L’Education nationale : que faire ?








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INTERVENTION DE M. HUBERT COUDURIER

Directeur de l’information, Le Télégramme
Je n’ai pas une grande légitimité, en tant que journaliste, pour intervenir dans notre débat. Mais je considère que la psychanalyse, à laquelle je me suis un peu adonné, constitue pour les journalistes une nouvelle frontière à franchir car elle permet d’aller au-delà des apparences et de traverser le miroir. Je voudrais parler des médias et de l’éducation. Je ne suis pas un spécialiste de la matière et ma seule légitimité, c’est peut-être le fait que la Bretagne est une terre d’excellence au plan éducatif, particulièrement le Finistère d’où je viens, cette pointe de la terre qui est la fin de tout, mais qui est aussi un nouveau commencement.
La rubrique éducation est en général celle que l’on confie aux journalistes qui débutent dans un journal et qui, avec l'ardeur des néophytes, n'hésitent pas à bousculer les tabous au prix parfois de grandes approximations. Mais, bien sûr, il y a ensuite un petit club de journalistes chenus blanchis sous le harnais qui maîtrisent parfaitement leur domaine. Peut-être manquent-ils parfois de recul et d’audace, mais ils sont capables de vulgariser des problématiques complexes et, à ce titre, ils jouent, comme les enseignants, un rôle de passeurs… Cependant les questions d’éducation, en France, sont le plus souvent traitées sous un angle politique. Je vous donnerai un seul exemple : La suppression des classes bilangues a failli créer un incident diplomatique entre la France et l’Allemagne et c’est Jean-Marc Ayrault qui a dû gérer cette difficulté car les Allemands étaient très marris de cette décision.
Même si on est généraliste, il n’est pas inutile de connaître ce dont on parle, étant entendu que, le nez sur la vitre, nous collons à l’événement au quotidien. Alors revenons un peu aux années 70, où des hommes comme René Haby ou Joseph Fontanet ont essayé d’impulser de vraies réformes, osant véritablement affronter le réel, pour reprendre l’expression de Daniel Sibony. Le champ était très large, de l’ouverture à travers le collège unique à la volonté de promouvoir l’enseignement technique ; nous étions dans la période des trente glorieuses et les besoins des entreprises soulevaient un problème de formation considérable. Ces hommes de droite ont joué un rôle très important et la dynamique de leurs réformes a d’ailleurs été reprise par la gauche jusqu’à l’expérience d’Alain Savary qui, au début de la présidence de François Mitterrand, est tombé sous les coups du SNES, des francs-maçons et des écoles catholiques. On peut d’ailleurs se demander aujourd’hui si une application de la loi Savary n’aurait pas rendu service à certaines écoles qui sont en grande difficulté. Cette manifestation théologique en faveur de l’école privée a eu finalement un effet contre-productif. Elle annonçait le retour de la droite en 1986 et surtout le statu quo en matière éducative pendant la première cohabitation, marquant ainsi le début de la paralysie de l’action publique en France.
Aujourd’hui, on peut parler d’un jeu de rôles entre la gauche et la droite en matière éducative. La gauche reste prisonnière des syndicats ; mais il n’y a pas qu’elle : on se souvient que François Bayrou avait décidé de donner au SNES ce qu’il voulait pour ne pas hypothéquer sa carrière politique. La gauche est aussi prisonnière de son manque d’idées ; elle a cessé de réfléchir depuis longtemps. On le perçoit de façon cruelle dans la présidence actuelle : on peut avoir le sentiment que la gauche, pendant les dix années où la droite gouvernait, n’a pas réfléchi à l’évolution du monde et à la mondialisation. La droite, elle, favorise la compétition et l’élitisme ; elle méprise les syndicats dont elle considère qu’ils la bloquent. Je me souviens d’un dîner avec Xavier Darcos qui parlait de ses rencontres avec les syndicats comme d’un dîner de cons. Sans accabler les syndicats, il faut bien constater que leur démarche manque parfois de logique. Ainsi le SNES s’est opposé à la semaine de quatre jours proposée par Nicolas Sarkozy et ensuite, quand la gauche a proposé de faire marche arrière lors de la réforme des rythmes scolaires, il s’est opposé à nouveau.
