SZIER 1/92 33 L e droit international privé suisse face aux systèmes des pays arabes et musulmans
par
Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh* * Dr en droit, collaborateur scientifique pour le droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé, Lausanne; enseignant-invité de droit musulman à l'Institut de droit canonique de l'Université des sciences humaines, Strasbourg. Texte paru dans:
Revue suisse de droit international et de droit européen, 2ème année, 1/1992, p. 33-73.
Le droit international privé suisse face aux systèmes des pays arabes et musulmans 1
par 1
Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh* 1
Chapitre I. La religion en droit international privé suisse 2
Chapitre II. Les interdits du système religieux 3
Chapitre III. Les interdits du droit suisse 14
Chapitre IV. Considérations générales 25
Introduction 1. La présence de Musulmans sur sol chrétien1 et de Chrétiens sur sol musulman pose de nombreux problèmes2. En 1990, plusieurs affaires ont fait l'objet de débats publics (l'affaire du voile, l'affaire de Salman Rushdie, etc.). Ici, nous nous limiterons aux problèmes de droit international privé rencontrés par les autorités suisses lorsqu'elles sont confrontées aux systèmes juridiques des pays arabes et musulmans en matière de droit de SZIER 1/92 LE DIP FACE AUX SYSTEMES RELIGIEUX 35 la famille et des successions3. Ces questions sont définies fréquemment comme constituant le statut personnel4.
2. Les problèmes se posent non seulement en ce qui concerne les ressortissants musulmans des pays arabes et musulmans, mais aussi pour les ressortissants non musulmans dans la mesure où ces pays connaissent un système de statut personnel plurilégislatif et plurijuridictionnel basé sur la religion.
Chapitre I. La religion en droit international privé suisse I. Absence formelle de la religion 1. On ne trouve aucune mention de la religion, ni dans l'actuelle loi de droit international privé (LDIP)1 ni dans la précédente (LRDC)2. Cette formulation «laïque» s'observe aussi dans le droit international privé des pays arabes. C'est le cas, par exemple, du droit international privé égyptien qui a inspiré la plupart des autres droits des pays arabes.
2. Malgré cette absence formelle, la religion joue un rôle important:
- soit en tant que critère de rattachement pour la désignation de la loi personnelle applicable aux parties si le système juridique n'est pas unifié;
- soit en tant que source normative entrant en conflit avec une norme suisse.
II. La religion en tant que critère de rattachement 1. Afin de déterminer la loi applicable, le juriste recherche des circonstances (ou points, ou critères) de rattachement. Souvent il se réfère à la nationalité, au domicile, à la résidence habituelle, à la situation des biens, au lieu de conclusion ou d'exécution du contrat, à l'autonomie de la volonté, etc.
Le critère de rattachement religieux ne fait son apparition qu'à un deuxième stade, si l'État dont la loi est applicable reconnaît aux communautés religieuses une certaine autonomie législative. Cette autonomie concerne normalement les questions de statut personnel considérées comme faisant partie de la sphère religieuse.
2. Pour résoudre ce problème qualifié de «renvoi interne», la LDIP ne dispose pas de règle particulière3. On peut cependant invoquer l'art. I qui dit:
La désignation d'un droit étranger par la présente loi comprend toutes les dispositions qui d'après ce droit sont applicables à la cause.
3. Concrètement, et à titre d'exemple, lorsqu'il s'agit de prononcer le divorce entre deux conjoints égyptiens qui ne remplissent pas les conditions de l'art. 61 LDIP, le juge doit leur appliquer leur droit national étranger commun, à savoir le droit égyptien. Comme il n'existe pas de droit unifié en la matière en Égypte, le juge doit:
1. connaître les règles de conflit des lois internes en Égypte4;
2. déterminer les religions des deux conjoints (s'ils sont musulmans, chrétiens, juifs ou sans religion reconnue), leurs communautés (chrétiens coptes, arméniens, etc.), et leurs confessions respectives (orthodoxes, catholiques ou protestants).
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