Pèlerins en Cotentin








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date de publication16.12.2016
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Pèlerins en Cotentin


Tina von Rechenberg

Pour les pèlerins d’autrefois le Cotentin était une région de traversée. Venant d’Angleterre ou y retournant, pour la plupart à destination du Mont St. Michel ou de Santiago de Compostelle. Mais il y avait aussi des continentaux qui allaient à Canterbury, et des Anglais en voyage vers l’Europe continentale à Aix-la-Chapelle, à Paris, à Rome ou même en Palestine.

Ils s’embarquaient ou débarquaient aux ports de Barfleur et Cherbourg. C’était surtout Barfleur, premier port d’échanges entre le duché de Normandie et l’Angleterre. Aujourd’hui Barfleur n’est qu’une petite ville avec un petit port, mais avant 1346 (date de sa destruction par les Anglais) c’était un vrai centre de pèlerinage. Outre ses ports et ses demeures urbaines abritées par une enceinte, la ville comptait alors deux couvents ainsi qu’un Hôtel-Dieu.
Après la Guerre de Cent ans, la ville n’a jamais retrouvé sa splendeur passée et s’est progressivement effacée au profit de Cherbourg.

Cherbourg, dont l’activité portuaire se développa dès le XIe siècle, est alors devenu le principal port de liaison entre la France et l’Angleterre (et avec l’Irlande, bénéficiant d’un monopole). Pourtant, pour les pèlerins, s’il était assez facile de se rendre à Cherbourg par la mer, la suite du voyage était difficile et même dangereuse. En sortant de la ville le pèlerin entrait dans l’immense forêt de Brix. Suivant le chemin dit des Miclots et gravissant les pentes boisées du Roule, le voyageur s’enfonçait rapidement sous de hautes futaies de chênes et de hêtres rendant la route obscure et incertaine. Il y avait quelques petites chapelles au milieu de la forêt. Dans les textes anciens on peut lire que les moines devaient sonner les cloches régulièrement à l’intention des personnes égarées. Celles-ci devaient être hébergées, et si nécessaire, réconfortées et nourries. De plus ce bois avait une mauvaise réputation à cause des brigands qui s’y cachaient. Pour aller de Cherbourg au Mont St. Michel il y avait deux routes : le « Chemin côtier » par Les Pieux, Coutances et Granville, ou le « Chemin de Barfleur » via Valognes à Montebourg où on pouvait rejoindre le « Chemin de l’intérieur », venant de Barfleur. Le « Chemin de l’intérieur » passait par Carentan, Périers, Coutances et rejoignait le « Chemin côtier » entre Granville et St.-Jean-Le-Thomas.

Les deux chemins n’étaient pas sans problèmes. Sur la côte il y avait le mauvais temps (le brouillard, les tempêtes) et la solitude, à l’intérieur il fallait traverser les marais. Les marais qui coupent le Cotentin de Carentan à Portbail, inondés une grande partie de l’année, ont longtemps constitué un obstacle qu’on ne franchissait qu’avec des passeurs. Les ponts étaient peu nombreux (Ponts d’Ouve, Pierrepont). Or les passeurs étaient souvent de malhonnêtes et n’hésitaient pas à abandonner leur clientèle loin de tout s’ils n’étaient pas satisfaits de leur salaire.

Bref : Le Cotentin n’était pas une région facile à traverser. Je cite un historien : « la forêt avec ses périls et ses terreurs … les bandits, chevaliers ou vilains embusqués au coin d’un bois ou sur le sommet d’un rocher …, les taxes innombrables levées sur les marchandises mais parfois sur les simples voyageurs … le mauvais état des routes… Il faut bien dire qu’un déplacement un peu important pose des problèmes ; le voyage peut être long, fatigant, son issue parfois incertaine à cause de maladies, des brigands, des imprévus … L’enthousiasme est de règle chez les jeunes, plus tempéré chez les hommes lourds d’expérience, mais il est inimaginable de se dérober dans l’espoir qu’un autre prenne la place. » (Jacques Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval)

La question se pose: Pourquoi les fidèles du Xe au XVe siècle ont-ils pris le risque de si longs voyages - qui coûtaient une fortune - , pourquoi ont-ils quitté leurs domiciles et leurs familles pour se lancer dans l’aventure et le danger ?

