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«moindres gestes semblaient s’appuyer sur l’épaisseur de l’air» (page 168). «Nu, Antonio était un homme grand et musclé en longueur […] Il était bien celui dont on parlait sur les deux rives du fleuve, depuis les gorges jusque loin en aval» […] Ses pieds bien cambrés avaient un talon dur comme de la pierre, couleur de résine et juste de rondeur. De là, par un bel arc le pied s’avançait, les orteils s’écartaient, chacun à leur place. Il avait de belles jambes légères avec très peu de mollet : à peine un petit mollet en boule retenu par une résille de muscles épais comme le doigt. La courbe de ses jambes n’était pas rompue par le genou mais les genoux s’inscrivaient dans cette courbe et elle s’en allait plus haut, elle montait, tenant toute la chair de la cuisse dans ses limites. La caresse, la science et la colère de l’eau étaient dans cette carrure d’homme. À ses flancs, les cuisses s’attachaient par un os arrondi comme le moignon d’une branche. Il avait un ventre de beau nageur plat et souple, ombragé en dessous par des poils blonds, habitués au soleil et au vent, drus, frisés d’une houle animale, solides comme les poils des chiens de bergers. Ces poils emplissaient le creux entre ses cuisses et son ventre et ils débordaient de chaque côté. Dessous campait cette partie de sa chair d’où jaillissaient les ordres étranges. […] Depuis l’attache des cuisses jusqu’à la dure courbe en faucille du bas des côtes, la peau dorée et sa légère couche de chair sans graisse palpitaient. La respiration d’Antonio venait prendre pied là, sur les parois de ses flancs. C’est là qu’elle tremblait lentement dans l’attente, quand il guettait à la pique un gros saumon. C’est de là qu’elle s’élançait quand il lançait le harpon sur le poisson, c’est là-dedans qu’elle venait se rouler sur elle-même quand il avalait sa grosse haleinée de plonge ou quand il s’apprêtait à hurler son cri vers les femmes. Antonio aimait toucher ses flancs. Là commençait le creux. Ses jambes, ses cuisses, ses bras c’était du plein. À partir de ses flancs c’était du creux, une tendresse dans laquelle était Antonio, le vrai. Il touchait ses flancs souples, puis la largeur de sa poitrine et il était rassuré et joyeux.» (pages 21-22). - «Dans l’habitude de l’eau, ses épaules étaient devenues comme des épaules de poisson. Elles étaient grasses et rondes, sans bosses ni creux. Elles montaient vers son cou, elles renforçaient le cou.» (page 24). - «C’étaient deux beaux bras nus, longs et solides, à peine un peu renflés au-dessus du coude mais tout entourés sous la peau d’une escalade de muscles.» (page 25). Il vit en parfaite communion avec la nature, ses organes de perception étant reliés à tous les éléments. On le voit dès le début, alors qu’il parle au chêne (page 7) : «Antonio toucha le chêne. Il écouta dans sa main les tremblements de l’arbre. C’était un vieux chêne plus gros qu’un homme de la montagne, mais il était à la belle pointe de l’île des Geais, juste dans la venue du courant et, déjà, la moitié de ses racines sortaient de l’eau. ‘’Ça va?’’ demanda Antonio. L’arbre ne s’arrêtait pas de trembler. ‘’Non, dit Antonio, ça n’a pas l’air d’aller.’’ Il flatta doucement l’arbre avec sa longue main.» (page 7). Mais surtout, , lui qui se présente comme «Antonio de l’île des Geais» (page 42), est l’«homme du fleuve» (pages 16, 46, 93). Son corps souple de poisson (Matelot lui disant : «Tu es souple comme un poisson» [page 100]) a été poli par le courant. Giono se plut à le montrer plusieurs fois s’ébattant dans l’eau : - «Tous les matins Antonio se mettait nu. D’ordinaire sa journée commençait par une lente traversée du gros bras noir du fleuve. Il se laissait porter par les courants ; il tâtait les nœuds de tous les remous ; il touchait avec le sensible de ses cuisses les longs muscles du fleuve et, tout en nageant, il sentait, avec son ventre, si l’eau portait, serrée à bloc, ou si elle avait tendance à pétiller. De tout ça, il savait s’il devait prendre le filet à grosses mailles, la petite maille, la nacette, la navette, la gaule à fléau, ou s’il devait aller pêcher à la main dans les ragues du gué. Il savait si les brochets sortaient des rives, si les truites remontaient, si les caprilles descendaient du haut fleuve