Sur la pénibilité, le gouvernement reprend d'une main ce qu'il a accordé de l'autre
| Les décrets d'application soumis au Conseil d'orientation des conditions de travail atténuent la portée des mesures prises en 2010
La pénibilité du travail a été une pomme de discorde entre l'exécutif et les syndicats pendant la préparation de la réforme des retraites, et elle le reste. La présentation progressive des décrets d'application de la loi du 9 novembre 2010 montre que le gouvernement défend une conception de la pénibilité plus réparatrice que préventive, et qu'il reprend d'une main ce qu'il a accordé de l'autre.
Un premier signal fort de cette attitude a été donné le 20 janvier, avec la présentation au Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT, une instance réunissant représentants du gouvernement et partenaires sociaux) des premiers textes réglementaires. Ceux-ci ont restreint la portée des gestes consentis par Nicolas Sarkozy en pleine mobilisation sociale.
Initialement, le projet de loi réformant les retraites prévoyait la possibilité d'un départ anticipé à 60 ans et à taux plein pour les salariés justifiant d'une incapacité de plus de 20 %. Le ministère du travail avait évalué à 10 000 personnes par an le nombre de bénéficiaires potentiels de cette disposition. En septembre, après le succès inédit de la manifestation intersyndicale de la rentrée, la mesure avait été élargie aux salariés justifiant d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % à 20 %.
Défaut de fabrication
Selon le cabinet d'Eric Woerth, cela permettait de faire bénéficier de ce nouveau droit les salariés souffrant de troubles musculo-squelettiques (TMS), une catégorie en pleine expansion. Soit 20 000 personnes de plus par an. Las ! Un décret adopté en janvier a ajouté une condition supplémentaire : ces mêmes salariés devront également justifier de dix-sept ans d'exposition à au moins un facteur de pénibilité (contraintes physiques, environnementales, rythme de travail...).
L'un des deux projets de décret que le COCT devait adopter mardi 3 mai souffre du même défaut de fabrication. Ce texte a pour objet, selon Matignon, de définir la proportion minimale de salariés exposés aux facteurs de pénibilité qui déclenche l'obligation de négocier dans les entreprises de cinquante salariés ou plus.
Cette proportion " minimale " est en fait très élevée : elle a été fixée à 50 % de l'effectif des entreprises. Le gouvernement n'a jamais pu expliquer aux syndicats les raisons de son choix, qui va écarter de l'obligation de négocier sur la pénibilité nombre d'entreprises.
" Nous avions demandé une modification du texte. Le gouvernement n'en a pas changé une virgule. C'est à croire qu'il ne travaille pas les projets de décret, et n'en fait qu'à sa tête ", déplore Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT. Sur ce dossier, la seule concession réelle obtenue par les syndicats est la création d'un comité scientifique chargé d'évaluer les conséquences de la pénibilité à effets différés, celle qui pèse sur l'espérance de vie avec ou sans incapacité.
Plusieurs textes réglementaires sont encore attendus d'ici au début du mois de juin. Ils entreront en application le 1er janvier 2012. Les syndicats, convaincus que le gouvernement " fait le minimum ", n'en espèrent pas grand-chose.
Claire Guélaud
Assouplir le droit français du travail pour mieux surmonter les crises
| Le Conseil d'analyse économique propose des concessions sur le temps de travail et les salaires pour absorber les chocs
Une fois de plus, l'Allemagne est citée en référence dans le débat économique français. Après la compétitivité des entreprises, c'est maintenant la vigueur du dialogue social outre-Rhin qui est mise en avant. Dans un rapport récemment rendu public, le Conseil d'analyse économique (CAE) constate que ce pays a contenu la poussée du chômage durant la crise grâce à son art du compromis : les syndicats ont accepté des sacrifices sur les salaires, moyennant un engagement des entreprises de préserver l'emploi.
Jacques Barthélemy, avocat-conseil en droit social, et Gilbert Cette, économiste à la Banque de France, s'appuient sur cet exemple de concessions réciproques pour illustrer une réflexion globale sur les transformations qui s'imposent, selon eux, dans notre corpus de règles touffu et complexe.
