L’Education nationale : que faire ?








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Claude LIEVENS

SESSION 3 : LE DEVELOPPEMENT DES ETUDES SCIENTIFIQUES  


INTERVENTION DE MADAME JULIA KRISTEVA

Psychanalyste, Ecrivain
Refonder l’humanisme par l’éducation
Un quotidien du soir nous annonçait récemment que la gauche (mais peut-être pas seulement elle) se déchire en France entre, d’une part, les ultralaïcs, républicains identitaires, et, de l’autre, le multiculturalisme démocrate, partisan d’une laïcité ouverte.
Si mon réflexe immédiat me porte vers ceux qui considèrent que l’égalité homme-femme n’est pas négociable et si je redoute la complaisance avec le religieux chez ceux qui craignent l’islamophobie de peur de « mettre le feu à nos quartiers », je constate avec regret que chacun de ces deux clans professe des idéologies qui ne sont pas à la mesure des crises. Des crises qui frappent aussi bien le politique que l’humanisme, et qui nous placent devant deux enjeux historiques : ouvrir le continent religieux, et reprendre le combat pour nos valeurs. Je m’explique.
Idéologues et chercheurs
Les carnages à Charlie Hebdo, à l’Hyper casher et au Bataclan et plus généralement la séduction qu’exerce le gansgtéro-intégrisme témoignent que les idées héritées des Lumières sont devenues des schémas, elles ne sont pas vraiment intégrées. En se contentant de cibler à juste titre les abus de l’obscurantisme, nous avons réduit les religions à une archaïque survivance. Ce faisant, nous avons renvoyé l’expérience intérieure à l’histoire de l’art ou plutôt au marché, quand ce n’est pas –plus rarement– chez les psys. Un colossal travail nous attend : remonter la longue marche de l’esprit laïc en Europe, bien au-delà de la Révolution française et de la guillotine.
La séparation du politique et du religieux nous évite, heureusement, maints abus théocratiques, et l’Etat de droit se charge de garantir les droits des hommes et des femmes. Appuyé sur le juridique, le politique a cru pouvoir résorber le théologique. Mais la raison politique et sa ferveur ont dégénéré dans le totalitarisme, et l’idéologie politique qui lui succède au XXIème siècle est réduite à gérer le surendettement endémique, la misère des exclus et parfois la vulnérabilité. On a oublié que le devoir de mémoire nécessite en priorité une réévaluation de la mémoire religieuse. Mais aussi et plus impérativement encore, il nous oblige à reprendre des idées des Lumières dans les textes et les épreuves des hommes et des femmes qui les ont portées. Et à les incarner, au lieu de les faire apprendre ou de les communiquer comme des valeurs.
Les embarras du politique et le démantèlement du théologico-politique par les Lumières ouvrent un boulevard aux idéologies et, depuis, aux intellectuels promus au rang d’idéologues : puissant héritage du XIXème siècle, ersatz du religieux, avec ses courants traditionalistes, libéraux, nationalistes, socialistes, de Joseph de Maistre à Karl Marx, enfin communistes. Ils se disputent les misères et les promesses du prêt-à-porter politique (droite, gauche, centre, divers extrêmes). Nécessaires, peu crédibles, soumis à la com’ hyperconnectée, les idéologues flattent une opinion publique frustrée, qui préfère la prophétie malheureuse et le populisme de souche à la sèche synthèse des gestionnaires sans lendemain. De droite ou de gauche ? Les escarmouches idéologiques offrent à la courbe du chômage une psychothérapie de groupe, en attente de plus de lucidité et de quelques solutions.

