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Paru dans en 2006 dans : Actes du 5ème colloque international d’études lesbiennes “Tout sur l’amour (sinon rien)”. Toulouse : Bagdam Espace Lesbien. Pp 17-38. Le couple, ce douloureux problème Pour une analyse matérialiste des arrangements amoureux entre lesbiennes Jules Falquet Il semble aujourd’hui, en France, que les lesbiennes aient réussi à arracher certaines avancées : une visibilité relative doublée d’un début de « respectabilité », notamment grâce à la reconnaissance des unions entre femmes par le biais du Pacs. Nous pourrions presque désormais vivre « librement » notre « préférence sexuelle » « différente ». Ce colloque, en quelque sorte, paraît l’indiquer : en 2006, deux cent lesbiennes peuvent se réunir paisiblement dans une ville moyenne du Sud-Ouest de la France pour parler ... d’amour. Avons-nous pour autant accepté le repli sur des valeurs et des formes d’organisation de nos vies typiquement straight, patriarcales, bourgeoises et « occidentales1 » : l’amour, le couple et la famille « (néo)nucléaire » qui en découlent ? Certes non : dès que nous sortons du « discours enchanté » dominant, nous constatons que l’exploitation de sexe, de classe et de « race » est renforcée par l’avancée du projet néolibéral. Dans nos propres vies, nous sommes presque toutes précarisées et appauvries, nos déplacements sont strictement réduits par des lois migratoires de plus en plus dures, notre quotidien est militarisé, la xénophobie, le nationalisme, le racisme et toutes sortes de violences progressent. Ce système est chaque fois plus serré, plus étouffant, plus mortifère. La résistance et la radicalisation sont donc à l’ordre du jour. Pour cela, il est capital d’adopter une perspective matérialiste et internationaliste. Internationaliste, parce que ce qui nous arrive individuellement, localement, en France, dans nos relations personnelles, est intimement lié à la situation de l’ensemble des lesbiennes et des femmes dans le monde. Mais l’internationalisme ne suffit pas. En effet, la Marche mondiale des femmes, l’effort féministe le plus international qui existe à l’heure actuelle2, revendique le respect de la « préférence sexuelle ». Or, ce discours constitue une véritable dématérialisation des enjeux de nos luttes, comme l’a très bien montré Elsa Galerand (2006), ravalant le lesbianisme au rang de simple « préférence » alors que la sexualité constitue un élément central des rapports sociaux de sexe —et dans le cas actuel, de la domination des hommes et de l’hétérosexualité. Nous pensons au contraire que les « arrangements » amoureux et sexuels dans lesquels nous sommes engagées sont intimement liés à la situation matérielle dans laquelle nous nous trouvons. Et que ces « arrangements » peuvent renforcer le système ou au contraire participer au changement. En tant que lesbienne féministe, j’estime donc que c’est en poursuivant dans la voie d’une analyse et d’une lutte matérialiste que nous pourrons continuer à rencontrer d’autres luttes qui, elles aussi, cherchent à créer un monde différent. Nous avons beaucoup à apporter à l’ensemble de la société en termes d’analyse critique et de projet alternatif, comme on le verra dans ce texte. J’essaierai d’y montrer (1) comment la mondialisation néolibérale tend à renforcer un modèle « néo-nucléaire» de couple (2) que depuis bien longtemps, des féministes et des lesbiennes critiquent avec force ce modèle (3) qu’il faut continuer à réfléchir et à mettre en place des alternatives concrètes, en nous inspirant également d’autres luttes sur la planète.
Certes, nous faisons ici une analyse extrêmement générale qui ne rend pas justice à l’infinime complexité des situations existant dans le monde. L’institution de la famille, qui constitue l’un des piliers de la cristallisation et de la reproduction des systèmes patriarcaux, prend évidemment des formes très variées selon le lieu, la classe, la « race », la génération ou même le statut légal de ses membres. Comme l’ont souligné de nombreuses Black feminists et d’autres féministes des secteurs populaires (Audre Lorde (1982, 1984), Hernández et Rehman (2002), Smith (1983-2000) et Clarke (1983-2000)), sans cesser d’être également un lieu de violence et de répression pour de nombreuses femmes et lesbiennes, la famille peut constituer une havre de (relative) paix et un appui économique indispensable face au racisme et au classisme de la société globale. Cependant, il nous semble que la mondialisation néolibérale tend à imposer partout comme idéal un type de famille que nous appellerons « néo-nucléaire», éventuellement (re)composée autour de partenaires de même sexe. Ce qui, pour nous, à la différence des familles étendues (de type paysan par exemple) signifie un modèle de famille (1) comme unité de consommation et guère de production (2) centrée sur le couple (3) envisagée comme unique rempart contre la « société globale », au lieu de servir de base pour d’autres types d’associations, de communautés ou de structures sociales intermédiaires3 (4) basée sur des valeurs profondément patriarcales, bourgeoises et « occidentales », notamment une certaine idée, justement, de l’ « amour ». Effets matériels du néolibéralisme La précarisation et l’appauvrissement de la grande majorité des femmes et des lesbiennes dans le monde sont parmi les premières conséquences de l’avancée du néolibéralisme, qui renforce les inégalités sur le marché international du travail selon des critères de sexe, de classe, de « race » et de nationalité. Certes, une partie des classes moyennes et supérieures échappe momentanément à la machine broyeuse. Entre aveuglement et lâche soulagement, cette fraction de la population semble effectuer un repli individualiste, précisément, autour de son « bonheur privé ». La sexualité est perçue comme un droit, parfois un « loisir » et la plupart souhaitent la mise en couple et la formation