Les interdits alimentaires
Chez les juifs, les chrétiens et les musulmans
Par
Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh1
2003
Chapitre I Interdits alimentaires chez les juifs 3
Les mammifères terrestres 3
Les oiseaux 4
Les animaux aquatiques 4
Toutes les autres espèces 4
Les produits de la terre 4
Les boissons 5
Les aliments sacrificiels aux idoles 6
Le sang 6
La bête morte et l'abattage 6
La chasse 7
Le mélange de viande et de lait 7
Les aliments du sabbat et de Pâque 8
Les aliments des non-juifs 8
La nécessité fait loi 9
Les raisons des interdits alimentaires 9
Les interdits alimentaires entre loi et pratique 11
Chapitre II Interdits alimentaires chez les chrétiens 12
L'abolition presque totale des interdits 12
L'interdiction du cheval 14
L'abstinence 14
Les groupes chrétiens observant des interdits alimentaires 14
Chapitre III Interdits alimentaires chez les musulmans 15
Le principe est la licéité, sans gaspillage 16
L'interdit est décidé par Dieu 16
Les interdits des juifs ne s'appliquent pas aux musulmans 16
Les bêtes terrestres 18
Le porc 18
Les bêtes de troupeau 19
Les équins 19
Les animaux prédateurs à canines 20
Les rongeurs 20
Les insectes et les vers 21
Les oiseaux 21
Les animaux aquatiques 21
Les animaux se nourrissant de détritus 22
Les gibiers dans le pèlerinage 22
Les animaux à tuer ou interdit de tuer 22
Les animaux morts et l'abattage 22
Le sang 25
Les parties des animaux autres que leur viande 25
Les fruits de la terre 26
Les boissons, la drogue et le tabac 26
Les aliments sacrificiels pour une idole 27
La nécessité fait loi 27
La transformation de l'aliment et sa contamination 28
Les produits composés de plusieurs ingrédients 29
Les aliments des non-musulmans 29
Consommation d'un aliment douteux et viande importée 31
Le Ramadan 32
La consommation dans des ustensiles en or ou argent 32
Les raisons des interdits alimentaires 32
Les interdits alimentaires entre loi et pratique 34
Bibliographie 37
On trouve des interdits alimentaires partout dans le monde, et ces interdits diffèrent d’un groupe social à l’autre, même si parfois ils se recoupent. Rares sont les gens qui sont omnivores.
Nous ne parlerons pas ici des spécificités régionales des différents groupes ethniques ou nationaux, mais des interdits qui peuvent être considérés comme communs aux trois communautés religieuses monothéistes en vertu de considérations religieuses.
Nous signalons aux lecteurs et aux lectrices que cet article est provisoire. Il est mis sur internet avec l'espoir de profiter de leurs observations constructives et bienveillantes afin d'améliorer son contenu et sa forme. On peut me contacter par email: saldeeb@bluewin.ch. Site : www.sami-aldeeb.com.
Chapitre I Interdits alimentaires chez les juifs Les interdits alimentaires chez les juifs trouvent leurs sources dans la Bible, complétée par la Mishnah et le Talmud1. Les aliments permis sont appelés de nos jours aliments cacher, c'est-à-dire adéquats, propres à la consommation. Le terme cacher est utilisé pour d'autres choses que les aliments. Ainsi on dit un témoin cacher lorsqu'il remplit les conditions légales, et un rouleau de la Torah cacher lorsqu'il est sans faute2. La Bible parle d'animal pur (tahor) et d'animal impur (tame), termes que nous utilisons dans ce texte. Les normes juives relatives aux interdits alimentaires peuvent être résumées comme suit:
Les mammifères terrestres Ne sont considérés comme purs que les animaux ruminants ayant des sabots fourchus (Dt 14:6). La Bible en nomme dix expressément: le bœuf, le mouton, la chèvre, le cerf, la gazelle, le daim, le bouquetin, l'antilope, l'oryx et le mouflon. (Dt 14:4-5). Tous les autres mammifères à qui il manque une de ces caractéristiques ou les deux sont impurs, donc interdits. C’est le cas du chameau, du lapin et du daman qui ruminent mais n'ont pas de sabots fourchus, et du porc qui a le sabot fourchu mais ne rumine pas (Dt 14:7-8). La Bible nomme dans cette dernière catégorie 42 animaux impurs.
