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Liberté et toute-puissance de l'entrepreneur

Notre histoire commence après la dissolution des corporations, qui avaient été chargées, dans un mode d'autorégulation sanctionné par la puissance publique, d'organiser les différentes professions. Elles sont supprimées par la Révolution, à la fois parce qu'elles restreignent la liberté individuelle à l'intérieur des différents métiers, avec des règles parfois tatillonnes et peu adaptées à l'évolution des techniques, mais aussi parce qu'elles limitent la concurrence et sont donc préjudiciables aux intérêts des consommateurs.

En même temps, l'évolution technologique et économique va créer des nouvelles activités, différentes des catégories artisanales et commerciales relativement stables que l'onavait connues. La révolution industrielle s'annonce à l'aube du 19° siècle.

Le nouvel entrepreneur se trouve libéré des règles qui codifiaient minutieusement les rapports entre les patrons et les compagnons, ou les apprentis. Il va décider lui-même comment traiter ses ouvriers, à qui la constitution de syndicats sera interdite pendant près d'un siècle.

Il en résultera des situations assez diverses. Les meilleurs entrepreneurs s'organiseront par référence à un modèle familial. Le chef d'entreprise sera le pater familias, dont l'autorité ne se discute pas, mais qui se sent responsable de ceux qu'il emploie. Ce modèle paternaliste est par exemple celui que développera la famille Pavin de Lafarge autour des années 1850.

D'autres au contraire utiliseront leur liberté et leur droit de propriété sur l'entreprise sans beaucoup de scrupules vis-à-vis de leurs employés. Le cas extrême sera l'utilisation des esclaves aux Etats Unis, dont Tocqueville dénoncera les effets pervers. Mais les scénarios à la

Dickens seront certainement assez nombreux, en Grande Bretagne ou dans d'autres pays.

Vis-à-vis des investisseurs, la situation de l'entrepreneur est également très forte. La pratique de la commandite, et notamment la commandite par actions qui sera la forme principale de développement des entreprises jusqu'en 1867, rend le commandité responsable sur l'ensemble de ses biens, mais ne donne pas aux commanditaires le droit d'intervenir dans la gestion de l'entreprise.

C'est donc un entrepreneur pratiquement tout-puissant qui va s'affirmer aux débuts de la révolution industrielle, alors que les salariés, et notamment les ouvriers, se trouvaient dans une situation de dépendance et parfois de dénuement matériel.

Dans la même période l'affirmation des principes démocratiques dans l'univers politique connaîtra, en pratique, bien des vicissitudes, mais ils finiront par triompher à peu près partout en Europe après les révolutions de 1848 et, en France, la chute du Second Empire.

Face à cette déconnexion entre un monde politique marqué par le développement de la démocratie et un monde économique resté autocratique, des réactions différentes se manifesteront :

Les uns, comme Marx, verront dans l'appropriation privée des moyens de production, voire dans le droit de propriété tout court, le fondement d'une injustice inacceptable. Cette approche débouchera sur la nationalisation de l'entreprise, mais, comme l'histoire le montrera dans l'expérience soviétique ou dans les expériences socialistes tentées ici ou là, elle ne résoudra pas la question du déficit démocratique de l'entreprise, et n'accroîtra pas le rôle de son personnel dans sa gestion. Plus tard, et on y reviendra, l'expérience de l'autogestion yougoslave tentera de traiter ce problème, mais sans grand succès.

D'autres ne chercheront pas à modifier le mode de direction de l'entreprise, mais voudront changer les rapports de force entre les travailleurs et les entreprises, par l'organisation de syndicats forts. Il ne s'agit pas d'aménager l'exercice du pouvoir dans l'entreprise, mais d'opposer au pouvoir de l'entreprise un pouvoir extérieur, qui vient conforter les travailleurs de l'entreprise. Notre propos n'est pas ici de retracer l'histoire du mouvement syndical, mais seulement de noter que, pour l'essentiel, et notamment dans les pays anglo-saxons, il ne revendique pas une plus grande participation aux décisions de l'entreprise, mais organise un contre-pouvoir qui en limite les effets.