d’une famille comme un « havre de paix privée » contre la concurrence féroce et la violence (notamment raciste et lesbophobe) qui sévissent dans la vie publique. La majorité de la population mondiale cependant, tout-e-s les non-privilégié-e-s du fait de leur « race », de leur nationalité, de leur classe, de leur sexe et de leurs options politiques notamment, précarisée, très appauvrie et souvent poussée à la migration interne ou internationale, cherche surtout à survivre. Pour cela, différentes sortes d’arrangements « économico-sexuels » sont possibles, pour reprendre l’expression de Paola Tabet (2004). Les foyers transnationaux se multiplient, les femmes « cheffes de famille » dirigent près d’un tiers des familles (Bisilliat, 1996), de plus en plus de femmes paraissent devoir recourir à différentes sortes de « prostitution », au sens de Tabet (mail order brides, prostitution de rue, unions successives et « amants multiples », relations sexuelles ou « mariage » pas toujours d’amour avec un-e national-e pour obtenir des « papiers », etc), pour subvenir à leurs besoins. Ainsi, pour presque toutes, la mise en couple (et le fait de rester en couple) est la principale solution pour s’assurer une stabilité minimale. Certes, cela n’est pas nouveau pour les femmes, mais cette tendance est renforcée et modifiée dans le contexte néolibéral par (1) des législations nouvelles (2) des logiques économiques plus dures. Les lois sont déterminantes, car dans beaucoup de cas, ce sont d’abord elles qui empêchent les femmes « seules » d’accéder à leurs droits. Les femmes « seules » sont presque systématiquement lésées par les systèmes d’imposition, les politiques sociales et les lois migratoires. De fait, les femmes étrangères ou de parents étrangèr-e-s désirant vivre en France aujourd’hui ne jouissent pas d’une pleine autonomie juridique et se voient poussées à se placer sous la dépendance d’un-e partenaire (Lesselier, 2003). Les lesbiennes ne sont pas exemptes de cette pression à la conjugalité (Alrassace & Falquet, 2007). Les logiques économiques ne sont pas en reste pour pousser à la mise en couple. En effet, pour payer le loyer et les factures toujours plus élevées au fur et à mesure de la privatisation des services, pour compenser les bas salaires et le chômage, c’est mathématique : un-e charmant-e prince-sse permet généralement de diviser les frais quotidiens par deux, ce qui n’est pas le moindre de ses charmes. Au fur et à mesure que les réseaux sociaux familiaux ou communautaires plus étendus sont détruits, les lesbiennes et les femmes prolétaires et racisées, qui avaient éventuellement échappé à la famille strictement nucléaire, s’y voient poussées à leur tour. Et les femmes de classe moyenne, qui pourraient éventuellement s’y soustraire, la voient souvent comme une assurance sur un avenir plutôt incertain, surtout si elles n’ont pas d’enfants (qu’on pense au démantèlement des systèmes de retraite là où ils existaient, et à la misère et l’isolement dans lequel vivent nombre de femmes âgées). Effets idéologiques et culturels du néolibéralisme La famille néo-nucléaire basée sur le couple tend aussi à devenir, non seulement une nécessité matérielle renouvellée, mais une norme et un idéal. D’abord, sous l’effet du renforcement de l’hégémonie culturelle « occidentale », relayée par la propagande médiatique massive, qui propose en modèle universel des (jeunes) couples hétérosexuels blancs, riches, « beaux » et en excellente santé. Même si personne n’est réellement dupe, le modèle pèse de tout son poids dans chaque publicité, magazine people ou feuilleton télévisé. Simultanément, la période précédente de la « révolution sexuelle » (ou l’ « occidentalisation » des moeurs, selon les pays), est dénoncée comme un « excès » et la cause de nombreux maux. La reprise en main est très avancée, notamment depuis que le pape Jean Paul II a accordé tout pouvoir à l’Opus Dei dans l’église catholique —les autres religions monothéistes n’étant pas en reste. On le voit aux Etats-unis avec le retour de l’ordre moral le plus rétrograde (campagnes pour la virginité notamment), en France avec les propos d’une Boutin ou d’une Royal, tout comme dans de nombreux pays du Sud. Même s’ils se développent dans les faits, les arrangements amoureux et familiaux non traditionnels sont vilipendés tandis que les valeurs les plus conservatrices sont portées au pinacle. Dans un climat de « droitisation » généralisée de la plupart des sociétés, le nationalisme se développe, là encore au détriment des femmes et des lesbiennes. En effet, comme l’a montré notamment Nira Yuval Davis (1998), qui dit nationalisme dit renforcement d’une culture de « l’entre-soi » qui passe notamment par un contrôle accru sur les femmes « du groupe », que l’on décourage plus ou moins vigoureusement d’aimer et surtout de s’unir « en dehors » du groupe et à qui l’on demande généralement d’avoir le plus d’enfants possible4. Enfin, curieusement, cet espèce d’idéal du couple hétérosexuel comme « figure symbolique centrale » est relayé par un étrange mélange de discours psychologiques-psychanalytiques5 et politiques6, qui en font simultanément la base de la famille « normale » et « saine », et de la société. Une partie de l’argumentaire en faveur de la « parité », qui s’est hélas développé au sein même du féminisme, a renforcé l’idée qu’un « couple gouvernant », non pas royal mais élu, constituerait un équilibre idéal à atteindre. Or, ce discours repose sur un imaginaire profondément binaire et hétérosexiste de Père et Mère de la Nation, centré sur un modèle de couple hétérosexuel tout ce qu’il y a de plus naturaliste, a-historique et conservateur. L’acratie tout comme l’auto-gestion deviennent chaque fois plus inimaginables dans la grande famille de la démocratie (néo)libérale —imposée par les chars si nécessaire, comme au Moyen Orient. |
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