Chapitre IV – Théorie du procédé neuroscopique
Nous avons décrit le procédé par lequel on peut mettre à l'épreuve et même développer la suggestibilité des malades. Mais si cette description peut suffire au point de vue technique, il est sans doute indispensable, au point de vue scientifique, de chercher à comprendre le mode d'action de ce procédé, de le rattacher aux données de la physiologie, en un mot d'en faire la théorie. Nous ne nous dissimulons pas que c'est une très difficile entreprise : aussi ne proposons nous les considérations qui vont suivre que comme des hypothèses plus ou moins appuyées par les faits et qui demandent à être vérifiées plus complètement par une nouvelle série de recherches expérimentales.
L'explication la plus simple paraît être tout d'abord d'attribuer l'effet produit à la suggestion. En général, lorsque nous avons employé nous-même notre procédé, nous nous sommes abstenus de faire connaître au sujet notre intention par la parole, mais ne pouvait-il la deviner ? En appliquant les mains sur son dos, l'opérateur, dira-t-on, suggère au sujet l'idée qu'il est en équilibre ; quand les mains se retirent, le sujet se suggère à lui-même la perte d'équilibre et l'attraction.
Il se peut qu'en effet cette explication suffise dans certains cas, mais il ne nous semble pas possible qu'elle rende compte de tous les cas. Tout d'abord, il nous est souvent arrivé d'attirer des sujets à distance sans que nos mains eussent pris contact avec leurs omoplates. Comment, dans ces conditions, auraient-ils pu deviner que nous voulions les attirer ? On dira peut-être qu'ils connaissaient, en tout cas, notre présence derrière leur dos, mais nous pouvons certifier que nous avons plusieurs fois obtenu ce même effet à l'insu des personnes sur lesquelles nous agissions ainsi.
Ne pourrait-on tirer une preuve des faits d'attraction exercés au travers d'intermédiaires ? Soit, par exemple, deux individus, A et B. L'un, A, qui réagit avec force sous l'influence de notre procédé; l'autre, B, qui ne réagit pas. Nous prions A d'appliquer ses mains sur les omoplates de B, et nous appliquons nous-même nos mains sur les épaules de A.
Chaque fois que nous les retirons, A reste immobile, B est attiré. L'expérience peut ne pas toujours réussir, en ce sens que l'influence ne se transmet pas chaque fois du premier au second individu ; mais elle réussit assez souvent pour qu'il n'y ait pas de doute sur la réalité du phénomène.
Donc nous croyons pouvoir conclure que la suggestion n'est pas la cause suffisante des effets produits par ce procédé.
Quel que soit le rôle que le cerveau du sujet peut jouer dans tous ces phénomènes, il y a certainement une action périphérique exercée par l'opérateur.
Ici deux problèmes se posent, qu'il nous faut examiner successivement :
1° Sur quoi s'exerce cette action ?
2° Quel est l'agent qui l'exerce ?
La région sur laquelle on peut, par l'application des mains, produire les effets que nous avons décrits s'étend depuis la nuque jusqu'au bas de la colonne vertébrale, mais les trois points principaux d'application sont situés : 1° sur la nuque, immédiatement au-dessous du cervelet ; 2° à la hauteur de la troisième vertèbre lombaire, et 3° sur les omoplates, à égale distance de la deuxième dorsale.
La main de l'opérateur, au travers des vêtements, exerce sur la peau, dans les points indiqués, une très légère pression et il se fait un échange de chaleur entre les deux surfaces mises en contact. Il ne paraît pas douteux que si la peau du sujet subit une influence, c'est grâce aux papilles nerveuses sensitives qui viennent s'épanouir dans toutes les cellules épidermiques.
Toutes ces ramifications nerveuses se rattachent aux nerfs rachidiens. Nous savons que ces nerfs sont mixtes ; les racines antérieures sont motrices ou centrifuges, les racines postérieures sont sensitives ou centripètes. Les fonctions de ces troncs mixtes formés par l'union des deux sortes de racines ne consistent pas seulement dans la répartition de la sensibilité et du mouvement aux diverses parties du corps. Les fibres à conduction centripète transmettent, en plus des sensations générales, les impressions tactiles et excito-motrices. Les fibres à conduction centrifuge sont non seulement motrices, mais encore vasomotrices, sécrétoires, trophiques. Mais quoique, dans ces nerfs, la conductibilité existe dans les deux genres de fibres il n'en est pas moins certain que l'excitation quelle qu'elle soit, produite par l'application de nos mains - la chaleur peut-être - provoque chez les personnes hypnotisables une action réflexe suffisante pour l'obtention des phénomènes neuroscopiques. C'est par l'intermédiaire de ces nerfs que l'expérimentateur développe deux sortes d'effets : 1° des sensations ; 2° des mouvements.
On rencontre, il est vrai, quelques sujets qui prétendent n'éprouver aucune sensation spéciale et qui ne semblent avertis de l'action exercée sur eux - surtout quand on agit à distance - que par les mouvements involontaires qu'on leur imprime, mais c'est là un cas exceptionnel. Il est d'ailleurs permis de supposer que les mouvements observés s'accompagnaient chez eux de sensations inconscientes. En règle générale, les premiers effets produits consistent tantôt en sensations de chaleur plus ou moins intense, parfois intolérable, plus rarement en sensations de froid glacial, etc., etc. Mais l'effet le plus intéressant peut-être, parce qu'il est objectif et que tout le monde peut le constater, c'est le mouvement d'attraction, souvent irrésistible, par lequel le sujet se porte en arrière, dans la direction des mains de l'opérateur.