Les oiseaux Les oiseaux sont purs à l'exception de 24 espèces considérées impures dont la liste est compilée à partir du Lv 11:13-19 (qui en nomme 20) et Dt 14:12-18 (qui en nomme 21), entre autres l'aigle, l'autruche, le pélican, la cigogne, le hibou, etc. Dans la pratique sont considérés comme purs les oiseaux domestiques (poule, caille, canard, oie, etc.) et comme impurs les oiseaux sauvages et en particulier les oiseaux de proie. Il n'est pas aisé aujourd'hui d'identifier tous ces oiseaux interdits. Aussi, certains canards et pigeons sont consommés après identification de l'espèce par un connaisseur1. Le faisan est considéré comme pur par la communauté juive allemande, et impur par les autres. Les oeufs des oiseaux impurs sont impurs. Le Talmud donne comme indice pour les oeufs impurs le fait qu'ils soient ronds.
Les animaux aquatiques Ne sont purs que les animaux aquatiques qui ont des nageoires et des écailles (Lv 11:9-12). Tous les poissons à qui il manque soit nageoires, soit écailles ou les deux ainsi que tous les crustacés, les coquillages, les fruits de mer sont impurs. L’espadon a posé problème. Les Sépharades le permettent, alors que les Ashkénazes d'Angleterre l'interdisent
Toutes les autres espèces Toutes les autres espèces comme les rongeurs, les reptiles, les batraciens, les insectes et les invertébrés sont impures. La Bible cependant excepte quatre sortes de sauterelles comestibles (Lv 11:22). Mais il est difficile de les identifier aujourd'hui2. Et bien que l'abeille soit un animal interdit, son miel peut être mangé.
Les produits de la terre Les produits de la terre sont purs, à l'exception des fruits (dits orlah) d’un arbre pendant les trois premières années (Lv 19:23) et une portion (dite halah) de pain ou de gâteau préparé avec une de cinq céréales (blé, orge, épeautre, avoine et seigle), portion remise alors aux prêtres. La maîtresse de maison prélève un petit morceau de pain et de gâteau et le brûle3.
Les boissons Les jus de fruits et de légumes, tout comme les fruits et les légumes, sont propres à la consommation. Le lait des animaux purs, comme le lait de vache, est autorisé alors que le lait des animaux impurs, comme le lait d’ânesse, est interdit. Le vin et les alcools à base de vin comme le cognac est un produit pur et peut être consommé. Mais la Torah interdit l'usage et la consommation des boissons à base de raisin ou d'alcool de raisin, et tout produit du pressoir qui n'auraient pas été fabriqués sous le contrôle d'un rabbin compétent, ou qui auraient été manipulés par un non-juif. Ceci s'étend jusqu'au vinaigre, l'huile de pépins de raisins ou le sucre de raisins1. On doit cependant signaler que le Lévitique interdit aux prêtres de consommer le vin ou autre boisson fermentée quand ils viennent à la Tente du Rendez-vous, quand ils séparent le sacré et le profane, l'impur et le pur, et quand ils font connaître aux Israélites n'importe lequel des décrets que Yahvé a édictés par l'intermédiaire de Moïse (Lv 10:9). Dans Ézéchiel il est demandé au prêtre de ne pas boire du vin "le jour où il entrera dans le parvis intérieur" (Ez 44:8). Il est aussi question de vœux temporaires ou perpétuels de ne pas boire du vin (voir Nb 6:3-4; Jg 13:7 et 14 et Lc 1:15).
Si un non-juif touche certains produits purs, ces produits deviennent impurs et donc inconsommables. Moshe Menuhin, père du fameux violoniste Yehudi Menuhin, rapporte que la maison de son grand-père dans la colonie juive de Bokhara en Palestine était ouverte aux Gentils lors d'une Pâque juive. On leur a dressé une table séparée. Menuhin ajoute:
Dès que les invités étrangers furent partis, il (grand-père) alla jusqu'à la table des invités et, avec un sourire, prit toutes les bouteilles de vin qui avaient été ouvertes (il y en avait un bon nombre), les emporta dehors et les vida dans le caniveau. Quelques-unes des bouteilles étaient presque pleines et je ne comprenais pas un tel gaspillage. Je demandai: "Quel mal les goyim ont-ils fait au vin?" Grand-père sourit et expliqua que, selon le code des lois juives, tout vin ouvert par un goy devenait yayin nesech, du vin païen et par conséquent imbuvable2.
