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Il lança son bras dans la nuit. Un arbre. Un bouleau. Le bord. Ils étaient au bord.» (page 12 : les trois brèves phrases nominales enregistrent la prise de conscience graduelle du personnage). Giono ne se soucie pas des répétitions, ces trois exemples étant choisis dans une multitude : - «C’était le cinquième homme qui mourait depuis la nouvelle lune. Et de la même maladie. Une mousse noire qui prenait tout le rond du ventre et qui avait comme des racines de fer. Elle mangeait la peau puis elle rentrait là-bas dedans fouiller durement les tripes. Alors les hommes mouraient en criant. Ça faisait le cinquième» (page 30) ; - «Un frémissement de lumière grise coula […] Il n’y avait pas de lumière dans le ciel, seulement là-bas vers l’est une blessure violette. La lumière venait de la colline. Sortie la première de la nuit, noire comme une charbonnière, elle lançait une lumière douce vers le ciel plat : la lumière retombait sur la terre avec un petit gémissement.» (page 81) - «sautant la terre de saut en saut» » (page 226). On peut aussi lui reprocher sa négligence à l’égard de la négation : «La sauvagerie des mots qui roulaient parfois plus fort dans sa gorge était plus qu’une sauvagerie d’homme qui souffre.» (page 186), sa ponctuation assez constamment désinvolte, son «en raquettes» (page 149) alors qu’évidemment on n’est pas à l’intérieur des raquettes ! Giono se montra un fin observateur de la nature et des êtres : - «Un épervier passa. Il baissait son vol comme pour essayer de passer sous la pluie. Il rasait l’herbe et il remontait en criant.» (page 95). - «Sans se presser, un cerf passa devant eux, à la lisière de la pluie. Il portait son branchage bas. Il soufflait deux jets de vapeur. Il s’en alla lentement vers les bois, à travers les prés, en cherchant des sabots dans l’herbe spongieuse. […] Il tourna la tête. Il regarda les hommes. […] Il avait d’énormes sourcils roux chargés d’eau.» (page 98). - «Des sangliers qui te prennent sous le vent et qui arrivent comme chez eux. Alors ils se lavent l’entre des cuisses avec la terre, ils avalent de longs vers noirs en levant le museau. Ou bien tu vois courir la mère et les petits porcs?» (page 186). Il proposa aussi de saisissants effets d’impressionnisme : - «Le jour bleu coulait de la fenêtre et déjà il faisait flotter dans la lumière un escabeau de bois, la table faite de troncs d’arbres, le bas du lit. Le haut du lit était encore dans l’ombre. Le visage de sucre de l’accouchée se confondait avec l’oreiller blême et le drap.» (page 50) ; - «Le battement des foulons recommençait à lancer dans les cavités de la ville le tremblement des taureaux abattus.» (page 114) ; - «De l’autre côté du vallon la ville venait vers lui en grandissant à toute vitesse.» (page 150). - il rendit le vertige qu’Antonio ressentit : «Il était maintenant incliné sur la pente. Il touchait la montagne de tout son corps. Le gouffre blanc de la vallée sifflait doucement un petit sifflement lugubre, si doux qu’il amolissait les nerfs, les muscles et desserrait l’étreinte des mains et des pieds. La tête d’Antonio était plus lourde que toute la montagne. En bas, les champs de neige se soulevaient comme une tempête du monde ; des fois ils montaient à toute vitesse avec leur charge de fleuve et d’arbres et ils venaient toucher Antonio ; il n’avait plus qu’un pas à faire un pas hors de la pente et il était à l’abri. Puis, ils s’effondraient à toute vitesse, ils étaient encore à des kilomètres en bas dessous et il ne fallait pas bouger le pied.» (page 179) ; - «Tout le ciel tiède battait contre la fenêtre.» (page 221) ; - la réunion de Puberclaire est vue et interprétée de l’extérieur par Antonio et le besson (page 245). Les descriptions ont une grande importance dans le roman où elles