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INTERVENTION DE M. JEAN-PIERRE LECOQ Maire du 6ème arrondissement de Paris Je souhaite simplement vous donner le témoignage d’un élu de terrain (depuis trois décennies) qui a eu la chance d’avoir des enfants, lesquels ont fait des études brillantes et sont maintenant dans la vie active. J’ai donc vécu, comme tant de françaises et de français, l’évolution du système éducatif, un système qui est servi par des personnels admirables. Mais nous sommes français, nous sommes gaulois, donc nous sommes critiques par définition. La somme des critiques que subit le système éducatif depuis une quarantaine d’années est vertigineuse ; elle accompagne presque proportionnellement la croissance et la sophistication de l’enseignement. Nous vivons une massification formidable ; ainsi, le nombre de bacheliers a été multiplié par 3 ou 4. Face à cela, il faut être d’un pragmatisme absolu et je pense (au risque de blesser certains) que la grande erreur qui a été commise au cours des dernières années, c’est d’avoir laissé trop de place au pédagogisme. On a par exemple concentré en cours préparatoire tous les enseignements de base. Il faut au cours d’une seule année de CP apprendre à maîtriser la lecture, maîtriser l’écriture et maîtriser le calcul. Evidemment, pour les nombreux élèves qui n’ont pas acquis ces maîtrises, il est prévu un rattrapage dans les classes ultérieures. Mais en réalité on s’aperçoit qu’environ 20 à 30 % des élèves qui arrivent au collège ne maîtrisent pas les enseignements fondamentaux. Il y a donc un problème de base qui n’a pas diminué au cours des dernières années et qu’il est très important de traiter. On ne peut pas se satisfaire d’un système qui, avec le premier budget de la nation, produit de plus en plus de décrocheurs. Que faire face à cela ? Il faut avoir le courage de briser un certain nombre de totems. On ne peut pas mener tous les élèves au baccalauréat, sauf à assister à ce qui se passe, c’est-à-dire une baisse dramatique de son niveau. La sélection se fait ensuite, dans les études supérieures. Vous avez des générations, des dizaines ou des centaines de milliers d’étudiants qui sont fauchés lors des deux premières années d’université. Fauchés comme les soldats de 1914 au pantalon garance l’étaient par les mitrailleuses allemandes (si vous me permettez cette comparaison) ! Apparemment, ça ne gêne personne… ou plutôt si ; on a entendu récemment un jeune ministre de l’éducation nationale que l’on sommait de réagir sur ce sujet, dire : « Faisons moins de sélection en mastère pour que les étudiants de deuxième année puissent continuer le plus loin possible. » Pourtant, nous avons dans notre pays un grand nombre de filières (par exemple des filières commerciales ou des filières professionnelles) qui sont payantes, qui exigent que les familles déboursent des sommes considérables pour que leurs jeunes puissent devenir cadre commercial diplômé ou suivre tout simplement une filière professionnelle. J’appelle votre attention sur ce sujet, qui apparemment n’intéresse personne, à moins qu’on ait décidé, depuis des années, de le couvrir d’un voile pudique. Mais des centaines de milliers de jeunes françaises et de jeunes français sont directement concernés par ce problème. Autrement dit, on se focalise sur les filières de sciences humaines de l’université, vers lesquelles des cohortes de bacheliers se dirigent, mais il y a tout le reste ! Même si on a fait des progrès en matière d’enseignement supérieur au cours des dernières années, il nous reste à traiter ce problème fondamental qui est de savoir si on oriente davantage ou pas les élèves dans certaines filières, de sciences sociales ou pas. Doit-on créer des numerus clausus comme il en existe en médecine (domaine où le numerus clausus a été géré de manière beaucoup trop limitative, de telle sorte que maintenant on manque de médecins dans certaines spécialités !). Cet exemple montre que tout système doit être suivi, évalué et si besoin réformé. Et il y a le cas des filières professionnelles ! Entre l’élémentaire et l’université, nous avons bien sûr le tronc commun des collèges et des lycées. L’autre totem qu’il faut remettre en cause, c’est peut-être celui du collège unique, qui ne peut pas absorber la diversité qui est la nôtre : à la fois des élèves venant de catégories sociales favorisées ou considérées comme telles et des élèves venant d’un très grand nombre de pays étrangers, notamment des primo arrivants dont quelquefois les parents ne parlent même pas français. Je pense par exemple aux très nombreux Chinois Wenzhou qui arrivent en France sans parler notre langue. Les enfants, eux, arrivent à parler français ; mais dans la difficulté des études secondaires ou supérieures, ils ne peuvent pas bénéficier de l’appui familial qu’apportent d’autres catégories socio-professionnelles. C’est cet ensemble de problèmes que nous aurons à régler au cours des prochaines années. Je pense que nous avons perdu dix ans ; c’est à la fois court (à l’échelle d’une vie) et long (puisque ça touche plusieurs générations d’élèves et d’enfants). La droite n’a pas voulu réformer parce qu’elle avait peur des réactions du monde enseignant et la gauche ne l’a pas fait non plus parce que la plupart des députés socialistes sont eux-mêmes issus du monde de l’enseignement (et ce sont très fréquemment d’anciens principaux de collège) ; Ils ne sont pas les mieux placés pour conduire objectivement des réformes qui, en grand partie, les toucheraient. Vu l’urgence de la situation