Partir plus tard
Les régimes de retraites complémentaires sont uniquement financés par les cotisations salariales et patronales. Ils pâtissent donc logiquement de la situation économique : plus le chômage augmente et moins il y a de cotisants pour financer les retraités. L'Agirc, la complémentaire des cadres, souffre en particulier d'un déséquilibre croissant entre les rentrées de cotisations de cadres, dont le nombre et les salaires augmentent désormais très lentement, et les prestations à verser à des retraités devenus beaucoup plus nombreux ces dernières années du fait de l'arrivée à l'âge de la retraite desbaby-boomers embauchés comme cadres dans les années 1960 et 1970. Mais contrairement au régime de base, les régimes complémentaires, qui représentent 60 % du total de la pension des cadres et 30 % de celle des ouvriers et employés, ont moins été réformés jusqu'ici. La fusion des deux régimes Agirc et Arrco est désormais envisagée par les partenaires sociaux à l'horizon 2019 (y compris par la CFE-CGC qui, très attachée à la spécificité du régime des cadres, s'y est finalement résolue). Ce qui devrait faciliter le rééquilibrage des comptes.
Pour réparer les voies d'eau, le patronat et trois des cinq syndicats représentatifs à l'échelle nationale, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, se sont accordés sur la mise en place d'un mécanisme de bonus-malus prévu pour 2019 et basé sur la durée de cotisation. L'âge "légal" du départ en retraite reste fixé à 62 ans, mais il faudra avoir cotisé un an de plus que les 41,5 ans exigés par le régime de base pour toucher sa retraite complémentaire à taux plein. Et si le futur retraité choisit de partir quand même à 62 ans (avec ses 41,5 annuités de cotisation), il subira une décote temporaire (pendant une période qui pourra durer jusqu'à trois ans) de 10 % sur sa pension complémentaire. Ce qui tend, de facto, à inciter les salariés à partir au minimum à 63 ans. D'autant que celui qui acceptera de travailler plus longtemps encore que les douze mois minimum au-delà de l'âge de départ normal requis bénéficiera, lui, d'une surcote allant de 10 % à 30 % sur sa retraite complémentaire.
Un tiers des retraités seront cependant épargnés par la réforme (les petites pensions, mais pas les salariés qui ont eu une carrière longue). Cet accord entérine aussi une perte de pouvoir d'achat avec une sous-indexation des pensions d'un point par rapport à l'inflation et le décalage de six mois de leur revalorisation : elle interviendra en novembre au lieu d'avril.
Hostiles à l'accord, la CGT et FO auraient souhaité en particulier une hausse significative des cotisations patronales. Les entreprises mettront certes davantage la main à la poche, mais cet effort sera intégralement compensé par l'Etat à travers une baisse de leur contribution à la branche accident du travail-maladies professionnelles. Du côté du régime obligatoire de base, en revanche, pas de nouveaux sacrifices de grande ampleur à l'ordre du jour. Habitués au gel de leur pension depuis 2013, les retraités rempilent pour une année supplémentaire de vache maigre. Certes, l'inflation quasi nulle ne devrait pas trop affecter leur pouvoir d'achat, mais la pension de 13,5 millions de retraités, désormais revalorisée chaque 1er octobre, n'a progressé cette année que de 0,1 %, soit quelques centimes de plus chaque mois. Et le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) 2016 prévoit que la revalorisation des prestations sociales se fasse désormais sur la base de l'inflation effectivement constatée et non plus prévisionnelle. Cela devrait certes représenter une économie substantielle pour les gestionnaires des régimes de retraites, mais une mauvaise opération pour les assurés.
