limite pas aux produits de luxe et que les produits de luxe ne sont pas tous considérés comme étant ostentatoires. De plus, nous consacrerons dans ce qui suit un chapitre qui traite spécifiquement du luxe ostentatoire. Dubois et al. (2000) notent que les consommateurs de produits de luxe essayent souvent d’impressionner les autres en consommant des produits fortement visibles. Les produits ou services luxueux révèlent selon Dubois et Laurent un peu qui nous sommes. Ils nous permettent de tirer des conclusions sur leurs utilisateurs. Les consommateurs ont alors tendance à consommer ou à s’abstenir de l’achat de certains produits de luxe afin de véhiculer un certain message sur leur personne vis-à-vis des autres (Dubois et al. 2000, p.22). D’ailleurs, la définition du luxe dans le Larousse stipule que le luxe est un mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’achat de biens ou services superflus par un goût de l’ostentation ou une recherche de bien-être. Dubois et al. (2000) évoquent les limites de la visibilité d’un produit de luxe, les auteurs précisent d’après leur analyse qualitative que dans le cas où le luxe devient très commun, le produit a tendance à perdre de sa valeur symbolique. De cette vision du luxe, nous extrapolons deux facteurs : la notion de visibilité et la notion d’exclusivité. Dans le cadre de notre recherche, nous développerons uniquement le premier critère car il correspond à notre champ d’étude. Pour que le produit puisse faire partie de la consommation ostentatoire, il doit remplir la notion de visibilité sociale. Toutefois, il est très souvent probable que ce même produit remplisse d’autres fonctions. Il y a une interpénétration de fonctions du produit. Rares sont les exemples où le produit ne remplit qu’une fonction purement visible et non-utilitaire. Par exemple, les bijoux peuvent représenter une catégorie de ces produits. En revanche, tout produit de luxe n’est pas forcément considéré comme étant un produit ostentatoire. Si un produit de luxe a été acheté afin d’être consommé seul à la maison comme, par exemple, un très cher cigare cubain par plaisir ou « bien-être » (Larousse). Ce produit ne rentre pas alors dans la case des produits ostentatoires car il ne remplit pas un des déterminants de la définition de la consommation ostentatoire qui est le critère de visibilité sociale. En parlant de visibilité nous définissons deux sphères importantes quant à la notion de visibilité qui sont:
Nous retrouvons ci-dessous le schéma de la différenciation entre produits de luxe, de luxe ostentatoire et d’ostentation : ![]() Nous pouvons dire que le luxe ostentatoire constitue une partie du luxe. C’est l’intersection entre les sphères respectives de luxe et d’ostentation. Le luxe ostentatoire remplit la fonction de visibilité du produit de luxe. Dans le cas où un produit de luxe n’est pas visible à une certaine catégorie d’individus, il n’y a pas alors un phénomène de lancement de signes dans le but d’être assimilé à un groupe social. Nous pouvons trouver un exemple de luxe ostentatoire dans l’œuvre de Fitzgerald (« Gatsby le magnifique »), le héros n’a de cesse d’accumuler autour de lui tous les signes du luxe visibles afin de reconquérir le cœur de sa bien-aimée et de certifier son appartenance à un groupe social déterminé : il donne des fêtes somptueuses auxquelles il n’assiste pas, possède une maison immense qu’il ne connaît pas entièrement et reçoit quotidiennement d’énormes quantités de boissons auxquelles il ne touche pas. Cet exemple représente exactement le luxe ostentatoire, c’est un monde créé d’épiphanie de signes de luxe qui ne sont rien d’autres que des signes destinés à regagner l’amour de Daisy. Levy (1959) a d’ailleurs parlé de l’importance des achats visibles et de leur poids social. Il dit : « Les voisins vous jugent sur la signification symbolique de vos dépenses (…). Ils décident du genre de personnes que vous êtes par des déductions logiques ou illogiques sur vos achats : Livres, boissons alcoolisées, tondeuses à gazon, voitures et cadeaux que vous et vos enfants offrez aux célébrations d’anniversaire ; L’achat de certains objets symbolise des qualités personnelles telles que le contrôle de soi ; d’autres dévoilent notre indulgence envers nous-mêmes. Nous raisonnons de cette façon vis-à-vis de personnes qui boivent et fument et de celles qui s’en abstiennent et un tel raisonnement influencera leur choix d’un comportement ou d’un autre ». Le luxe ostentatoire véhicule l’image de réussite de son