Leçon 7
Surveiller et punir II, « Punition » et III, « Discipline ». Les disciplines et l’exemple du soldat.
Résumé.
Les disciplines sont des pratiques de dressage et de constitution des individus. Malgré quelques formes préexistantes dans la vie religieuse du Moyen-âge, elles apparaissent massivement au milieu du XVIIIe siècle et s’imposent dans différentes institutions (casernes, prisons, couvents, écoles, usines, hôpitaux…) alors qu’elles prennent des formes différentes selon les spécificités du lieu d’implantation. Leur succès, et par conséquent le triomphe du modèle carcéral lorsque celui-ci les mettra en pratique, provient de leur flexibilité et de leur efficacité pour démultiplier les forces productives du sujet, tout en limitant son potentiel de désobéissance politique.
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L’échec des réformateurs (SP II).
Les punitions et leur rôle selon les réformateurs.
Les réformateurs réagissent à la cruauté excessive des supplices, mais également à l’arbitraire des peines, à leur incapacité à changer les condamnés, et à leur manque d’universalité.
Toutefois, ils ne prévoient pas des peines de prison : l’humiliation publique, le travail forcé (Beccaria propose de remplacer la peine de mort par « l’esclavage perpétuel »), la déportation, des formes de loi du talion.
Le but est pédagogique : punir le vice plutôt que l’acte, rendre le condamné utile, par son travail, à la société.
L’idéal de la transparence de la société à elle-même.
La punition (et la procédure) sont publiques, et la justice est rendue au vu et au su de tous. Frapper l’imagination du peuple par des éléments symboliques et des peines dissuasives.
La peine est envisagée du point de vue de l’utilité sociale. La peine est proportionnée au désordre commis. Il s’agit moins de punir le passé que d’anticiper sur l’avenir.
Echec de ce modèle pénal utopique des réformateurs, manquant de réalisme. Il aura eu au moins le mérite de contribuer à rendre impensable un retour au supplice.
L’avancée souterraine des techniques carcérales.
C’est le projet carcéral qui va l’emporter, dont les pratiques sont mises en place directement au niveau de modifications dans les prisons, en parallèle et indépendamment des débats philosophiques.
Là où les réformateurs rêvaient de transparence et de peines diversifiées selon le crime commis, l’emprisonnement devient la réponse systématique et massive au crime et à la « délinquance » du XIXe siècle ; la seule transparence est celle du regard scrutateur du surveillant sur le prisonnier. La punition n’a pas pour but de réformer le sujet, mais de le rendre obéissant.
« Marques » du supplice, « signes » de la punition des réformateurs, « procédés de dressage » du système carcéral (p. 397-398/p. 154-155).
Les disciplines (SP III).
Emergence simultanée, de pratiques disciplinaires indépendantes mais homogènes.
La rapidité de cette victoire du modèle carcéral sur les deux autres s’explique par l’apparition, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, de disciplines dans plusieurs institutions (prisons, hôpitaux, écoles, usines…). Chaque discipline présente ses normes spécifiques, et se développent indépendamment, mais de manière convergente.
Les disciplines sont des pratiques savantes et coercitives, mettant en œuvre un savoir-faire et permettant un calcul et une prévisibilité des conduites individuelles.
Elles permettent de normaliser les comportements individuels, c’est-à-dire d’imposer une certaine homogénéité des conduites en fonction d’objectifs qui vont de la surveillance à la productivité économique.
La discipline comme « art des répartitions ».
La discipline est un art de répartition des corps dans l’espace. S’applique à un espace « cellulaire », c’est-à-dire clos et suffisamment restreint pour permettre le contrôle des activités.
Egalement un art de répartition dans le temps : élaboration d’emplois du temps, décomposition temporelle de l’acte (l’exemple de la marche militaire).
Elle optimise enfin l’interaction du corps et de l’instrument (le fusil, la machine, l’outil…) de sorte que le corps et l’instrument ne forment plus qu’un seul et unique « complexe corps-arme, corps-instrument, corps-machine ».
Une microphysique du corps naturel.
La surveillance hiérarchique est l’une des formes de surveillance rendue possible par l’adoption de techniques de « dressage ». Mais le pouvoir y est diffus, et non concentré au sommet de la pyramide. La surveillance finie par être assurée par chacun, le groupe se surveille lui-même.