Faut-il y voir un simple réflexe, déterminé par les sensations propres du sujet, ou serait-ce, plutôt, un effet direct de quelque force émanée des mains de l'opérateur ? Il nous est impossible de répondre à la question tant que nous n'aurons pas examiné le second problème que nous énoncions tout à l'heure, à savoir : quel est l'agent qui produit l'ensemble des effets obtenus par le procédé neuroscopique.
Nous touchons ici un point bien délicat.
Trois hypothèses se présentent à nous :
1° La cause inconnue réside dans la pression que les mains de l'opérateur exercent sur les terminaisons nerveuses ; 2° elle réside dans la chaleur rayonnée par la main ; 3° enfin elle réside dans l'influx nerveux qui, par une sorte d'induction, influencerait les nerfs du sujet.
Nous ne nierons pas que la pression ne puisse contribuer dans une certaine mesure aux phénomènes, soit parce qu'elle suggestionne indirectement le sujet en l'incitant à prendre un point d'appui sur les mains de l'opérateur, soit aussi parce qu'elle produit une sorte d'énervement local dans la région touchée.
Nous avons, en effet, remarqué qu'en malaxant et percutant légèrement cette région pendant quelques instants, on rend l'attraction plus rapide et plus forte. Mais cette hypothèse n'est plus applicable lorsqu'on agit sans contact, en présentant simplement les mains à quelques centimètres de distance. La pression peut donc être une cause adjuvante ou concourante; elle n'est certainement pas la cause principale et déterminante.
Il nous paraît plus difficile d'apprécier l'action de la chaleur. D'une part, nous avons cru observer que l'opérateur agissait d'autant mieux que la température de ses mains était plus élevée. On sait aussi que la chaleur a une influence hypnotique ; on s'endort plus facilement en été dans les journées chaudes. Un expérimentateur allemand a pu transformer le sommeil ordinaire de certaines personnes par la présentation, à quelques centimètres du front, de plaques métalliques chauffées.
Mais, d'autre part, certains expérimentateurs, nous avons pu le constater nous-mêmes produisent des effets très marqués, quoique leurs mains soient habituellement froides. En outre, lorsque les mains n'entrent pas en contact avec le dos, qu'elles en sont séparées par un intervalle qui peut varier de quelques centimètres à plusieurs mètres, comment la chaleur agirait-elle ? Il faudrait supposer dans les nerfs de la région une sensibilité thermique vraiment extraordinaire. Cette hyperesthésie serait peut-être vraisemblable si le sujet était en état d'hypnose, mais à cette première phase de l'expérimentation, il est absolument dans son état normal. Ajoutons que si l'on fait agir sur le même sujet, dans les mêmes conditions, deux opérateurs différents, il arrive souvent que l'un exerce une action très forte, tandis que l'influence de l'autre est nulle ou à peu près nulle. Or, cette différence ne paraît point liée à une inégalité de température. Enfin, lorsque celui de ces deux opérateurs qui est efficace ajoute son action à celle de l'autre, le sujet se sent immédiatement attiré par celui-ci. On ne peut guère supposer que la chaleur du premier expérimentateur se transmet au second et de celui-ci au sujet.
Il semble donc bien que, dans tous ces phénomènes, la chaleur, comme la pression, ne fasse que recouvrir ou accompagner une autre force susceptible d'agir à distance avec une extrême rapidité.
Nous sommes ainsi amenés à poser et à discuter une troisième hypothèse. Ne serait-ce pas l'influx nerveux qui, s'échappant des extrémités digitales de l'opérateur, envahirait les nerfs du sujet et y déterminerait, soit directement, soit plutôt en provoquant une action réflexe, les différents phénomènes que nous avons signalés ?
Mais cette hypothèse implique un fait que la physiologie actuelle du système nerveux ne nous autorise pas, ce semble, à admettre, à savoir : que la force nerveuse peut agir à distance d'un individu sur un autre, soit par un rayonnement analogue à celui de la chaleur et de la lumière, soit par une sorte d'influence ou d'induction analogue à celle de l'électricité statique ou dynamique.
En vérité, nous savons que l'électricité est partout, que tous les corps en sont imprégnés ; or, le corps humain ne peut échapper à cette loi ; aussi, pouvons-nous penser que l'énergie emmagasinée dans le corps de l'opérateur peut, par un effort de la volonté de ce dernier, franchir les limites de son corps et, de même que les ondes hertziennes, aller influencer une personne impressionnable ; ce que deux appareils de physique peuvent produire, deux systèmes nerveux peuvent le réaliser, l'éther devant tout aussi facilement servir de véhicule à cette force qu'aux autres.
Donc, il faut bien avoir le courage de le reconnaître, l'hypothèse qui nous est suggérée par l'analyse du procédé neuroscopique ressemble singulièrement à l'hypothèse mesmérienne du magnétisme animal.
