PREMIÈRE PARTIE - MAGNÉTISME HUMAIN
Chapitre I - Procédés des magnétiseurs
Dans nos ouvrages précédents, nous avons fait l'historique du magnétisme humain, nous avons parlé des procédés des pseudo-sorciers du moyen âge, nous avons exposé les théories des anciens sur ces matières ; donc, inutile de revenir aux sibylles, aux augures, aux aruspices ; d'indiquer le modus operandi des prêtres des anciennes religions, nous sortirions de notre plan. Nous voulons simplement mettre à la portée du lecteur les moyens pratiques de se renseigner expérimentalement sur ce que nous avançons. Procédés du docteur Mesmer
Mesmer (Frédéric-Antoine), né à Iznang (Souabe), en 1733, mort à Meesbourg en 1815 (certains auteurs le font naître à Stein sur le Rhin), étudia la médecine à Vienne. Reçu docteur, il s'établit dans cette ville. Au bout de quelques années de pratique, trouvant les remèdes de son temps absurdes, il cessa de les employer et traita ses malades par les aimants. Quelques succès l'encouragèrent à poursuivre ses recherches et, s'appuyant sur les travaux de ses prédécesseurs, il innova le magnétisme animal.
Des cures nombreuses et remarquables attirèrent l'attention des Viennois, qui vinrent en foule chez lui, mais la jalousie de ses confrères lui suscita tant d'ennemis qu'il quitta la capitale de l'Autriche pour venir à Paris (1777), où sa réputation l'avait précédé.
Chez nous, il trouva un accueil sympathique et il eut alors tous les succès qu'un homme ambitieux peut désirer. Mais ne sachant borner son ambition, il s'attira, par sa manière d'agir, de nombreux déboires. Des guérisons éclatantes obtenues sur des personnages hauts placés portèrent Mesmer au pinacle ; aussi Louis XVI dut nommer une commission (1784) pour étudier les théories et les procédés du médecin allemand. Des hommes éminents : Barie, Sallin, Darcet, Guillotin, Franklin, Bailly, Lavoisier et de Jussieu composèrent cette commission. Ils reconnurent les phénomènes affirmés par Mesmer, mais ils refusèrent d'en admettre la cause : le fluide des magnétiseurs. A ce sujet, voici ce que nous lisons à la page 7 du rapport de la commission :
« Rien n'est plus étonnant que le spectacle de ces convulsions ; quand on ne l'a pas vu, on ne peut s'en faire une idée, et en le voyant on est également surpris et du repos profond d'une partie de ces malades et, de l'agitation qui anime les autres ; des accidents variés qui se répètent et des sympathies qui s'établissent. On voit des malades se chercher exclusivement, et en se précipitant l'un vers l'autre se sourire, se parler avec affection et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise ; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s'empêcher de reconnaître à ces effets constants une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise et dont celui qui magnétise semble être dépositaire. »
Nous avons ici la reconnaissance absolue des faits avancés par Mesmer. Nous verrons plus loin si les savants de cette époque ne se trompaient pas en niant l'existence d'une force quelconque, car, depuis, bien des choses nouvelles se sont produites.
Voici comment procédait Mesmer :
Dans une salle se trouvait un baquet spécial dans lequel était placé un certain nombre de bouteilles contenant de l'eau magnétisée. (On magnétise l'eau soit en faisant des passes dessus, soit en plongeant les mains dedans.) Les espaces vides, entre les bouteilles, étaient garnis de limailles de fer, de verre pilé, de soufre, de manganèse ou de toute autre substance à laquelle Mesmer attribuait des propriétés magnétiques. Le couvercle du baquet était percé de trous par lesquels passaient des tiges de fer recourbées et mobiles. Au bout de ces tiges étaient adaptés des cerceaux que les malades se passaient autour du corps. Réunis en cercle, autour du baquet, ils se donnaient la main et formaient la chaîne.
L'opérateur, armé d'une baguette en fer, magnétisait le baquet et les malades, en les touchant sur diverses parties du corps. Pendant l'opération, Mesmer faisait jouer du piano ou de l'harmonica ; il croyait que le fluide magnétique se propageait par le son.
Nous verrons plus loin, lorsque nous nous occuperons des phénomènes psychiques, que le son joue un certain rôle.
Mesmer croyait à la polarité humaine ; il pensait que le fluide magnétique était répandu partout et qu'il n'était pas besoin de la volonté pour produire des effets.
Nous voyons, par ce qui précède, que les modernes praticiens qui affirment avoir trouvé la polarité humaine n'ont donc rien inventé... et que la paternité de cette hypothèse revient à Mesmer.