abondent sans jamais peser sur le récit auxquelles elles sont intégrées, qu’elles construisent et dont elles font la richesse. En effet, elles ne se superposent pas. Puisque nous suivons Antonio et Matelot, nous voyons ce qu'ils voient, nous entendons les bruits qu'ils perçoivent, nous sentons les odeurs qu'ils respirent. Ainsi la nature nous est-elle décrite sous la pluie parce qu'Antonio et Matelot marchent trempés (pages 94 et suivantes). Chez Giono, symphoniste de la nature qui provoque en lui un véritable enivrement, l’émerveillement face à la vie est constant. La nature est sans cesse observée et scrutée, saisie de la façon la plus complète pour tendre à une synesthésie. Mais, comme elle est en perpétuel mouvement, il est difficile à fixer. ‘’Le chant du monde’’ est empreint d’une écriture sensuelle, caractérisée par un mélange à la fois simple et savant des impressions sensorielles. Aucune phrase alors ne s'attarde sur l'objet (arbre, oiseau,lumière, odeur, etc...) qu'elle capte ; elle passe à un autre immédiatement dans le désir de tout transmettre, de tout faire goûter, d’atteindre à une véritable synesthésie, à un recours à tous les sens : - la vue évidemment ; - l’odorat surtout : «l’odeur des pins» - «l’odeur des mousses chevrillonnes» (page 14) - «l’odeur des mousses se leva de son nid et élargit ses belles ailes d’anis» - «l’odeur du fleuve» (page 15) -«L’enfant avait sur lui l’odeur épaisse de sa mère» (page 17) - «l’odeur de l’humus chaud» (page 19) - «L’air était sucré.» (page 26) - «La résine coula. Son odeur éveilla l’odeur de toutes les sèves.» (page 267) - «Ça sentait la mousse et la bête. Ça sentait aussi la boue ; cette odeur âpre, un peu effrayante qui est l’odeur des silex mâchés par l’eau. De temps en temps, il y avait aussi une odeur de montagne qui venait par le vent devant. Antonio releva sa manche de chemise et il renifla tout le long de son bras. Il avait besoin de cette odeur de peau d’homme.»» (page 33) ; la sensibilité à l’odorat est poussée chez Clara, l’aveugle (les aveugles ont une place de choix dans l’œuvre de Giono) : d’Antonio, elle remarque qu’«il sent le poisson» et ajoute : «Ton odeur n’est pas mauvaise. Tu sens l’eau.» (page 55) - «C’est le printemps, disait Clara […] ça sent.» (page 265) : «Elle se mit à toucher l’enfant. Ils regardaient tous les trois ces longs doigts blêmes, ces mains qui n’étaient pas seulement souples mais, ô miracle, semblaient avoir la force enveloppante de l’eau.» (page 54). De ce fait, elle n’en voit pas moins : «les yeux aveugles le regardèrent longtemps en silence» (page 61). - la peau même («toute sa peau», page 79), d’où l’importance accordée à la nage (pages 24-26) Clara sent le monde d’une façon totale, par toutes les parties de son corps, en se fondant dans le printemps : «Toutes les choses du monde arrivent à des endroits de mon corps – elle toucha ses cuisses, ses seins, son cou, ses joues, son front, ses cheveux – c’est attaché à moi par des petites ficelles tremblantes. Je suis printemps, moi maintenant, je suis envieuse comme tout ça autour, je suis pleine de grosses envies comme le monde maintenant.» (page 266). Son émotion sensuelle dans le bain du printemps qu’Antonio lui offre est celle même du coït amoureux, comme le suggère ce rapprochement : «Une grande chose était en train de s’acomplir ici avec une odeur de pâte en train de lever ! Un odeur de farine pétrie, l’odeur salée des hommes et des femmes qui font l’amour !» (page 279). - en recherchant le contact le plus direct avec la terre, source de toute vie : dans le brouillard, Antonio enlève ses souliers : «En marchant pieds nus il sentait mieux la qualité de la terre.» (page 33) afin de conserver ce contact que ses yeux et ses oreilles lui refusent maintenant. Mais, surtout, Clara accouche sur la terre nue de