La science a pendant longtemps écarté cette hypothèse avec une sorte de mépris systématique, et encore à l'heure présente, le mot même de magnétisme animal sonne désagréablement aux oreilles de la plupart des savants. Et cependant, s'il fallait citer de grandes autorités scientifiques qui n'ont pas craint d'admettre la possibilité ou même la réalité du magnétisme animal, nous pourrions invoquer ici les noms des Laplace4, des Cuvier, des Arago, etc. Laplace dit :
De tous les instruments que nous pouvons employer pour connaître les agents imperceptibles de la nature, les plus sensibles sont les nerfs, surtout lorsque des causes particulières exaltent leur sensibilité. C'est par leur moyen qu'on a découvert la faible électricité que développe le contact de deux métaux hétérogènes, ce qui a ouvert un champ vaste aux recherches des physiciens et des chimistes. Les phénomènes singuliers qui résultent de l'extrême sensibilité des nerfs dans quelques individus ont donné naissance à diverses opinions sur l'existence d'un nouvel agent, que l'on a nommé Magnétisme animal, sur l'action du magnétisme ordinaire, sur l'influence du soleil et de la lune dans quelques affections nerveuses ; enfin, sur les impressions que peut faire éprouver la proximité des métaux ou d'une eau courante. Il est très naturel de penser que l'action de ces causes est très faible et qu'elle peut être facilement troublée par des circonstances accidentelles. Ainsi, parce que dans quelques cas elle ne s'est pas manifestée, il ne faut pas rejeter son existence.
Nous sommes si loin de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d'action qu'il serait peu philosophique de nier des phénomènes uniquement parce qu'ils sont inexplicables dans l'état actuel de nos connaissances; seulement nous devons les examiner avec une attention d'autant plus scrupuleuse qu'il parait plus difficile de les admettre.
Cuvier5 s'exprime ainsi :
Les effets obtenus sur des personnes déjà sans connaissance, avant que l'opération magnétique commençât, ceux qui ont lieu sur les autres personnes après que l'opération même leur a fait perdre connaissance, et ceux que présentent les animaux ne permettent guère de douter que la proximité des deux corps animés, dans certaines positions et avec certains mouvements, n'ait un effet réel, indépendant de toute participation de l'imagination. Il parait assez clairement aussi que ces effets sont dus à une communication quelconque qui s'établit entre deux systèmes nerveux.
Je ne saurais, dit Arago, approuver le mystère dont s'enveloppent les savants sérieux qui vont assister aujourd'hui à des expériences de somnambulisme. Le doute est une preuve de modestie, et il a rarement nui au progrès des sciences. On n'en pourrait dire autant de l'incrédulité. Celui qui, en dehors des mathématiques pures, prononce le mot impossible manque de prudence. La réserve est surtout un devoir quand il s'agit de l'organisation animale.
Jusqu'ici sans doute la physiologie a enseigné que la force nerveuse, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature intime, ne peut que circuler le long de ses conducteurs naturels, qui sont les nerfs, sans pouvoir se répandre en dehors du réseau nerveux. Mais les récentes découvertes de Golgi et de Ramon y Cajal, ainsi que les théories histologiques déduites de ces découvertes, par notre éminent maître M. le professeur Mathias Duval, et si magistralement exposées par M. le docteur Charles Pupin dans sa thèse inaugurale le Neurone6, ont profondément modifié les idées des physiologistes contemporains sur la structure et, par conséquent, aussi sur les fonctions du système nerveux.
On croyait autrefois à la continuité absolue du système nerveux, en ce sens qu'on supposait les différents centres reliés les uns aux autres par des fibres ramifiées et anastomosées sans solution de continuité. On sait aujourd'hui que les éléments histologiques du système nerveux, c'est-à-dire les neurones ou cellules nerveuses, avec l'ensemble de leurs prolongements, sont indépendants les uns des autres, non solidaires, non continus, et qu'ils ne communiquent entre eux qu'en établissant une contiguïté temporaire et purement fonctionnelle entre leurs ramifications terminales. Par conséquent, si, pour fixer les idées, on compare l'influx nerveux à une sorte de courant, il n'est pas vrai que, même dans l'intérieur du corps d'un individu, ce courant circule d'une façon continue à travers une partie plus ou moins considérable du réseau nerveux ; pour passer d'un neurone à un autre, il doit forcément franchir l'intervalle qui les sépare.
Donc, si nous nous trompons, la nouvelle théorie de la cellule nerveuse et de l'influx nerveux semble plutôt favoriser que contredire expressément l'hypothèse du magnétisme animal. Celle-ci n'est, en quelque sorte, que l'extension de celle-là, puisqu'elle ne fait qu'étendre à deux cellules nerveuses, appartenant à deux organismes distincts, la loi que la première établit pour deux cellules nerveuses appartenant au même organisme.
Il est vrai que cette action de la force nerveuse hors d'un organisme sur un autre demande à être prouvée directement, car elle a contre elle, au point de vue physiologique, cette objection que la peau est une barrière et que l'épiderme est, comme le prouve l'expérience célèbre de Dubois-Reymond, un assez mauvais conducteur de l'électricité et par conséquent presque un isolateur. Cependant les contractions musculaires forment un courant léger capable de dévier de quelques degrés l'aiguille du galvanomètre (Dubois-Reymond).
Il est vrai aussi que rien ne prouve l'identité de la force nerveuse et de l'électricité ; elles ont certainement de grandes analogies et, comme toutes les forces de la nature, elles doivent être des manifestations corrélatives de l'énergie. Mais leurs différences sont trop nombreuses et trop importantes pour qu'on ait le droit de les identifier absolument. Donc, de ce que l'épiderme conduit mal l'électricité, il ne s'ensuit point qu'il ne puisse, sous certaines conditions, être perméable à la force nerveuse.