Les malades groupés autour du baquet ne tardaient pas (du moins les plus sensibles) à éprouver des crises nerveuses plus ou moins violentes. Mesmer les faisait alors transporter dans une pièce spéciale appelée salle des crises, où il les laissait se débattre jusqu'à ce qu'ils fussent calmés. Il croyait ces crises salutaires et pensait que la nature se débarrassait, pendant cet instant, du principe morbide.
Nous ne partageons pas entièrement les idées de Mesmer, et nous croyons que si ses élèves, au lieu de bâtir des théories inacceptables, s'étaient appliqués à produire des faits, sans vouloir au préalable en expliquer les causes, chose d'ailleurs impossible, ils auraient peut-être réussi à faire admettre le magnétisme comme science physique.
Les disciples de Mesmer ne furent pas d'accord sur les opinions du maître. Les uns partageaient entièrement sa manière de voir sur l'ubiquité de la force magnétique et sur sa transmissibilité naturelle et croyaient, comme lui, que la volonté était étrangère à la manifestation des phénomènes ; les autres pensaient que la volonté était absolument nécessaire, qu'elle commandait cette force qui est en nous et permettait de la communiquer. Plusieurs docteurs régents partagèrent les idées de Mesmer, notamment le docteur Deslong, premier médecin du comte d'Artois.
Le docteur Mesmer n'avait fait que remettre au point des théories qu'il n'avait pas trouvées, comme on le croit généralement. Le fluide universel transmissible qui se dégage de notre corps, qui traverse l'espace, était admis par quelques-uns avant lui. Voici ce qu'il dit dans un mémoire publié en 1779 : « J'ai annoncé les réflexions que j'avais faites depuis plusieurs années sur l'universalité de certaines opinions populaires qui, selon moi, étaient le résultat d'observations les plus générales et les plus constantes. Je disais à ce sujet que je m'étais imposé la tâche de rechercher ce que les anciennes erreurs pouvaient renfermer d'utile et de vrai ; et j'ai cru pouvoir avancer que, parmi les opinions vulgaires de tous les temps : imposition des mains, visions et oracles, influence de certains métaux, action mystique de l'homme sur l'homme, les jeteurs de sort, les dompteurs, les communications à distance, les pressentiments, les sensations simultanées, l'influence des vœux et de la prière, la transmission de la pensée, etc., etc., il en était peu, quelque ridicules et même extravagantes qu'elles paraissent, qui ne pussent être considérées comme le reste d'une vérité primitivement reconnue.
Et comme certains de ces procédés, par une observation trop scrupuleuse, par une application aveugle, semblaient rappeler d'anciennes opinions, d'anciennes pratiques justement regardées comme des erreurs, la plupart des hommes consacrés aux sciences et à l'art de guérir n'ont considéré ma doctrine que sous ce point de vue : entraînés par ces premières impressions, ils ont négligé de l'approfondir ; d'autres, excités par des motifs personnels, par l'intérêt de corps, n'ont voulu voir dans ma personne qu'un adversaire qu'ils devaient abattre. Pour y parvenir ils ont d'abord employé l'arme si puissante du ridicule, celle non moins active et plus odieuse de la calomnie ; enfin, la publicité immodérée d'un rapport qui sera dans tous les temps un monument peu honorable pour ceux qui ont osé le signer ; d'autres personnes, enfin, convaincues, soit par leur propre expérience, soit par celle d'autrui, se sont exaltées et livrées à de telles exagérations qu'elles ont rendu tous les faits incroyables. Il en est résulté pour la multitude faible et sans instruction des illusions et des craintes sans fondement. Voilà qu'elles ont été jusqu'à présent les sources de l'opinion publique contre ma doctrine.