Le mouvement coopératif

Certains cependant répugneront à créer une opposition systématique entre l'entreprise et ses employés, et voudront supprimer l'aliénation des travailleurs dénoncée par Marx, tout en restant dans le cadre de la propriété privée des moyens de production. C'est tout l'effort du mouvement coopératif, ou associatif, comme il a été diversement appelé.

En France, après la révolution de 1848, alors que les "coalitions" sont encore interdites, nombreux sont les efforts pour essayer d'améliorer la "condition ouvrière". La promesse d'un "droit au travail avec un salaire suffisant" ne sera pas ratifiée par l'Assemblée nationale, mais un crédit sera voté pour encourager les associations ouvrières.

L'Empire, dans sa période libérale, favorisera les "sociétés de secours mutuel", forme d'entraide à laquelle il voudra donner une forme quasi-étatique, avec des sociétés "reconnues" dont le président est nommé par l'Empereur, et qui reçoivent des subventions.

Mais sont aussi apparues, en France et dans les autres pays européens, des "associations ouvrières", qui regroupent des ouvriers pour les rendre moins dépendants des patrons. Elles prendront surtout en Angleterre la forme de coopératives de consommation, avec l'expérience fameuse des tisserands de Rochdale, et en Allemagne celle de sociétés de crédit mutuel, avec le réseau constitué par Schultz-Delitsch.

En France, où Proudhon a développé en 1857 un modèle de société ouvrière, on verra apparaître des sociétés coopératives de production, par exemple dans la mécanique ou les tissages, appuyées sur des sociétés de crédit mutuel, et notamment le "Crédit au travail" créé en1863, qui connut un certain développement, avant de capoter en 1868.

Pourtant, dès 1849, notre confrère de l'époque Louis René Villermé, connu pour son "Tableau de l'état physique et moral des ouvriers" de 1840 (1), exprimait son scepticisme, en expliquant que de telles sociétés ouvrières auraient beaucoup de mal à disposer d'un capital suffisant pour investir et pour amortir des pertes conjoncturelles. Il concluait : " la très-grande masse ne gagnera rien à l'association", tout en admettant qu'il y eut des exceptions (2). Un autre contemporain, Paul Hubert Valleraux, témoigne que " l'incapacité des gérants et l'insubordination des sociétaires sont les deux causes les plus actives de la chute des associations". (3)

Pourtant la question des associations, et la recherche d'une solution non révolutionnaire à la "question sociale" sera un des thèmes récurrents des congrès ouvriers, jusqu'à ce que le congrès de Marseille de 1879 fasse le choix du collectivisme révolutionnaire.

Le sujet restera à l'ordre du jour des mouvements ouvriers chrétiens.

L'encyclique "Rerum Novarum" de 1891 a exprimé l'opposition de l'Eglise à un capitalisme qui donne à l'argent la prédominance absolue sur le travail, et les mouvements ouvriers chrétiens aboutiront à la création de syndicats et de partis politiques chrétiens.

La loi de 1898 donnera un cadre au un mouvement coopératif qui, malgré de nombreux échecs, se développera et a de nos jours une certaine importance économique.

Les mutuelles d'assurances ont en France 21 millions d'assurés-membres, et représentent 53 % du marché de l'assurance automobile. Les banques mutualistes — qui légalement appartiennent au secteur coopératif — parmi lesquelles le Crédit agricole et le Crédit Populaire, drainent 60 % de l'épargne, et accordent 40 % des crédits.

Enfin les coopératives de production emploient en France 40.000 salariés, mais plus de 800.000 en Espagne, et près de 100.000 en Italie.

La plus importante coopérative de production est la société basque espagnole Mondragon, la septième entreprise espagnole, avec près de 100.000 employés, dont plus des deux-tiers sont membres de la coopérative, et 260 filiales.

