L’Etat
Introduction 1
A. Le problème du lien social 1
B. La notion de pouvoir 4
C. Les différents types de régimes politiques 5
II. Le contrat ou la guerre : deux modèles pour penser l’Etat 7
A. Le contrat et la justice 7
B. La force et la domination 10
III. Le marxisme 12
A. La philosophie de Marx 12
B. Quelques critiques de la théorie marxiste 16
IV. L’analyse de l’Etat contemporain 17
A. Modernité et péril totalitaire (Tocqueville) 17
B. L’émergence du biopouvoir (Foucault) 18
Conclusion 21
Annexe 21
Quelques idées supplémentaires 21
Bibliographie 22
Sujets de dissertation 22
Introduction A. Le problème du lien social
La question du lien social est la question de savoir ce qui assure la cohésion de la société. Une société est un ensemble d’individus, et pour que le tout fonctionne, il faut que les parties s’accordent entre elles. La question fondamentale dans l’analyse de toute société est de comprendre comment se réalise cet accord entre le tout et les parties, par quel mécanisme les individus sont assujettis à un ensemble de lois et de règles qui rendent possible le fonctionnement de l’ensemble.
Le mécanisme permettant d’accorder les hommes entre eux et de maintenir la cohésion de la société peut être pensée de multiples manières, à des niveaux complètement différents. On peut penser que ce mécanisme est fondamentalement économique, politique, libidinal, religieux, rationnel, etc. Voici, à titre de présentation générale, quelques manières de penser ce mystérieux lien social.
1. Les échanges Une première manière de penser le lien social est par l’échange. Nous avons vu cette idée dans le cours précédent. On la trouve chez Platon, pour qui la satisfaction des besoins individuels par la division du travail et l’échange est le fondement de la société. On la retrouve chez Durkheim, sous la forme de la « solidarité organique ». On la trouve enfin chez Adam Smith, avec l’idée de « main invisible » : si les individus poursuivent leurs intérêts privés, le plus grand bien général en résultera car une main invisible les guide vers les actions les plus profitables à la collectivité : « l’individu est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions »1. Dans ce paradigme économique, c’est l’intérêt qui assure le lien social et la cohésion entre les individus.
2. Les sentiments On peut aussi penser le lien social à partir des sentiments, des affects, des passions. C’est ce que fait Hegel avec l’idée selon laquelle la passion est une « ruse de la raison » qui pousse les hommes à réaliser de grandes choses dont ils n’ont pas nécessairement conscience, et qui concourent à l’avènement d’un ordre rationnel et donc au bien de tous. Par exemple, à travers sont désir personnel de gloire, Napoléon a répandu les idées de la Révolution et des Lumières en Europe.
Selon Freud, l’échange ne suffit pas à assurer le lien social, il faut ajouter aux lien par l’intérêt un lien d’ordre affectif : L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas la cohésion [de la société], les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions d’agression des hommes, pour tenir en soumission leurs manifestations par des formations réactionnelles psychiques. De là donc la mise en œuvre de méthodes qui doivent inciter les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but, de là la restriction de la vie sexuelle et de là aussi ce commandement de l’idéal : aimer le prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle.
Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture (1929), V Pour Freud les liens entres les hommes sont essentiellement libidinaux, et il faut l’intériorisation des exigences sociales dans le psychisme avec l’érection du surmoi pour que la concorde et la paix puisse être assurée entre les individus. Et c’est par amour des autres – ou plus exactement par angoisse devant la perte d’amour – que les hommes respectent les préceptes moraux et les lois. Le nerf du lien social est donc, chez Freud, essentiellement lié à la libido, elle-même d’origine sexuelle.
Montesquieu admet aussi qu’il existe un sentiment propre à chaque régime politique. Il appelle « principe » ce sentiment qui doit animer les hommes pour que le régime en question fonctionne correctement. Le principe de la république (qu’elle soit démocratique ou aristocratique) est la vertu. Le principe de la monarchie est l’honneur. Le principe de la tyrannie est la crainte.
Enfin, on peut mentionner Spinoza qui distingue deux grands affects par lesquels les hommes obéissent : la crainte et l’espoir. Puisqu’il vaut mieux être mû par un affect de joie que par une passion triste, Spinoza recommande de faire en sorte que les citoyens soient plutôt mus par l’espoir que par la crainte. Mais l’idéal est qu’ils soient mus par leur raison elle-même, qui leur commande naturellement de rechercher l’utile propre dans l’association politique.
3. La religion Pour Rousseau, la religion joue un rôle essentiel pour la cohésion de la société, à tel point qu’il envisage, à la fin du Contrat social, l’idée d’une « religion civile ». Il recherche en fait quel type de religion est nécessaire au bon fonctionnement d’une démocratie. [I]l importe bien à l’Etat que chaque citoyen ait une Religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette Religion n’intéressent ni l’Etat ni ses membres qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale, et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu’il lui plaît, sans qu’il appartienne au souverain d’en connaître : car comme il n’a point de compétence dans l’autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir, ce n’est pas son affaire, pourvu qu’ils soient bons citoyens dans celle-ci.
Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de Religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’Etat quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable. (…)
Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du Contrat social et des Lois ; voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul ; c’est l’intolérance : elle rentre dans les cultes que nous avons exclus. (…)
Maintenant qu’il n’y a plus et qu’il ne peut plus y avoir de Religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n’ont rien de contraire aux devoirs du Citoyen.
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, IV, 8 On retrouve cette idée que la religion est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie chez Alexis de Tocqueville. Comparant la France et l’Amérique du XIXe siècle, il considère que la démocratie fonctionne mieux en Amérique qu’en France grâce à la force de la religion qui règle le monde moral et permet d’établir un monde politique de discussion et de contestation. En fait, pour Tocqueville une société égalitaire requiert une discipline morale individuelle. Des mœurs bien réglées sont la condition de la liberté.
4. Les idées morales Le problème du lien social s’est posé de manière cruciale pour les penseurs du XIXe siècle, car ils constataient le déclin de la morale traditionnelle et de la religion. Pour Auguste Comte, il fallait un consensus social, c’est-à-dire des idées communes afin d’assurer la cohésion sociale. Au prêtre doit donc succéder le sociologue, qui produit la nouvelle morale basée sur l’étude rationnelle de la société. Comte veut fonder une nouvelle religion rationnelle, basée sur l’excellence des grands hommes. On retrouve la même idée chez Durkheim. Pour Durkheim, la religion est en déclin inéluctable, et la crise est fondée sur le non-remplacement des valeurs traditionnelles religieuses. Il faut instaurer une morale inspirée par l’esprit scientifique. La sociologie est le moyen de constituer une telle morale scientifique. Une telle morale remplit exactement la même fonction qu’une religion, car pour Durkheim toute religion a pour objet essentiel la société : toute religion consiste à adorer la société. Dieu, c’est le clan, le groupe. Toutes les religions suscitent un sentiment intense d’appartenance à un même corps.
5. L’Etat Mais il faut être réaliste : tous ces facteurs favorisant la cohésion de la société ne sauraient toujours suffire à eux seuls. Ou peut-être est-ce à partir du moment où ces liens « naturels » s’affaiblissent que l’Etat devient nécessaire. Mais on peut également renverser la logique et se demander si l’Etat suffit à assurer le lien social et s’il ne faut pas toujours, en plus des lois et de la police, une forme d’harmonie économique ou culturelle pour assurer la cohésion de la société…
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