Yediot Ahranot, journal israélien en hébreu, rapporte qu'en avril 2000 le Grand rabbinat en Israël a ordonné aux fermiers juifs, sous menace de ne pas leur livrer le certificat de pureté, de jeter environ 2.4 millions de litres de lait dont le prix est estimé à $2.5 millions. La raison: on avait découvert que des non-juifs (Gentils) avaient été impliqués dans la production du lait. Ce lait a été alors jeté dans les caniveaux. Le site Internet Sound Vision, site musulman, qui rapporte cette information, la commente en disant qu’on aurait souhaité que ce lait ait été donné à ceux qui sont supposés l’avoir souillé. Jusqu’à maintenant on savait seulement que selon la loi Hindoue de Manu Smirti la nourriture devenait souillée par le toucher d’une personne appartenant à la caste des intouchables3.
Les aliments sacrificiels aux idoles Pour que les animaux purs et le vin restent purs, il ne faut pas qu'ils soient dédiés aux libations d'un culte idolâtre. La consommation d'un tel aliment sacrificiel est assimilée à une participation à ce culte (Ex 22:19)1. De ce fait, la fabrication du vin doit être contrôlée par un juif depuis le début jusqu'à la fin.
Le sang La consommation du sang est interdite "car le sang c'est l'âme et tu ne dois pas manger l'âme avec la chair" (Dt 12:23; voir aussi Gn 9:4; Lv 17:12-14). De ce fait, l'animal doit être égorgé pour le vider de son sang, et ensuite sa viande est salée deux fois et rincée avec de l'eau trois fois pour supprimer toute trace de sang. On peut aussi recourir au grillage de la viande directement sur la flamme, et le jus ne peut alors être récupéré. Le foie ne peut être vidé de son sang que par cette méthode, comme certains autres abats. Comme conséquence de cette norme, il est interdit de consommer un membre d’un animal vivant (Gn 9:4).
La bête morte et l'abattage Est liée à la norme précédente l'interdiction de manger les mammifères et les oiseaux morts de mort naturelle ou abattus de façon non rituelle (Dt 14:21; Ex 22:30). Celui qui viole cette interdiction doit se purifier (Lv 17:15 et 22:8; Ez 4:14). L’abattage rituel consiste au moyen d’un couteau parfaitement aiguisé à trancher, le plus rapidement possible et en causant le minimum de souffrances à l’animal, la trachée-artère, l’œsophage, la veine jugulaire et la carotide. Le boucher doit être juif. La Bible prévoit de donner la viande d'une bête morte aux chiens (Ex 22:30) ou de la donner ou la vendre aux non-juifs (Dt 14:21). On y reviendra. Seuls les poissons et les sauterelles n'ont pas besoin d'être abattus rituellement.
Le boucher doit enlever le suif (graisse de l'animal), jadis interdit à la consommation car il faisait partie des sacrifices au Temple de Jérusalem (Lv 4:19). Il en est de même du nerf sciatique (Gn 32:33). Et comme il est difficile d'enlever ce nerf on a décidé de renoncer à la consommation du quartier arrière de tous les mammifères. Le nerf sciatique des oiseaux n'est pas enlevé..
L'animal abattu doit être parfait, ni malade, ni blessé (Ex 22:30; Lv 17:15), ni castré. L'abattage est suivi d'un examen anatomique de la bête, et toute lésion est discutée pour savoir si elle rend ou non l'animal impropre à la consommation. Selon les normes juives, ne peuvent être abattus que des animaux ayant certains critères de santé, et à ce titre l'anesthésie préalable par électrocution, ou l'étourdissement à la masse ou au pistolet sont incompatibles avec l'abattage rituel2. Nous verrons lorsque nous parlerons des musulmans que de telles normes sont discutables.
La chasse N'ayant pas trouvé d'information dans les livres sur la chasse, j'ai posé la question suivante sur Internet:
Est-ce qu'un Juif peut s'adonner à la chasse des oiseaux ou des autres animaux terrestres (avec quels moyens?) et les manger (lorsqu'il s'agit d'oiseaux et d'animaux permis)?
Un rabbin m'a répondu:
Un juif ne peut s'adonner à la chasse pour deux raisons essentielles:
- L'animal consommé doit être tué rituellement, c'est-à-dire la gorge tranchée par une lame sans défaut.
- Il est interdit de causer une souffrance quelque soit à un animal1.