On trouve sur son site Internet une annonce qui n'a pas fait les gros titres de la presse, mais témoigne de la vitalité du concept : la conclusion, en novembre 2009, d'un accord avec le grand syndicat américain des Steelworkers pour "un partenariat historique en vue de créer ou d'acheter des entreprises industrielles aux Etats-Unis et au Canada qui combineront la structure démocratique Mondragon de propriété et de gouvernance avec la négociation collective".

Ces différentes formes de coopérative ont un intérêt différent pour ce qui concerne notre thème de la démocratie. Les mutuelles d'assurance ou de banque sont des coopérations entre clients-actionnaires, et non entre employés. Elles fonctionnent selon le principe démocratique "un homme, une voix", indépendamment de la part de chacun au capital. Mais, lorsqu'elles atteignent une certaine taille, leur système démocratique devient largement formel, avec des assemblées peu fréquentées et des votes unanimes pour une liste de candidats administrateurs uniques. Beaucoup d'entre vous sont sans doute membres d'une mutuelle, mais sans vous sentir partie prenante à la gestion de celle-ci. Et, dans les pays, tels l'Australie ou les Etats-Unis où la "démutualisation" est juridiquement facile, les associés ont souvent cédé, au cours des dernières années, aux sirènes des sociétés d'assurances comme Axa — elle-même originellement mutualiste — qui leur proposaient le rachat à bon prix de leur part, capital imprévu non valorisable dans les règlements de la mutuelle.

On doit cependant reconnaître que, même s'il ne s'agit pas d'une véritable démocratie, la culture de ces entreprises, comme par exemple le groupe du Crédit Agricole, est marquée par son statut coopératif, et que l'exercice du pouvoir y est différent des entreprises traditionnelles.

Les coopératives de production comme Mondragon sont, elles, une vraie forme originale de démocratie dans l'entreprise. Leur caractère exceptionnel, et le fait que la plupart n'aient pas survécu, montrent que les arguments de Villermé étaient sans doute justifiés, et qu'il n'est pas facile d'envisager un développement important et durable d'une entreprise vraiment démocratique.

Mais on peut noter que Essilor, le leader français des verres correcteurs, a été originellement créé comme une coopérative ouvrière, et que ce passé n'est pas indifférent à la culture de cette entreprise, dont le président Xavier Fontanet, vient de recevoir de notre Académie le prix Olivier Lecerf pour un management humaniste !

La démocratie, un mode inefficace pour l'entreprise ?

Pourquoi la forme démocratique, considérée comme la seule acceptable pour une organisation politique, ne semble-t-elle pas bien adaptée à l'entreprise ?

Selon Gérard Lafay : " par sa nature même, l'entreprise est tournée vers l'extérieur, puisqu'elle est destinée à satisfaire d'abord les besoins du marché. Elle n'a pas le même objet qu'une institution politique… destinée essentiellement à satisfaire les besoins des citoyens à l'intérieur de son champ territorial ". (4)

Notre défunt confrère Pierre de Calan, grand défenseur de l'entreprise, considère son assimilation à un corps politique comme une idée fausse, et rejette notamment l'élection des dirigeants, car il est " impossible de [les] mettre sous la seule dépendance de ceux qui travaillent [dans l'entreprise] " puisqu'ils ont aussi des responsabilités vis-à-vis d'autres. (5)

Enfin Alain Chevalier, ancien patron de Moët Henessy, décrit l'entreprise comme un lieu où des doctrines organisatrices peuvent s'exercer sans trop de danger, où le pouvoir, portant sur un objet spécifique et limité, peut s'exercer sans les limites qui s'imposeraient s'il était général, comme dans la société politique. (6)

Somme toute, l'entreprise est en situation de concurrence, elle doit d'abord être efficace, ce qui suppose une forte unité de direction, et est peu compatible avec les contraintes de la démocratie. Inversement la démocratie, si elle est une forme de gouvernement relativement peu efficace, est la seule acceptable par une communauté de citoyens libres.

