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76. Droit français et hypothèse communautaire. Rapprochements. En revanche, la neutralisation pourrait être analysée à l’instar du retrait obligatoire, comme justifiée par l’intérêt public du bon fonctionnement du marché. Il est indéniable d’ailleurs que c’est bien une considération d’ordre public économique tel que vu par les instances communautaires qui a dicté une telle mesure. Mais la même réserve qu’émise ci-dessus pour le retrait doit être effectuée245. Le retrait obligatoire pourra aussi servir de point d’appui quant à la nature de l’indemnisation. En effet, si l’on suit les indications données par l’association Henri Capitant, il y aurait une différence entre indemnisation et indemnité, ou plutôt une relation à établir, puisque l’indemnité ne serait que l’expression en argent de la réparation d’un dommage qui aurait pu être compensé par une indemnisation en nature246. Toutefois, le texte communautaire ne paraît pas entrer dans ces nuances, et il est très probable que le remède prévu soit une somme d’argent, comme en matière de retrait obligatoire247. En effet, la directive renvoie aux Etats membres la détermination de ses « modalités de paiement », ce qui, étant donné le contexte, évoque plus un paiement en numéraire qu’une réparation en nature dont on ne voit pas très bien la forme qu’elle pourrait prendre248. Le montant de cette indemnité devra être tel qu’elle soit « équitable ». 77. Le juste et l’équitable dans la directive. Etablir alors des comparaisons au sein même de la directive n’est pas sans intérêt car le texte communautaire use des termes « juste » et « équitable » dans différents articles. L’analyse devrait permettre de préciser certaines intuitions présentées plus haut249. L’article 5.4 de la directive concernant les offres publiques obligatoires prévoit que le prix de l’offre obligatoire est un « prix équitable » défini comme le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l’offrant (…) pendant une période (…) de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l’offre250. Ce prix peut donc être différent de la valeur de marché au moment où l’offre est lancée : il lui sera au moins égal. L’article 15251 évoque pour sa part la nécessité d’un juste prix. Mais il précise qu’à la suite d’une offre obligatoire, la contrepartie de l’offre, c'est-à-dire, le prix équitable, est présumé juste. Or, cette présomption ne semble avoir de sens que si le prix équitable est supérieur (ou au moins égal) au prix juste. 78. Position. Prendre ici position s’avère tout à fait délicat. On peut penser qu’en prévoyant qu’une indemnité équitable devait être versée aux bénéficiaires des droits rendus inopposables à l’offrant, la directive a voulu que soit versée une somme en principe supérieure à la stricte valeur de marché des actions252 acquises, si l’on s’accorde à dire que cette dernière constitue un prix « juste ». Toutefois, cette valeur des actions ne pourra être que l’un des critères d’évaluation. On a vu en effet, que le bénéficiaire du pacte n’était pas propriétaire des actions même s’il avait vocation quasi-certaine à le devenir. On pourrait alors penser que l’indemnisation équitable dont parle la directive n’a strictement rien à voir avec la valeur de marché des actions, la notion de prix équitable ou juste étant il est vrai employée à propos d’opérations bien spécifiques. La solution se trouve certainement entre ces deux extrêmes. En définitive, une indemnité équitable sera à verser253 au bénéficiaire qui devrait être différente dans l’esprit d’un second paiement, mais qui pourra tenir compte de la valeur de marché des actions cédées à titre indicatif, sans être forcément supérieure à elle. Il est notamment certain que l’équité imposera de considérer la bonne foi du bénéficiaire. Il faut alors évaluer cette indemnité, la mettre en œuvre. II) La mise en œuvre de l’indemnisation équitable. 79. Présentation. Ainsi que relevées par M. le Professeur GERMAIN254, les questions auxquelles la directive devait répondre ont trait tant au calcul de l’indemnité qu’à l’identification du débiteur ; or, le texte communautaire ne donne pas beaucoup de détails, si bien que, dans la mesure du possible, il faudrait que le législateur national apporte un certain nombre de précisions s’il veut éviter un abondant contentieux.
