Chapitre III – Théories des magnétiseurs
Nous avons parlé des théories de Mesmer sur le fluide universel, lorsque nous avons décrit ses procédés, et nous avons pu constater que ce savant, si bafoué, avait des conceptions autrement élevées et scientifiques que ses détracteurs. Nous aurons l'occasion, dans la suite de ce travail, de comprendre la portée des enseignements de ce Maître.
Avant lui, des hommes éminents avaient avancé à peu près les mêmes hypothèses, lesquelles, de nos jours et pour nous, sont des réalités incontestables.
Le docteur Lecot, professeur de Physiologie, en 1767, soutenait, en quelque sorte, la théorie du fluide magnétique, qu'il nommait fluide animal. Ce fluide, dit-il, affecté du caractère particulier d'une passion, en porte l'impression jusque dans le fluide animal des autres individus, car les sensations et les passions consistent dans des modifications du fluide animal, et ces caractères se communiquent aux fluides de même espèce, et sont susceptibles de changement à tout instant.
Dès qu'on se rendra aux faits évidents qui prouvent que les différents caractères du fluide animal et des fluides végétaux produisent dans les fluides des autres individus des émotions, des changements de caractères, des révolutions considérables, suivant leur consonnance ou dissonnance, on n'aura pas de peine à concevoir tous les effets qui résultent de leur concours naturel ou de leur conflit, de quelque genre que ce soit, intellectuel, animal ou animo-végétal.
Dans son Histoire critique du magnétisme, Deleuze dit :
Un somnambule saisit la volonté de son magnétiseur. Il exécute une chose qui lui est demandée mentalement. Pour se rendre raison de ce phénomène, il faut considérer les somnambules comme des aimants infiniment mobiles : il ne se fait pas un mouvement dans le cerveau de leur magnétiseur sans que le mouvement ne se répète chez eux, ou du moins sans qu'ils ne le sentent. »
On sait, dit cet auteur, que si l'on place à côté l'un de l'autre deux instruments à l'unisson, et qu'on pince les cordes du premier, les cordes correspondantes du second résonnent d'elles-mêmes. Ce phénomène physique est semblable à celui qui a lieu dans le magnétisme. » La logique nous porte à supposer cependant que l'influence du magnétiseur sur le magnétisé ne peut naître que d'une différence de potentiel fluidique.
Nombre de personnes qui ont étudié et pratiqué le magnétisme affirment avoir produit des effets à distance et tout à fait à l'insu des magnétisés.
Voici ce que Deleuze dit à ce sujet :
Quoi qu'il soit très difficile d'expliquer comment le fluide magnétique peut agir d'un appartement à l'autre la plupart des magnétiseurs en sont convaincus. J'ai moi-même fait des expériences qui tendent à le prouver. Cependant, ce phénomène étant du nombre de ceux qui me paraissent inconcevables, j'invite les magnétiseurs à l'examiner de nouveau et à ne le croire vrai qu'après l'avoir constaté par leur propre expérience. Au reste, la lumière et le son se portent à de très grandes distances sans qu'on puisse concevoir, dans le mobile qui les envoie, une force assez grande pour les pousser rapidement, même au travers des corps. Que la lumière soit une émanation des corps lumineux, ou un ébranlement imprimé à l'éther, il n'est pas plus aisé de comprendre comment l'éclat d'un charbon ou d'une bougie se fait apercevoir instantanément à une grande distance, au travers des corps transparents, ni comment la lumière d'une étoile arrive jusqu'à nous. Peut-être des phénomènes que nous refusons de croire parce que nous ne les avons point observés, ne sont-ils pas plus incompréhensibles que d'autres, qui ne nous étonnent point parce que nous les voyons tous les jours. »
Pour que le fluide qui part de moi agisse sur celui de l'homme que je magnétise, il faut que les deux fluides s'unissent, qu'ils aient le même ton de mouvement. Si je magnétise avec volonté et avec attention et que celui sur lequel je veux agir soit dans un état passif ou d'inaction, ce sera mon fluide qui déterminera le mouvement du sien. Il se passe alors quelque chose de semblable à ce qui a lieu entre un fer aimanté et un qui ne l'est pas : lorsqu'on passe plusieurs fois et dans le même sens l'un sur l'autre, le premier communique à l'autre son mouvement ou sa vertu. Ceci n'est point une explication, mais une comparaison. »
Une fois que les nerfs sont abreuvés d'une certaine quantité de fluide, ils acquièrent une susceptibilité dont nous n'avons aucune idée dans l'état ordinaire. Considérez l'individu magnétisé comme faisant en quelque sorte partie de son magnétiseur, et vous ne serez plus étonné que la volonté de celui-ci agisse sur lui et détermine un mouvement. Voilà tout ce que je puis dire sur le principe de l'action magnétique et sur l'influence de la volonté. »
De Puységur avait une théorie particulière et personnelle. Connaissait-il celle de son maître ? Il est probable que non, ou bien il ne l'avait pas comprise. Pour lui, tout était transmission du mouvement. Mais ce qu'il avait surtout retenu des leçons de Mesmer, c'étaient les faits.