et, parfois, il se laissait enfoncer, il ramait doucement des jambes dans la profondeur pour essayer de toucher cet énorme poisson noir et rouge impossible à prendre et qui, tous les soirs, venait souffler sur le calme des eaux un long jet d’écume et une plainte d’enfant.» (page 20). - «Les belles épaules fendaient l’eau. Antonio penchait son visage jusqu’à toucher son épaule. À ce moment l’eau balançait ses longs cheveux comme des algues. Antonio lançait son bras loin là-bas devant, sa main saisissait la force de l’eau. Il la poussait en bas sous lui cependant qu’il cisaillait le courant avec ses fortes cuisses. […] Il essaya de couper le courant. Il fut roulé bord sur bord comme un tronc d’arbre. Il plongea. Il passa à côté d’une truite verte et rouge qui se laissa tomber vers les fonds, nageoires repliées comme un oiseau […] Enfin il trouva une petite faille dans le courant. Il s’y jeta dans un grand coup de ses cuisses. L’eau emporta ses jambes. Il lutta des épaules et des bras, son dur visage tourné vers l’amont. Il piochait de ses grandes mains ; enfin, il sentit que l’eau glissait sous son ventre dans la bonne direction. Il avançait. Au bout de son grand effort il entra dans l’eau plate à l’abri de la rive. Il se laissa glisser sur son erre. De petites bulles d’air montaient sous le mouvement de ses pieds. Il saisit à pleines mains une racine qui pendait. Il l’éprouva en tirant doucement puis il se hala sur elle et il sortit de l’eau, penché en avant, au plein du soleil, ruisselant, reluisant. Ses longs bras pendaient de chaque côté de lui, souples et heureux. Il avait de bonnes mains aux doigts longs et fins.» (pages 25-26). Dans l’eau, il s’amuse avec «un congre d’eau douce» (page 32), «une bête longue de près de deux mètres et épaisse comme une bouteille» (page 35) qu’il décrit ainsi à un bouvier : «C’est un poisson comme un serpent – Gros? – Plus que mon bras. Il a des yeux comme du sang et un ventre de la couleur des narcisses. Il s’enfonce dans l’eau comme une racine. Il pleure comme les enfants. Il peut manger du fer avec ses dents.» (page 49). La bête «nageait près de l’homme en donnant toute sa vitesse puis elle l’attendait et alors elle dansait doucement au sein de l’eau. Quand le soleil la touchait elle étincelait comme une braise et, allumée de toute sa peau où couraient des frémissements de petites flammes vertes, elle s’approchait de l’homme et elle ouvrait sa grande mâchoire silencieuse aux dents de scie. Antonio toucha le congre à pleines mains au moment où le serpent d’eau balançait sa queue devant lui. La bête plongea en tourbillonnant. De gros remous huileux s’élargirent devant le nageur. Il fit sa brasse puis il se replia et descendit lui aussi tête première vers le fond. La bête revenait, lancée à pleine force, droite comme un tronc d’arbre. Elle passa en glissant au-dessus de l’ombre où Antonio s’enfonçait. Le congre se renversa sur le dos. Le soleil fit luire son ventre. La tête du congre émergea. Il souffla un jet d’eau en gémissant. Son œil rouge regardait vers le bord du fleuve. Antonio émergea sans bruit et sans bruit s’enfonça dans l’eau. Il reparut en aval. Là-haut le congre fouettait l’eau de sa queue et il continuait à crier avec la gueule tendue vers la rive.» (page 35). Il a avec le fleuve un rapport de solidarité étroite, presque d’osmose. Lorsqu’il s’y baigne nu, littéralement heureux comme un poisson dans l’eau, il fait corps avec lui, il épouse ses flux de forces : «Il se laissait porter par les courants» (page 20). Le choix des verbes accentue cette fusion sensuelle avec l’eu : «il tâtait», «il touchait», «il sentait», «pour essayer de toucher». Pêcheur, il a surtout fréquenté l'école des poissons (page 152). Habitué à la vie solitaire, il est en osmose avec le fleuve qu'il connaît parfaitement. De ce contact immédiat et sensuel avec l’eau, il retire un savoir sur le fleuve car, pour lui, la sensation est connaissance : plongé dans le fleuve, il sait à ce qu'il sent qu'«il pleut en montagne» (page 25) - «De tout ça, il savait s’il devait prendre le filet […] Il savait si les brochets sortaient des rives.» (page 20). Pourtant lui échappe la connaissance de l’emplacement du gué : «Je croyais connaître. On croit toujours connaître. Mais ça ne raisonne pas comme nous, alors c’est