Quelles preuves pourrait-on donner en faveur de cette hypothèse ?
La preuve décisive consisterait à produire, au moyen de la force nerveuse, des modifications matérielles, des mouvements visibles dans un objet extérieur au corps humain, par exemple, dans un appareil tel que la boussole ou le galvanomètre.
On a un certain nombre d'observations qui sembleraient prouver que des individus, plus ou moins atteints d'affection nerveuse, ont en effet produit des phénomènes de cet ordre.
La jeune Angélique Cottin, par exemple, si bien observée par plusieurs médecins, fut, pendant quelque temps, une vraie bouteille de Leyde.
Cette jeune fille, âgée de 14 ans, habitait le village de Bouvigny, près de Perrières (Orne), et était, d'après les observateurs qui l'ont étudiée, petite de taille, robuste de corps, d'une apathie extrême.
Voici ce qu'en dit le docteur Verger, le premier médecin qui ait observé Angélique Cottin :
Tout ce que j'ai vu a été vu par un grand nombre de personnes dignes de foi, par des notabilités du pays et plusieurs ecclésiastiques, et qui ont la conviction profonde d'avoir bien vu. Peu de jours après l'invasion de cette propriété singulière j'étais avec M. Fromage, pharmacien, M. Vacher, M. le curé de la Perrière, quand on m'en parla. L'incrédulité fut ma première pensée, la négation ma première réponse : je ne supposais pas de mauvaise foi aux personnes qui me racontaient des effets aussi extraordinaires, mais je pensais qu'elles s'étaient trompées dans leurs observations. Je me rendis donc à la Muzerie, avec une forte prévention contre tout ce que j'entendais dire d'Angélique Cottin, que je connais d'ailleurs depuis longtemps, ainsi que toute sa famille ; j'y trouvai beaucoup de monde, car ces événements faisaient déjà beaucoup de bruit. Les choses se passèrent, comme on vous l'a dit, en notre présence.
Nous prîmes toutes les précautions possibles pour n'être pas trompé : nous vîmes bien, très bien, des effets à distance, c'est-à-dire par le simple contact, soit d'un fil de soie ou du tablier d'Angélique, soit du bas de sa jupe ; le guéridon auquel son fil était accroché a été brusquement renversé, malgré ma résistance. La jeune fille paraissait entraînée irrésistiblement vers les objets qui fuyaient devant elle. Nous expérimentâmes sur la chaise, l'effet eut lieu. Nous répétâmes deux fois l'expérience du panier avec succès.
J'appris de M. de Farémont tout ce qu'il avait observé chez la fille Cottin ; il la voit tous les jours ; son humble chaumière est au pied de son château. Il donna beaucoup de soins et de consolations à cette famille pauvre et désolée, qui attribuait au sortilège la position de la jeune fille, devenue incapable de travailler.
Je fis part de tous ces phénomènes à M. Hébert, dont on ne saurait trop louer la capacité et le zèle pour la science.
Le docteur Lemonier, médecin à Saint-Maurice (Orne), et le docteur Beaumont-Chardon, médecin à Mortagne, ont observé Angélique Cottin et affirment la réalité des phénomènes7.
Louis Figuier dit, au sujet d'Angélique Cottin, faisant allusion au rapport de la commission de l’Académie des sciences chargée d'examiner la jeune fille :
Malgré toute l'autorité des savants qui ont signé ce rapport, nous ne croyons pas que la jeune villageoise de Bouvigny ne fut qu'une adroite faiseuse de tours d'adresse, qui aurait sciemment trompé le public. Si les phénomènes d'attraction et de déplacement mécanique ne se produisirent point dans les deux séances de la commission académique tenues au Jardin des Plantes, ce résultat négatif ne peut infirmer le témoignage de milliers de personnes qui avaient constaté ce fait dans le département de l'Orne. Nous ne pouvons admettre que tant d'observateurs, dont on a lu les récits consciencieux et détaillés, aient été dupes de la rouerie d'une fille dont l'intelligence était fort bornée. Il est plus simple d'admettre que le phénomène anormal qui s'était produit dans son économie, après s'être manifesté au début avec une certaine violence, avait perdu peu à peu de son intensité, et avait fini par disparaître. »
Le docteur G. Pineau, médecin aux Peluies (Cher), observa, en 1857, sur une jeune fille nommée Honorine Seguin, les mêmes phénomènes produits par Angélique Cottin.
Une autre jeune fille8, Adolphine Benoît, servante à Guillonville, fit assez de bruit par les phénomènes étranges qui se produisaient à son approche, phénomènes analogues à ceux produits par la jeune Cottin.
En 1880, les journaux américains faisaient mention d'une nouvelle fille électrique, observée au Canada9.
Mais des observations sont toujours plus obscures et moins probantes que des expériences. Nous attribuons donc une plus grande valeur aux expériences faites par Lafontaine et de Humboldt, quoique la commission de l'Académie des sciences n'ait pas réussi à les reproduire. Il faut sans doute, pour que le phénomène se produise, des appareils d'une sensibilité extraordinaire. Nous savons qu'il existe à Paris, chez M. le comte de P…, un galvanomètre construit par Rhumkorff, qui remplit cette condition. La bobine intercalée entre les deux aiguilles astatiques est assez volumineuse pour supporter l'enroulement de 80 kilomètres de fil d'argent.