J'abandonne volontiers ma théorie à la critique, déclarant que je n'ai ni le temps ni la volonté de répondre. Je n'aurais rien à dire à ceux qui, incapables de me supposer de la droiture et de la générosité, s'attacheraient à me combattre avec des dispositions particulièrement hostiles, ou sans rien substituer de mieux à ce qu'ils voudraient détruire ; et je verrais avec plaisir de meilleurs génies remonter à des principes plus solides, plus lumineux, des talents plus érudits que les miens découvrir de nouveaux faits et rendre, par leurs conceptions et leurs travaux, ma découverte plus intéressante. Il suffira toujours à ma gloire d'avoir pu ouvrir un vaste champ aux calculs de la science et d'avoir en quelque sorte tracé la route de cette nouvelle carrière. »
Afin de faire mieux connaître le novateur du magnétisme animal, nous empruntons au si savant ouvrage la Suggestion mentale, du docteur Ochorowicz, les passages ci-dessous1. »
« On s'imagine généralement que c'est Mesmer qui était le promoteur de la théorie du fluide nerveux, vital ou magnétique, qui se dégage de notre corps, se projette au dehors, se transporte, en cas de besoin, à travers, l'espace, etc., etc. C'est une erreur propagée par ceux qui n'ont pas lu Mesmer, ou qui n'ont pas pu le comprendre. Sa théorie, très ancienne du reste, a été élaborée par un travail collectif de plusieurs de ses élèves indiscrets et surtout par les révélations des somnambules qui s'expliquaient comme ils pouvaient. Enfin, l'autorité de Deleuze qui, lui-même, indique cette source, décida facilement la popularité d'une théorie palpable, compréhensible pour des imaginations grossières, et qui semblait tout expliquer. Mais elle était en opposition complète avec la doctrine de Mesmer, connue seulement de ses élèves directs. Son cours n'a jamais été publié, mais les extraits qu'en donne Puységur, aussi bien que ses aphorismes, ses mémoires et certains fragments longtemps inédits, prouvent suffisamment combien est inexact tout ce qu'on raconte de lui. Ils prouvent que c'était un esprit aussi profond qu'original, qui pouvait bien perdre les qualités de modestie et de désintéressement qui caractérisaient ses premiers pas, devant cette risée universelle et vraiment inouïe qu'on lui opposa. Mesmer connaissait le somnambulisme mieux que Puységur (nous traiterons longuement cette question intéressante) qui, par enthousiasme, avait exagéré sa valeur ; il le connaissait, sous certains rapports, mieux que les hypnotiseurs d'aujourd'hui, qui ne connaissent même pas ses élèves. Tout d'abord on se contenta de l'appeler un charlatan, puis, peu à peu, on commença à découvrir ce qu'il avait découvert, changeant seulement les noms, pour ne pas se compromettre, mais en lui conservant le titre de charlatan. C'est bête, mais c'est comme cela. »
J'exposerai ici la théorie de Mesmer en tant qu'elle a trait à notre problème :
« Tout ce qui est accessible à l'investigation peut se résumer en deux mots : matière et mouvement. Mais, pour arriver à cette conclusion, il faut dégager nos connaissances de cette empreinte superficielle que leur donnent nos sens. Nous acquérons toutes nos idées par les sens ; les sens ne nous transmettent que des propriétés, des caractères, des accidents, des attributs ; les idées de toutes ses sensations s'expriment par un adjectif ou épithète, comme chaud, froid, fluide, solide, pesant, léger, luisant, sonore, coloré, etc. On substitue à ces épithètes, pour la commodité de la langue, des substantifs ; bientôt on substantifiera la propriété : on dit la chaleur, la gravité, la lumière, le son, la couleur, et voilà l'origine des abstractions métaphysiques.
On multiplia ces substantifs, on les personnifia, de là les esprits, les divinités, les démons, les génies, les archées, etc. Il nous reste encore un certain nombre de ces entités qu'il faut éliminer pour arriver à une vue nette du phénomène. C'est, en général, dit Mesmer, le but que je me propose d'atteindre.
La matière présente plusieurs degrés de fluidité. L'eau est plus fluide que le sable, puisqu'elle peut remplir les interstices de ses grains ; l'air plus fluide que l'eau puisqu'il peut se dissoudre dans celle-ci ; l'éther est plus fluide que l’air..., il est difficile de déterminer où cette divisibilité finit, mais on peut supposer qu'il y a encore plusieurs degrés de ce genre et qu'il existe une matière primitive universelle - les découvertes récentes semblent le justifier - dont la condensation graduée constitue tous les états de la matière. Quoi qu'il en soit, il faut admettre, suivant Mesmer, que tout espace du monde est rempli, et on peut bien nommer ce fluide qui remplit tout fluide universel.
Quelques physiciens ont déjà reconnu l'existence d'un fluide universel, mais ils ont eu tort de préciser les caractères de ce fluide, de le surcharger de vertus et de propriétés spécifiques, que nous ne pouvons pas connaître. Ce fluide existe, quoique nous ne sentions pas sa présence. Nous sommes, vis-à-vis de lui, à peu près dans la situation des poissons qui seraient sans doute fort étonnés si l'un d'eux leur annonçait que l'espace, entre le fond et la surface de la mer, est rempli d'un fluide qu'ils habitent ; que ce n'est qu'en ce milieu qu'ils se rapprochent, qu'ils s'éloignent, et qu'il est le seul moyen de leurs relations réciproques. Le fluide universel n'est que l'ensemble de toutes les séries de la matière la plus divisée, par le mouvement de ses particules.