difficile.» (page 12). Quand il sera éloigné du fleuve, il sera malheureux («il venait de se souvenir de l’eau souple et il se sentait tout verrouillé dans ces montagnes.»). Aussi, «en revoyant le vrai fleuve», il «sentit que tout son sang se mettait à brûler» (page 111). Il sait aussi chasser (page 186). Son attitude étant semblable à celle du cheval entier (le cheval «regardait droit devant lui sans cligner des yeux comme une bête morte» (page 87) - Antonio «regardait droit devant lui sans cligner des yeux comme un homme mort.» (page 88), il vit en fonction des désirs qui guident ses actes jusqu'à l'inconscience (page 21). Il est sensible à la beauté de la femme nue qui, avec quatre hommes, se flagelle dans une grange : «Antonio regardait la jeune femme. Elle avait de belles cuisses. […] Elle avait de belles fesses pleines et solides comme du fer. […] Du poil blond tout frisé lui remontait d’entre les cuisses […] avec ses mains blanches, là au-dessus de ses cuisses et de ses poils, contre ses seins durement fleuris.» (pages 100-103). La scène est gaillarde, mais elle est la mère d’un petit garçon malade et elle le remercie «de marcher derrière moi avec tes yeux clairs.» (page 116). À ‘’À la détorbe’’, «le premier verre d’alcool venait de donner du travail à son désir. Il se sentait le corps chaud et reposé.» (page 218) et il se met à danser une danse lente, pesante, rituelle, celle même que danse un autre Méditerranéen, Alexis Zorba : «’’Vas-y bon cœur.‘’ Antonio eut un petit sourire gris. ‘’Oh ! le cœur y est, dit-il, oh ! oui.’’ Il écarta ses bras en croix. Il avança son pied droit, puis son gauche, en pliant les genoux, puis son droit, puis son gauche. Il s’agenouillait doucement sur l’air à chaque pas, il penchait la tête en avant. Il offrait ses bras ouverts. Ses gros souliers criaient. Pas à pas, dans les touka-touk de la guitare et les sombres contre-coups frappés sur la table, il s’avança près de la petite fille. Il resta là à trépigner presque sans gestes : petits plis du genou, secs dans la cadence, frémissements des bras, les mains à peine, une douce ondulation du long corps brûlant, comme une épave d’arbre qui a touché le centre du remous […] Antonio tourna trois fois sur lui-même puis il se laissa emporter à travers la salle dans l’orbe du tourbillon. Les clous de ses souliers grinçaient sur les dalles comme l’alouette du matin. […] Antonio tournait. Elle le regarda avec un large sourire et, nerveusement, elle appuya des coups plus forts sur les cordes. Lui, chaque fois, pliait brusquement les genoux, jetait les bras en l’air comme un homme qui s’enfonce dans l’eau, puis il se redressait sur l’aisance de ses bras étendus, il ondulait, penchant la tête comme pour se lancer dans un nouveau trou de la musique : l’énervement de la guitare arrivait et il sombrait à genoux, les bras en l’air, avec un grand soupir de toute sa force. Il riait lui aussi d’un rire qui ne s’adressait à personne. Il dansait. Il courbait le dos et relevait ses bras au-dessus de sa tête. Il courbait les mains comme des feuilles fatiguées. De ce temps ses pieds battaient les dalles de pierre. Il reprenait la cadence en relevant son corps d’une souple ondulation de longe de fouet et alors il rejetait sa tête comme un pompon de laine. Et ainsi, pliant toujours ses jambes, comme s’il foulait dans la cuve.» (pages 222- 223). Dans l’ambiance de carnaval de Villevieille, il se lance à la poursuite d’une femme : «Antonio sentit en lui tout son fleuve clair, son fleuve d’été qui berçait sur ses eaux maigres de larges palets de lumière […] L’éclair vert de ses yeux le touchait […] Il la toucha à pleins bras. Tout le printemps de la nuit entra dans lui […] Il respirait profondément cette nuit gluante, épaisse d’avenirs comme une semence de bêtes. Ici il voyait mieux la femme […] ce mouvement qui était amour ! […] Il voyait là-bas devant les hanches mouvantes, le corps tout frémissant de fuite et d’élans contenu, ce qu’il aurait voulu tenir et arrêter, et serrer à pleins bras […] Il ne cherchait sur cette femme que des endroits de proie, des endroits de ce corps qu’il pourrait saisir et tenir dans ses mains. […] Antonio s’approcha de la femme de chair, celle qu’on pouvait saisir par la nuque claire sous les cheveux noirs. Elle comprit qu’il venait. Elle