En fait, nous avons un système dual, qui fonctionne pour 50% des élèves et qui ne fonctionne pas pour les autres ; 25% sont en situation de décrochage et sortent de l’école sans qualification. Ce décrochage accru, que le système et la société n’arrivent pas à récupérer, a des effets délétères, comme on peut l’observer en ce moment à travers les manifs sur la loi El Khomri. Nous sommes dans un système bloqué qui nous tétanise, alors que nos voisins réagissent. On parle souvent de l’exemplarité des sociétés socio-démocrates du Nord, des Scandinaves ou de l’exemple canadien qui est assez édifiant. Plus proches de nous, les Allemands ont commencé à réagir il y a six ou sept ans au vu de l’étude PISA et les Anglais, depuis un peu plus longtemps (une décennie), ont obtenu de très bons résultats : audit des établissements, obligations de service pour les enseignants… Etienne Gernelle, dans Le Point, citait la semaine dernière l’exemple des free schools mises en place par des communautés locales qui viennent pallier la défaillance de l’Etat et qui obtiennent souvent des résultats assez spectaculaires. C’était l’un des points forts du projet de David Cameron concernant la réforme du secondaire. Evidemment, louer la réussite britannique n’est pas politiquement correct ! En France, nous restons prisonniers de l’idéologie et d’un certain passéisme nostalgique en faveur des hussards noirs de la République ; il y a beaucoup de débats théoriques, souvent sans intérêt et avec peu de concret.
J’en reviens aux médias. J’estime que nous avons une presse écrite de qualité, qui enquête réellement. Mais ce n’est pas le cas des télévisions, encore moins des chaînes d’information qui travaillent en boucle sur la rumeur et les idées reçues. Pourtant ce sont elles qui fixent l’agenda médiatique. Concernant ces idées reçues, je citerai un seul exemple : le bac serait devenu trop facile par rapport à ce qu’il était pour les générations précédentes. On oublie que, dans les années 60, 90% des gens n’arrivaient pas au bac, alors qu’’aujourd’hui c’est 60% des jeunes qui l’obtiennent (dans les bonnes années). Nous ne sommes pas encore aux 80% que prônait Jean-Pierre Chevènement, mais c’est néanmoins un bond énorme, une massification de l’enseignement qui a changé radicalement les données du problème. On ne peut pas toujours se contenter de simplifier à l’extrême et de regarder l’avenir avec l’œil du passé.
Dans un exercice d’autosatisfaction assez peu glorieux, à travers une opération de communication qui était dédiée à la reconquête de l’opinion, François Hollande a organisé deux journées sur la refondation de l’école. Or il n’a été question pendant ces deux jours que de mesures techniques et du rappel de l’engagement financier qui a été consenti pour le quinquennat : la prime annuelle des professeurs des écoles passant de 400 à 1200 €, alignée sur celle des professeurs du second degré. La gauche, en réalité, a un logiciel de pensée qui est fondé sur la redistribution ; mais, quand il n’y a plus rien à redistribuer, il est difficile pour elle d’inventer des nouveaux concepts et de savoir comment gouverner. Le problème de la gauche, c’est peut-être d’être arrivée un peu tard au pouvoir. Elle se serait épanouie davantage au cours des trente glorieuses.  On peut évoquer les 60 000 postes d’enseignants qui ont été promis. C’est sans doute une mauvaise réponse à une bonne question : la réalité, c’est qu’on crée des postes d’enseignants, mais on ne sait pas pour quoi faire. Or il est évident (et Daniel Sibony en a parlé de façon brillante) que, dans les collèges très difficiles, dans les banlieues, il faut changer complètement les méthodes d’enseignement. Notre manière d’enseigner des programmes figés dogmatiques est totalement inadaptée ; toutes les personnes qui se dévouent sur le terrain de manière admirable, avec beaucoup de foi, et qui souffrent le comprendront. Ils osent, quoi qu’on dise, même il leur arrive de pleurer, affronter un réel qui est difficile et qui leur éclate à la figure.