Je me garderai donc bien, dit-il, de préférer à une certitude acquise par l'expérience, l'hypothétique probabilité d'un fluide magnétique, dont aucun physicien n'a pu constater l'existence. »
Nous verrons, lorsque nous étudierons les phénomènes psychiques, que les savants contemporains ont constaté une force qui a de grandes analogies avec le fluide des magnétiseurs.
Tous les magnétiseurs du siècle dernier n'admettaient pas absolument les théories du médecin viennois et de ses principaux continuateurs. Les uns, comme l'abbé Faria, ne croyaient pas à l'action d'un fluide transmissible de l'opérateur à l'opéré ; d'autres pensaient que la volonté n'émettait pas de fluide, qu'elle agissait seulement sur l'opérateur, en provoquant dans son organisme un état d'exaltation propre à produire un ébranlement dans son système nerveux, lequel se communiquait à l'air ambiant et provoquait des vibrations ou des ondulations qui atteignaient le patient ; d'autres admettaient que la volonté provoquait une onde fluidique allant frapper le sujet.
Les spiritualistes, ne voyaient dans la production des phénomènes magnétiques que les manifestations de l'âme ou de l'esprit.
A ce sujet le docteur Billot dit :
L'influence que l'homme exerce sur l'homme par l'action du magnétisme vient d'un auxiliaire ou inconnu ou méconnu et dont la présence peut seule donner la solution des phénomènes magnétiques. »
Le marquis de Mirvilie fait intervenir le démon, les mauvais esprits.
Du Potet était volontiste et croyait à l'émission d'un fluide.
Lafontaine soutenait la théorie du fluide vital.
Les partisans de la volonté, dit-il, semblent s'appuyer sur un autre exemple pour défendre leur cause. Lorsqu'un magnétiseur endort à distance, sans faire un mouvement, un sujet qu'il a l'habitude de magnétiser, ou même qu'il magnétise pour la première fois, ils prétendent que la volonté agit seule. C'est une erreur. Le magnétiseur, en se concentrant en lui-même, provoque l'émission d'un fluide qui va frapper le sujet et l'endort. Là, comme partout, il y a une simple projection du fluide vital. »
Le docteur Baretti appelle le fluide vital de Lafontaine force neurique rayonnante ; d’autres médecins : influx nerveux, etc... Le docteur Despine, fils, dans un travail publié en 1880, Etude scientifique sur le somnambulisme, émet une théorie qui se rapproche beaucoup de celle de Mesmer : une action à distance, dit Despine, sur les phénomènes psychiques des somnambules, ne pouvant plus être mise en doute, cherchons à l'expliquer au moyen des agents naturels. Disons en premier lieu que l'expression action à distance est issue de la croyance qu'il y a du vide dans la nature. Or, il n'en est point ainsi. » Qu'en sait-il ?