et l’intérêt national, il faut qu’il y ait maintenant une véritable réforme, qui ne pourra pas se faire sans impliquer à la fois les enseignants et les familles et aussi les élèves, collégiens et lycéens eux-mêmes, dont on peut constater que l’ouverture politique est de plus en plus précoce. J’ai une certaine nostalgie des débats et des dialogues qui avaient été instaurés par Luc Ferry il y a quelques années et qui avaient permis d’échanger des idées tout-à-fait intéressantes, d’écouter des acteurs de terrain, d’écouter des paroles d’élèves, de parents, d’enseignants, et je pense qu’on peut en tirer beaucoup de choses. Je souhaite que l’on reprenne une telle démarche, sur laquelle tout le monde peut être d’accord. Il faut redonner la parole aux acteurs du monde de l’éducation et ne pas laisser le monopole à des spécialistes qui sont souvent des personnalités d’une intelligence extrême mais qui n’embrassent pas nécessairement la totalité du problème. A mon avis, les pires spécialistes sont les experts en économie ; ils ne prévoient rien mais, à l’instar des commentateurs du tiercé, ils sont en général très forts pour commenter des événements qui se sont déjà produits. Ces réformes nécessaires ne seront pas faciles à mettre en œuvre car les lobbies ne manqueront pas de se manifester. Mais, au-delà de ces lobbies, au-delà des syndicats, il est indispensable de privilégier l’intérêt général. L’enseignement dominant en France était l’enseignement de l’homme éclairé, de l’intellectuel, avec une culture de fond qui permettait ensuite de s’adapter à un assez large éventail de situations. Mais cette voie ne peut et ne doit être proposée qu’à une petite minorité de personnes. Il faut adapter les enseignements et les méthodes à ce dont les jeunes ont le plus besoin, compte tenu évidemment des réalités du monde de l’entreprise et surtout du besoin de maîtriser leur propre langue. Il y a une proportion importante de jeunes français qui ne parlent pas correctement le français ; il en résulte inéluctablement des difficultés d’intégration dans leur propre pays, difficultés qui renvoient à des problèmes autres que ceux abordés dans notre présent colloque. La maîtrise de la langue, c’est à mon avis l’essentiel de ce qu’il faut acquérir dès le plus jeune âge. CONCLUSION DE M. EMILE H. MALET Directeur de la revue Passages et de l’association ADAPes Je voudrais d’abord remercier particulièrement le maire du 6ème arrondissement de nous avoir reçus ici, ainsi que la cellule événementielle de cette mairie qui nous a permis de travailler dans les meilleures conditions. Mes remerciements vont aussi au secrétariat de Passages / ADAPes, dont le travail important a permis la réalisation concrète de ce forum. Je tiens à remercier aussi tous les intervenants, ceux du groupe Passages / ADAPes, ceux du Comité Freud et tous ceux qui nous ont rejoints. Il s’agissait, il est vrai, d’un colloque plein de gravité. Car il y a un malaise très fort dont la profondeur a été confirmée au cours de ces deux journées. Mais, une fois ce diagnostic résumé, il faut discerner une lueur d’espérance. Il y a une métaphore avec laquelle je conclurai, une métaphore autour de l’énergie et de l’éducation. Notre pays dispose de beaucoup d’énergie à travers le nucléaire, mais c’est une énergie très contestée, parce qu’elle n’est pas « bienpensante » ; notre pays, par contre, ne dispose pas de ressources classiques comme le pétrole ou le gaz, ce qui le met un peu à mal dans la communauté internationale. Je pense qu’au niveau de l’éducation nous avons un phénomène comparable. Nous avons le côté brillant, le côté existant, qui fonctionne, qui donne des résultats, des Prix Nobel, des médailles Fields ; nous avons les grandes écoles et des réussites, tant dans l’école publique que dans l’école privée. Mais malheureusement, dans beaucoup de domaines, ça ne marche pas ; il y a environ 25 % d’élèves qui sont en dehors du circuit ; il y a une proportion encore beaucoup plus importante de professeurs qui sont mécontents. On se retrouve devant ces deux dimensions : ça marche et ça ne marche pas ! A ce sujet, je ne peux pas citer toutes les interventions faites au cours de ce colloque et je me limiterai à quelques traits :
Tout cela est extrêmement compliqué. Mais, sur l’énergie, la France n’arrivera pas seule à avoir une politique énergétique. Sur l’éducation aussi, il faut se tourner vers l’Europe. Il ne faut pas rester dans l’éducation nationale, nonobstant le titre de ce colloque. Il faut que cette éducation soit en reflet avec notre excellence qui vient des Lumières, comme le meilleur de l’Europe. Et cette excellence-là, il ne faut surtout pas la jeter ; il faut la garder et la féconder, la féconder avec les apports de l’autre. Ainsi, je conclurai comme j’ai commencé. Il faut sortir de la schizophrénie ambiante. Ce n’est pas le débat entre l’écrit et le virtuel, ce n’est pas le débat entre la laïcité et le religieux, ce n’est pas le débat entre les humanités et l’informatique. Je crois qu’il nous faut trouver des entre-deux pour permettre à la fois de garder ce qui, dans notre patrimoine, a donné l’excellence, et de se pencher sur les problèmes éducatifs d’aujourd’hui. Notre apport le plus solide, c’est la culture et la culture comporte des limites. Il est vrai –et tous les grands penseurs le disent– que dans la culture il y a des interdits, mais il y a aussi des satisfactions. Et il faut permettre que l’éducation soit un outil de responsabilité, depuis la maternelle (peut-être avant) jusqu’au quatrième âge. |