En 2010, ces deux experts avaient remis sous l'égide du CAE un rapport sur la " refondation du droit social ". Ils recommandaient de donner une place prépondérante aux accords conclus par les partenaires sociaux car ceux-ci seraient plus efficaces que la loi et le règlement pour concilier performance économique et protection des travailleurs.
Les réactions furent nombreuses. MM. Barthélemy et Cette en ont tiré partie pour rédiger une nouvelle mouture de leur travail, présentée mercredi 27 avril. Cette version, comme la précédente, balaie large : sécurisation des parcours professionnels, développement de la syndicalisation... Elle contient des idées, absentes du rapport de 2010, dont l'une va sans doute alimenter la controverse.
Les deux auteurs suggèrent aux organisations patronales et syndicales de négocier un " accord national interprofessionnel " qui définirait les conditions dans lesquelles des " deals " peuvent être ficelés - à l'image de ceux signés en Allemagne. Ce texte préciserait les éléments du contrat de travail susceptibles d'être temporairement modifiés par un accord d'entreprise. Il fixerait l'ampleur maximale des changements introduits (par exemple sur la baisse des salaires), les circonstances dans lesquelles ces changements pourraient intervenir et les contreparties à leur apporter (embauches, maintien des effectifs, etc.). Transposé dans le code du travail, cet accord interprofessionnel s'appliquerait à chaque salarié.
Dans leur rapport, MM. Barthélemy et Cette soulignent que la baisse du produit intérieur brut (PIB) entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009 a été presque deux fois plus importante en Allemagne (- 6,5 %) qu'en France (- 3,5 %). Mais les destructions d'emplois ont été massives dans l'Hexagone (environ 500 000, d'après les auteurs), tandis que chez nos voisins, " l'emploi et le chômage demeuraient stables ". Ces écarts s'expliquent " principalement par la mise en oeuvre en Allemagne d'accords collectifs (...) permettant contre des garanties de maintien de l'emploi, des baisses transitoires de la durée du travail et du salaire ".
Sans surprise, cette préconisation est bien accueillie du côté patronal. " Nous sommes favorables à l'approche du CAE ", déclare Jean-François Pilliard, délégué général de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie. Si une refondation de cette nature était engagée, ajoute-t-il, il serait cependant opportun de la coupler à un débat sur le marché du travail afin d'établir un " bilan partagé " et de corriger les " rigidités " à l'origine de nombreux problèmes (taux de chômage élevé des jeunes, etc.).
" Y aller graduellement "
" Pourquoi pas ? ", réagit Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales. Mais la recommandation de MM. Barthélemy et Cette est un " changement de paradigme " qui implique de " mettre tout à plat ". Autrement dit, il faudra un " long travail de fond, de conviction " pour ne pas donner le sentiment que des droits sont abandonnés.
Parmi les syndicats, les commentaires sont plus contrastés. A partir du moment où un cadre national est bâti, " nous y sommes plutôt favorables ", indique Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT. " Il convient d'y aller graduellement et d'évaluer la dynamique engendrée ", pondère-t-il. " Sur le principe, nous sommes ouverts à une telle démarche ", enchaîne le président de la CFE-CGC, Bernard Van Craeynest.
Le président de la CFTC, Jacques Voisin, se montre beaucoup plus réservé. Qui peut assurer que ces compromis seront respectés par les employeurs, s'interroge-t-il ? M. Voisin garde en mémoire l'attitude de Continental à Clairoix (Oise) : les salariés avaient accepté de faire des efforts en échange de promesses de développement de l'activité. Finalement, le site a fermé... Le patron de la centrale chrétienne préférerait la mise en place d'un " comité permanent du dialogue social ".
L'idée de MM. Barthélemy et Cette annonce un " dumping social généralisé ", s'indigne Michel Doneddu, secrétaire de la CGT. " Les entreprises vont se lancer dans la course au moins-disant social ", poursuit-il. Elles prendront prétexte de la sauvegarde de leur compétitivité pour demander à leurs salariés de se serrer la ceinture.
