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Y O : C'est une interprétation qui peut-être n'est pas impossible. Mais il y a quelqu'un qui a dit je crois : « toujours il y a la forme initiale, originaire et originale, et à partir de là il y a la multitude de figures différentes mais qui sont toujours unies à la forme prototype. F M : C'est ce que j'indiquais par « modèle » et « singularité des réalisations ». Y O : Alors oui. Fl : S'il n'y avait pas d'erreur il n'y aurait peut-être pas l'apparition des épines. ► Mais une branche de prunier a des épines, ça pique. Et la fleur de prunier est aussi dans les épines de même que la rose est aussi dans les épines comme elle était dans la graine. Y O : La fleur de prunier est à peine éclose, c'est le début du printemps… Je pense que quand on fait l'unité des trois réactions : la fleur d'Udumbara devient la fleur de prunier ; la synthèse de François et puis l'interprétation de Florence, je pense que grosso modo c'est ça. C'est une fleur d'Udumbara, mais par erreur, pour l'instant, c'est une fleur de prunier pleine d'épines. C'est à la fois la même et pas la même. Pour moi ce texte est magnifique, et surtout ce qui est beau c'est zôshin (se cacher) : « L’Ainsi-Venu se cache dans la prunelle de l’Œil, et la prunelle de l’œil se cache dans les fleurs de prunier. Les fleurs de prunier se cachent dans les épines. » Mon interprétation c'est la vision : la fleur quelle qu’elle soit (fleur de prunier, fleur d'Udumbara) voit le monde. C'est la vision de cet univers, mais c'est la vision de l'invisible et c'est ça la résonance. Et en faisant la résonance au printemps (qui est encore tellement précoce) on reste dans les épines : déjà l'Œil de Gautama (c'est-à-dire celui qui voit cet univers par la résonance) est là dans les fleurs de prunier. C'est l'univers de la résonance qui est évoqué poétiquement par cette énonciation. Dans le texte intitulé Baika 梅花 (Fleurs de prunier) maître Dôgen dit : « L'univers entier est la terre du cœur, l'univers entier est sentiments et émotions des fleurs. » ► Et quand il dit : « Une fleur de prunier éclôt et le printemps arrive », il s'agit d'une fleur, donc c'est la fleur d'Udumbara déjà. Y O : Et ce n'est pas le printemps qui fait advenir la fleur, c'est la fleur qui fait advenir le printemps. F A : C'est le prototype encore. Y O : Tout à fait. Et l'éclosion d'une fleur n'est autre que la vision de l'Éveillé. Donc il y a un parfait écho entre la prunelle de l'Œil (ganzei) et les fleurs de prunier. L'expression « prunelle de l'Œil » se répète quatre fois, « les fleurs de prunier » cinq fois, et les deux se font écho autour du verbe zôshin (se cacher). F A : C'est vraiment un poème magnifique. « Les épines soufflent maintenant le vent du printemps. Et bien que ce soit ainsi, elles goûtent avec allégresse la mélodie des fleurs de prunier. » C'est une image d'une puissance de souffle étonnant. Y O : J'aime bien aussi la fin du poème de maître Nyojô : « En retour rient-elles du vent du printemps qui les entrelace si fort », comme si c'était un entrelacement des êtres humains. Paragraphe 12. « Mon ancien maître et ancien éveillé Tendô dit : « Là où regarde Rei.un, éclosent les fleurs de pêcher, Là où regarde Tendô, tombent les fleurs de pêcher. » » « Sachez-le, les fleurs de pêcher éclosent dans le regard de Rei.un. Nul n’a plus l’ombre d’un doute, parvenu directement à ce présent tel quel. Les fleurs de pêcher tombent dans le regard de Tendô. L’éclosion des pêchers est provoquée par le vent du printemps, et la chute des fleurs de pêcher est haïe par le vent du printemps. Même si le vent du printemps hait profon-dément les fleurs de pêchers, voilà qu’elles tombent, et se dépouillent du corps et du cœur ! » ► Le verbe haïr qui se trouve deux fois m'a dérangé. Il est surprenant dans le texte. D M : Si le vent du printemps donne aux fleurs d'éclore, on comprend qu'il ne soit pas content si elles tombent, mais il est dit ensuite qu'il déteste les fleurs quand même ! F M : Moi il m'intrigue ce « haïr » mais il met des choses en équilibre. Il y a des échos : tomber / éclore fait écho au tout début du texte où on avait monter / descendre. Il y a donc quelque chose qui se clôt ici. Par ailleurs le sentiment du vent du printemps n'a rien à voir avec l'éveil du printemps. L'éveil n'est pas dans un sentiment. Il y a tout un tas de contresens sur l'éveil qui serait ramenable à des émotions. L'émotion en elle-même est un éveil. Mais dans ce passage-là on est peut-être dans quelque chose qui est proche du tantrisme. Et en plus la beauté des fleurs de pêcher reste la même : qu'elles éclosent ou qu'elles tombent, ça n'a pas d'importance. Y