Par lui l'univers est fondu et réduit en une seule masse. Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est qu'il est fluide par excellence et, par conséquent, qu'il doit présider surtout à des transmissions de mouvements plus subtiles que ne le sont celles effectuées par d'autres fluides plus connus. L'eau peut transmettre le mouvement à un moulin, l’air transmet les vibrations du son, l'éther celles de la lumière, le fluide universel les vibrations de la vie. Chacune de ces séries correspond à un degré des phénomènes, et les vibrations de chacune de ces séries ne peuvent être perçues que dans un degré correspondant de l'organisation (de l'agrégation en général) de la matière.
Ni la chaleur, ni la lumière, ni l'électricité, ni le magnétisme ne sont des substances, mais bien des effets du mouvement dans les diverses séries du fluide universel. Sans être pesant ou élastique, ce fluide détermine les phénomènes de la pesanteur, de la cohésion, de l'attraction, etc.... à la suite des réactions du mouvement communiqué.
L'attraction, à proprement parler, n'existe pas dans la nature ; elle n'est qu'un effet apparent des mouvements communiqués, et en général toutes les propriétés et toutes les prétendues forces ne sont qu'un résultat combiné de l'organisation des corps, et du mouvement du fluide dans lequel ils sont plongés. C'est ce fluide qui préside aux influences mutuelles de tous les corps ; et comme ces actions et réactions sont pour ainsi dire symbolisées dans l'influence mutuelle de l'aimant et du fer, on peut bien donner le nom de magnétisme universel à cette influence mutuelle générale. Rien n'est soustrait à cette influence, qui peut être plus ou moins inappréciable, mais qui, théoriquement, n'a pas de bornes. Les corps célestes agissent sur nous et nous réagissons sur les corps célestes, aussi bien que sur ceux qui nous entourent. C'est cette propriété du corps animal qui le rend susceptible d'une pareille action et réaction qui, à cause d'une analogie avec l'aimant, peut être surnommé le magnétisme animal. Par conséquent le magnétisme, aussi bien universel qu'animal, n'est pas un fluide, mais une action, un mouvement et non une matière, une transmission du mouvement, et non une émanation quelconque. Un déplacement quelconque ne peut pas se faire sans remplacement, car tout l'espace est rempli, ce qui suppose que si un mouvement de la matière subtile est provoqué dans un corps, il se produit aussitôt un mouvement semblable dans un autre, susceptible de le recevoir, quelle que soit la distance entre les corps ; que l'aimant nous représente le modèle de cette loi universelle et que le corps animal soit susceptible de propriétés analogues à celles de l'aimant, je crois assez justifier la dénomination de magnétisme animal que j'ai adoptée... Je vois avec regret qu'on abuse légèrement de cette dénomination ; dès qu'on s'est familiarisé avec le mot, on se flatte d'avoir l'idée de la chose, tandis qu'on n'a que l'idée du mot. Tant que mes découvertes ont été mises au rang des chimères, l'incrédulité de quelques savants me laissait toute la gloire de l'invention ; mais depuis qu'ils ont été forcés d'en reconnaître l'existence, ils ont affecté de m'opposer les ouvrages de l'antiquité, où se trouvent les mots fluide universel, magnétisme, influence, etc. Ce n'est pas des mots qu'il s'agit, c'est de la chose, et surtout de l'utilité de son application.
La vie n'est que la manifestation d'un mouvement subtil, dont la cessation constitue la mort. Parmi ces mouvements subtils, les sensations occupent une place principale : toutes les actions sont les résultats de sensations. Les organes des sens correspondent à différents degrés de subtilité des vibrations qui nous influencent et ne sont susceptibles d'être influencés que par un genre spécial de vibrations. Mais la matière nerveuse elle-même, comme le produit suprême de l'organisation, est capable d'être influencée directement par les vibrations les plus subtiles, c'est-à-dire du fluide universel, et cette faculté, jusqu'ici négligée ou méconnue, Mesmer l'appelle le sens intérieur. »
Comme nous venons de le voir, les théories de Mesmer ont été mal interprétées par ses commentateurs, ce qui a fait croire aux magnétiseurs qu'ils disposaient d'une sorte de force semi-matérielle qui contournait certains corps pour pénétrer dans d'autres plus aptes à la recevoir et à l'emmagasiner...
Nous aurons l'occasion de revenir aux idées du créateur du magnétisme animal, lorsque nous nous occuperons du somnambulisme provoqué.
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