fit deux pas de côté comme pour la danse. Il fit deux pas de côté. Elle s’avança. Il s’avança. Un remous la porta du côté des ormes. Il se glissa du côté des ormes. Elle était hors de la foule, à la lisière de l’ombre. Il marcha vers elle. Elle l’attendait, elle courut à reculons. ‘’Je t’attraperai, dit Antonio. – Oui,’’ dit-elle. Et ils s’élancèrent vers les ruelles d’ombre.» (pages 226-229). Mais il s’est délibérément abstenu de répondre à l’appel de Charlotte, il s’est refusé à «cette femme depuis trop longtemps sans mari et qui cherchait» (page 23), parce qu’il ne veut pas s’engager. Individualiste et rétif, il ne supporte pas d’être attaché à quelqu'un : «J'ai pas de copains. Je vis seul.» (page 50). «Merde pour tous» (page 63). Goûtant la simple jouissance de posséder un corps sain (pages 24, 25, 26), il est heureux et lance «comme le cri d’un gros oiseau pour dire sa joie sur son fleuve» (page 18). D’autant plus, qu’«avec sa haute taille, son beau visage encore jeune et ses molles moustaches d’or» (page 228), il est beau et qu’il exerce une séduction spontanée sur les femmes : «Tu es un bel homme» lui déclare «la mère de la route» (page 42). Étant libre de toute attache, il se conduit comme un faune, un satyre, qui se livre à un assouvissement direct de son désir qui s’inscrit naturellement dans l’expression générale des forces : les «ordres étranges» «le faisaient à certains soirs abandonner ses filets, se jeter à l’eau, glisser vers l’aval et aller s’amarrer près des villages aux abord des lavoirs. Il se cachait dans les roseaux, il se mettait à chanter de sa voix de bête. Les jeunes filles ouvraient leurs portes et parfois elles couraient vers le fleuve sur la pente des prés où leurs jupes de fil claquaient comme des ailes.» (page21). Il poussait «son cri vers les femmes» (page 22) ; il «chantait dans les roseaux du fleuve […] s’amarrait près des lavoirs avec sa bouche hors de l’eau et son corps plongé dans le monde.» (page 47), ce nouvel Ulysse, surnommé «l'homme qui sort des feuillages» (page 23), étant alors une sorte de sirène masculine attirant les jeunes filles en chantant de sa voix de bête. Il confie à Toussaint : «Comment je faisais pour les femmes? Quand j’en avais besoin je descendais jusqu’au pays bas et j’en avais toujours une.» (page 153). Les aventures du faune prédateur n’étaient pas sans danger, lui avaient d’ailleurs valu des ennemis et trois cicatrices : «Une énorme cicatrice violette barrait la poitrine d’Antonio […] creux de chair mal recollé» […] «Il avait cette cicatrice en longueur comme un sillon, et puis une autre toute ronde sur le bras gauche, et puis encore une autre longue sur le bras droit. Ça datait du temps où, sur le bas fleuve, on l’appelait : ‘’L’homme qui sort des feuillages’’. Toutes les nuits les hommes des villages étaient en embuscade dans les roseaux. Antonio nageait sans bruit, il émergeait sans bruit. Il marchait sans bruit sur les chemins pleins d’herbes. Il entrait sans bruit dans les maisons où les femmes huilaient soigneusement les serrures. Il avait ses trois cicatrices : un coup de couteau, une morsure d’homme, un coup de serpe qui lui avait ouvert la poitrine. Cette fois-là, il s’était réveillé à la côte, avec de l’eau jusqu’au ventre. L’eau était toute rouge de son sang et des petits brochetons étaient déjà entre ses cuisses à lui mordiller les bourses. C’est pour ça qu’il aimait toucher ses flancs veloutés. À partir de là c’était creux. C’était ce creux plein d’images qui était resté seul vivant malgré sa blessure pendant qu’il était tout sanglant étendu sur le sable. C’était dans ce creux que venait s’enrouler comme une algue la longue plainte du vent. C’est à partir du moment où il avait eu son ventre et sa poitrine pleins de souvenirs des villages, des femmes et des terres d’aval qu’il était devenu ‘’Bouche d’or’’.» (pages 23-24). Cependant, toujours comme Ulysse, il est fort, plein d’énergie, possède en lui un désir de violence qui lui échappe parfois, et il sait se battre quand il le faut, déployant son ardeur dans quelques combats où à la violence se mêle la ruse. Lors de l’altercation à propos du marcassin qui a été abattu par Matelot, Antonio, armé du couteau avec lequel il avait commencé « |
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