Il a été d'ailleurs décrit dans I'Encyclopédie populaire de Cornil (librairie Poussielgue, article Magnétisme animal).
L'organisme humain agit sur ce galvanomètre comme le ferait une source d'électricité, c'est-à-dire qu'il fait dévier l'aiguille plus ou moins rapidement à gauche ou à droite, d'un certain nombre de degrés. Seulement il faut remarquer que ces déviations n'ont ni le même sens ni la même amplitude pour les différentes personnes, et ce qu'il y a surtout d'extraordinaire, c'est qu'on peut, par un effort de volonté, du moins avec un certain entraînement, faire mouvoir l'aiguille dans le sens que l'on désire, accélérer ou retarder son mouvement, l'arrêter enfin sur tel degré fixé d'avance. Il faut, pour obtenir cet effet, s'abstenir de tout effort moteur, de toute contraction musculaire, mais concentrer toute son attention sur la partie du corps, droite ou gauche, vers laquelle on veut diriger l'aiguille. En tout cas, dans ces curieuses expériences dont nous avons été témoin, l'homme agit sur l'appareil comme le ferait une pile douée de volonté. Il serait bien désirable que des expériences méthodiques fussent instituées pour vérifier et déterminer les propriétés du magnétisme animal au moyen de ce galvanomètre.
On pourrait encore prouver le rayonnement de la force nerveuse par la vision des sujets qui prétendent percevoir les effluves magnétiques dans l'obscurité la plus complète, si les affirmations des sujets n'étaient pas toujours entachées de suggestion et d'auto-suggestion. Il nous semble bien pourtant que, dans les trois premières séries d'expériences rapportées par M. de Rochas dans son livre sur l'Extériorisation de la sensibilité, toutes les précautions ont été prises pour éliminer cette cause d'erreur. Mais le véritable moyen de lever tous les doutes, ce serait de photographier les effluves. Nul ne pourrait plus douter du magnétisme animal, le jour où l'on pourrait en montrer le spectre sur une plaque sensible. Nous ne désespérons pas de voir ce problème résolu.
Dans l'état actuel de nos expériences et de nos connaissances, nous devons nous contenter de tirer nos preuves de l'action exercée sur les êtres vivants. Or, c'est surtout ici que l'objection de la suggestion et de l'auto-suggestion devient redoutable.
Les premiers magnétiseurs attribuaient indistinctement au magnétisme animal tous les phénomènes qu'ils observaient sur leurs sujets. Or, nous savons aujourd'hui, après les travaux de Faria et de Braid, après ceux de l'école de Paris et de l'école de Nancy, que ces phénomènes peuvent être, pour la plupart, produits en dehors de toute influence magnétique, par l'hypnotisme ou la suggestion.
Il ne suffirait donc pas, pour prouver l'action à distance de la force nerveuse, de dire qu'on a endormi des sujets soit par le regard, soit par des passes, car il se peut que le regard n'agisse que par l'hypnotisme et que les passes doivent à la suggestion toute leur efficacité.
Les seules expériences probantes, au point de vue particulier où nous nous plaçons ici, sont donc celles d'où toute suggestion, toute hypnotisation proprement dites sont rigoureusement exclues, et où le seul agent employé ne peut être que la force nerveuse présumée, opérant à plus ou moins grande distance. Ces conditions ne sont-elles pas remplies dans les expériences qui ont pour sujets les animaux, comme celles dont nous trouvons le récit dans Lafontaine10 ?
J'ai fait des essais sur plusieurs animaux, et j'ai obtenu un plein succès. Le public de Paris se rappelle sans doute le chien que je présentai, le 20 janvier 1843, dans une séance publique, salle Valentino.
C'était un petit lévrier qui m'avait été donné depuis huit jours ; quinze cents personnes se trouvaient dans la salle, parmi lesquelles beaucoup d'incrédules et de malveillants.
Dès les premières passes que je fis pour endormir le chien, ce fut une explosion de railleries et de sifflets. On appelait l'animal, on cherchait à détourner son attention et à empêcher l'effet de se produire.
Je le tenais sur mes genoux : d'une main, je lui prenais une patte, et de l'autre je faisais des passes de la tête au milieu du corps. Après quelques minutes, le silence le plus profond régnait dans la salle ; on avait vu la tête du chien tomber de côté et s'endormir profondément. Je lui cataleptisai les pattes, je le piquai, et le chien ne donna aucun signe de sensation. Je me levai et le jetai sur un fauteuil ; il resta sans faire le plus petit mouvement : C'était un chien mort pour tous. On lui tira un coup de pistolet à l'oreille : rien n'indiqua qu'il eût entendu.
Plusieurs personnes vinrent lui enfoncer des épingles par tout le corps : c'était un vrai cadavre.
Je le réveillai, et aussitôt il redevint vif, gai, comme il était auparavant, le nez en l'air, tournant la tête à chaque bruit, à chaque appel.