Un système en équilibre
Le grignotage progressif des retraites de base ou complémentaires tous les deux ou trois ans peut donner le sentiment que le système de retraites par répartition est condamné à terme. Pourtant cette idée est trompeuse. En réalité, pour Gérard Cornilleau, économiste à l'OFCE et spécialiste des retraites, il n'y a plus vraiment péril en la demeure : "Avec toutes les réformes des retraites qui ont déjà été faites, on couvre entre 80 % et un peu plus de 100 % du besoin de financement à venir, même en tenant compte du vieillissement de la population. On est dans une situation de quasi-équilibre à long terme. Il n'y a donc pas de raison de prendre de nouvelles mesures drastiques, ni d'inquiéter les populations, en particulier les jeunes, qui pensent souvent, à tort, qu'ils n'auront pas de retraite."
Après la publication en 1991 du livre blanc de Michel Rocard sur les retraites, pas moins de cinq réformes se sont succédé. Avec au total un report de l'âge légal de départ en retraite de 60 à 62 ans, l'allongement de la durée de cotisation de 37 à 43 ans, l'indexation des rémunérations sur les prix et non plus sur les salaires, la prise en compte des 25 meilleures années de la carrière (au lieu des 10 meilleures) pour le calcul des pensions des salariés du privé et, parallèlement, un durcissement du régime des fonctionnaires et des régimes spéciaux.
A l'échéance du milieu du siècle, le choc du départ en retraite des baby-boomers sera absorbé et "notre situation démographique nous distingue d'autres pays, comme l'Allemagne, qui ont des difficultés bien plus importantes : chaque année, il naît 800 000 Françaises et Français, contre un petit peu plus de 600 000 Allemandes et Allemands", conclut l'économiste de l'OFCE. Cette situation démographique équilibrée et les sacrifices déjà consentis se traduisent dans les prévisions de la Commission européenne [1] : les dépenses consacrées à la retraite devraient baisser à l'horizon 2060 pour représenter 12,1 % du produit intérieur brut (PIB), contre 14,9 % aujourd'hui. Et la France est le pays d'Europe où ce ratio devrait diminuer le plus.
Des pensions en baisse
Si l'équilibre financier des retraites semble assuré à moyen terme, les retraités actuels - et a fortiori les futurs pensionnés - commencent en revanche à ressentir durement les conséquences de ces réformes. Le taux de remplacement (ratio entre le dernier salaire perçu et le montant de la pension) est orienté à la baisse. La dernière livraison du rapport sur les retraites et les retraités, publié par les ministères des Finances, des Affaires sociales et du Travail [2], montre pour la première fois une baisse du niveau moyen des retraites à l'âge de 66 ans en 2013.
Les retraites privées à la peine
Les Français sont souvent incités à se tourner vers l'épargne retraite privée pour compléter les montants des retraites par répartition qui diminuent. Les fonds de pension n'existent pas stricto sensu dans l'Hexagone, mais des produits financiers comme l'assurance-vie (1 565 milliards d'euros d'encours, fin 2014) en font souvent office. Ainsi que les produits d'épargne retraite individuelle ou collective d'entreprises, dont les gouvernements successifs ont beaucoup favorisé le développement au cours des dernières décennies : les "articles 83", les contrats Madelin, les plans d'épargne retraite populaires (Perp), les plans d'épargne retraite d'entreprise (Pére) ou encore les plans d'épargne retraite collectifs (Perco)…
Il n'empêche, l'épargne retraite ne représente encore que 5 % à peine du total des cotisations retraites collectées, selon le Conseil d'orientation des retraites. Même si les Perco ont connu une progression de 26 % entre 2013 et 2014, leur encours se chiffrait à "seulement" 10 milliards d'euros, fin 2014.
Les banques, assureurs et institutions de prévoyance, qui espèrent profiter de la baisse du taux de remplacement (notamment pour les cadres), expliquent ce peu d'engouement par un déficit de communication, un manque d'incitation fiscale et une trop forte instabilité juridique.
Problème supplémentaire : les taux d'intérêt, historiquement bas depuis plusieurs années déjà, ne permettent plus d'assurer des rendements suffisants pour vivre de ses rentes au cours de ses vieux jours. "Pour les assureurs, plus les taux sont bas, plus il est leur difficile de garantir des rendements, analyse Charles-Antoine Roger, spécialiste des retraites au sein du cabinet Mercer. Et si les taux remontent brusquement, la valeur de leur portefeuille pourrait s'effondrer."