80. Renvoi aux Etats membres. A nouveau, et conformément à sa volonté de ne fixer qu’un cadre, la directive renvoie aux Etats membres la responsabilité de déterminer tant les conditions régissant la détermination de l’indemnisation que les modalités de paiement. Cela supposera une certaine réflexion sur la nature et l’étendue du préjudice. 81. Méthode de détermination des conditions de l’indemnisation. A la lettre, l’article 11.5 paraît suggérer que l’indemnisation ne devrait pas être entièrement laissée à l’appréciation des juges255. Deux remarques peuvent être faites. En premier lieu, la question se pose quant au « nombre » d’indemnisations à verser pour une clause de préemption neutralisée. En effet, la neutralisation peut jouer à deux moments différents pour une même clause256 : cela justifie-t-il l’attribution de deux indemnités distinctes ? La mise en œuvre d’une telle solution paraît peu évidente. Il serait plus aisé de calculer une seule indemnité pour l’ensemble des actions objets de la clause, quitte à faire ensuite un prorata en fonction des actions effectivement cédées à l’offrant, ou des actions encore objets des droits neutralisés à l’issue de l’offre. En second lieu, le législateur pourrait tenter d’établir une grille d’indemnisation, ou au moins des fourchettes, afin d’éviter une totale imprévisibilité juridique, en laissant le juge fixer au cas par cas avec plus de précision le montant de l’indemnité. C’est ainsi que le renvoi aux Etats membres prend selon nous tout son sens. De telles grilles d’indemnisation existent d’ailleurs pour les préjudices corporels par exemple. La raison en est simple : évaluer en argent la perte d’un membre s’avère excessivement délicat ; on souhaite ainsi réparer tout en évitant la dérive que connaissent certains pays dans le montant des dommages-intérêts octroyés. Or, dans l’hypothèse étudiée, l’analyse du préjudice est aussi très difficile, si bien qu’on peut s’interroger sur les possibilités exactes du législateur. 82. La nature du préjudice. L’article 11.5 de la directive prévoit la compensation de « toute perte enregistrée » par les bénéficiaires des droits. L’intérêt d’introduire l’équité est alors de permettre une meilleure prise en compte des attentes du bénéficiaire, de ses prévisions. En l’espèce, deux types de préjudice peuvent être subis par le bénéficiaire : un préjudice moral (il est gêné dans sa stratégie), un préjudice matériel (il n’aura pas le bénéfice escompté du contrat). Il semble que l’équité doit permettre de prendre les deux dommages en compte. Certes, pour chaque bénéficiaire, ils seront plus ou moins importants. Néanmoins, on peut tenter d’en décrire les caractères généraux, afin d’arriver si possible, à une certaine systématisation, l’objectif étant toujours d’éviter une trop grande casuistique. 82 bis. Précisions. D’emblée, une distinction pourrait être opérée selon l’identité du bénéficiaire. Si celui-ci est un simple actionnaire qui n’est pas dirigeant lors de la conclusion de la clause de préférence257, et que la clause porte sur un nombre d’actions qui n’est pas susceptible de modifier la position du bénéficiaire de manière sensible, le préjudice, tant moral que matériel, sera faible voire inexistant. Il est vrai cependant, que l’hypothèse est le plus souvent celle de pactes conclus entre dirigeants et actionnaires, de manière à ce qu’ils puissent conserver leur poste. La neutralisation du pacte et la prise de contrôle par l’offrant peuvent leur faire perdre leur poste. Le préjudice moral et matériel258 sera alors certain. Il n’y a donc pas de doute possible sur l’existence d’un dommage réparable : en effet, le dirigeant bénéficiaire d’une clause de préemption pouvait compter sur le fait qu’en cas de cession par le promettant des actions objets du pacte, il les aurait acquises259. Cette vue doit semble-t-il être adoptée même si le bénéficiaire n’a pas manifesté par avance son désir d’acquérir. Certes, la Cour de cassation a récemment affirmé que l’inexécution d’un pacte de préférence ne pouvait donner lieu qu’à réparation de la perte de chance d’acquérir les actions, si celle-ci était suffisamment réelle et sérieuse260. Or, il est vrai que le résultat de l’inexécution d’un pacte peut s’apparenter aux conséquences de sa neutralisation. Toutefois, l’hypothèse peut être distinguée de la situation en présence. En effet, il ne faut pas oublier que le contexte est ici celui des marchés financiers où un offrant opère une offre hostile sur la société visée, avec pour intention de changer la direction de cette dernière, sauf accord ultérieur. Autrement dit, du côté des dirigeants de la société visée, c’est l’objet même de la clause que de garantir le succès de leur stratégie, à savoir conserver leurs foncions. Dès lors, l’acquisition en vue de résister à une OPA hostile est très probable. Il devrait ainsi peser une présomption simple d’intention d’acquérir en faveur du dirigeant. Le préjudice subi du fait de la neutralisation paraît donc plus important que celui consistant en une simple perte de chance. En effet, le préjudice n’est pas tant la perte de chance d’acquérir les actions ou d’être élu dirigeant, que la perte de la fonction et l’impossibilité de la conserver, alors que le dirigeant aurait été certain de pouvoir continuer de l’occuper si le pacte avait été exécuté. Outre son caractère certain, un tel dommage est évidemment prévisible, au sens de l’article 1150 du Code civil, et devrait donc pouvoir être réparé. Ceci s’explique par le fait que dans une société anonyme à conseil d’administration, au terme de l’article L.225-18 du Code de commerce, les membres du conseil sont élus par les actionnaires réunis en assemblée générale ordinaire. Ainsi, un membre du conseil qui acquiert des actions d’un autre actionnaire s’assure un nombre de voix en sa faveur plus important. En revanche, au stade de l’évaluation du préjudice, la fonction d’administrateur pourra, le cas échéant, influer à la baisse sur l’évaluation de l’indemnité. 