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65. La nature de la sanction. Le choix de la nature de la sanction est la première question à laquelle devront répondre les Etats membres. Or, l’exigence de proportionnalité de la sanction rappelle l’article 8 de la Déclaration française des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui prévoit, au sujet des sanctions pénales, que la loi ne doit établir que des peines évidemment et strictement nécessaires204. Cela expliquerait par ailleurs que la directive renvoie aux Etats membres la définition du régime de sanction. En effet, ainsi que le rappelle Mme le Professeur DUTHEIL DE LA ROCHERE, « la Communauté n’a aucune compétence pour adopter des sanctions pénales205 ». Toutefois, deux arguments plaident pour ne pas adopter une sanction pénale ou en tout cas pour ne pas la retenir exclusivement. En premier lieu, l’exigence de proportionnalité de la sanction pourrait tout à fait s’appliquer à des sanctions non pénales mais qui relèvent de la notion de « matière pénale » telle qu’employée par la Cour Européenne des droits de L’Homme, en raison de la nature et de la sévérité des peines encourues206. En second lieu, et au moins pour ce qui concerne la France, on sait que le contentieux devant les juridictions pénales est extrêmement long et nuit donc au caractère effectif et dissuasif de la sanction. C’est l’une des raisons pour lesquelles a été créée la Commission des Opérations de Bourse207, aujourd’hui Autorité des Marchés Financiers, à laquelle a été conféré un pouvoir de sanction administrative. La rapidité relative des procédures et le montant très élevé de la sanction encourue paraissent en effet mieux à même de répondre aux exigences de la directive. La sanction administrative semble donc particulièrement adaptée. 65 bis. La question du cumul des sanctions administrative et pénale. Si le France retenait les deux types de sanction, on pourrait douter de la conformité de leur cumul au principe non bis in idem consacré par l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH). Mais l’Etat français a émis une réserve, permettant à la Cour de cassation de juger que la règle non bis in idem consacrée par la CEDH ne trouve à s’appliquer que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant au pénal208. Le Conseil Constitutionnel a néanmoins limité les effets du cumul en posant qu’« en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » 209. Un tel cumul reste néanmoins contestable au plan des principes210, d’où la nécessité d’ailleurs de cette réserve expresse. Mais les instances communautaires elles-mêmes n’y semblent pas hostiles. Ainsi, la directive 2003/6 concernant les abus de marché211, prévoit la possibilité d’un cumul dans son article 14212. A cet égard, il est d’ailleurs permis de regretter l’absence d’une disposition similaire dans la directive 2004/25. 65 ter. Position. Dans un premier mouvement, il pourrait être suggéré de transposer à la directive étudiée, l’article 14 de la directive 2003/6 qui a le mérite de la clarté. Toutefois, si l’article 17 commenté n’a rien précisé quant à la nature de la sanction, peut-être est-ce dû au fait que la sanction ne peut être que d’un seul type, et a priori, de type administratif. En effet, contrairement aux abus de marché, la violation de l’article 11 ne perturbe pas l’ordre social, mais seulement l’ordre économique du marché tel que conçu par le législateur. Par conséquent, le non respect de la neutralisation peut certes parfaitement constituer un manquement administratif. En revanche, il sera plus délicat de lui trouver une qualification pénale stricto sensu213. 66. Le montant de la sanction administrative. La détermination du montant influe sur le caractère proportionné et dissuasif de la sanction. Toutefois, une distinction peut être opérée entre les deux exigences. Ainsi, le caractère proportionné de la sanction s’appréciera essentiellement une fois celle-ci prononcée, en fonction des faits qui auront été soumis à l’autorité de marché. En effet, une sanction encourue doit certes apparaître proportionnée in abstracto214. Mais ce qui importe ensuite, c’est qu’elle le soit au cas d’espèce. Au contraire, le caractère dissuasif s’apprécie plutôt a priori, avant que la sanction ne soit prononcée215. Par ailleurs, si la proportionnalité ne dépend que de l’adéquation de la sanction à la gravité des faits, le caractère dissuasif est lui le fruit d’une pluralité de paramètres. Ainsi, au-delà du montant de la peine encourue, le sort de l’amende est un facteur à prendre en considération. Or, il apparaît qu’en l’état actuel du droit positif, celle-ci est assurable et fiscalement déductible216. C’est surtout le caractère fiscalement déductible qui est gênant. En effet, M. le Professeur NUSSENBAUM souligne que « l’assurabilité » garantit la solvabilité du dirigeant. Par ailleurs, il indique que des systèmes de bonus/malus peuvent contribuer à maintenir son caractère dissuasif217. 67. Conclusion. En définitive, nous pensons que, sans préjudice d’une action en réparation toujours possible sur le terrain civil, seule une sanction de nature administrative serait adaptée à l’hypothèse visée par la directive, même si son caractère dissuasif pourrait être renforcé pour tenir compte de la réserve émise ci-dessus218. 