Et ce n'est qu'un début : selon la Commission européenne, le taux de remplacement pourrait chuter de 51 % du dernier salaire en moyenne en 2013 à 39 % en 2060. "Cette baisse du niveau relatif des pensions était prévue, organisée dès la réforme Balladur de 1993. Personne n'a rien compris à cette mesure technique qui semblait alors indolore, mais le fait de désindexer les pensions sur les salaires pour les indexer sur l'inflation (qui croît moins vite que les salaires) a, au fur et à mesure de l'écoulement des générations, fait chuter le montant des pensions, au moment de leur liquidation. Cette baisse programmée des pensions permet d'assurer 20 % des besoins en financement des retraites. Les 80 % restants sont le fait du report de l'âge de départ à 62 ans", détaille Gérard Cornilleau.
Résultat : la pauvreté risque de faire son retour chez les seniors. Aujourd'hui, c'est souvent le patrimoine financier et immobilier des retraités, supérieur en moyenne de 17 % à celui des actifs, qui fait la différence et permet que leur niveau de vie soit comparable à celui des personnes d'âge actif. Mais il n'est pas sûr, là aussi, que cette situation perdure, prévient le Conseil d'orientation des retraites, notamment parce que les travailleurs actuels n'ont plus les moyens de se constituer un tel matelas.
D'ores et déjà, de plus en plus de retraités doivent travailler pour arrondir leurs fins de mois : 452 000 personnes cumulaient un emploi et leur retraite en 2012, contre 185 000 six ans plus tôt, pointe l'Insee. Malgré le durcissement des règles du dispositif du cumul emploi-retraite (les retraités qui travaillent n'acquièrent plus de nouveaux droits à la retraite), ils devraient continuer à être de plus en plus nombreux. Pas étonnant en tout cas que le financement des retraites arrive en tête des préoccupations des Français, devant la maladie (47 % des personnes interrogées lors d'une enquête du Crédoc à la demande de Terra Nova). Une proportion qui a doublé en vingt ans.
Sandrine Foulon Alternatives Economiques n° 351 - novembre 2015 L'assurance maladie à coups de rabot
David Belliard Alternatives Economiques n° 351 - novembre 2015
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale continue de chercher à réduire le déficit sans véritable vision.
Des économies à hauteur de 3,4 milliards d'euros sur l'assurance maladie, c'est le chiffre à retenir du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2016. Avec la volonté affichée de ramener cette branche de la Sécurité sociale, qui devrait encore être en déficit de 6,2 milliards d'euros l'an prochain, à l'équilibre à l'horizon 2020.
Marisol Touraine entend en particulier contenir la hausse des dépenses de l'Assurance maladie à 1,75 % en 2016 alors que, sans nouvelles coupes, celles-ci devraient croître de 3,6 %, selon les estimations du gouvernement. C'est sensiblement moins que la hausse prévue du PIB, qui devrait augmenter, lui, de 2,5 % en valeur nominale.
Dans sa ligne de mire : les médicaments et l'industrie pharmaceutique (avec 1 milliard d'économies prévues pour 2016), la rationalisation des prescriptions (pour 1,2 milliard), l'efficience de la dépense hospitalière (700millions) et le développement de la chirurgie ambulatoire, qui consiste à limiter la durée des séjours à l'hôpital pour administrer les soins directement à domicile (500 millions d'euros). Des mesures difficiles, en particulier pour l'hôpital public, une nouvelle fois mis à contribution alors que nombre d'établissements se trouvent déjà dans une situation budgétaire délicate.
En face de ces économies, Marisol Touraine pointe l'amélioration de l'accès à la contraception, de la prévention de l'obésité et du surpoids, et de l'accès aux soins de proximité, via un soutien aux médecins qui assurent la permanence des soins. Sans oublier l'instauration de la "protection universelle maladie", qui devrait permettre à chacun de faire valoir ses droits à remboursements, même en cas de changement de situation personnelle ou professionnelle. Une avancée significative dans un contexte de précarisation de l'emploi.