La réponse n’est pas facile parce que les motivations changent au cours des siècles et sont parfois très individuelles. Au début était le désir de trouver la présence de Dieu, plus forte en certains lieux : généralement les mêmes lieux qui - avant la christianisation - étaient dédiés à une déesse ou à un dieu païen. Ce pouvait être une fontaine, un puits, une grosse pierre, une roche, une grotte, un arbre. On y érigeait une chapelle, et on y remplaçait le nom de la divinité ancienne par le nom d’un saint ou d’une sainte chrétienne, en lui attribuant la même statue et les mêmes légendes, et bientôt aussi des miracles. En Normandie on ne manque pas de lieux de ce genre. Il y a la fontaine de St. Germain dans les dunes de Hattainville, à Sainte-Mère-Eglise une fontaine dédiée à St. Méen, une Vierge Marie à Saint-Lô maintenant intégrée dans l’église, mais autrefois dans une grotte, autour d’ Isigny-sur-Mer ; Ste. Marguerite à plusieurs endroits mais toujours en relation avec un démon-dragon qu’elle a repoussé d’un signe de croix. On y voit là encore le combat de la religion chrétienne contre le paganisme. Plus tard – et encore aujourd’hui – on se rendait à ces sanctuaire pour la guérison des maladies : St. Germain guérit les yeux, St. Méen le rhumatisme, la Vierge de Saint-Lô aide contre les douleurs, et Ste Marguerite est vénérée par les femmes prêtes d’accoucher.

La puissance d’un lieu et d’un saint était renforcée par des reliques. Et l’église devait plus en plus suivre ce désir du peuple et offrir des témoins matériels des saints : os, vêtements, objets qu’ils avaient touchés. Il régnait une soif immense de miracles, de visions et d’aides surnaturelles. On pouvait acheter des reliques pulvérisés ou l’eau où elles étaient diluées comme un remède contre toutes les maladies d’origine inconnue mais qui étaient regardées comme le mal envoyé par le diable. Même toucher ou regarder ou être près d’une relique pouvait protéger contre ce mal et guérir la maladie. Il se développait toute une industrie qui fabriquait des boites, bouteilles et des amulettes, et aussi des souvenirs, dont le plus connu est sûrement la coquille de St. Jaques. Cette petite fabrication artisanale donnait un peu d’argent à la population du pays : autour du Mont St. Michel on produisait nombre de broches avec l’image de l’archange et du dragon en matériaux de. toutes sortes.

Aussi les pèlerins transportaient des histoires et des légendes d’un lieu à l’autre. L’histoire du « Pendu dépendu » par exemple est documentée par des fresques à Canville-la-Roque, mais est d’origine de Toulouse et est connue en Espagne aussi…une preuve que ce village était bien une station sur le chemin de Compostelle.

Il ne faut pas oublier qu’il existait aussi un pèlerinage aux sanctuaires proches de « Notre Dame de chez nous » ou la petite chapelle d’un saint « du pays ». En Cotentin on trouve beaucoup de noms de villes et village qui sont - ou sont connectés avec - le nom d’un saint. Souvent ils suivent les chemins de pèlerinage. Entre Barneville et Portbail il y a Saint George, Saint Siméon, Saint Jean-de-la-Rivière, non loin de Saint Maurice. Même Le Mesnil s’appelait Saint Martin à cette époque. Ce qui est intéressant c’est qu’il y avait d’abord le chemin de pèlerinage et après les saints, avec leurs statues et leurs chapelles. Chaque saint avait son jour à lui et sa fête. Les grandes fêtes et « ker-messes » ont survécu, comme la foire de la Sainte Anne à Bricquebec.