Ici on ne pouvait plus douter, on ne pouvait plus croire au compérage ; il fallait admettre le fait, le fait physique, l'action sur les animaux. »
Lafontaine affirme avoir agi ainsi sur des lions, des chats, des lézards. Si ses dires sont exacts, et nous n'avons pas de raison d'en douter, puisque les expériences de Lafontaine eurent beaucoup de témoins, nous ne pouvons guère attribuer ces faits à la suggestion.
Ces conditions paraissent aussi suffisamment remplies dans les expériences d'action à distance faites par le baron du Potet et rapportées par lui dans son Cours de magnétisme en douze leçons. Nous donnerons plus loin ces preuves irréfutables.
Ces expériences ont été reprises de nos jours avec un dispositif expérimental très méthodique et très précis par M. le professeur Boirac, auquel nous emprunterons quelques citations.
Comment expliquer, dans les hypothèses classiques de l'hypnotisme et de la suggestion, l'action des passes sur des personnes déjà endormies du sommeil naturel, dont voici un exemple très significatif, emprunté aux Bulletins de la Société de psychologie (Revue Philosophique, no 21, 1886, p. 674) :
Pendant l'été de 1854, à Paris, plusieurs étudiants en médecine se trouvaient réunis dans un appartement de la rue de l'Est, habité par l'un d'eux. Les étudiants travaillaient à une table, ne prêtant nulle attention à une femme, profondément assoupie, non loin de là, sur un fauteuil.
A ce moment entra T... (le docteur Tainturier, qui fut maire de Dijon, et mort il y a quelques années).
A cette époque, T... avait un peu la manie de magnétiser toutes les femmes qu'il rencontrait. Il vit celle-ci endormie, et commença à pratiquer sur elle des passes magnétiques, d'une seule main, d'après la méthode dite de Deleuze, ou de Puységur.
Au bout d'un très court instant, on remarqua les contractions du bras, chaque fois que la main de T... frôlait le membre.
La femme parut avoir passé du sommeil naturel au sommeil magnétique.
Les symptômes physiologiques étaient très nettement accusés : convulsion des pupilles en haut, hyperesthésie, immobilité cataleptique des membres dans la situation où on les plaçait.
Les manifestations psychologiques ne furent pas moins remarquables.
Exaltation de la mémoire, acuité des sens augmentée ; rien n'y manqua.
Après une séance assez prolongée, T... fit les passes du réveil sur la partie supérieure du corps. La femme ouvrit les yeux et étendit les bras. Mais lorsqu'on lui donna ordre de se lever pour partir, elle sembla paralysée des jambes. Enfin T... la réveilla complètement et elle put se lever.
La femme avait été bien réellement endormie inconsciemment. Elle avait perdu la mémoire de ce qui s'était passé, et, faisant allusion aux dernières passes pratiquées sur les jambes, elle demandait : Qu'est-ce qu'il me voulait celui-là ? » Depuis cette époque, et à plusieurs reprises, la femme fut endormie par les mêmes procédés. Elle ne voulait pas consentir à être magnétisée, se refusant de servir de jouet aux étudiants. On prenait alors le parti de la laisser livrée à elle-même sans lui adresser la parole. Comme elle était fort illettrée, et n'avait aucun goût pour aucune occupation, elle s'endormait sur son fauteuil. Lorsqu'elle était enfin plongée dans un sommeil naturel, on pratiquait les passes, et on la faisait entrer dans un sommeil somnambulique, parfaitement caractérisé ». (Dr Bonnassier).
On a, il est vrai, objecté à plusieurs de ces expériences quelles prouvaient non le magnétisme animal, mais la suggestion mentale. Il nous semble que cette objection repose sur une étrange confusion d'idées. Que peut être en effet la suggestion mentale sinon un cas particulier du magnétisme animal ? Il ne faut pas nous laisser tromper ici par le mot de suggestion, ce qu'il y a de remarquable dans ce phénomène, ce n'est pas que l'individu réalise la suggestion, c'est qu'il la reçoive à distance, en dehors de tous les signes habituels du langage ou de la physionomie, par la seule vertu de la volonté ou de la pensée. Or, ceci ne peut se comprendre qu'en supposant que le cerveau de l'opérateur agit par une sorte de rayonnement ou d'induction sur le cerveau du sujet. Donc, à nos yeux, tout ce qui prouve la suggestion mentale, la transmission de pensée, etc., prouve à fortiori le magnétisme animal.
Or, malgré les dénégations systématiques des écoles de Paris et de Nancy, rien ne nous paraît moins douteux que cette possibilité de l'action à distance d'un cerveau sur un autre. Nous en trouverons des preuves d'abord dans les célèbres expériences de du Potet à l'Hôtel-Dieu, ensuite dans celles faites au Havre par MM. le Dr Gibert et Pierre Janet, dont nous en citerons quelques-unes11.
Les premiers partisans du magnétisme animal, qui lui donnèrent son nom, imbus des idées scientifiques de leur temps, se représentaient un fluide plus ou moins subtil, de nature spéciale, qui émanerait des mains, des yeux, du cerveau de certains individus : c'était l'époque où la physique admettait un grand nombre de fluides, autant qu'il en fallait pour expliquer les différentes catégories de phénomènes naturels : lumière, chaleur électricité, magnétisme, etc. Entendue en ce sens, l'hypothèse du magnétisme animal est en contradiction formelle avec toutes les théories de la science actuelle et nous n'avons nullement l'intention de la soutenir.