Le modèle disciplinaire est d’abord grossier, traitant le corps comme un automate, puis de plus en plus ajustée au fonctionnement naturel des corps, et par conséquent mieux à même d’être accepté par l’individu. Il s’agit alors bien d’atteindre l’âme à travers le corps.
La discipline permet d’augmenter la force utile des corps en augmentant leur docilité. « La discipline majore les forces du corps (en termes économiques d’utilité) et diminue ces mêmes forces (en termes politiques d’obéissance) » (p. 402/ p. 162). Plus grande efficacité contre plus grande domination politique.
Pouvoir, individu, sujet.
Le pouvoir.
Il n’y a pas un Pouvoir substantiel, qui serait détenu par un seul groupe. Ce n’est pas non plus une entité métaphysique qui préexisterait à ses manifestations.
Foucault préfère parler de « relations de pouvoir », autrement dit il fait du pouvoir une notion relationnelle. Il n’y a de pouvoir qu’entre sujets libres, cad capables de se soustraire à ce que l’on attend d’eux.
Le pouvoir ne se diffuse pas par les lois, mais par les normes disciplinaires, qui agissent à un niveau infra-pénal, « elles quadrillent un espace que les lois laissent vide » (p. 34).
L’individu.
L’individu n’est pas d’abord le sujet autonome du contrat social, l’atome social qui viendrait s’insérer naturellement dans le tout. Il s’agit là d’une construction fictive.
Il faut s’interroger sur les opérations par lesquelles on a constitué l’individu pour qu’il soit prêt à accepter l’autorité du corps politique sur sa personne.
Mais la souveraineté politique n’est pas un simple procédé cynique ou manipulatoire. L’individu n’est pas une simple marionnette dans les mains d’une classe ou d’un Etat. Il est à la fois obéissant et actif, à la fois constitué par les disciplines (et non préexistant) et réel (et non simple illusion d’individualité, incapable d’agir sur son destin).
Le sujet et l’assujettissement.
Foucault appelle ce processus sur les individus un assujettissement, c’est-à-dire le fait « leur constitution comme sujets, aux deux sens du mot » (La volonté de savoir, p. 659 Pl.).
Le sujet n’est pas aliéné du dehors (en renonçant par exemple à sa liberté naturelle) ou simplement manipulé à son insu. Il est sujet en ce qu’il est contraint à l’obéissance et sujet en ce qu’il est un être autonome.
Exemple de l’armée : le soldat est contraint d’obéir à la discipline militaire, sous peine de sanctions graves, mais il est invité à participer activement à la discipline, en rappelant à l’ordre ses camarades et lui-même. L’autonomie, au sens de l’obéissance à la loi qu’on s’est fixée, n’est donc pas un fait de la raison pure a priori comme chez Kant, mais une construction sociale.
Lectures conseillées.
Stéphane LEGRAND, Les normes chez Foucault, coll. « Pratiques théoriques », Paris, PUF, 2007, p. 47-76. Ouvrage plus difficile que celui de F. Boullant, il aborde SP et les cours au Collège de France de la même période par le prisme de la notion de normalisation. Le passage cité porte en particulier sur les disciplines et reste centré principalement sur SP.
Alain EHRENBERG, Le corps militaire. Politique et pédagogie en démocratie, Paris, Aubier Montaigne, 1983. Ouvrage qui reprend directement la méthode de Foucault dans SP, mais en l’appliquant au cas de l’institution militaire et non plus des prisons. On peut aller en feuilleter quelques pages pour avoir un exemple de ce que peut donner une histoire « à la Foucault ».
Pour la prochaine fois.
Lire SP, partie III, ch. III « Le panoptisme », p. 479-491/p. 233-243, de « Le Panopticon de Bentham est la figure architecturale… » à « … le fonctionnement de base d’une société toute traversée et pénétrée de mécanismes disciplinaires ».
Questions à travailler au brouillon : Quelles peuvent être les raisons qui conduiraient un administrateur pénitentiaire à construire une prison selon une architecture panoptique ? Ces raisons peuvent-elles être valables également pour d’autres structures que la prison ? |