propriétaire. Ce caractère vaniteux du luxe ostentatoire se décompose en deux parties : la vanité physique et la vanité de réussite (Lu Xiao, 2004). En possédant une voiture de luxe (ex : Ferrari) le symbole de réussite que nous lançons à un groupe social déterminé est évident. Le lien entre la vanité et la consommation ostentatoire a été évoqué dans la littérature notamment par Netemeyer, Burton et Lichtenstein (1995). Ces auteurs démontrent au cours d’études effectuées auprès d’un échantillon diversifié (étudiants, des personnes choisies dans le « Who’s who », des footballeurs) que la vanité se décompose en quatre traits distincts : - Un souci pour l’apparence physique ; - Une opinion positive et parfois exagérée de son apparence physique ; - Un souci de réussite ; - Une opinion positive et parfois exagérée de la réussite. Les deux premiers traits concernent la vanité physique qui est définie comme étant « un souci excessif ou/et une opinion positive (et parfois gonflée) de sa propre apparence physique » (Netemeyer et al.1995, p.612). Les deux derniers traits concernent la vanité de réussite qui est définie comme étant « un souci excessif ou/et une opinion positive de sa propre réussite » (Netemeyer et al. 1995, p.612). Belk (1985) note que certains individus montrent et justifient leur réussite en consommant des produits ostentatoires. Les produits matériels sont ceux qui sont le plus utilisés par les consommateurs en vue de montrer leur réussite (Richins et Dawson 1992, Hirshman 1990, Netemeyer et al. 1995). Par exemple, selon Solomon (1985, 1992) chaque année, les ventes de cosmétiques et d’habillements atteignent les milliards de dollars. Ceci montre l’importance du lien entre la vanité physique et la consommation de cosmétiques, de produits de régimes, de recours à des opérations chirurgicales etc. Ce recours au monde de cosmétiques, aux opérations ou autres peut aussi servir à rehausser ou à améliorer notre image de soi (Schouten, 1991). Alors que le lien entre la vanité de réussite et le comportement du consommateur est visible entre autres dans les publicités qui promettent par exemple, « la voiture que tu mérites » ou « tu es un homme d’affaire couronné de succès, tu mérites… » (Netemeyer et al. 1995). Ogilvy (1983, p.7) résume l’importance de la vanité de réussite en marketing en écrivant: “Meanwhile, most of the advertising techniques which worked when I wrote confessions of an advertising Man, still work today. Consumers still buy products whose advertising promises them value for the money, beauty, nutrition, relief from suffering, social status, and so on ALL OVER THE WORLD”2. Avant de terminer cette sous-partie il faut souligner le fait que la consommation ostentatoire comme nous l’avons déjà affirmé plus haut ne se limite pas à la consommation de produits de luxe ostentatoires, elle couvre des produits non luxueux. Ces produits doivent en revanche porter certaines caractéristiques comme la visibilité, le symbolisme, etc. (cf. Figure 1.1). Pour illustrer cette idée, un exemple courant serait l’achat d’une casquette ou d’un T-shirt avec le logo de l’université de Harvard ou de la Sorbonne au lieu d’une casquette sans logo. Ce produit quoique banal est considéré comme étant une consommation ostentatoire sans pour autant qu’il soit assimilé à un produit de luxe. Le consommateur prouve par cette acquisition qu’il appartient à un groupe déterminé d’individus, il lance un signal social à un groupe social spécifique. Cette idée nous mène vers la seconde partie qui traite du signal, du sens et du symbolisme du produit. 2.0 Sens et sémiotique3 Les origines de la sémiotique remontent à l’ère présocratique. Hippocrate avait déjà écrit que les signes servent à transmettre des messages sur les statuts mentaux et physiques de la personne. Platon, Aristote, Poinsot, Locke ainsi que Leibniz et Vico ont tous discuté des symboles, des signes et de la communication mais ce n’est qu’au vingtième siècle que les recherches en sémiotique prirent vraiment du poids avec le philosophe américain Charles Pierce et le linguiste suisse Ferdinand Saussure qui définit la sémiologie comme étant la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale. La différence entre signe et symbole est plus que subtile et d’ailleurs plusieurs auteurs utilisent les deux mots en tant que synonymes. Durand (1964) notait qu’une extrême confusion « a toujours régné dans l’emploi des termes relatif à l’imaginaire. Image, signe, symbole, emblème, parabole, mythe, figure, icône, idole