Secrétaire confédéral de FO, Stéphane Lardy trouve que la préconisation de MM. Barthélemy et Cette " remet en cause la légitimité du législateur à intervenir dans le champ du droit social ". Pour lui, les partenaires sociaux n'arriveront pas à définir dans un accord national les éléments du contrat de travail pouvant être amendés par accord d'entreprise.
Bertrand Bissuel
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| Mai 2011
Le Monde n° 20872 daté du mardi 28 février 2012
| Chômage partiel : peut-on copier l'Allemagne ?
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| Le gouvernement français veut rendre cette mesure plus attractive. Un nouveau cadre entre en vigueur le 1er mars
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, n'en finit pas de s'inspirer de l'Allemagne. Après avoir voulu copier la " règle d'or " budgétaire, il tente maintenant de faire du chômage partiel un outil aussi puissant qu'il l'est outre-Rhin. Réformée en 2009, cette mesure vient de subir un nouveau lifting, censé la rendre plus attractive. Ces changements s'appliqueront à partir du 1er mars. Suffiront-ils à doper ce dispositif, qui vise à atténuer les effets d'une mauvaise conjoncture et éviter, ou différer, les licenciements ?
Tombée quasiment en désuétude depuis le début des années 2000, cette mesure, rebaptisée " activité partielle ", a été fortement utilisée à partir du 4e trimestre 2008. Son usage est toutefois resté limité par rapport à d'autres pays d'Europe, en particulier l'Allemagne - celle-ci y a consacré, en 2009, 6 milliards d'euros, soit dix fois plus que la France. Depuis le 4e trimestre 2009, le chômage partiel est à nouveau en forte baisse dans l'Hexagone.
Lors du sommet social du 18 janvier, le gouvernement français a annoncé plusieurs mesures pour inciter les entreprises à y recourir davantage plutôt que de licencier.
Le coût pour les entreprises a été allégé grâce à une prise en charge accrue de l'Etat, de 100 millions d'euros. Les partenaires sociaux de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, qui finance l'activité partielle de longue durée (APLD), ont décidé d'y consacrer 80 millions d'euros cette année, s'ajoutant aux 40 millions non dépensés auparavant. Des formations pourront avoir lieu pendant les heures chômées.
Afin de simplifier l'accès au chômage partiel, le ministre du travail, Xavier Bertrand, a aussi décidé la suppression de l'autorisation administrative préalable à sa mise en place, contre l'avis des syndicats. Et sans tenir compte du rapport 2011 de la Cour des comptes, qui a estimé que " l'importance des aides justifie un régime d'autorisation préalable ". Celui-ci existe dans beaucoup de pays, dont l'Allemagne.
Jusqu'à présent, avant de donner son accord, l'inspection du travail devait s'assurer auprès de l'entreprise du caractère temporaire et exceptionnel de la réduction d'activité. Elle avait vingt jours pour donner sa réponse. Désormais, l'avis des représentants du personnel devra simplement être transmis à l'administration.. En cas d'avis négatif, celle-ci pourra demander à l'employeur des éclaircissements.
" Il y aura des abus, tout simplement parce que nous ne serons plus là pour rappeler les règles aux employeurs ", craint Astrid Toussaint, membre du conseil national du syndicat SUD-Travail de l'inspection du travail. L'entreprise devra ensuite adresser à l'administration une demande de paiement des aides pour les heures réellement chômées, avec des justificatifs.
Les causes de la " sous-consommation " des dispositifs de chômage partiel en France sont multiples. " La plupart des entreprises ont un accord d'annualisation du temps de travail, qui leur donne de la souplesse et qu'elles doivent d'abord utiliser ", précise Mme Toussaint.
" Dans l'automobile, certains accords prévoient des jours de réduction du temps de travail "collectifs" dans le compte épargne temps, que le salarié est obligé de prendre en cas de sous-activité, relève Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Cela coûte moins cher à l'entreprise que le chômage partiel. "
Les statistiques montrent aussi qu'en réalité, seuls 30 % à 40 % des heures de chômage partiel autorisées sont consommées. Car les entreprises se couvrent, au cas où.