On peut penser effectivement à Singapour, ville-état gérée comme une entreprise, avec une remarquable efficacité économique et sociale, mais où le contrôle politique rend souvent mal à l'aise même les expatriés européens. Ou à la pratique de la république romaine, qui, pour faire face à un péril extérieur, suspendait la démocratie et recourait à la dictature.

Cette conclusion, probablement réaliste, ne suffit pourtant pas à épuiser le sujet, et les aspirations à plus de démocratie dans l'entreprise sont restées présentes, surtout dans notre pays, et notamment en relation avec les événements de 1968.

L'autogestion

Le PSU (Parti Socialiste Unifié) des années 1970, avec Michel Rocard à sa tête, a popularisé le mythe de l'autogestion yougoslave. Cette expérience a été tentée, à vrai dire, non comme une rupture avec le capitalisme privé, mais en opposition au système de la propriété d'état.

A partir de 1950, et en plusieurs étapes, la Yougoslavie, affirmant son indépendance du bloc soviétique sur le plan idéologique comme sur celui de la politique étrangère, a "cassé" le système de planification centralisé qui fixait pour les entreprises d'état des objectifs d'investissements, de production et de prix, et a confié cette responsabilité à l'entreprise elle-même, et à des dirigeants choisis par des conseils ouvriers eux-mêmes élus.

Après que le PSU ait rejoint le Parti Socialiste au congrès d'Epinay en 1971, l'"autogestion" fût un des éléments de la campagne électorale infructueuse de François Mitterrand

en 1974. Mais, en Yougoslavie même, le système s'englua "dans un fouillis quasi-inintelligible de textes aussi proliférants qu'inefficaces", et se vit reprocher "corruption, incompétence, gabegie, irresponsabilité et arbitraire" (7), tandis que se développait parallèlement un secteur capitaliste florissant, jusqu'à la chute finale du système communiste.

Michel Rocard est cependant resté attaché au concept d'autogestion, au service duquel il enrôlait récemment, à son insu, Mme Elinor Ostrom, dernier prix Nobel d'économie, et première femme ayant reçu cette distinction, pour ses travaux sur la gestion des biens publics. Elle montre en effet que des collectivités — organisations de consommateurs ou d'usagers — pouvaient gérer de manière économiquement optimale des biens communs (8). Mais nous sommes là dans le domaine de l'organisation de la société plus que dans celui de l'entreprise !

La participation

Si la démocratie au sens propre ne semble donc pas appropriée à l'entreprise, ne peut-on cependant souhaiter que les employés aient un certain rôle, non nécessairement prépondérant, au sein de l'entreprise ?

C'est en tout cas ce qu'affirme — de façon assez platonique — le préambule de la Constitution de 1946, repris par notre constitution actuelle : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, [….] à la gestion des entreprises".

Dans la situation actuelle, avec des grandes entreprises globalisées, soumises à de multiples contraintes, dont celle des marchés financiers, les collaborateurs de l'entreprises se sentent souvent très loin des dirigeants, et de décisions lointaines, prises en fonction d'objectifs globaux mal perçus, et souvent insuffisamment expliquées. François Dupuis a parlé d'une "fatigue des élites (9), tandis qu'une chercheuse plus radicale évoquait le régime "domestique" de traitement des caissières de magasins (10), reprenant étrangement le mot de "dictature domestique" utilisé par Tocqueville en son temps ! Et il n'y a pas de doute qu'une meilleure compréhension des décisions de l'entreprise, un sentiment d'appartenance et une appropriation de ses objectifs conduisent à une meilleure motivation, à une plus grande contribution au progrès et à l'innovation, et donc au succès de l'entreprise.

La plupart des chefs d'entreprise, et en tout cas les plus éclairés, sont conscients de la nécessité d'une implication positive du personnel. Depuis les années 70, à la suite des expériences japonaises, nombreuses ont été les initiatives : cercles de qualité, groupes d'expression,.. qui visaient à associer plus étroitement les employés de base au fonctionnement de leurs unités. Et sans doute beaucoup de ces initiatives sont entrées dans les pratiques des entreprises, même si on en parle moins maintenant. Mais leur consécration institutionnelle est beaucoup plus difficile.