sont utilisés indifféremment l’un pour l’autre par la plupart des auteurs ». Pour plus de précision, nous allons détailler les différences de sens entre ces deux mots. Nous considérons que le signe -exemple signe de la main pour dire bonjours est le média, alors que le symbole est le message véhiculé par le signe (signifiant/signifié). Le signe est purement indicatif et visible à tous alors que le symbole renvoie à une réalité non représentable, invisible. Lalande (1962) donne la définition suivante du symbole; selon lui : « Le symbole est un signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir ». Nous pouvons dire que le signe est visible par tous, mais ce qu'il symbolise peut être hermétique, c'est-à-dire posséder un sens caché au plus grand nombre, à ceux qui ne possèdent pas les clés de lecture. Pour Jung (1964), « ce que nous appelons symbole est un terme, un nom ou une image qui, même lorsqu’ils nous sont familiers dans la vie quotidienne, possèdent néanmoins des implications, qui s’ajoutent à leur signification conventionnelle et évidente. Le symbole implique quelque chose de vague, d’inconnu, ou de caché pour nous». En un sens très large, nous dirons que le signe est toujours un symbole, puisque le signe évoque quelque chose d'autre que lui-même. Ainsi le feu rouge renvoie automatiquement à une chose ou un concept. Le symbole permet le passage du visible à l’invisible. Le symbole doit porter un vocabulaire spécifique qui soit facilement identifiable. Cela nécessite une certaine constance dans les symboles. Dans le cadre de cette recherche les deux mots seront utilisés selon leur signification respective (signifiant/signifié). 2.1 Symboles sociaux Pour le Robert, le symbole est tout objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées spontanée dans un groupe social donné avec quelque chose d’abstrait ou d’absent. Cette définition se rapproche de celle de Solomon (1983) qui est en revanche mieux appliquée au domaine du comportement du consommateur. Cet auteur note que le symbolisme des produits est souvent consommé par l’agent social pour définir et clarifier les motifs de comportements associés aux rôles sociaux. Pour Solomon (1983), le symbolisme enraciné dans la majorité des produits est la première raison qui pousse les consommateurs à les acheter et à les utiliser. En 1995, Solomon note une idée novatrice qui est celle de la non-consommation consciente. En d’autres termes, l’acte de ne pas consommer un produit peut parfois être consciemment effectué dans le but de se différencier et de marquer d’une manière plus ancrée notre statut et notre appartenance à un groupe bien déterminé. Certaines recherches évoquent même le fait que les consommateurs sont autant jugés par ce qu’ils consomment que par ce qu’ils ne consomment pas (Englis et Solomon 1995, Solomon et Englis 1996b). Les consommateurs peuvent délibérément sortir de la spirale de l’achat permanent afin de marquer leur statut ou appartenance sociale en décidant de ne pas consommer. Ils peuvent éviter consciemment l’achat de produits visibles ; ce phénomène s’intitule le parody display (Solomon 1996). Ce phénomène représente une forme sophistiquée de la consommation ostentatoire dans la mesure où le consommateur évite l’achat de certains produits qui véhiculent nettement un statut social et un symbolisme forts en visibilité dans le but de mettre en évidence son statut et son appartenance sociale. D’où la popularité durant les dernières années envers la décoration interne délibérément rustique et austère, l’achat des vieux jeans déchirés ou l’achat des véhicules comme les 4x4 en ville. Un des aspects de ce paradoxe réside dans le fait qu’à long terme, l’objet non désiré en soi devient un symbole de statut et la spirale continue (Brooks 1981). L ![]() Baudrillard (1986) parle de cette quête de statut et de standing basée sur les différences. La différenciation peut prendre la forme de refus de consommation de certains objets et ceci est selon l’auteur une forme plus subtile de la consommation ostentatoire qu’il nomme l’ « inconspicuous consumption ». Il écrit : « Il est important de saisir que cette personnalisation, cette quête de statut et de standing se fonde sur des signes, c’est-à-dire non pas sur des objets ou des biens en soi, mais sur des différences ; Ceci seul permet d’expliquer le paradoxe de l’ « underconsumption » ou de l’ « inconspicuous consumption », c’est-à-dire le paradoxe de la sur différenciation de prestige, qui ne s’affiche précisément plus