Chez STX (chantiers navals), à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), par exemple, en 2008 et 2009, " nous avons utilisé un tiers des heures demandées grâce à la signature d'un accord d'accompagnement permettant des redéploiements de postes vers d'autres services ou filiales et parce que nous avons eu des retours de charge, témoigne Marc Ménager, délégué syndical CFDT. Les entreprises " préfèrent fonctionner avec plus de contrats à durée déterminée, d'intérim et de sous-traitance qu'avec du chômage partiel ". Pour Laurent Berger, secrétaire confédéral de la CFDT, " le but n'est pas que les entreprises utilisent 1 000 heures par an et par salarié. C'est que plus d'entreprises y recourent, notamment les PME ".
La référence constante aux " modèles " étrangers a aussi ses limites. Certes, en Allemagne, en 2009, il y a eu 1,5 million de salariés en chômage partiel, contre 275 000 en France. Mais les systèmes sont différents.
La Cour des comptes relève que l'Allemagne et l'Italie ont des dispositifs couvrant le chômage partiel saisonnier, structurel ou conjoncturel, alors qu'en France, il ne concerne que la sous-activité conjoncturelle. Les aides aux entreprises y sont supérieures. De plus, outre-Rhin, l'indemnité est directement versée aux salariés par l'assurance-chômage, évitant aux employeurs d'en faire l'avance comme en France.
Au final, combien d'emplois sont-ils préservés grâce au chômage partiel ? Chez General Motors (GM), à Strasbourg, Roland Robert, délégué syndical CGT s'interroge : " Nous sortons de deux plans de licenciement, en 2008 et 2009, avec du chômage partiel de longue durée en même temps. Et pour 2012, trente-neuf jours de chômage partiel sont encore prévus pour 800 salariés sur un millier. "
Dans le même temps, s'insurge-t-il, " les cadences augmentent, les salariés vont perdre de l'argent mais GM Strasbourg, qui fait des bénéfices depuis des années, va toucher 1,5 million d'aides publiques pour le chômage partiel cette année ". L'avenir de l'usine n'est pas assuré pour autant.
" Le chômage partiel n'est pas une assurance tout risque contre les plans de licenciements, concède M. Berger. Il vise à éviter les licenciements trop hâtifs. "
L'Organisation de coopération et de développement économiques estime qu'en 2008-2009, il y a eu 221 500 emplois préservés en Allemagne, et entre 15 000 et 18 000 en France. Toutefois, le recul est encore insuffisant pour avoir des données fiables et complètes. D'autant que le gouvernement n'a pas engagé de mécanisme d'évaluation lorsqu'il a réactivé le dispositif en 2009, comme le souligne la Cour des comptes.
" On ne sait pas combien d'emplois ont été sauvés, on ne sait pas si la garantie d'emploi liée à l'APLD est respectée, déplore Stéphane Lardy, secrétaire national de FO. On ne peut pas continuer comme ça, en aveugle. " L'accord APLD de 2012 prévoit " un bilan " en fin d'année.
Francine Aizicovici
" Il faut une grande négociation où le code du travail s'adapterait au XXIe siècle "
| Etienne Wasmer, économiste, expert en évaluation des politiques publiques
La thématique du " contrat unique " revient dans le débat de l'élection présidentielle, comme en 2007. Est-ce vraiment le bon moyen de mettre fin à la précarité sur le marché du travail ?
YC'est surtout un mauvais slogan : presque tous les pays ont des contrats temporaires et des contrats permanents, sauf les Etats-Unis où cette distinction est juridiquement floue. Cela n'y empêche d'ailleurs pas le dualisme du marché du travail, loin de là. En outre, le slogan " contrat unique " est source de confusion. Parler de contrat unique masque la volonté des uns de déréguler le CDI et la volonté des autres de réduire le recours abusif aux CDD. C'est un peu un jeu de dupes. On a besoin d'une réflexion plus ambitieuse et plus transparente dans les termes.