Au XIVe. siècle l’église ou plutôt l’Inquisition instaura le pèlerinage comme instrument de punition ou de pénitence. Il y avait une vraie liste de pèlerinages qui était utilisée par les autorités ecclésiastique et aussi par les juges séculiers. Sur une liste anglaise, datée de 1325, il est écrit comme punition pour adultère : Every year for seven years to St. Thomas of Canterbury, St. Thomas of Hereford, St. Edmund of Bury and St. Mary of Walsingham. En la même année pour adultère avec la marraine ( adultery with godmother) : To Santiago. Ca veut dire qu’il y avait beaucoup de gens qui ne sont pas parti de leur propre gré, mais bien involontairement. Ceux qui étaient riches et malins, ont triché et envoyé quelqu’un d’autre qui revenait avec la lettre de l’évêque de Santiago de Compostelle ( la preuve qu’il avait été là « personnellement »). En effet, faire un pèlerinage cela voulait dire risquer sa vie. Avant le départ on faisait son testament et réglait les affaires de sa famille et de son entreprise. Dans « Le Très Ancien Coutumier de Normandie » il y a des passages qui traitent du pèlerinage, et pour la loi ancienne le pèlerin était mort au jour de son départ. S’il mourait effectivement en pays étranger, le jour de sa mort y était fixé ainsi pour l’héritage. On voit là encore l’origine du mot « pèlerin » : pellere et ager en latin, celui qui est privé de sa terre. Le jour de l’adieu il y avait une messe où le pèlerin était béni avec son bâton, sa pèlerine et sa bourse – signes de son nouveau statut. il recevait aussi la lettre, qui l’identifiait comme pèlerin. Elle l’aidait à mieux passer les frontières et la douane Afin de voyager plus en sécurité on cherchait à se joindre à un groupe. .. avec le désavantage d’attirer des malfaiteurs, et la difficulté de trouver assez de nourriture pour un grand nombre de personnes.

Les paroisses, les cloîtres et aussi des bourgeois pieux créaient des institutions d’aide tout au long des chemins. En Cotentin aussi des auberges et des hôpitaux étaient construits, et pour le péril le plus redouté :des cimetières. Il y avaient des « Hôtels Dieu » dans presque toutes les villes souvent gérés par une confrérie de « frères et sœurs », des laïcs qui faisaient don de leur personne et de leurs biens à l’hôpital. Il y avait des infirmiers qui savaient traiter les maladies : les pieds saignants, les « bains d’âme » (èpucer), la fièvre et aussi les maladies vénériennes. Certains jours de l’année le magistrat offrait des repas gratuits aux pauvres, et il y avait toujours des citoyens généreux qui donnaient des sous aux pèlerins mendiants.

Malgré tout la vie en pèlerinage était très dure pour les pauvres. Le récit de Margery Kempe, une femme anglaises, donne une illustration très pittoresque du pèlerinage au XVe siècle. Après avoir annoncé son départ en public (afin que personne n’aie de droits contre elle), elle prit congés et se mit en quête d’un bateau pour la France. Elle n’en trouva pas pendant des semaines. « She went about from port to port and got on no faster. » Enfin arrivée en France, elle rencontre un homme qui la menace : « Then said the worshipful doctor to her, ‘Woman, what do you in this country ?’ ‘Sir, I come on pilgrimage to offer here …’ Then said he again ‘Have you a husband ?’ She said ‘Yes.’ ‘Have you any letter of record ?’ ‘Sir’ she said,’my husband gave me leave with his own mouth. Why do you this with me, more than you have done with other pilgrims that are here, which have no letter any more than I have ?’

Parce que les femmes, les enfants et les domestiques n’avaient pas le droit de partir sans la permission de leurs maîtres. Et bien sûr une femme sans mari était une femme sans protection. Comme Margery raconte : « When she came there, she saw a company of poor folk. Then she went to one of them asking whether they were purposed to go. He said, ‘To Aachen.’ She prayed him that he would suffer her to go in their company. ‘Why, dame,’he said, ‘has thou no man to go with thee ?’ ‘No’, she said, ‘my man is gone from me.’ So she was received into a company of poor folk, and when they came to any town, she bought her meat and her fellowship went on begging. When they were outside towns, her fellowship took of their clothes and, sitting naked, picked themselves (of lice). Need compelled her to stay with them and prolong her journey and be put to much more expense than she would have been otherwise … »