par l’ostentation mais par la discrétion, le dépouillement et l’effacement, qui ne sont jamais qu’un luxe de plus, un surcroît d’ostentation qui se change en son contraire, et donc une différence plus subtile ; La différenciation peut prendre alors la forme du refus d’objets, du refus de la « consommation », et ceci est encore la fin du fin de la consommation » (1986, p.130). Les consommateurs recherchent des symboles sociaux qui leur permettent de se différencier. En achetant un produit, ils achètent un symbole qu’ils désirent acquérir dans le but d’être assimilés à un certain groupe social. D’ailleurs Baudrillard (1986, p.107) a mis principalement l’accent sur la personnalisation de l’objet par son détenteur. Il note : « Dans la logique des signes comme celle des symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à un objet défini. Précisément parce qu’ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification ». L’auteur continue plus loin en notant que «…si l’on admet que le besoin n’est jamais tant le besoin de tel objet que le « besoin » de différence (le désir du sens social), alors on comprendra qu’il ne puisse y avoir de satisfaction accomplie, ni donc de définition du besoin » (p.108). En d’autres termes, Baudrillard nous parle du symbolisme des objets qui nous entourent. Il nous parle de leur réalité psychologique et sociologique, c’est-à-dire de la consommation ostentatoire. Il écrit, que les objets n’ont pas de valeurs propres mais « une fonction universelle de signes » (1978, p.190). Baudrillard (1972) explique que les objets, y compris l’argent, ont pour fonction première d’avoir à signifier, particulièrement d’avoir à signifier le statut de leur possesseur. Avant même d’avoir à satisfaire des besoins, ils ont un symbole de prestige et de jouissance. On peut voir dans la mode une application de cette idée. Effectivement, Barthes (1994, p.135) identifie dans la mode un système de signification et la soumet à une véritable analyse. Il nous parle de cette signification symbolique des objets qui permet de raccourcir leur vie au gré des fabricants : « Pour obnubiler la conscience comptable de l’acheteur, il est nécessaire de tendre devant l’objet un voile d’images, de raisons, de sens, d’élaborer autour de lui une substance médiate, d’ordre apéritif, bref de créer un simulacre de l’objet réel, en substituant au temps lourd de l’usure, un temps souverain libre de se détruire lui-même par un acte de potlatch annuel (…). Ce n’est pas l’objet, c’est le nom qui fait désirer, ce n’est pas le rêve, c’est le sens qui fait vendre ». L’analyse de l’auteur est intéressante dans notre contexte puisque la mode est peut-être la manifestation la plus évidente et la plus généralisée de la consommation ostentatoire. Il faut ajouter que ce phénomène de mode ne se limite pas aux vêtements. Il touche un bon nombre de produits ostentatoires et en particulier l’automobile. McCracken (1986) continue dans ce sens en disant que la signification des produits n’est jamais arbitraire mais toujours motivée. Il prend de même l’exemple des habits et note qu’elles servent à distinguer entre les classes, entre les sexes, etc, la mode étant très révélatrice des différences et des similitudes. Nous retrouvons cette idée de fétichisme de la marchandise analysée par Marx dans la première section du Capital : « le caractère mystique de la marchandise ne provient pas de sa valeur d’usage…La forme valeur et le rapport de valeur des produits du travail n’ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C’est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d’un rapport des choses entre elles ». Le caractère fétiche de la marchandise est une propriété abstraite et indépendante de la matérialité de la marchandise, qui assure à son acheteur une sorte d’éminence mystique le désignant aux autres comme le maître de l’objet désiré. Levy (1959) fait des constatations similaires : « les gens achètent des produits non seulement pour leur aspect utilitaire, mais aussi du fait de la signification qui leur est attachée ». Sa réflexion se fait même plus radicale : « les objets actuels sont considérés essentiellement comme des êtres psychologiques qui symbolisent des caractéristiques et objectifs personnels et rendent compte de réalités et d’aspirations sociales ». Par exemple, Harper (1978) nota que pendant la guerre de Vietnam conduire une Volvo était considéré comme une protestation contre la politique du gouvernement américain de s’engager dans cette guerre, le pays