Le problème est la conflictualité du CDI, liée à une mauvaise régulation du marché du travail, trop formaliste. C'est aussi dû à un niveau du chômage élevé qui conduit à des abus de certains employeurs qui utilisent la pression morale pour améliorer la productivité ou obtenir un départ volontaire. Résultat, le stress des salariés en France est un des plus importants des pays développés. Au passage, la rupture conventionnelle est une façon de débloquer cette situation de tension interne à l'entreprise dans les rapports salariés-employeurs, afin de permettre une réorientation professionnelle moins coûteuse..
Que faire ?
Certains plaident pour moduler le mode de financement de l'assurance-chômage. Si une entreprise a trop recours à la rupture conventionnelle, il serait normal qu'elle cotise plus. Notons cependant que cela revient à renchérir le coût de la rupture du contrat de travail pour l'entreprise. J'y vois une contradiction avec l'objectif d'assouplir les contrats de travail.
Est-ce réaliste ou efficace ?
Ni l'un ni l'autre. Personne ne peut penser qu'on va supprimer les CDD en France. Il faut renégocier les éléments de régulation du contrat de travail, notamment les éléments qui conduisent à la conflictualité, dans une grande négociation où le code du travail s'adapterait au XXIe siècle. Toute réforme partielle sera un échec.
Même une réforme de la rupture conventionnelle ?
Oui. Il faut la conserver tant que le contrat de travail principal est source de tension dans les entreprises en difficulté. La négociation sur une réforme de la rupture conventionnelle devrait être subordonnée à une réforme plus ambitieuse du code du travail. Le mandat d'une grande négociation devrait aussi porter sur la formation professionnelle.. La solution est de former mieux les salariés, en amont, pour qu'ils puissent quitter leur entreprise dans de bonnes conditions. A l'heure actuelle, ils sont plutôt pris par surprise par des plans sociaux que personne, y compris les centrales syndicales, n'a voulu anticiper. Cela veut dire aussi que la formation professionnelle doit être améliorée : ni supprimée ni recentrée sur les chômeurs. Ce serait renforcer l'intervention " trop tard ", après une rupture professionnelle, quand il faut au contraire la préparer très tôt.
Utiliser les fonds de la formation professionnelle pour former les personnes au chômage, comme le propose Nicolas Sarkozy, vous semble donc contre-productif. Quelle autre solution pourrait-on envisager pour les chômeurs ?
Tout le monde est d'accord pour former les chômeurs. Encore faut-il que la formation soit opérationnelle. Et si c'est au détriment de la formation des employés, ce serait dommage. Pour moi, il y a deux principes fondamentaux.
Le premier est la responsabilité individuelle. On ne devrait pas être forcé à accepter des formations ou même, au risque de choquer, des emplois. En revanche, il faut en subir les conséquences, avec une dégressivité de l'assurance-chômage.
Le second est de pouvoir organiser sa formation tout au long de la vie, en emploi comme au chômage, grâce à des comptes-temps et des droits progressifs à l'ancienneté dans la carrière. Ce sont de vieilles idées des syndicats réformistes, qui constituent un chantier à mettre en oeuvre d'urgence.
Propos recueillis par Adrien de Tricornot (28 février, Le Monde)
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| La cogestion, pierre angulaire du modèle allemand
Management | LE MONDE ECONOMIE | 20.02.12 |
par Armand Hatchuel, professeur à Mines ParisTech
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On ne compte plus les références au modèle allemand. Mais, dans ce flot d'analyses et de commentaires, peu sont consacrés au système de la cogestion allemande. Vu de France, tout semble nous éloigner d'un équilibre entre pouvoir des salariés et pouvoir des actionnaires dans les entreprises.
Mais, quand on insiste sur les performances industrielles enviables de notre voisin, comment oublier une telle différence dans le rouage central de la machine économique ?
En outre, la cogestion allemande, que l'on doit plus justement appeler "codétermination" (mitbestimmung), a fonctionné pendant plusieurs décennies et a résisté jusqu'ici à la pression de la corporate governance, fondée sur le primat de l'actionnaire.