68. Conclusion sur l’application de la neutralisation. Vis-à-vis de l’offrant, pendant les deux périodes définies par la directive, le bénéficiaire d’une clause de préemption ne peut opposer le droit de priorité acquis auprès du promettant, à peine de sanction. Ainsi, il ne pourrait attaquer la cession des actions objets de la clause au motif qu’elle aurait été conclue en violation de la préférence. Or, BASTIAN le note très clairement dans sa thèse, « inter partes, tout se passera THEORIQUEMENT219 comme s’il n’y avait pas inopposabilité »220, théoriquement seulement. En pratique en effet, le résultat sera que le bénéficiaire n’aura pu bénéficier de sa priorité, et cela peut lui causer préjudice. En contrepartie de la neutralisation, la directive prévoit donc qu’il sera versé aux détenteurs des droits supprimés une « indemnisation équitable ». Section II : La contrepartie de la neutralisation. 69. Annonce. L’article 11.5 de la directive dispose que « lorsque les droits sont supprimés sur la base des paragraphes 2, 3, ou 4 et/ou de l’article 12, une indemnisation équitable est prévue pour toute perte enregistrée par les détenteurs de ces droits. Les conditions qui régissent la détermination de cette indemnisation ainsi que les modalités de son paiement sont établies par les Etats membres ». En pratique, la recherche des conditions de mise en œuvre (II) suppose au préalable d’analyser plus précisément le remède prévu (I).
70. Méthode. On présentera d’abord la situation en droit français (A), avant de s’intéresser à la directive elle-même (B). La comparaison est en effet importante car le législateur national, en transposant, prendra nécessairement en compte le droit positif français. A) La situation en droit français. 71. Eléments de comparaison. Illustrations en droit français. Les comparaisons tirées du droit français seront de deux ordres : d’une part, on regardera quel traitement est réservé à des hypothèses proches de celle étudiée ; d’autre part, on s’intéressera brièvement à la considération que le législateur porte à l’équité. L’objectif est de mieux comprendre la portée des termes employés dans la directive. 72. Les hypothèses proches. En premier lieu, la situation de neutralisation des pactes de préemption pourrait rappeler deux hypothèses appréhendées par le droit français, où il est prévu une indemnisation des propriétaires : l’expropriation pour cause d’intérêt public, et le retrait obligatoire des minoritaires. Dans l’expropriation pour cause d’intérêt public, l’article 545 du Code Civil prévoit une « juste et préalable » indemnité. Mais tout porte à croire que cette indemnité qui doit être « juste » se distingue d’une indemnité « équitable ». En effet, le mode de calcul de l’indemnité est tel que cette juste indemnité s’apparente, moyennant certains correctifs, à la valeur de marché des biens expropriés221. La privation en elle-même du droit de propriété n’est donc pas prise en compte ; il n’y a pas de place pour l’équité. Dans l’offre publique de retrait obligatoire qui suit une offre publique de retrait, les minoritaires sont exclus de la société par exception à leur droit fondamental à faire partie de la société222. Il y a donc ici au sens propre du terme « expropriation », ce qui nécessite en contrepartie une indemnité223. Afin d’éviter tout chantage des minoritaires, la loi a prévu que l’indemnisation pour cause de retrait obligatoire devait être au moins égal à celui de l’offre publique de retrait224. En pratique, cette égalité est observée. Dès lors, le calcul de l’indemnité est fait classiquement selon une approche multicritères consacrée par la jurisprudence puis par la loi225. Bien que ne prétendant pas à une exactitude mathématique, les paramètres utilisés font que le « juste prix » est réputé donner un prix de marché, ce qui exclut l’équité. L’étude de la jurisprudence pourrait toutefois susciter quelques doutes. En effet, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 30 mai 2000226, déduit de l’article L. 433-4 II du Code monétaire et financier et du Règlement général du CMF227, que l’indemnisation proposée doit être juste et équitable. Or, aucun de ces textes n’emploie les vocables « juste » ou « équitable ». En revanche, le Règlement général renvoie à « l’appréciation d’un expert indépendant », et de là paraît venir la confusion. D’une part en effet, cette expertise indépendante doit être distinguée selon la COB elle-même228 de l’attestation d’équité : la première se contente de donner l’évaluation d’un bien, pour servir de base à un prix de sortie (caractère juste, suffisant), la seconde conduit en outre à prendre position sur l’intérêt des minoritaires, certifiant alors que la parité proposée est équitable, c’est à dire qu’elle tient compte par exemple d’une « perte de pouvoirs229 ». D’autre part et surtout, ce n’est pas parce qu’on recourt à l’attestation d’équité, que le prix proposé doit être équitable de par la loi. Une indemnité pourrait alors être juste sans être équitable. Pour