la forêt (page 40) «comme une laie» (page 153), et Antonio, à la fin (ce sont les dernières lignes du livre), désire «se coucher avec elle sur la terre» (page 282). Les personnages de Giono sont comme cet Antée de la mythologie grecque qui, pour reprendre sa force vitale, avait besoin du contact de la terre. Les descriptions ont pour fonction de montrer que l'être humain est dans le monde, quoi qu'il en pense, et que, s'il sait écouter, voir, entendre, toucher la nature dans laquelle il évolue, il ne peut que vivre en harmonie avec lui-même et atteindre une sérénité bienheureuse, une allégresse cosmique, qu’il appartient à l'écrivain de rendre perceptible et de faire partager en trouvant les mots. Cette vie unique est une présence constante, compacte, sans cesse renouvelée, partout insinuée. Aussi est-elle rendue surtout par des mots qui évoquent l’état liquide et, en particulier, par le verbe «couler» : - «Une vie épaisse coulait doucement sur les vallons et les collines de la terre.» (page 14) ; - «Le sang coula dans ses yeux» (page 25) ; - «La brume qui venait du pays Rebeillard commença à couler dans les gorges. C’était un fleuve au-dessus du fleuve» (page 33) ; - «Le brouillard coulait le long de ses joues avec un petit bruit de farine qui glisse.» (page 34) ; - «Le jour bleu coulait de la fenêtre» (page 50) ; - «Le charroi des taureaux recommença à couler sur la lande et dans les collines.» (page 57) ; - «Des lueurs coulaient de toutes les lisières» (page 69) ; - «Au fond, coulait le lait de la vierge» (page 77) ; - «Ce long ruissellement de bêtes qui troue les halliers, les haies, les prairies, les bois épais dans les vallons et les collines» (page 77) - «Un frémissement de lumière grise coula» (page 81) ; - «L’ombre coulait entre les bosquets et les coteaux…» (page 82) ; - «Le jour coula d’un seul coup» (page 82) ; - «Une petite eau de lune coulait dans les frisures de son toit» (page 124) ; - Les cyprès «ne laissaient couler de leurs feuillages qu’un grondement uniforme et monotone» (page 182) ; - «Le mugissement coulait dans la vallée noire» (page 190) ; - «La brume basse se ruait tête baissée contre le peuplier de la place aux œufs, se fendait sur l’arbre, s’en allait frapper à grands coups mous dans les proues des toitures et jaillissait en embruns perdus» (page 217) ; - «La rue où ruisselait la lumière des torches […] coulait pleine de gens» (page 227). Les éléments de la nature sont personnifiés. Cependant, l’opération capitale de Giono, c’est la création d’images, des images simples, faites de notations familières. Ce sont surtout des images analogiques fondées sur le «comme» qui est le grand principe générateur de la poésie. Mais, dans d’autres cas, la formulation se resserre, prenant, par la suppression du «comme», une densité éclatante, explosive, donnant des métaphores. On peut essayer de classer les grands domaines qui sont ainsi embrassés, même si, dans le texte, différents éléments sont toujours étroitement mêlés : - Les odeurs : «Une énorme odeur de taureau, épaisse comme du mortier, dormait au ras de la pâture.» (page 243) L’odeur est obsédante chez Giono car elle est le mode de connaissance le plus primitif. Le printemps multiplie les odeurs des renaissances. - Le firmament : «Les étoiles étaient grosses comme des pois.» (page 47) – Antoine en fait un véritable blason du corps féminin, les appelant : «la blessure de la femme […] parce qu’elles font comme un trou dans la nuit. Elles luisent sur la bordure. Dedans c’est la nuit noire et on ne sait pas ce qui va sortir» ; «les seins de la femme parce qu’elles sont entassées comme des collines» ; « les yeux. Parce que moi je crois qu’elles sont comme le regard de celle qui dort et qui n’a pas encore ouvert ses paupières.» (pages 47- 48) - «Au-dessus des arbres éteints, le monde entier