La physique contemporaine a fait bon marché de tous les fluides imaginaires admis par la physique du siècle dernier ; elle explique tous les phénomènes naturels en les rapportant à une seule et même cause : l'énergie ou la force soit actuelle, soit potentielle, dont la somme reste constante, mais qui peut revêtir un très grand nombre de formes différentes. Ce sont ces modalités de l'énergie, toutes convertibles entre elles, qui, se manifestant à nos sens par des effets plus ou moins dissemblables, constituent la chaleur, la lumière, l'électricité, l'affinité chimique, etc.
Si donc on tient à conserver le nom de magnétisme animal, pour désigner l'action que des êtres vivants peuvent exercer les uns sur les autres, à distance, par une sorte de rayonnement ou d'influence réciproque de leurs organismes, il ne peut évidemment être lui aussi qu'un mode particulier de l'énergie, intimement lié à tous les autres, pouvant se convertir en eux comme ils peuvent se convertir en lui ; et il ne saurait nullement être question ici d'un soi-disant fluide spécial qui serait exclusivement propre aux êtres humains ou même à certains individus exceptionnels de l'espèce humaine.
Il est vrai que, pour rendre compte de toutes les transformations et équivalences des forces de la nature, nos physiciens contemporains se croient obligés de supposer, outre la matière pesante, que nos sens perçoivent plus ou moins directement, une matière impondérable qu'ils conçoivent à l'image des fluides les plus subtils et qu'ils appellent l'éther. C'est le fluide éthéré qui, selon eux, sert de récipient et de véhicule aux vibrations, ondulations et en général aux mouvements de toutes sortes par lesquels se produisent tous les phénomènes de la nature. À ce point de vue, la force bio-magnétique ne peut être, elle aussi, qu'un mode particulier des mouvements de l'éther. Or nul ne peut prétendre que toutes les espèces de mouvements dont l'éther est susceptible soient d'ores et déjà connus et déterminés à priori ni, à plus forte raison, qu'elles aient été observées et analysées à posteriori. À côté des forces que nous connaissons déjà, il en existe certainement beaucoup d'autres qui ont encore échappé à nos conceptions et à notre expérience et que la science de l'avenir découvrira sans doute.
La découverte des rayons Roentgen, celle plus récente du radium et d'autres corps radio-actifs, montrent assez clairement combien il serait téméraire de vouloir borner à jamais, par des négations de parti pris, le champ des explorations scientifiques de nos arrière-neveux.
Cependant, il faut bien l'avouer, presque tous les savants se sont montrés jusqu'ici résolument hostiles à l'hypothèse du magnétisme animal, et une résistance aussi générale, aussi tenace, tient sans doute à des causes profondes qu'il n'est pas sans intérêt de rechercher ici.
La première, sinon la plus importante de ces causes, est en somme étrangère à la science, mais pour être savant on n'en est pas moins homme ».Dès son apparition, le magnétisme animal a été surtout prôné, soit par des savants plus ou moins honorés, comme Mesmer, soit par des amateurs, soit même, hélas ! Par des charlatans. On l'a présenté comme une sorte de panacée universelle, ou, ce qui est pire, comme une sorte de magie, de sorcellerie dont les secrets violeraient toutes les lois de la nature. Au lieu de le soumettre à l'épreuve d'une expérimentation méthodique et prolongée, on s'est hâté de le rédiger en un corps de doctrines, et on en a tiré, sans plus ample examen, toute une médecine nouvelle qu'on a prétendu substituer d'emblée à la médecine traditionnelle, œuvre de plusieurs siècles de travaux.
On comprend que les savants aient été médiocrement attirés par une hypothèse qui se présentait à eux sous de si mauvais auspices. Il a fallu un véritable courage à ceux d'entre eux qui, comme Broussais, Husson, Bertrand, Teste, Charpignon, etc., ont osé la regarder de près et reconnaître qu'elle contenait une vérité.
Nous ne devons pas avoir moins de reconnaissance et moins d'admiration pour Charcot, Mathias-Duval, Dumontpallier, Charles Richet, Luys, Liebeault, Bernheim, etc., qui, au moment où le magnétisme animal paraissait complètement discrédité, où le nom même en était proscrit, ont de nouveau appelé l'attention du monde savant sur les phénomènes étudiés par les anciens magnétiseurs, et ont définitivement forcé le public à admettre la réalité, jusqu'alors contestée, du somnambulisme artificiel.
Mais à cette raison de sentiment s'ajoutent des raisons d'ordre véritablement scientifique.