O : C'est-à-dire que ce n'est pas important, mais les deux (éclore et tomber) sont importants. F M : Ce n'est pas un nivellement, c'est une sorte de scintillement. Y O : C'est la vie, le souffle de la vie : qu'elles éclosent ou qu'elles tombent, c'est la vie qui se vit. Autre chose à propos du tout premier mot « Là où regarde Rei.un ». J'ai mis une petite note car là aussi c'est une évocation implicite qui est caractéristique des écritures sacrées (pas seulement bouddhiques). Il y a une anecdote qui parle du moment capital de l'éveil de Rei.un. Et maître Dôgen commente assez brièvement cela dans d'autres textes, en particulier dans Keisei sanshoku 谿聲山色 (La voix des vallées, les formes-couleurs des montagnes). Voici le passage : « Le maître du zen Rei.un Shikin pratiquait la Voie depuis trente ans. Un jour qu'il fit une excursion, il se reposa au pied de la montagne, et vit au loin des villages. C'était le printemps. En regardant des pêchers en pleine floraison, il s'éveilla soudain à la Voie. Il composa alors un poème qu'il présenta à Dai.i… » (Traduction de Y Orimo, tome 1 de la traduction intégrale p. 59) Rei.un Shikin (Lingyun Zhiqin) est le disciple d'Isan Reiyû (Weishan Lingyou) (771-953). On suppose que Rei.un Shikin est un moine du IXe siècle en Chine sous la grande dynastie des T'ang. Et ici il s'agit du moment de l'éveil : c'est lorsqu'il voit les fleurs de pêcher écloses qu'il réalise l'éveil. Mais là aussi on peut lire le texte de Dôgen sans connaître cet arrière-plan historique. On a arrêté la lecture au moment où Rei.un Shikin présente à Dai.i un poème. C'est en effet une tradition de l'école zen de composer un poème lorsque l'éveil est réalisé. C'est pour cela que je vous demande chaque fois de composer un poème. Dans la dernière séance, on a souligné la différence entre genjô 現成 « la réalisation comme présence » et kenjô 見成 : « la réalisation comme vision » qui désigne le stade supérieur au terme genjô 現成. (p.7 du dernier compte-rendu) : écrire un poème est une sorte de preuve, d'attestation. C M : C'est une chose qu'on voit dans les kôan : souvent le kôan est très court, ensuite il y a le commentaire d'un maître qui est plus long ; et puis à la fin se trouve un poème du maître. Y O : Ça aussi c'est une tradition. L'éveil est pour tout le monde et pourtant il n'y a d'éveil que pour une personne précise : toi Patrick tu réalises l'éveil personnellement, à ce moment-là, et c'est pour cela que tu composes un poème. Deuxième partie : lecture au deuxième niveau 1°) « La métaphore filée de la végétation » Voulez-vous jeter un coup d'œil sur la fiche complémentaire que j'ai intitulée « La métaphore filée de la végétation » ? Tout à la fin il y a deux passages du Shôbôgenzô. C'est juste pour vous initier à la lecture au second niveau. Si vous avez un peu de sens littéraire et aussi conceptuel philologique, vous pouvez avoir un éveil sur le thème de la fleur et de la trituration de la fleur puisqu'il y a toujours au moins deux sens pour chaque mot. Nous allons prendre quelques mots de la liste en voyant la continuité de l'image à partir de la graine : graine, racine, herbe, fleur, entrelacement des lianes, canon. Voici un tableau qui résume ce qui est développé après en reprenant un peu la fiche de Y Orimo :
Y O : Je vous donne aussi les lectures kun et on des premiers caractères. – Le caractère 種 [tane/shu] désigne la graine (ou le grain) au sens concret. Le plus souvent busshu 仏種 dans l'écriture bouddhique sino-japonaise désigne la graine de l'Éveillé (la nature de Bouddha) c'est-à-dire que chaque existant apparaît grâce à cette graine qui est l'essence (le fondement) bouddhique. – le caractère 根 [ne/kon] désigne au sens concret la racine de l'arbre ou de la fleur, et au sens figuré c'est la faculté sensorielle le plus souvent. Grâce à la graine c'est-à-dire à l'essence, l'être commence à s'enraciner et capte le monde extérieur par la faculté sensorielle. – le caractère 草 [kusa/sô] c'est l'herbe. On a vu la dernière fois qu'au sens figuré ça désigne le texte parce que c'est le manuscrit. Mais aussi l'herbe représente métaphoriquement le phénomène. Donc il faut distinguer trois sens parce que le phénomène et l'écriture c'est toujours concomitant. – le caractère 花 [hana/ge] désigne au sens concret la fleur, et au sens métaphorique c'est l'écriture sacrée. En effet on a vu que la fleur elle-même est la métamorphose de l'herbe, d'où au sens figuré cela correspond au degré supérieur du texte c'est-à-dire au texte sacré. – le terme kattô 葛藤 désigne au sens concret l'entrelacement des lianes. Et l'école zen explique qu'il faut trancher, éliminer le langage, alors que pour maître Dôgen ce kattô