Comment malgré tout inciter les enseignants à réviser leurs méthodes de travail ? Il y a dans le corps éducatif un certain nombre de dogmes, de postures qui sont fixés par l’idéologie et qu’il est difficile de faire évoluer. Mais il faut bien reconnaître qu’on ne leur donne aucune direction. L’Etat ne sait pas gérer sa fonction publique. Comment enseigner différemment ? Il faudrait tout revoir, mais l’imagination n’est pas au pouvoir. Au cours des dernières années, le seul qui ait eu un peu d’imagination et d’intelligence, c’était Vincent Peillon, mais certaines maladresses à la Villepin et un refus de communiquer ont fini par le condamner : aujourd’hui, on ne gouverne plus, on communique ; si vous ne communiquez pas, vous n’existez pas ! Ensuite, nous avons eu un ministre fugace, Benoît Hamon, que je connais car il est originaire de Brest. Ce n’était pas l’homme de la situation mais, par calcul politicien du Président, il équilibrait les courants du PS au sein du gouvernement. Quoi qu’il en soit, il est resté trop peu de temps pour jouer un rôle significatif. Nous avons maintenant Najat Vallaud-Belkacem dont la nomination a été perçue comme une insulte par beaucoup d’enseignants, compte tenu de son inculture ; elle incarne aussi à leurs yeux cette propension à la communication permanente dans la culture qui constitue peut-être une des caractéristiques de notre époque.

INTERVENTION DE M. BERNARD CHERVET

Ancien président de la Société psychanalytique de Paris, psychanalyste
Les voies (x) de l’autorité
Je crains de décevoir ceux qui attendent que je propose des solutions concrètes dans un domaine qui n’est pas le mien. Concernant l’ennui évoqué par Daniel Sibony, ajoutons que l’étymologie de l’ennui est la haine, ce qui ouvre une piste de travail, sans que nous puissions être certains de trouver une solution concrète. Dans mon intervention, j’insisterai justement sur la haine, point qui concerne tout particulièrement l’autorité et sa valeur psychique.

Nous pourrions affirmer sans ambages que les psychanalystes n’ont aucune autorité pour parler de l’éducation. Du point de vue de leurs méthodes respectives, éduquer et psychanalyser semblent en effet s’opposer point par point. Essayons néanmoins de trouver au-delà de leurs différences ce qui peut réunir les deux disciplines. La règle fondamentale qui régit l’ensemble d’une cure psychanalytique, le tout dire de séance, inverse radicalement les préceptes de l’éducation, voire même son principe. Là où l’éducation réclame de penser avant de parler, de tenir sa langue, de la tourner sept fois dans sa bouche, la psychanalyse exige l’inverse, de laisser la parole suivre son cours spontanément, sans être régulée par une réflexivité accomplie au nom de valeurs éducatives, pédagogiques ou morales.
La précession se trouve donc inversée, et les visées de l’éducation, ce qui définit quelqu’un d’éduqué, de bien élevé, par exemple la prise en compte de l’autre, l’utilisation des codes relationnels locaux, les modulations de la vie sociale par la politesse, le respect et la diplomatie, n’ont pas lieu d’être dans la libre association. Là où la retenue est requise par l’éducation dans le but de soutenir une élaboration des motions pulsionnelles, de les mettre au service de la civilisation, la psychanalyse souhaite au contraire un acte mental très différent, régressif du point de vue de l’éducatif, laissant se dérouler une parole dite libre, libérée d’une part importante des contraintes du processus secondaire ; ce qui permet un travail sur les contraintes internes à la psyché, la cure ayant pour but de rendre plus efficients les process de la mentalisation, en particulier ceux des activités psychiques régressives de la passivité dont le prototype est le travail de rêve.
La psychanalyse impose de libérer les sens par rapport aux contraintes de ce qu’on appelle le processus secondaire ou processus intellectuel ; on peut alors effectuer un travail sur les contraintes internes de la psyché ; la cure a pour objectif de rendre beaucoup plus efficients les processus de la mentalisation (par opposition aux processus de l’apprentissage), en particulier la mentalisation des activités psychiques régressives comme le travail de rêve. Le but de la psychanalyse, c’est que ces espaces internes d’activité psychique se déploient et trouvent leur place, ce qui, par contrecoup (il faut bien le reconnaître, c’est là qu’il y a un point de contact), entraîne un effet sur la libération des possibilités d’éducation.