Les recherches des physiciens modernes confirment la manière de voir de Newton, en ce sens qu'elles prouvent que le vide n'existe pas, que l'espace est plein de la matière éminemment subtile appelée éther, dont les attributions sont non seulement la transmission de l'électricité et du magnétisme terrestre, mais encore celle de la lumière et de la chaleur. Les vastes régions interstellaires ne sont donc pas des régions de vide et d'isolement. Nous les trouvons remplies de ce milieu qui s'étend partout, si bien que quand une molécule d'hydrogène vibre dans Sirius, le milieu en reçoit une impulsion ; mais la distance de cette étoile est si grande que cette impulsion reste trois années pour arriver à la terre. Et cependant cette distance n'altère en rien les vibrations transmises. »
Pourquoi n'aurait-il pas une égale importance dans la nature organique ? Ne peut-on pas supposer avec raison que ce qui, dans ce milieu universel, est le principe de la lumière, de l'électricité et de la chaleur, peut bien, uni à la substance nerveuse, être le principe de la vie chez l'animal doué du système nerveux, et par conséquent le principe de l'activité de ce système et de ses diverses fonctions ? Quand on songe que ce système n'est pas absolument nécessaire à la vie, puisque les végétaux et les animaux les plus inférieurs en sont dénués ; quand on songe que la lumière, la chaleur et l'électricité, c'est-à-dire les principales manifestations de l'éther, sont nécessaires à la vie, puisque partout où elles sont insuffisantes la vie végétale et la vie animale sont impossibles, et que la vie est d'autant plus active que ses manifestations sont plus puissantes, quand on songe à tout cela, disons-nous, n'est-on pas en droit de supposer que le principe de la vie dans les corps organisés réside réellement dans ces trois manifestations de l'éther et que le système nerveux n'est nécessaire que pour présider à la spécialité de chaque fonction, alors que l'éther le met en activité ? Cette hypothèse nous paraît assez rationnelle pour que nous nous permettions de la soumettre à l'appréciation des savants.»
D'après ces données, on conçoit comment l'activité cérébrale qui préside aux manifestations psychiques puisse, sous certaines conditions d'impressionnabilité, retentir d'une façon efficace sur le cerveau d'un autre individu au moyen de l'éther, y déterminer une activité de même nature, et y faire surgir des éléments instinctifs, des pensées, des représentations mentales et des volontés semblables. Tout acte psychique a incontestablement pour cause une modification cérébrale des vibrations, un mode particulier d'activité dans les cellules de la substance grise du cerveau. Ces vibrations ne sont pas, il est vrai, susceptibles d'imprimer, par l'intermédiaire de l'éther, des vibrations semblables dans les cerveaux sains environnants. Cependant, quelques faibles que soient ces vibrations, elles ne se propagent pas moins en dehors, frappant ces cerveaux sans effet. Mais supposons que, parmi ces cerveaux, il s'en rencontre un qui soit dans un état d'impressionnabilité telle qu'il soit influencé par les vibrations éthérées, provoquées par l'activité d'un cerveau sain, et que ces vibrations produisent dans ce cerveau impressionnable des vibrations identiques, l'activité de cet organe donnera certainement lieu à des idées semblables. Ainsi s'explique naturellement la transmission de la pensée, de la volonté d'un individu à un autre, sans signes extérieurs. Si cette action est rare, cela ne tient ni au mode d'action du fluide éther, ni aux lois qui dirigent ce mode d'action, deux choses qui ne changent pas ; cela tient à l'état particulier dans lequel le système nerveux peut être influencé par cette action si faible, état qui réside surtout dans une sensibilité extrême, anormale, pathologique (pas toujours) et heureusement rare de ce système. L'action de l'agent est toujours la même ; ce qui varie et rend le phénomène rare, c'est l'état des organes nerveux qui reçoivent l'action de l'agent. »