s’ouvrait. Au fond, coulait le lait de la vierge ; des charriots de feu, des barques de feu, des chevaux de lumière, une large éteule d’étoiles tenaient tout le ciel.» (page 77) - «Une lie d’étoiles reposait sur les contours de la terre […] L’étoile des bergers était grosse comme un grain de blé.» (page 79) - «Voilà les étoiles qui grossissent. Elles sont comme des grains de blé.» (page 80) - «Trois étoiles grosses comme des yeux de chat» (page 81) - «Une grosse étoile d’hiver toute peluchée de froid illuminait la fenêtre» (page 156). - La nuit : «On entendait la nuit vivante de la forêt. Ça venait et ça touchait l’oreille comme un doigt froid.» (page 13) - Elle s’étend «comme la pluie», «comme une lourde vague» (page 13) - «La nuit arriva dans un grand coup de vent. Elle n’était pas venue comme une eau par un flux insensible à travers les arbres, mais on l’avait vue sauter hors des vallées de l’est. D’un coup elle avait pris d’abord jusqu’aux lisières du fleuve puis, pendant que le jour restait encore un peu sur les collines de ce côté-ci elle s’était préparée, écrasant les osiers sous ses grosses pattes noires, traînant son ventre dans les boues. Au premier vent elle avait sauté. Elle était déjà loin, là-bas devant, avec son haleine froide ; ici on était caressé par son corps tiède plein d’étoiles et de lune.» (page 64) - «La nuit maintenant était tendue d’un bord du ciel à l’autre et elle vibrait avec de sourds grondements comme une grande voile pleine de vent.» (page 66) - Elle est «gonflée de sang froid comme le fleuve avec ses poissons» (page 78) - «Alors, la nuit gémissait tout doucement au fond du silence.» (page 81) - «La nuit, noire comme une charbonnière» (page 81) - «L’ombre coulait entre les bosquets et les coteaux […] portait les montagnes et les collines comme de larges îles d’un vert profond.» (page 82) - «La nuit hésitait encore à sortir de la ville pour aller dans les champs. […] Dans le couloir de la rue la nuit était aussi épaisse que la boue» (page 121) - «Elle était devenue humaine et sensible» (page 227) - «Cette nuit gluante, épaisse d’avenirs comme une semence de bêtes» (page 227) - «Cette nuit gonflée de sang froid comme le fleuve avec ses poissons.» (page 78) - «La nuit […] vibrait avec de sourds grondements comme une grande voile pleine de vent.» (page 66) - «Une nuit plate et froide comme de la pierre» (page 37). - Le jour : Il connaît «cette vie furieuse et hâtive de la terre ; ces chênes crispés, ces animaux tout pantelants de leur sang rapide, ce bruits de bonds, de pas, de courses, de galops et de flots, ces hurlements et ces cris, ce ronflement de fleuve, ce gémissement que de temps en temps la montagne pousse dans le vent, ces appels, ces villages pleins de meules de blé et de meules à noix, les grands chemins couverts de silex que les chariots broient sous leurs roues de fer, ce long ruissellement de bêtes qui troue les halliers, les haies, les prairies, les bois épais dans les vallons et les collines et fait fumer la poussière rousse des labours, toute cette bataille éperdue de vie mangeuse sous l’opaque ciel bleu cimenté de soleil.» (pages 77-78) - «Le jour était comme une lune.» (page 216). - Le soleil : «Le soleil rouge sauta dans le ciel avec un hennissement de cheval.« (page 82). - La lumière : «Un frémissement de lumière grise coula sur la cime des arbres […] Il n’y avait pas de lumière dans le ciel, seulement là-bas vers l’est une blessure violette. La lumière venait de la colline. […] elle lançait une lumière douce vers le ciel plat : la lumière retombait sur la terre avec un petit gémissement.» (page 81) - «La lumière avait peur. Elle ouvrait brusquement deux grandes ailes d’or puis elle se couchait dans la lampe prête à s’éteindre.» (page 152) - « |
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