fabriquant des voitures Volvo étant la Suède, pays qui avait pris position contre cette guerre. Les voitures sont capables de véhiculer divers messages concernant leurs propriétaires (Belk, 1982). D’ailleurs Baudrillard (1978) évoque le symbolisme des voitures en écrivant « longtemps les voitures américaines se sont parées d’immenses ailes dont Packard dit dans l’art du gaspillage (p.282) qu’elles symbolisent l’obsession américaine des biens de consommation. Très vite l’objet automobile ne fait que connoter le résultat acquis, se connoter lui-même comme fonction victorieuse. » La nature symbolique des produits a été également attestée par Veblen (1899), Duesenberry (1949) et Benedict (1934). Pour résumer, nous pourrions dire que les individus sont évalués et occupent une place sociale dans un environnement donné en grande partie en fonction des produits qu’ils possèdent. Le consommateur utilise donc son produit dans un double sens : - Dans le but de véhiculer un signal à son groupe de référence ou à un groupe d’aspiration. Pour Douglas et Isherwood (1979), Mick (1986) ainsi que Richins (1994b) les biens commerciaux possèdent un sens que les consommateurs lancent envers certains groupes sociaux. - Dans le but d’assigner une identité sociale à eux-mêmes (Solomon 1983). Ces deux idées vont être traitées dans ce qui suit. 2.2 Langage d’initiés ou compréhension de masse ? Pour qu’un produit puisse véhiculer un sens, il faut que ce sens soit compris par le groupe social auquel il appartient. Pour Solomon (1983), les symboles culturels acquièrent un sens, s’ils sont placés dans le contexte de la culture contemporaine. En d’autres termes, les biens matériels produits par une culture possèdent des propriétés symboliques et un sens qui sont partagés au sein d’une même culture. Par exemple, certains « skinheads » partagent une marque de vêtement spécifique entre eux. Les institutions qui créent un symbole sont généralement les agences de publicité, les styliciens, les musiciens, etc. (Solomon 1983, McCracken 1986). Selon Hirschman (1981), les symboles représentent des constructions sociales de la réalité. Ils sont des moyens de communication interpersonnels (Zaltman, 1979). Pour qu’un symbole puisse transmettre son sens social, il doit y avoir forcément deux agents : le récepteur et l’émetteur, ce qui implique un phénomène social. La consommation des symboles peut aussi être une action collective. Cette idée est basée sur le fait que pour qu’un symbole puisse remplir son objectif une réalité partagée parmi les consommateurs doit exister. C’est-à-dire les consommateurs appartenant à un même groupe de référence doivent avoir la même conception des symboles (Hirschman, 1981). Par exemple, conduire une voiture « prestigieuse » ne va pas servir de symbole efficace montrant notre statut social à moins que le groupe social concerné partage cette croyance que la voiture est en effet prestigieuse. En remarquant une femme en chaussures Prada dans la rue, si nous ne faisons pas partie d’un groupe restreint d’initiés, le récepteur ne pourra savoir si ces chaussures font partie de la dernière collection Prada ou si elles datent d’il y a trois ans. Dans ce cas, la symbolique des chaussures véhiculée par la personne n’est captée que par un certain groupe. McCraken (1986) étudie comment les significations culturelles sont transportées et communiquées aux consommateurs. L’auteur précise que les significations culturelles résident dans trois catégories : Le monde culturel, le produit à consommer et le consommateur. De même, selon McCracken, pour qu’un sens soit véhiculé de la façon dont le consommateur le souhaite, il doit y avoir une harmonie entre l’objet et le consommateur. Par contre, il ne faut pas oublier qu’il y a des symboles collectifs partagés par une même culture ou par une mémoire collective. Les religions et leurs symboles constituent un exemple. Mauss (1991), d’ailleurs, montre que les hommes ne peuvent communiquer qu’avec des symboles, c’est-à-dire des signes communs et permanents qui se situent en dehors des états mentaux individuels. Les publicités démocratisent les symboles et les font connaître à la multitude. Le passage des goûts et des symboles ne se fait plus d’une façon unilatérale comme l’a évoqué Veblen en 1899, désormais c’est le « trickle circulaire » de Bourdieu qui est de mise. Dans ce qui suit et pour une meilleure compréhension de ce concept nous allons consacrer une partie sur ce sujet. |
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