Dans les années 60, ces questions ont été évoquées sous le vocable de la "réforme de l'entreprise", titre du rapport établi par François Bloch-Lainé en 1963, et repris par le rapport Sudreau en 1975.

Notant la coexistence — spécifiquement française — d'entreprises privées et publiques, de statut juridique très différent, mais de réalité organisationnelle voisine, Bloch-Lainé veut répondre à "une aspiration à "participer" à la vie des entreprises". Il estime que, sans toucher à l'unité de direction, celle-ci peut être placée sous un "contrôle plural". Il admet que, pour les entreprises familiales, "le despotisme éclairé [soit] dans l'ordre des choses". Mais pour les grandes entreprises, il propose que les dirigeants soient responsables devant un conseil de surveillance comportant des représentants du personnel du capital et du Plan (!), sous le contrôle d'une magistrature économique et sociale chargée d'arbitrer les conflits éventuels (11).

Cette idée nous paraît aujourd'hui d'un autre temps, et, douze ans plus tard, le rapport Sudreau propose des changements plus limités, notamment "reconnaître une faculté d'expression à chaque salarié" et ouvrir une voie nouvelle : la co-surveillance, avec un tiers des membres du conseil (d'administration ou de surveillance) élus par les salariés (12).

On est là assez près du système allemand de la "co-détermination" (Mitbestimmung), instauré en Allemagne après la deuxième guerre mondiale, qui comporte obligatoirement entre un tiers et la moitié de membres du conseil de surveillance représentant les salariés allemands. D'ailleurs, même en France, des représentants du comité d'entreprise siègent obligatoirement au conseil d'administration, avec voix consultative. Dans les entreprises qui ont appartenu à l'Etat et ont été privatisées, des administrateurs de plein exercice sont élus par les salariés. Et dans beaucoup d'entreprises qui ont développé des plans d'actionnariat du personnel, des administrateurs sont désignés par les salariés actionnaires.

Ceci parait à un observateur extérieur une idée logique, et une bonne façon d'associer les salariés. Et il est difficile de trouver un chef d'entreprise, que ce soit en France ou en Allemagne, pour critiquer publiquement ces différents systèmes. En privé cependant, ils vous confieront que les effets positifs en sont très limités, et les effets pervers nombreux.

Mon expérience personnelle, tant dans des conseils de surveillance allemands que dans des conseils français, est que les représentants du personnel ont – assez légitimement – pour préoccupation principale l'emploi, et secondairement les salaires, qui ne sont en général pas discutés en conseil. Ils reçoivent évidemment beaucoup d'informations sur l'entreprise, mais sont tenus à la confidentialité pour ce qui n'est pas public, et ne peuvent donc guère aider à la diffusion et à l'explication. Ils ne peuvent non plus donner sur les questions les plus importantes un avis représentatif, qui nécessiterait une discussion, avec leurs mandants, de la politique de l'entreprise.

Inversement les administrateurs extérieurs sont beaucoup plus timides dans leurs interventions en raison de la présence des membres du personnel. Même si ces derniers respectent dans la plupart des cas la confidentialité des débats du conseil, la discussion d'une idée potentiellement explosive devient difficile, de même qu'une critique un peu vive des dirigeants. La moindre liberté de ton des conseils français, par rapport aux conseils américains, tient en partie – pas uniquement – à ce "mélange des genres " dans les conseils. Sans doute cette autocensure des administrateurs reflète-t-elle une vision excessivement hiérarchique, et pourrait-on souhaiter une discussion franche et ouverte même en présence de collaborateurs.