Une logique comptable
Ce PLFSS manque toutefois d'une véritable vision prospective du système de soins. Concernant l'ambulatoire, le gouvernement ne prend pas en compte en particulier les changements d'organisation nécessaires : cela implique une augmentation de la charge de travail des professionnels qui exercent hors du secteur hospitalier, et donc, par ricochets, de nouveaux coûts. De même, la baisse d'un milliard d'euros du coût des médicaments aurait nécessité une réflexion globale sur la définition d'un "panier de soins". Continuer à rembourser des médicaments à hauteur de 15 %, c'est rester dans un entre-deux inefficace. Soit ils sont utiles et remboursés, soit inutiles et non remboursés. C'est d'ailleurs ce que préconisait en août dernier le rapport de Dominique Polton.
David Belliard Alternatives Economiques n° 351 - novembre 2015 Jean-Paul Delevoye : "La République a besoin du Conseil économique, social et environnemental"
20 NOV. 2015
Le président du Conseil économique social et environnemental (CESE), figure de la société civile et avocat du "vivre-ensemble", estime que dans les circonstances difficiles que traverse la France, la troisième assemblée peut jouer un rôle essentiel.
Fort de votre expérience d’élu, de ministre, de médiateur de la République et de votre bilan à la présidence du CESE, que pensez-vous que notre pays doive faire pour surmonter l’épreuve qu’il traverse ?
La première des priorités, c’est de nous remobiliser autour des valeurs de la République. Au-delà des nécessaires premières décisions politiques, au-delà des réponses militaires et sécuritaires, il y a maintenant un combat idéologique à mener pour nous retrouver autour de notre vivre-ensemble. Sans intransigeance, nous devons nous montrer fermes et unis autour de nos valeurs d’humanité et de fraternité.
Face à ceux qui manipulent notre jeunesse au point que certains d’entre eux préfèrent réussir leur mort que leur vie, il faut nous rassembler autour de ces valeurs et réaffirmer notre confiance en nous – même, notre confiance en notre modèle de société.
Ce ne sera pas facile car face à l’horreur, à l’absence de sens, au sentiment possible et pernicieux d’impuissance, nous allons avoir des difficultés à poser demain les termes du débat. Ne nous méprenons pas, l’unanimisme sera vite rompu, le simplisme vite à nouveau omniprésent. Il nous faut entendre et faire entendre des paroles pertinentes dans un débat inévitablement contradictoire. C’est ainsi qu’une démocratie résiste et surmonte les épreuves.
Quel rôle le CESE doit-il jouer dans ce débat ?
La République a besoin du CESE. C’est ce qui m’a guidé pendant mes cinq années de présidence : tout faire pour que cette institution s’ouvre réellement à toutes les composantes de notre société et qu’elle redevienne source et force de proposition de la société civile organisée. Nous en avons fait un lieu privilégié de réflexion, d’échanges, de dialogues préparant la société de demain. Le CESE est la troisième assemblée constitutionnelle de la République, il est constitué d’hommes et de femmes qui représentent les forces vives de la nation. À ce titre, grâce à la diversité et à la qualité de ses membres, à la pertinence de ses avis, le CESE doit continuer à exercer sa capacité à être force de proposition. Je continue à plaider pour que le CESE se nourrisse de tous les courants d’idées qui traversent notre société et permette à la société civile de se réapproprier les grands enjeux économiques, sociaux et environnementaux d’aujourd’hui.
Comment le CESE peut-il évoluer dans les années qui viennent ?
J’aimerais que le CESE continue à être ce lieu ouvert à tous les débats qui contribuent au "vivre-ensemble" et qu’il ne redevienne pas uniquement une assemblée de socioprofessionnels tentés par le repli sur soi. Ma seule ambition, dans un dernier mandat et alors que j’ai toute mon indépendance, est de préserver ce lieu comme un lieu équilibré de citoyenneté vivante, de neutralité et de réflexion.
 |