Un autre rabbin m'a donné une réponse aussi catégorique:
Pour consommer un animal, nous devons obligatoirement le tuer rituellement. Le chasser pour le manger n'est donc pas autorisé2.
Un troisième rabbin m'a donné des informations plus nuancées dont je cite l'extrait suivant:
Un auteur du 17ème siècle, le "Noda Biyehouda" résume la réponse en trois points:
Chasser pour le plaisir (et non pour se nourrir) contrevient à trois règles:
- L'interdiction de faire souffrir les animaux, découlant de l'obligation de décharger un animal ployant sous sa charge (Exode 23, 5).
- L'interdiction de détruire quoi que ce soit si ce n'est dans un but constructif, découlant de Deutéronome 20, 19.
- La chasse est une des particularités d'Ésaü et de Nemrod, grands chasseurs de la Bible. Il ne sied pas aux descendants d'Abraham, Isaac et Jacob de suivre le mode de vie de ces deux célébrités qui ayant commencé par chasser le gibier en sont venus à chasser les femmes puis à tuer les hommes sans aucune pitié. C'est pourquoi les Juifs n'ont jamais été connus pour être des chasseurs.
Dans le même ordre d'idées, la pêche n'est permise que pour s'en nourrir et non "pour le plaisir". Il est attendu d'un juif respectant la Torah d'autres plaisirs que la chasse et la pêche: l'étude, la pratique des Commandements, et notamment la bonté envers les individus et la totalité des créatures de Dieu.
Et comment chasser pour manger? Il est clair que chasser au fusil ou à l'arc, voire les pièges agressifs peuvent rendre l'animal interdit soit en le tuant, et le rendant interdit, soit en portant des lésions graves qui le rendent impropres à l'abattage rituel nécessaire. Il reste les filets pour attraper les animaux permis à la consommation3.
Le mélange de viande et de lait Il est interdit de mélanger la viande (et ses dérivés) et le lait (et ses dérivés comme le fromage et le beurre) en raison du verset répété trois fois: «Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère » (Ex 23:19 et 34:26, et Dt 14:21). Il est interdit de cuire, de consommer ou profiter d’une nourriture qui comporte un tel mélange. Pour cela le juif qui veut observer les normes alimentaires doit avoir deux vaisselles: une vaisselle pour les plats carnés et une autre pour les plats lactés. Cette vaisselle, préférablement de différente couleur, est lavée et gardée séparément. La volaille est assimilée à la viande, mais les poissons peuvent être cuits dans le lait et mangés dans les deux vaisselles. Une troisième vaisselle dite parve (neutre) sert à des aliments qui ne sont ni carnés ni lactés1. Après avoir consommé des laitages on attend une demi-heure à une heure pour consommer des viandes, parfois six heures après la consommation de certains fromages à pâte dure, ou cuite. Après la viande on attend six heures pour consommer du lait, le temps de digestion étant estimé plus long. On peut cependant réduire ces délais pour des malades ou des nourrissons en cas de besoin2.
Le lait et la viande et leurs dérivés entrent, séparément ou conjointement dans différents produits. Si les normes juives concernant ces deux produits ne sont pas respectées, l'aliment devient interdit. C'est le cas par exemple du pain dans lequel on ajoute de la graisse animale ou lactique, et qui plus est, les levures de panification sont fabriquées à partir d'un alcool vinique qui les rend interdit. C'est le cas aussi des produits pour enfants3.
Les aliments du sabbat et de Pâque Un aliment consommé lors du sabbat doit être cuit dans le respect des normes du sabbat. Ce jour-là, il est interdit de faire 39 sortes de travail, dont allumer du feu (Ex 35:3). Pour ne pas violer cette norme, on allume le feu une heure avant le début du sabbat et on le laisse allumé tout le sabbat jusqu’au lendemain. On peut consommer la nourriture mise sur le feu avant le sabbat4. De même, il est interdit de consommer du levain pendant les huit jours de Pâque (Ex 12:15, 19 et 20). Il existe aussi une vaisselle particulière pour Pâque afin qu'il n'y ait aucune trace de levain5.
Les aliments des non-juifs Plusieurs normes juives excluent le non-juif de la préparation des aliments purs. Nous tirons les citations suivantes d'un texte d'un rabbin publié sur Internet:
- "La Torah a interdit l'usage et la consommation de ... tous produits du pressoir qui n'auraient pas été fabriqués sous le contrôle d'un rabbin compétent, ou qui auraient été manipulés par un non juif ".