Sous cet angle, la règle fondamentale est anti-éducative, et elle est ressentie comme une consigne, un message, allant à l’encontre de ceux historiques, prodigués naguère par les parents et les maîtres. Du point de vue éducatif, le psychanalyste est un personnage suspect qui manque totalement de jugement. Ce qui n’est pas sans rencontrer une forte résonnance avec les tendances à la rébellion, telles qu’elles animent l’adolescence de tout un chacun. Nous savons la valence positive de cette rébellion eu égard aux identifications inconscientes aliénantes et aux limitations imposées par toute psychologie collective conjoncturelle. Bien sûr la pulsion peut être considérée comme inéducable ; et elle l’est. Toutefois, dans le meilleur des cas, elle participe à un conflit fondamental actif la vie durant au sein de la vie mentale, entre les aspirations à une satisfaction et les exigences de renoncement, ces dernières étant soutenues par le pôle éducatif qui cherche à établir de telles capacités de renoncement au service d’un idéal d’acquisition culturelle. L’éducation appelle l’inhibition quant au but, la désexualisation au service du labeur, voire la sublimation créatrice.
Eduquer doit donc reconnaître et prendre en compte cette conflictualité fondamentale indépassable ; et renoncer à tenter d’aboutir à une éradication des aspirations pulsionnelles, à leur répression au nom d’un quelconque idéal de culturation. De ce point de vue l’éducation a toujours été sage, puisqu’elle n’a jamais cessé d’inclure une oscillation entre labeur et récréation, et chacun garde présente à l’esprit l’éternelle question des vacances et des rythmes scolaires.

L’éducation participe ainsi à un objectif complexe, la fragile résolution de ce conflit fondamental par des oscillations entre les activités de civilisation et celles régressives diurnes dites de récréation laissant une place aux aspirations pulsionnelles, prélude à la future vie érotique. L’éducation sait que le mieux est l’ennemi du bien, qu’un excès de culturation s’accompagne peu ou prou à terme de la haine de la culture, de la haine du travail qu’elle requiert. Nous savons depuis longtemps quelles atrocités ce renversement peut déclencher, puisqu’il a les capacités de sortir de la conflictualité entre érotique et culture, que nous venons de décrire, au profit de la recherche d’une extinction du pôle culturel, ce but pouvant être poursuivi, paradoxe, au nom même d’une culture idéalisée. La quête du mieux génère alors l’atroce.

Dans le contexte d’une telle conflictualité indépassable, l’aporie pour l’éducation est de ne pouvoir offrir qu’un modèle groupal butant obligatoirement sur les oscillations singulières, variables et instables, d’un individu. L’existence des préliminaires dans la vie sexuelle témoigne de l’implication d’un tel jeu oscillatoire, régressif et subtil qui consiste à mettre les acquis éducatifs progressivement en latence au profit de la sexualité ; c’est très différent des logiques de la crudité et de la cruauté, qui voudraient purement et simplement se débarrasser de l’éducatif. Dès lors le meurtre rôde, sinon trône.
Le principe de la cure, tel qu’évoqué par la règle fondamentale, privilégie la parole aux actes, exige en fait que l’agir du transfert soit inscrit dans le dire, dans la verbalisation et son style, qu’il soit un acte de mentalisation. Le transfert est un acte mental faste et prometteur, ouvert sur les potentialités d’avenir, mu par les propensions de la psyché à se déployer, à grandir, comme nous le dirions pour l’enfant en pleine croissance. L’existence du transfert nous apprend que toute croissance se fait par le détour d’un autre qui est appréhendé, à tort ou à raison, comme ayant des capacités mentales enviables, favorables aux aspirations d’acquisition et de progression d’un sujet. Ce transfert, nous pouvons le qualifier de transfert d’autorité, au sens où une autorité est octroyée à un autre et permet la construction d’une identification au service de certaines acquisitions. Il s’accompagne d’un transfert de l’historicité, qui est la réminiscence agie des solutions psychiques historiques élaborées auprès des supports identificatoires de l’enfance, les parents bien sûr, mais aussi tous les autres maîtres en éducation.