Outre-Rhin, l'idée d'équilibrer les rapports entre travailleurs et patrons remonte au XIXe siècle. Mais c'est à la suite de la première guerre mondiale, durant laquelle on expérimente des comités d'atelier, que la République de Weimar inscrit dans sa Constitution le principe de la participation des salariés à la gestion.
Les lois de 1920-1922 créent des comités de salariés par établissement (betriebsrätegesetz) de plus de vingt personnes et une représentation d'un ou deux membres de ces comités aux conseils de surveillance des compagnies. Ces lois seront abrogées par les nazis.
En 1947 est instituée la parité des représentants des salariés et des actionnaires dans les conseils de surveillance, mais dans un seul secteur, celui des mines et de la métallurgie, afin de mieux résister aux tentatives de démantèlement des entreprises allemandes par les Alliés.
En 1952, la codétermination est généralisée mais avec un tiers de salariés au conseil de surveillance.
En 1976, la parité est étendue à toutes les compagnies de plus de 2 000 employés.
"COLLECTIF D'ENTREPRISE"
Ainsi, un nombre égal de représentants des salariés et des actionnaires - ces derniers élus par leur assemblée générale - siègent au conseil de surveillance.
Son président est élu par une majorité des deux tiers et possède deux voix pour permettre la décision.
Il revient au conseil de surveillance de nommer et de révoquer les membres du conseil de direction de l'entreprise.
Ces deux conseils doivent faire approuver leurs actions et résultats par l'assemblée des actionnaires, qui seule peut décider des statuts et de la destination des actifs et des profits de la société. Ce système ne vise pas le contrôle du partage du profit.
La codétermination institue donc un "collectif d'entreprise", englobant actionnaires et salariés, qui désigne et évalue solidairement les dirigeants chargés du destin commun. Ce principe a joué un rôle central dans les débats politiques et juridiques autour de la loi.
Certes, avec la mondialisation, les tenants d'une corporate governance à l'anglo-saxonne ont tenté de limiter la codétermination. Mais l'expérience ainsi que de multiples études ont montré que la codétermination n'avait pas paralysé les entreprises allemandes, ni fait fuir les investisseurs étrangers ni provoqué une perte d'efficacité générale.
Enfin, la codétermination ne s'est pas substituée à la négociation collective entre syndicats et pouvoirs publics.
En France, les appels à un dialogue social constructif sont récurrents, sans remettre en cause la dissymétrie entre salariés et actionnaires.
L'exemple allemand n'est pas transférable, mais il suggère que c'est à partir d'une conception plus équilibrée de l'entreprise que l'on peut espérer un dialogue social véritable.
L'entreprise socialement responsable comme entreprise citoyenne
Point de vue | LEMONDE.FR | 21.02.12 |
par Gérard Hirigoyen, professeur des universités, Bordeaux-IV D'accord, pas d'accord ? Réagissez aux articles du Monde.fr Pour réagir, devenez abonné pour seulement 15€ /mois + 1 mois offert.Abonnez-vousDécouvrez les réactions
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"L'unique responsabilité sociale de l'entreprise est d'accroître ses profits." Cette déclaration provocatrice du prix Nobel d'économie Milton Friedman en 1970 est aujourd'hui remise en cause par les faits et aussi par la volonté d'un certain nombre d'entreprises de se donner une forme de responsabilité sociale.
La crise, qui fût d'abord financière, avant de devenir économique, industrielle et sociale, impose de construire un nouveau modèle de production et de consommation répondant davantage aux attentes des parties prenantes.
Ces mutations économiques et sociales créent une responsabilité nouvelle pour l'entreprise, plus que jamais au cœur de la société. Cette responsabilité renforcée implique d'établir de nouvelles régulations entre les parties prenantes à partir d'une approche de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) comprise comme une relation de pouvoir dans laquelle conflits et dialogue social jouent un rôle primordial. Cette approche fait singulièrement écho aux thèses prémonitoires défendues il y a déjà quelques trente ans par François Perroux (L'économie du XXe siècle, PUF, 1969). Le grand économiste français affirmait déjà la nécessité d'un développement durable et l'introduction du pouvoir dans la théorie micro-économique. Il théorisait ainsi une entreprise socialement responsable comme entreprise citoyenne. Il faut revenir à son héritage.