- "Il est d'usage que l'allumage du four ou des plaques soit fait par un juif, juif conscient de l'importance de la Mitzvah (commandement religieux) en guise de participation à la préparation des mets".
- "On ne consomme que des laitages traits ou préparés en présence d'un juif. Cet usage remonte à l'époque où se vendait du lait d'ânesse, de truie ou de chamelle. Il est resté de règle dans de nombreuses communautés. Les fromages doivent également être élaborés sous surveillant rabbinique pour exclure l'usage de présure d'origine interdite".
- "Les ustensiles de cuisine et les services de table doivent être immergés dans un Mikvé (bain rituel) lorsqu'ils ont été fabriqués ou vendus par des non juifs. Et ce même s'ils n'ont jamais été utilisés"
- "Nos sages ont recommandé de ne pas donner un nourrisson à une nourrice non juive"1.
- Est interdite "la consommation ou toute autre utilisation au bénéfice du vin des non juifs, même lorsque celui-ci est produit ou utilisé à d'autres fins qu'un rite religieux païen. Pourquoi? Les raisons sont simples, l'une d'elles est que tout en gardant des relations de respect mutuel dans nos relations de travail ou de vie sociale dans l'État avec nos voisins non-juifs, nous devons nous préserver d'amitié trop proche qui risquerait, Dieu nous en préserve, de nous conduire à des mariages mixtes ou à une assimilation avec des adeptes d'une autre foi. Cette interdiction s'étend également sur le vin produit ou manipulé par des non juifs ou par des juifs qui ont renié ou se sont écartés de la Torah et des Mitsvot (commandements religieux)". Le vin pur "doit être produit, depuis les toutes premières étapes de la mise du raisin en cuve jusqu'à sa mise en bouteille, par un juif observant, et n'être, à aucun moment, manipulé par un non-juif"2.
La nécessité fait loi En cas de nécessité, notamment en cas de maladie mortelle, et dont le seul traitement serait l'absorption de nourritures ou de médicaments à base d'ingrédients impurs, les lois alimentaires s'effacent totalement. Devant une maladie moins grave, et lorsqu'on a le choix thérapeutique, on s'efforcera de choisir des médicaments aux composants permis. Les voies autres qu'orales, injections, suppositoires, pommades, spray ne posent par contre aucun problème3.
Les raisons des interdits alimentaires La seule justification avancée par la Bible concernant les animaux est "de séparer le pur de l'impur" (Lv 11:47). Une preuve parmi tant d'autres que la Bible, livre sacré chez les juifs, les chrétiens et les musulmans, véhicule une conception raciste4. Ce concept de la pureté est clair dans les deux versets suivants:
Vous serez pour moi des hommes saints. Vous ne mangerez pas la viande d’une bête déchiquetée par un fauve dans la campagne, vous la jetterez aux chiens (Ex 22:30).
Vous ne pourrez manger aucune bête crevée. Tu la donneras à l'étranger qui réside chez toi pour qu'il la mange, ou bien vends-la à un étranger du dehors. Tu es en effet un peuple consacré à Yahvé ton Dieu (Dt 14:21).
Sur Internet, un rabbin écrit à propos des interdits alimentaires: "L'éviction des animaux impurs doit donner à l'homme une pureté de l'esprit, sensible dans ses pensées, ses paroles et ses actions". Ce document ajoute: "La définition des animaux impurs émane de la seule volonté du Créateur. Elle ne se préoccupe ni avec des critères sanitaires, ni des qualités nutritionnelles"1.
Cela n'a pas empêché certains d'avancer au cours des siècles, des explications, notamment pseudo-médicales, aussi nombreuses que peu vraisemblables, à but apologétique: Dieu sait ce qui est bon pour nous et la meilleure preuve de cette bonté est que les aliments interdits sont mauvais pour la santé. Ainsi Maïmonide écrit que "tous les aliments que la Loi nous a défendus forment une nourriture malsaine". Il explique que le porc est interdit parce qu'il "est malpropre et qu'il se nourrit de choses malpropres... Si l'on se nourrissait de la chair des porcs, les rues et même les maisons seraient plus malpropres que les latrines, comme on le voit maintenant dans le pays des Francs". Quant aux graisses des entrailles, elles "sont trop nourrissantes, nuisent à la digestion et produisent du sang froid très épais; c'est pourquoi il convient plutôt de les brûler". En ce qui concerne la distinction faite entre les animaux ruminants à sabots fourchus et les autres animaux, et entre les poissons ayant des nageoires et des écailles et les autres poissons, il estime que ces différences sont des signes "qui servent à faire reconnaître la bonne espèce et la distinguer de la mauvaise"2.