Mais, dans les faits, il y a beaucoup de sujets sur lesquels cela ne se produit pas. En Allemagne, les représentants des actionnaires ont généralement une réunion préalable séparée – qui tomberait sans doute en France sous le coup du délit d'entrave – où les "vrais" problèmes sont discutés librement, et la réunion du conseil de surveillance devient facilement un cérémonial assez formel. Et, avant chaque réunion, on me demandait d'envoyer un pouvoir, même si j'avais prévu d'être présent, pour éviter qu'en cas d'imprévu, les représentants des actionnaires ne puissent se trouver en minorité !

Cependant la participation des salariés n'est pas neutre, ni totalement négative. Selon mon expérience, la recherche "naturelle" d'un consensus, ou le désir d'éviter des conflits, conduit souvent à différer les décisions désagréables, en tout cas tant que la situation n'est pas vraiment grave.

Quand elle le devient, au contraire, les syndicats allemands, mieux informés d'une situation qu'ils ne peuvent contester puisqu'il leur en est rendu régulièrement compte, sont davantage prêts à trouver des solutions, même au prix de sacrifices, plutôt que de se cantonner, comme les syndicats français, à une posture de contestation.

Le rapport Sudreau prône également un renforcement de l'expression des salariés et du dialogue dans l'entreprise.

Les lois Auroux sont venues, en 1982, obliger les entreprises à engager chaque année un dialogue sur un certain nombre de sujets. De même de nombreuses procédures obligent à des consultations du comité d'entreprise. A voir ces dispositifs, on pourrait penser qu'il existe une véritable concertation au sein des entreprises sur tous les sujets, et que le problème de la participation des salariés aux décisions ne se pose plus. Au contraire l'expérience suggère que, dès lors que le dialogue, au lieu d'être naturel, volontaire et informel, devient obligatoire, encadré par des règles, et soumis à des sanctions, il tend à devenir une formalité légale pour les uns, une occasion de gesticulation pour les autres, et perd beaucoup de sa richesse. Le temps, que j'ai encore personnellement connu, où un chef d'entreprise présidait un comité d'entreprise sans avocat, libre de sa spontanéité même lorsqu'elle l'écartait du politiquement correcte, est révolu. On a encore – mais pour combien de temps ?– des discussions riches et informelles dans les comités européens de groupe, beaucoup moins soumis au formalisme légal.

Après cette revue un peu négative, que reste-t-il alors de l'aspiration à la démocratie, ou en tout cas à la participation, qui est naturelle dans l'entreprise comme ailleurs ?

La réalité que j'ai déjà mentionnée, c'est qu'une entreprise ne marche pas de façon optimale si ses collaborateurs n'adhèrent pas à son action, et qu'un chef d'entreprise peut difficilement réussir dans la durée si sa légitimité n'est pas reconnue et s'il est incompris, méprisé ou haï par ses troupes. Cette réalité, valable pour tout groupe humain, n'implique pas un fonctionnement à proprement parler démocratique, où la majorité acquiescerait formellement à chaque décision, mais oblige les patrons responsables à se préoccuper des réactions du terrain. Ainsi beaucoup d'entreprises – et Lafarge est de celles-là – procèdent régulièrement à des enquêtes d'opinion auprès de leur personnel, à tous les niveaux et dans tous les pays, pour apprécier la façon dont le management est compris et soutenu. Dans les entreprises que je connais – et qui sont gérées par des patrons que je qualifierais de "responsables" – les résultats de ces enquêtes sont généralement bien meilleurs qu'on pourrait le croire, même dans des périodes difficiles. Alors que l'opinion est souvent très défavorable à l'action des entreprises en général, les collaborateurs sont le plus souvent satisfaits, ou en tout cas positifs, sur la gestion de leur propre entreprise.

Cette utilisation des enquêtes rappelle celle des sondages, en politique, mais avec la grande différence qu'elle ne se situe pas dans la perspective d'une élection des dirigeants !

Et les réponses des collaborateurs seraient peut-être différentes si le patron devait être élu par eux ! Mais il l'est par les administrateurs, eux-mêmes élus par les actionnaires. Y a-t-il là le domaine où se situe la démocratie dans l'entreprise ?
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