Tout d'abord, dans toutes les sciences, c'est une règle fondamentale qu'il ne faut supposer une nouvelle force que lorsqu'il est absolument impossible de faire autrement ; c'est là ce qu'on a appelé la loi d'économie ». Il est inutile de peupler la nature d'une multitude d'entités imaginaires, comme le faisait l'ancienne philosophie, principalement au Moyen âge. Nous avons des preuves directes de l'existence de la chaleur, de la lumière, de l'électricité, etc., car toutes ces forces tombent plus ou moins complètement sous notre observation : donc ce n'est pas faire des hypothèses gratuites que d'admettre leur réalité. Mais il n'en est pas ainsi du magnétisme animal. Cette force ne peut se conclure qu'indirectement d'un certain nombre d'effets qu'il serait impossible d'expliquer par toute autre cause. Donc, avant de recourir à cette hypothèse, on doit essayer toutes les autres issues. On doit, par conséquent, rechercher si les propriétés déjà connues de la chaleur, de l'électricité, de la force nerveuse, de l'imagination, de l'imitation, de la sympathie, etc., etc., ne suffiraient pas à rendre compte des phénomènes qu'on attribue à tort à une force nouvelle, non définie, non classée, telle que le magnétisme animal. Ce raisonnement nous paraît, en effet, légitime. Si l’on peut se passer de cette hypothèse, il est inutile de la faire. Mais justement toute la question est de savoir si l'on peut s'en passer. Or, il nous semble bien que les faits l'imposent. Aucune des forces, actuellement connues, ne peut rendre vraiment compte de ces phénomènes d'attraction et d'action à distance que nous signalerons et qui se multiplieront encore, nous n'en doutons pas, à mesure qu'ils seront étudiés par un plus grand nombre d'expérimentateurs.
Une seconde raison fait encore hésiter les savants qui seraient tentés d'admettre cette nouvelle force, ou plutôt cette nouvelle modalité de la force. Sans en avoir peut-être bien clairement conscience, ils se font, en quelque sorte, le raisonnement que voici : supposez que le magnétisme animal existe, il doit faire partie de la nature d'une façon normale et constante. Ainsi, chaque organisme doit rayonner perpétuellement cette influence particulière, et par conséquent aussi la recevoir des organismes voisins.
Comment alors se fait-il que le magnétisme animal se manifeste d'une façon si irrégulière, si intermittente, dans des cas aussi peu fréquents et toujours plus ou moins exceptionnels ?
Vous nous prouvez, pourrait-on dire, aux partisans de cette hypothèse, l'existence et l'action de cette force au moyen d'expériences qu'on ne peut réussir qu'avec certains sujets particuliers, que vous avez en quelque sorte dressés pour cela, et cependant, encore une fois, si la force est réelle, elle doit exister et agir partout et toujours. » Voilà bien en effet la principale difficulté de l'hypothèse du magnétisme animal, mais nous ne croyons pas qu'elle constitue une objection insurmontable.
Il n'est peut-être pas une seule force dans la nature dont l'action ne puisse être contrebalancée par celle des autres forces, et qui, par conséquent, n'ait besoin de certaines conditions spéciales pour devenir pleinement accessible à notre observation.
Faites agir l'aimant le plus puissant sur l'or, l’argent, le cuivre, le plomb, l'étain, etc., vous n'aurez pas le moindre soupçon de ses propriétés attractives. Mettez-le devant le fer, aussitôt la force magnétique se révélera.
Sans le dispositif expérimental imaginé par le Professeur Roentgen, avec la collaboration du hasard, les physiciens seraient passés éternellement à côté des rayons X, sans se douter de leur existence. Avant que Pasteur eût montré le rôle immense des microbes dans la nature, qui en connaissait seulement le nom ? Mais c'est surtout l'électricité, qui, à notre avis, nous aidera à comprendre comment une force peut être à la fois absolument constante dans ses effets réels, dans ceux qu'elle produits au sein de la nature, et absolument inconstante dans ses effets apparents, dans ceux qu'elle laisse arriver jusqu'à nos sens, aussi longtemps du moins que nous n'avons pas réussi à la capter et à l'emprisonner dans nos appareils. En effet, l'ancienne physique ignorait à peu près entièrement l'électricité : Galilée, Descartes n'en avaient pas la moindre idée ; ils s'en passaient parfaitement pour l'explication des phénomènes naturels, et on les aurait certainement beaucoup surpris si on leur avait dit qu'il existait dans la nature une force aussi universellement répandue et aussi importante par ses effets que la pesanteur ou la lumière.
On avait bien remarqué depuis Thalès qu'un morceau d'ambre frotté acquiert momentanément la propriété d'attirer des corps légers, mais ce phénomène paraissait un simple jeu de la nature, une expérience curieuse, amusante, dont il n'y avait pas grande conséquence à tirer. On peut d'ailleurs concevoir un état de choses où l'électricité, tout en étant partout présente et partout agissante, aurait été éternellement dérobée à la connaissance humaine. Il suffit pour cela de supposer que les corps mauvais conducteurs auraient pu être sur notre planète beaucoup plus rares qu'ils ne le sont, ou même simplement que l'air atmosphérique sec aussi bien qu'humide aurait pu être un bon conducteur. Dans cette hypothèse, l'électricité à chaque instant produite par toutes sortes de causes : frottement, action chimique, etc., aurait été à chaque instant répandue et perdue, sans produire d'effets sensibles, dans l'ensemble de la masse terrestre.
Voilà donc un exemple d'une force qui existe et agit partout et toujours, et dont cependant les effets peuvent fort bien ne se manifester nulle part ni jamais.
C'est seulement à partir du jour où les savants ont pu construire et manier les machines et les piles électriques qu'ils ont pu se convaincre que l'électricité, en apparence irrégulière et capricieuse, obéit en réalité à des lois constantes et générales. Il n'en saurait être autrement, à notre avis, du magnétisme animal. Un jour viendra aussi, nous en avons la ferme espérance, où l'on pourra montrer expérimentalement que son action s'exerce toujours, quoique à des degrés divers, sur tous les organismes, et qu'il y provoque toujours des réactions nécessairement proportionnées à leurs divers degrés de réceptivité.
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