Certains pensent que les nombreuses règles visaient à encourager le végétarisme. On fait remarquer que deux rébellions contre Moïse sont liées directement au désir de consommer de la viande (Ex 16:3 ; Nb 11:20). Dieu n’a permis la consommation de la viande qu’en raison de la faiblesse humaine. On estime aussi que le végétarisme empêche les êtres humains de s’attaquer les uns les autres comme les animaux3. Philon d'Alexandrie estime que l'interdiction de manger des animaux féroces vise à ce que les hommes ne se comportent pas comme eux4.
On a aussi cherché des raisons historiques. Ainsi l'interdiction du porc aurait été édictée par le fait qu'il s'agissait d'un animal sacrificiel (voir Is 65:3-5, 66:3 et 17), qu'il était un animal sacré, l’incarnation du Dieu Attis en Asie mineure, et identifié à Osiris et Seth chez les Égyptiens, ou qu'il était l'emblème de la légion romaine en Palestine. Ces hypothèses prouvent que l'interdiction du porc était en réaction aux rites païens ou pour des raisons politiques5. Après avoir expliqué la raison hygiénique de l'interdiction de manger de la viande cuite dans du lait, Maïmonide avance l'argument que cette interdiction pourrait aussi être liée au fait qu'on en mangeait dans une certaine cérémonie idolâtre, ou à l'une des fêtes des païens. Il invoque ici le fait que cette interdiction figure à côté du précepte relatif au pèlerinage (Ex 23:17-19)1.
Les interdits alimentaires entre loi et pratique Il ne semble pas que les interdits alimentaires aient toujours été observés par le passé. Mais les milieux religieux juifs ont toujours insisté sur ces interdits. Isaïe fulmine d'ailleurs contre ceux qui violent ces interdits: "Ceux... qui mangent de la chair de porc, des choses abominables et du rat, d'un même coup finiront, oracle de Yahvé, leurs actions et leurs pensées" (Is 66:17). Ézéchiel dit que "depuis mon enfance jusqu'à présent, jamais je n'ai mangé de bête crevée ou déchirée, et aucune viande avariée ne m'est entrée dans la bouche" (Ez 4:14). Le premier livre des Maccabées dit que du temps du roi grec de Syrie Antiochus Épiphane il y avait un mouvement juif qui voulait s'intégrer aux autres nations et abandonner les lois religieuses. Ce qui provoqua la colère des milieux juifs. Un des aspects de cette assimilation est l'abandon de la circoncision et des interdits alimentaires. Mais "plusieurs en Israël se montrèrent fermes et furent assez forts pour ne pas manger des mets impurs. Ils acceptèrent de mourir plutôt que de se contaminer par la nourriture" (I M 62. Voir aussi II M chap. 6 et 7). On lit dans le livre de Tobie: "Lors de la déportation en Assyrie, quand je fus emmené, je vins à Ninive. Tous mes frères, et ceux de ma race, mangeaient les mets des païens; pour moi, je me gardais de manger les mets des païens" (Tb 1:10-11).
Dans les temps modernes, les juifs réformés n'insistent pas sur les interdits alimentaires. Lors du congrès de Pittsburgh (nov. 1885) les juifs réformés ont déclaré: « Les lois alimentaires viennent d’époques et d’idées totalement étrangères à notre état mental et spirituel… Les observer de nos jours contribuera à diminuer plutôt qu’à encourager une élévation spirituelle moderne»2.
Mais les juifs orthodoxes et conservateurs continuent toujours à prêcher et à appliquer ces normes. Chaque fois qu'elles le peuvent, leurs autorités religieuses n'hésitant pas à recourir à des moyens coercitifs usant de leur privilège de délivrer des certificats de pureté. Ce que nous avons vu à propos des 2.4 millions de litres de lait, que les fermiers israéliens ont dû jeter parce que manipulés par des non-juifs, se produit dans tous les domaines de l'alimentation, de la restauration et de l'hôtellerie. Dans certains pays, ces autorités ont le monopole, reconnu par l'État, de la certification de pureté, sur laquelle elles perçoivent une taxe.
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