83. L’évaluation du préjudice. La tâche des autorités nationales doit être guidée par le souci de réparer le dommage causé au bénéficiaire : tout le dommage, conformément au principe de réparation intégrale, mais seulement le dommage261. Au sujet de l’inexécution des pactes de préférence, nombre d’auteurs262 s’accordent pour souligner qu’il n’est pas évident d’évaluer financièrement le préjudice, d’autant que l’équité ne doit pas conduire les juges à prononcer des dommages-intérêts punitifs, en violation du principe de réparation intégrale du dommage. Ici aussi, l’évaluation pourrait s’avérer très complexe. Une difficulté majeure est que les membres du conseil d’administration sont révocables ad nutum, si bien qu’au contraire d’un contrat à durée déterminée, on ne peut actualiser les sommes qu’ils auraient été amenés à percevoir jusqu’à la fin de leur mandat, à moins peut-être, de se trouver dans une hypothèse où un administrateur aurait une majorité d’actions suffisantes pour empêcher sa propre révocation. Dès lors, les parties seront tentées de recourir à des sanctions contractuelles telles que la clause pénale. Mais si cette sanction est admissible en cas de violation d’une clause, l’est-elle quand la loi aménage justement l’inopposabilité du droit de préférence à l’offrant ? On peut en douter. Sans doute faudra-t-il recourir à une méthode multicritères, en espérant que la pluralité de données insatisfaisantes à elles seules263, pourra engendrer un résultat satisfaisant et une compensation satisfactoire pour le débiteur, grâce à l’intervention de critères inspirés de l’équité parmi d’autres. A titre indicatif, pourraient être utilisés comme critères : la valeur des actions objets de la clause, l’estimation de la perte de droit au dividendes, la longévité moyenne des organes de direction dans la société cible, etc. Quant au préjudice résultant du fait de la perte de la qualité de dirigeant, il pourrait être réduit à un préjudice de déception, fort peu indemnisé. Par, ailleurs, si le droit de préférence a été acquis à titre onéreux, l’indemnisation équitable devrait couvrir ce montant, plus le fait que le bénéficiaire n’a pu mener à bien sa stratégie. On peut penser en effet, que l ’« équité » pourra encourager les juges à un peu de générosité et à octroyer plus que l’euro symbolique ; non pas que l’équité soit contraire au principe de réparation intégrale, mais elle autorise une appréciation plus souple du préjudice. A l’inverse, dans certains cas, l’équité doit pouvoir justifier le refus d’indemniser. Or, au moins dans la détermination de ces cas de refus, le législateur peut intervenir. 84. Position. L’équité, guide de ce qu’il ne faut pas faire264. Si définir précisément le préjudice paraît aller au-delà des possibilités et de la mission du législateur, ce dernier peut néanmoins veiller à ce que le système de l’indemnisation équitable ne soit pas perverti. En effet, la directive prévoit de manière générale l’indemnisation en contrepartie des droits neutralisés. Certes, on peut parfaitement comprendre une telle indemnisation pour les clauses de préemption statutaires (et les clauses extra-statutaires impliquant la société) qui sont affectées de manière rétroactive par l’article 11, causant une atteinte grave aux prévisions des parties. En revanche, les pactes d’actionnaires, de loin les plus nombreux en France, ne sont touchés que s’ils sont stipulés postérieurement à l’adoption de la directive. Par définition, on ne peut considérer qu’il y a atteinte aux prévisions des parties puisque celles-ci savent, lorsqu’elles stipulent les pactes, qu’ils seront inopposables à l’offrant. La perspective d’une indemnité équitable risque alors de jouer comme une incitation à stipuler de tels pactes même pour des parties qui n’y auraient sinon pas recouru. De manière générale, l’équité doit alors inciter les juges à faiblement indemniser voire à ne pas indemniser du tout dans ces hypothèses. De même pour les éventuelles clauses de préemption statutaires à venir. Mais il serait bon que le législateur le prévoit expressément. Il aurait été certes plus simple que la directive distingue les cas et aménage pour l’avenir une neutralisation sans contrepartie, ou déclare nulle pour contrariété à l’ordre public économique les clauses de préemption prévoyant leur efficacité durant les offres publiques d’acquisition. Mais on pourra s’appuyer sur les conseils du Doyen Carbonnier qui rappelle que le recours à l’équité justifie une appréciation qui « doit être morale plus que mathématique265 », pour espérer que le législateur, puis le juge, sauront procéder à une appréciation fine des différentes situations266. Dans tous les cas, prévoir un contrôle de l’AMF comme en matière d’offre publique de retrait obligatoire267 serait certainement fort utile, d’autant plus qu’ici, des considérations d’équité interviendront. Ainsi, si la première évaluation de l’indemnisation équitable est faite par expert, l’AMF, et le juge en cas de contentieux, auraient un droit de regard et de rectification268, conformément d’ailleurs au principe du pourvoir souverain d’appréciation des juges du fond en matière d’indemnisation269. |
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