Tout à l’heure, nous avons parlé de défaussement, Moralement, nous n’avons pas le droit de nous défausser de la responsabilité que les enfants ou les patients nous accordent. Ce sont eux (et non un quelconque statut) qui nous octroient cette autorité. L’autorité vient de l’autre, de celui qui en a besoin pour faire son cheminement de croissance et, face à ce détour venant des enfants, des élèves, la question essentielle pour l’enseignant, c’est de ne pas se défausser, quelles que puissent être les nombreuses raisons qui l’y poussent.
Cet idéal tout théorique d’un transfert d’autorité faste et promoteur, porteur de riches potentialités d’acquisition et d’avenir, se rencontre chez des patients éduqués et pour lesquels régresser en deçà de l’éducatif a une signification conflictuelle ; c’est l’objet d’un conflit interne, d’où un certain degré de résistance.

Malheureusement, la clinique n’est pas aussi schématique que la théorie. Nous rencontrons chez tout patient des logiques pulsionnelles ayant échappé à l’éducation et se révélant hors conflit de régression. Des points, que nous pourrions qualifier d’incorrections, apparaissent alors et échappent totalement au patient. Ce qui rejoint un propos de Freud qui, à trois reprises dans son œuvre, qualifiait la cure de post-éducation.
Cette dénomination qui rapproche éduquer et psychanalyser, a encore d’autres raisons d’être. Eduquer et psychanalyser participent par des voies très distinctes que nous venons de rappeler brièvement, à la construction et au développement du psychisme, à la mise en place des processus psychiques impliqués dans le travail mental. L’éducation participe à cette visée de façon indirecte. En exigeant une maturation des investissements tournés vers le monde et un enrichissement en acquisitions, elle fournit à la psyché, sans le savoir, des matériaux qui ne seront pas que des instruments du processus secondaire, mais seront dans le même temps utilisés par le psychisme pour réaliser ses missions régressives (jeux, rêveries, fantaisies, imaginaire, rêves). La psychanalyse, quant à elle, a pour but de développer les voies internes régressives, de telle façon que dans l’après-coup de ce travail psychique intime, les possibilités d’investissement des objets soient renforcées. Son effet éducatif relève de l’après-coup et non d’une mission première.
Si les chemins semblent opposés, la finalité, voire la cause dernière qui détermine ces deux disciplines, et qui subsume toutes leurs différences, la capacité d’investir le monde, les rapproche dans une visée humaniste commune. Dans les deux cas, il s’agit du même objectif, installer les capacités d’investir le monde ; pour éduquer, en soutenant le différemment et le renoncement ; pour psychanalyser, en exploitant le détour et l’enrichissement des voies régressives. Du fait de ce but partagé, et malgré leurs méthodes différentes, chacune de ces deux disciplines se doit de ne pas méconnaitre l’objet de l’autre. Tout forçage éducatif ne serait que vanité, et tout refuge dans le régressif consisterait à écrire dans l’eau.
Un autre point, qui mérite notre attention, rapproche et différencie éduquer et psychanalyser ; le transfert d’autorité. La croissance psychique repose sur lui ; par voie de conséquence, la demande d’analyse aussi, ainsi que le choix de l’analyste. Ensuite, ce transfert entretient tout au long de la cure un fond de confiance ambivalente accordée à l’analyste et à l’analyse. Les apprentissages reposent également sur un tel transfert, qu’il s’agisse des règles de socialisation, des instruments de la connaissance, mais aussi de l’émergence des valeurs morales.
Ce transfert d’autorité s’avère être la substantifique moelle d’où enseigner, éduquer et psychanalyser tirent leur pouvoir et leur efficience. Tous trois sont animés par un tel transfert, dans le sens où une autorité est conférée à un autre pour des raisons qui dépassent tous critères institutionnels, mais reposent sur le fait de reconnaître à cet autre une capacité, un savoir ; pour le psychanalyste, la capacité à guérir les souffrances psychiques par un fonctionnement mental estimé plus élaboré, et auquel le sujet espère accéder grâce à cet autre. L’approche psychanalytique permet d’anticiper la notion d’autorité exercée par un sujet, par celle d’autorité octroyée à un sujet par un autre sujet, qui devient de fait, l’auteur de l’autorité reconnue à cet autre.