Peu après elle rencontre un moine d’Angleterre qui est très gentil, et avec lui elle regarde « our Lady’s smock and other holy relics which were shown on St. Margaret’s day. » Car les reliques n’étaient accessibles que pendant les jubilés et les jours de fête ou de saints. Le moine part pour aller à Rome, et Margery trouve une dame anglaise, « a widow with many people with her », qui est très gentille « and had her eat and drink with her and made her right good cheer. » Mais la veuve ne veut pas que Margery l’accompagne. Mais il y a des pèlerins anglais venant de Rome et rentrant en Angleterre. « She prayed them that she might go with them, and they said shortly that they would not delay their journey for her, for they had been robbed and had but little money to bring them home, whrerefor they must needs make a sharper journey. And therefore if she could bear to go as fast as they, she should be welcome and otherwise not. » Margery a de la peine de marcher assez vite, et la journée est longue et dure. «Then they went to their meat and made merry. The said creature looked a little to one side of her and saw a man lying and resting on a bench-end. She enquired what man that was. They said it was a friar, one of their fellowship. ‘Why eateth he not with you ?’ ‘Because we were robbed as well as he, and therefore each man must help himself as well as he may.’ ‘Well’, said she, ‘he shall have part of such good as God sendeth me.’ She trusted well that our Lord should ordain for them both as was needful for them. She gave him food and drink and comforted him very much. Then they all went forward together. Soon the said creature fell behind ; she was too old and too weak to keep up with them. She ran and leapt as fast as she might till her strength failed. Then she spoke with the poor friar whom she had cheered before, offering to meet his costs until he came to Calais, if he would stay with her and let her go with him … » L’autre est d’accord. A la fin de la journée - parce qu’il a très soif – il dit : « I know this country well enough, for I have oft-times gone this way to Rome, and I know that there is a place of refreshment a little hence. Let us go thither and drink.’ She was well pleased and followed him When they came there, the goodwife of the house, having compassion of the creature’s labour, counselled that she should take a wagon with other pilgrims and not go thus with a man alone. » Margery a de la chance et obtiens une place et peut continuer son voyage plus tranquillement et plus confortablement.

Ces mémoires d’une femme simple, toute seule et avec très peu de moyens, donne une idée des difficultés de pèlerinage. Même quand on ne comprend pas toutes les raisons qui ont poussé les chrétiens de cette époque, on ressent beaucoup de respect en face de leur foi.

Le dernier chapitre du pèlerinage européen se déroula sous le signe des indulgences. Le commerce des reliques et la béatification des saints étaient devenus une source d’argent importante pour Rome et l’église catholique. Les fidèles vivaient dans la peur de la damnation, et ils étaient prêts à payer n’importe quoi pour sauver leurs âmes. Aller en pèlerinage pouvait éviter des années de purgatoire. Comme Margery Kempe a fait son pèlerinage « …for to purchase grace, mercy and forgiveness for herself, for all her friends, for all her enemies and for all souls in Purgatory. » On pouvait même faire son testament et laisser de l’argent à quelqu’un qui faisait le pèlerinage àvotre place. Ou on donnait juste l’argent et achetait l’indulgence sans faire un déplacement dangereux et pénible.

Or les gens plus cultivés prenaient le pèlerinage comme prétexte de faire le « grand tour » en Europe. Il existe l’itinéraire d’un Allemand noble, qui voyageait au Mont-Saint-Michel en 1471, et après en Palestine et à Rome. Cet Arnold von Harff raconte ses aventures sans un intérêt religieux ; il s’intéresse seulement aux pays étrangers et aux attractions touristiques, il est curieux des gens et des langues et il se vante d’avoir rencontré des gens importants. Il parle d’une invitation chez le pape à Rome, ou il boit du thé avec la fille du pape, une dame « divorcée, mais très charmante ».

Peu à peu les pèlerinages devinrent un spectacle indigne et une farce dépourvue de profondeur théologique. C’est la réforme qui met une fin aux grands pèlerinages. Pourtant aujourd’hui la tradition est revitalisée par les offices de tourisme et les agences de voyage qui organisent les tours au Mont-Saint-Michel ou à Saint Jacques de Compostelle, parce qu’il y a toujours des gens qui ont le besoin de réfléchir et de méditer en marchant.


Bibliographie :
Chemins et pèlerins, ed. Association du Mont-Saint-Michel

Itinéraires de Pèlerins – Les Chemins aux Anglais, ed. Association du Mont-Saint-Michel

Les Pèlerinages au Moyen Age, de Denise Péricard-Méa

Les Saints qui guérissent en Normandie, de Hippolyte Gancel

Pilgrims and Pilgrimage in the Medieval West, de Diana Webb

Reisebeschreibung des Arnold von Harff, sur l’internet.

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