L'émergence d'un nouveau modèle de développement impose de redéfinir le rôle du manager et l'exercice du pouvoir. La définition de nouveaux modes de gouvernance et de gestion harmonieuse des relations avec les parties prenantes impose de mieux rémunérer chacun des partenaires, à due concurrence de sa contribution à la création de valeur, ce qui peut, au moins à court terme, entrer en contradiction avec l'objectif de compétitivité de l'entreprise et l'allocation des ressources commandée par l'atteinte de cet objectif. Ainsi, le développement de concepts comme celui de Shared Value (valeur partagée) déjà expérimenté dans de grands groupes comme Nestlé peut constituer une réponse adéquate à cette approche nouvelle (voir Michael Porter et Mark Kramer, Creating Shared Value, Harvard Business Review, 2011).
Cette dernière, en créant un lien plus intime et construit entre l'entreprise et la société, contraire au lien naturel issu des théories économiques classiques, rappelle la définition de l'éthique proposée par Etienne Perrot : "L'éthique est l'interrogation de celui qui veut bien agir" ("La vague éthique : Une interrogation sans fin", Revue Projet, N° 224, p. 32-39, 1990).
Répondre à la crise par une nouvelle conception de l'entreprise
Point de vue | LEMONDE.FR | 21.02.12 |
par Roland Perez, professeur des universités, Montpellier-III D'accord, pas d'accord ? Réagissez aux articles du Monde.fr Pour réagir, devenez abonné pour seulement 15€ /mois + 1 mois offert.Abonnez-vousDécouvrez les réactions
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La période contemporaine appelle une réflexion collective sur la place de l'entreprise dans la société, même si l'ampleur de la crise financière et économique actuelle et la rapidité des transformations en cours n'est pas forcément propice à une réflexion distancée. Les évolutions qui affectent les écosystèmes des entreprises, reflètent ces "lignes de force" dont déjà parlait Fernand Braudel (La dynamique du capitalisme, 1966). Les observateurs s'accordent pour en souligner plusieurs, qui ont joué un rôle majeures : la poursuite de la mondialisation, la montée de l'immatériel et la domination de la finance.
Les effets de ces évolutions ont été d'autant plus marquants que ces lignes de force se sont le plus souvent conjuguées : le processus de mondialisation a été facilité par le prodigieux essor des technologies de l'information et de la communication (TIC), composante la plus spectaculaire de la montée de l'immatériel. Par ailleurs, la finance, autre élément devenu immatériel depuis l'abandon des monnaies métalliques, est devenue à la fois un vecteur et une expression de la mondialisation.
Avec la crise, ces trois évolutions remettent en cause les certitudes récentes de l'économie, de l'entreprise et du management. D'une part, les thèses relatives à la "neutralité" de la finance ont vécu. Toute la sphère économique est déstabilisée dans ses représentations et dans les certitudes, maintes fois proclamées, sur l'auto-régulation des marchés. D'autre part, si l'entreprise est de plus en plus vue comme une institution, parmi d'autres, de la société, elle est traversée par les débats qui animent celle-ci et auxquels elle contribue plus ou moins activement. Au-delà des opérations liées à ses activités marchandes, l'entreprise produit une culture spécifique qui tend elle-même à devenir une norme dominante au sein des sociétés dans lesquelles elle opère.
Enfin, les externalités négatives générées par les entreprises suscitent désormais des réactions de la part de la société civile. Le mouvement en faveur de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) s'en trouve légitimé et tranche le débat "Freeman versus Friedmann", c'est-à-dire la prise en compte des différents "porteurs d'enjeux" (stakeholders), et pas seulement des "porteurs d'actions" (stockholders).
A l'instar des "destructions créatrices" à la Schumpeter, la crise actuelle est telle qu'elle nous amène, sur les décombres des anciens paradigmes, à élaborer de manière créative une nouvelle conception de l'entreprise et de son management.
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