reprendre la distinction faite par deux auteurs en forme de summa divisio, « une indemnité juste est celle qui correspond à la valeur ; une indemnité équitable est celle qui satisfait celui qui la reçoit »230. En réalité, comme l’ont montré des praticiens231, la jurisprudence et la pratique ne font pas toujours la distinction ; l’arrêt précité en serait une illustration. Cela ne signifie pas qu’il faille entretenir la confusion, le flou autour de la notion d’équité gênant aussi, en définitive, les praticiens232. D’ailleurs, la Cour de cassation, dans la célèbre affaire Sogénal233, parlait de « prix en rapport avec la valeur du bien ». En ce sens, la méthode d’évaluation se rapproche de celle employée par l’expert de l’article 1843-4 du Code Civil qui évalue les droits sociaux non cotés. Cependant, il est vrai que la porte n’apparaît théoriquement pas fermée à l’équité, puisque l’article L. 433-4 II précité dispose que l’indemnisation doit être au moins égale au prix de l’offre de retrait. Le prix équitable serait alors supérieur au prix de marché, car il tiendrait compte de l’expropriation234elle-même. Mais cette formule est peut-être surtout destinée à prévoir des hypothèses rares où la valeur du marché varierait de manière importante (à la hausse) dans le court intervalle qui sépare en général la date de l’offre publique de retrait et la date de l’offre publique de retrait obligatoire. Une question connexe qui se pose au sujet du retrait obligatoire est de savoir s’il s’agit d’une expropriation d’intérêt public ou d’intérêt privé. Toujours dans l’affaire Sogénal, la Haute Juridiction montre clairement que les impératifs du bon fonctionnement du marché priment sur le droit de propriété des minoritaires, et fondent le retrait obligatoire235, expliquant même que le transfert de propriété, qui se fait « dans un cadre légitime d’ordre social et économique, répond à l’utilité publique ». Néanmoins, aller jusqu’à parler d’expropriation pour cause d’intérêt public pourrait paraître excessif, car cela reviendrait à mettre au moins partiellement cet intérêt dans les mains d’acteurs privés, à l’heure justement où l’importance des autorités de régulation est soulignée236. 73. La considération du législateur pour l’équité. En second lieu au demeurant, le droit français n’est pas sans connaître des références à l’équité par le législateur lui-même. Or, selon les spécialistes237, l’équité est très difficile à définir238 . Il suffira de dire ici qu’elle est un « sentiment »239, qui garantit « une justice individualisée [permettant de] rechercher un équilibre entre les intérêts divergents240». Concernant l’octroi de sommes d’argent, il n’y a pas à proprement parler en droit français « d’indemnité équitable », mais des allocations d’indemnités « en équité ». On peut ainsi prendre l’exemple de l’article 270 du Code Civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 qui prévoit que le juge peut refuser d’accorder une prestation compensatoire si l’équité le commande. On le voit, dans ces hypothèses, il n’est pas question de débattre de la légitimité pour le juge de statuer en équité, puisque c’est le législateur lui-même qui « légalise » le recours à l’équité. M. ALBIGES souligne « qu’une telle référence à l’équité d’espèce doit permettre au législateur de pallier [son] impuissance en renvoyant le juge à ce qui n’est plus une règle précise, mais une simple directive241 ».
74. Méthode. Il convient dans un premier temps de tirer des conclusions des éléments de comparaison pris en droit français quant à la directive étudiée. Il faudra enduite s’intéresser à la signification du terme « équitable » dans la directive elle-même. 75. Droit français et hypothèse communautaire. Distinctions. L’hypothèse de la neutralisation des clauses de préemption peut être distinguée des situations du droit français sur les deux points ci-dessus étudiés. D’une part, la neutralisation des droits de préférence n’est pas à proprement parler une expropriation, car le bénéficiaire n’est pas propriétaire des actions lors de la neutralisation, contrairement à l’actionnaire minoritaire ou au propriétaire foncier242. Dès lors, l’indemnité ne peut représenter comme dans l’offre publique de retrait obligatoire la valeur des actions cédées puisque les actions sont cédées par le promettant, ce qui n’empêche pas de tenir compte de cette valeur. C’est un point important qu’il faudra garder à l’esprit lors de l’évaluation de l’indemnité. D’autre part, lorsque la directive utilise le terme d’indemnisation équitable, elle ne s’en remet pas au juge comme le ferait le législateur national, mais aux législateurs nationaux. L’article 11.5 leur confie ainsi la tâche de préciser « les conditions qui régissent la détermination de l’indemnisation ». Les Etats membres auraient ainsi la possibilité en transposant de préciser la notion et de ne pas garder telle quelle l’expression « indemnisation équitable », sous peine d’encourager sans doute un important contentieux243. L’objectif serait alors d’être équitable sans être casuistique. Reste à savoir si cela sera possible244. |
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