Au moyen de cette cause de transmission qui n'est pas douteuse, et qui ne peut tenir sur la réserve, pour le cas présent, que parce qu'elle n'est pas encore rentrée dans le domaine de nos connaissances vulgaires, s'explique non seulement la transmission de la pensée chez les somnambules, mais encore la raison par laquelle les personnes dont la constitution nerveuse est puissante, dont l'activité cérébrale est énergique et dont la volonté est forte, sont plus aptes, à magnétiser que les personnes à constitution faible. On s'explique aussi la contagion nerveuse, admise par M. Bouchut, contagion qui propage à distance, dans certaines conditions, les phénomènes somatiques et psychiques, qui caractérisent les diverses folies épidémiques ; on s'explique l'ascendant que les âmes fortes exercent sur les âmes faibles ; on s'explique organiquement la contagion des éléments instinctifs, la contagion morale ; on s'explique pourquoi des procédés magnétiques, des passes soit au contact, soit à distance, peuvent produire les divers phénomènes dits magnétiques ; on s'explique pourquoi les organes rendus très impressionnables par une maladie et les organes les plus fournis de ganglions et de nerfs, tels que la tête, l'épigastre, le trajet des cordons nerveux, le cou, les bras, les extrémités digitales, sont les parties les plus impressionnées par les passes; on s'explique enfin cette action si remarquable de la volonté de certains individus sur d'autres individus, sans signe extérieur... effet que nous avons vu se produire d'une façon si remarquable par Castellan, condamné pour viol aux assises de Draguignan. »
S'il n'intervient ni fluide nerveux ni fluide magnétique dans les phénomènes dits de magnétisme animal, ainsi que le supposait l'ancienne théorie, le fluide universel y intervient positivement, si ce n'est comme cause directe des phénomènes, du moins comme agent de transmission du mode d'activité du système nerveux d'une personne au système nerveux d'une autre personne. »
Dans son travail du magnétisme animal, paru en 1884, le Dr Perronet émet la théorie suivante, qu'il nomme ondulationisme.
La suggestion, dit-il, est un phénomène par lequel un individu transmet à un ou plusieurs autres individus ses propres pensées, conscientes ou inconscientes, en les matérialisant dans les formes des objets représentés par elles, et en passant par une série de phénomènes intermédiaires :
1° Ondulations nerveuses d'origine centrale et à directions centrifuges, lesquelles ondulations sont provoquées par un mécanisme inconnu, dans les organes qui servent de support à ses facultés psychiques ;
2° Ondulations à la périphérie de son corps, de contractions fibrillaires ou autres phénomènes kinésiques, le plus souvent inconscients ;
3° Ondulations déterminées dans le milieu cosmique par les mouvements précédents ;
4°Chocs des extrémités nerveuses des individus récepteurs par ces ondulations cosmiques qui produisent dans les centres psychiques de ceux-ci le dernier phénomène ondulatoire, traduit par la perception réelle de l'objet signifié par l'idée. »
Le Dr J. Ochorowicz dit au chapitre VII de son livre la Suggestion mentale: Que veut dire expliquer ? »
Expliquer ne veut dire autre chose que réduire l'inconnu au connu, et il n'y a qu'un seul moyen d'effectuer cette réduction : en indiquant les conditions dans lesquelles le phénomène se manifeste, et sans lesquelles il ne peut pas se manifester. C'est tout ce qu'on peut faire, et c'est aussi tout ce qu'il faut. On ne doit pas se faire l'illusion d'une connaissance adéquate de n'importe quoi. On détermine les conditions des phénomènes, on les résume, autant qu'on peut, dans les lois qui ne sont qu'une généralisation de l'observation, et c'est tout. Toute la science est là.
Avant de pouvoir préciser les conditions d'un phénomène, il faut le décrire, il faut l'analyser, afin de bien circonscrire son contenu et lui assigner une place équitable parmi d'autres phénomènes. C'est ce que nous avons essayé de faire, en traitant les diverses transmissions psycho-physiques. Il en est résulté que la suggestion mentale proprement dite doit être considérée en connexions avec plusieurs phénomènes de transmission physique ou mentale, ne constituant qu'une transmission apparente.
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