dans l'univers du phénomène est presque équivalent à engi 縁起 c'est-à-dire la coproduction conditionnée (qui correspond au fait que les lianes s'entrelacent et vivent ensemble dans l'univers des plantes). Q : Donc selon Dôgen il ne faut pas trancher les lianes, il faut juste constater qu'elles sont là. Y O : Oui, c'est ça. C'est pour cela que j'ai dit que l'attitude de maître Dôgen était hyper singulière. Certains courants de l'école zen disent qu'il faut couper parce que le langage est inutile, que l'étude des écritures est inutile, c'est ce qu'on a vu avec les quatre formules emblématiques de l'école zen : « la transmission de cœur à cœur » [ishin-denshin 以心伝心], « l’aspect réel (est) sans aspect » [jissô-musô 実相無相], la transmission directe en dehors des écritures [kyôge- betsuden 教外別伝], « l’enseignement indépendant des mots » [furyû-monji 不立文字]. – le caractère zô 蔵 (dernier caractère de shôbôgenzô) désigne le canon bouddhique. Il y a deux niveaux de sens : le niveau de l'écriture, et au niveau végétatif et aussi le niveau du phénomène. Dans la fiche j'ai mis aussi quelques mots composés, par exemple ho.u 法雨 c'est « la pluie de la loi ». En réalité puisque la pluie est absolument indispensable comme la loi à chaque être (ou à chaque existant), on explique les bienfaits de la loi comme étant la pluie. P F : Du coup la pluie devient le bienfait au sens figuré. Y O : Oui, comme la Loi (le Dharma) donne le bienfait, la pluie fait beaucoup de bien à la végétation. Tout cela doit pouvoir vous aider à concevoir le deuxième sens du texte. Par exemple : la trituration d'une fleur c'est la trituration des Écritures. Et si vous composez un poème c'est aussi comme si l'Éveillé triturait une fleur. J'ai appelé ce travail « métaphore filée de la végétation » pour désigner la continuité des métaphores qui caractérisent tous les écrits bouddhiques sino-japonais et pas seulement le Shôbôgenzô. Dernière chose : tous les caractères qu'on a vus (sauf la graine) comportent la clé de la végétation : 草 [kusa/sô] ; 花 [hana] ; 葛藤 [kattô] ; 蔵 [zô]. C'est pour ça que j'ai souligné que pour maître Dôgen c'est la totalité des Écritures qui comptent, non pas telle ou telle Écriture mais le canon. Et dans ce grenier (donc dans ce canon) il y a l'entrelacement des lianes ; de même que dans l'univers du phénomène les lianes sont entrelacées, tous les êtres (par exemple nous tous ici) sont liés par ce lien de l'interdépendance. Il faut vraiment admirer la fleur parce que c'est une écriture sacrée et c'est vraiment à partir de la graine de l'Éveillé (donc de l'essence) que la fleur éclôt. 2°) Deux extraits du Shôbôgenzô : la vacuité, les fleurs, les formes-couleurs. J'ai mis en fin de fichier deux extraits de Kûge 空華 (un texte du Shôbôgenzô) où maître Dôgen parle de la vacuité. « Justement, sachez-le, la Vacuité [kû 空] est une herbe [issô 一草]. La Vacuité produit toujours ses fleurs, comme les cent herbes [hyakusô 百草] produisent leurs fleurs. » Y O : Il y a le rapport de la vacuité [kû 空 (skr. çûnya)] et de la fleur. Ma : La vacuité c'est la source de tout le monde phénoménal, et c'est à partir du monde phénoménal qu'est la vacuité. Il n'y a l'un que parce qu'il y a l'autre. F A : C'est « La forme est vacuité et la vacuité est forme ». Y O : Tout à fait. Selon maître Dôgen cet univers du phénomène où il y a la multitude des fleurs n'est autre que l'éclosion de la vacuité. « Les fleurs sont toujours comme si elles étaient teintes d’une multitude de couleurs [shoshiki 諸色]. Les couleurs ne sont pas toujours réservées aux fleurs. La multitude des temps [shoji 諸時] prennent également les couleurs telles que bleu, jaune, rouge, blanc, etc. Le printemps attire les fleurs ; les fleurs attirent le printemps. » Y O : Ici il y a la fleur, la vacuité et aussi les formes-couleurs shiki 色 (skr. rûpa)]. Maître Dôgen dit : « Les fleurs sont comme si elles étaient teintes d'une multitude de couleurs ». Et comme François vient de dire SHIKI SOKU-ZE KÛ, KÛ SOKU-ZE SHIKI 色即是空 空即是色 (La forme n'est autre que la vacuité, la vacuité n'est autre que la forme), formule qu'on a déjà vue. J'espère que vous voyez ce triple rapport : la fleur ; la vacuité ; les formes-couleurs (rûpa). Par ailleurs, on peut trouver un parfait écho entre la définition première du phénomène [shiki 色] (skr. rûpa) et celle de la langue, c'est-à-dire l'écriture symbolisée par 草 l' "herbe" et 華 la "fleur". S'il est dit dans la doctrine bouddhique : « Toutes choses sont dépourvues d'être en soi - ou de nature propre »-, Saussure, le fondateur de la linguistique moderne, écrit : « La langue est une forme, non une substance. » |
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