Se dessine un véritable besoin précoce d’accorder une telle autorité à un autre qui doit l’endosser, et surtout ne pas se défausser devant cette responsabilité. Ceci situe l’autorité au-delà de tout modèle éducatif. Ce qui apparaît essentiel, c’est la recherche d’une autorité incarnée par une personne, dont les progrès à venir d’un sujet dépendent.
Le transfert d’autorité est au fondement des identifications indispensables aux acquisitions quelles qu’elles soient, psychiques, instrumentales, morales. Il permet la croissance, fonde le désir de grandir ; tel que nous l’apprend aussi l’étymologie du terme autorité, du latin auctoritas, de augerer, augmenter, c’est à dire réaliser un acte créateur, fondateur. On retrouve, émanant de la même racine, l’auteur (auctor), qui est celui qui fonde un acte, une parole. Tout cela a déjà fait couler beaucoup d’encre, et a été exploré par de nombreux penseurs à la suite de Socrate et de sa maïeutique, ainsi que Platon l’aborde dans son Théétète, Le dialogue sur la science, en passant par la célèbre parabole Soufi où un élève qui cherche un maître finit par le trouver, à la fin de sa vie, après un long cheminement d’identification ; ce cheminement ne consiste pas en une appropriation narcissique, mais bien plutôt en une désappropriation de son propre narcissisme, au profit de l’avènement en soi de ce qui est dénommé maître ; ou encore citer l’implacable dialectique hégélienne sur l’aliénation, jusqu’au principe de dissymétrie au fondement de toutes les méthodes initiatiques, psychanalyse comprise.
Selon cette valence positive, le transfert d’autorité semble favorable tant à éduquer qu’à psychanalyser. Toutefois rien n’est simple. Si nous ajoutons gouverner à éduquer et psychanalyser, se présente la notion d’impossible, avec le célèbre trio des trois métiers impossibles, cet impossible qui tient justement au rapport à l’autorité, du fait de la haine qui l’accompagne. La pratique analytique nous familiarise avec l’ambivalence envers l’autorité, qui s’accompagne d’un infantile, la moquerie ; et parfois au-delà, l’arrogance, le défi, la désinvolture, l’agression etc.
Qui, enfant, ne s’est pas moqué du sérieux de ces adultes qui se prennent tellement au sérieux ? L’enjeu est d’importance. Il s’agit de faire disparaître les exigences internes en détrônant l’objet du transfert d’autorité. Le contre-transfert est alors mis à rude épreuve. Là, les notions de travail et d’autorité se corrèlent. Elles sont attaquées parce qu’elles convoquent le renoncement, la douleur, le masochisme lié aux efforts à fournir ; en arrière fond se retrouve même l’idée de torture. Se dresse dès lors une farouche opposition cherchant à renverser cette exigence de travail. L’autorité est alors à abattre. Elle est la cible d’un meurtre. Nous apercevons ici la difficulté à assumer ledit transfert d’autorité. Si dans un premier temps l’élu de ce transfert est valorisé, le revers meurtrier se présente rapidement. S’ensuit la tentation de se défausser, de glisser vers une relation fraternelle symétrique, vers la démagogie, voire même vers la démission ou le recours à un autoritarisme sans issue.
Celui qui incarne l’autorité est obligatoirement objet de haine. Celle-ci s’exprime de façon banale par les moqueries qui doublent le respect. Les cours de récréation sont le vivier des futurs chansonniers, caricaturistes et parodistes ; les journaux satiriques exploitent cette veine. Le plaisir infantile d’imaginer la chute de l’autorité restera à jamais irrésistible. Mais ce qui est beaucoup plus délicat à affronter c’est la dérision, d’autant plus quand elle utilise pour s’exprimer nos humaines faiblesses ; personne n’est parfait. Les psychanalystes le savent bien. Leur discipline est souvent la cible d’une telle dérision, sans tendresse. Il est alors parfois nécessaire de nous rappeler cette phrase de La peau de chagrin de Honoré de Balzac : “Un homme n’est bien fort que quand il s'avoue ses faiblesses.”
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