Mais les Lumières ont fait naître aussi des audaces philosophiques et cet essor encyclopédiste des sciences dont nous sommes aussi les héritiers. Jamais le champ du savoir n’a été aussi ouvert que dans notre époque hyperconnectée, interculturelle et interdisciplinaire. Vous voyez, je reste une pessimiste énergique. Des chercheurs, en retrait des médias et rétifs aux idéologies, essaient de déplacer sur l’actuel leurs travaux, et explicitent les logiques de l’intime et du social, des crises et des utopies. Moi-même, en faisant de la psychanalyse, de la linguistique, de la philosophie… autrement, je me place sur cette crête où dire c’est faire.
Je dis psychanalyse et je prétends qu’elle occupe une place spécifique, à mes yeux décisive, dans ce continent des sciences de l’homme, de la société et de la nature, qui a surgi de la décomposition de l’ontothéologie ; mais la psychanalyse est aussi indispensable à la reconstruction de l’humain dans la crise existentielle en cours. D’où le projet du Comité Freud d’inscrire l’œuvre de Freud dans la Mémoire du monde, constituée par l’Unesco. Pourquoi ?
Contrairement aux idéologies, les sciences humaines n’ont ni sous-estimé ni surévalué le sacré ou le religieux. De Marcel Mauss interrogeant le sacrifice à Lévi-Strauss élucidant les mythes et les structures de la parenté, l’anthropologie, la sociologie, l’éthologie etc. n’ont cessé de problématiser l’Homo sapiens comme un Homo religiosus. Mais seule la révolution copernicienne de Freud permet de nous adresser aux logiques intimes qui opèrent dans l’expérience religieuse et de les transvaluer.
Que nous dit la théorie de l’inconscient ? Freud n’a pas découvert que tous les hommes sont des bébés : les mères le savaient déjà. Il n’était pas le premier à savoir que le désir est un désir à mort, fusion/dé-fusion d’Eros et de Thanatos : le marquis de Sade l’avait voluptueusement écrit. Freud a mis au cœur de l’expérience intérieure, qu’il appela une « révolution psychique de la matière », le lien à l’autre : besoin et désir, besoin de croire et désir de savoir, il l’a réactualisé dans le transfert (Übertragung), fondement de l’aventure psychanalytique.

A la place de la surenchère idéologique, il est urgent de prendre au sérieux l’enseignement des faits religieux, en l’adaptant à tous les échelons de l’édifice scolaire. Pour contrer la propagande intégriste et son habillage idéologique, il s’impose de faire connaître, afin de les problématiser, l’histoire et les préceptes religieux. Mais cette histoire et cette interprétation doivent aussi se porter sur les combats et les valeurs de l’humanisme, des droits de l’homme, la sécularisation et le féminisme compris.
Le transfert : investissement, besoin de croire et désir de savoir
Depuis une dizaine d’années, je me suis intéressée à la composante anthropologique, pré-religieuse, qu’est « cet incroyable besoin de croire ». Freud le relie au « sentiment océanique » de l’enfant dans les bras de sa mère : la reliance maternelle s’ensuit ; et à la reconnaissance réciproque, affective et protectrice, avec le premier tiers, le père de la « préhistoire individuelle ». Le besoin de croire est l’aube du lien, le degré zéro de son écriture. Au départ,  croire veut dire : je donne mon cœur en attente de restitution ; il a donné credo (comme l’a noté Emile Benveniste dans son Vocabulaire des institutions indo-européennes), la foi et le crédit bancaire. Le besoin de croire satisfait, je suis capable de savoir. Les deux mouvements psychiques, croire et savoir, sur le chemin de l’autonomie, sont nécessaires pour la construction de la personnalité. Mais si l’enfant est un questionneur, l’adolescent est un croyant. Il a besoin d’idéaux. Si cette quête d’idéal n’est pas reconnue par lui et par les autres, elle s’inverse en punition et autopunition, vandalisme et destruction, en maladie d’idéalité.
Endémique et sous-jacente à toute adolescence, la maladie d’idéalité risque d’aboutir à en une désorganisation psychique profonde, si le contexte traumatique, personnel ou socio-historique s’y prête. L’avidité de satisfaction absolue se résout en destruction de tout ce qui n’est pas cette satisfaction, abolissant la frontière entre moi et l’autre, le dedans et le dehors, entre bien et mal. Aucun lien à aucun objet ne subsiste pour ces sujets qui n’en sont pas, en proie à ce qu’André Green appelle la « déliaison » (dans l’ouvrage qui porte ce titre), avec ses deux versants : la « désubjectivation » et la « désobjectalisation », où seule triomphe la pulsion de mort, la malignité du mal.
En dessous du heurt des religions
Prise au dépourvu par le malaise des adolescents, la morale laïque semble incapable de satisfaire leur maladie d’idéalité. Comment faire face à cet intense retour du besoin de croire et du religieux qui s’observe partout dans le monde ?
En dessous du heurt de religions, la déliaison nihiliste est plus grave que les conflits interreligieux, parce qu'elle saisit plus en profondeur les ressorts de la civilisation, mettant en évidence la destruction du besoin de croire pré-religieux, constitutif de la vie psychique avec et pour autrui. Ces états limites ne se réfugient pas dans les hôpitaux ni sur les divans, mais déferlent dans les catastrophes sociopolitiques, telle l’abjection de l’extermination que fut la Shoah, une horreur qui défie la raison. De nouvelles formes de mal extrême se répandent aujourd’hui dans le monde globalisé, dans la foulée des maladies d’idéalité que nous n’entendons pas, que nous ne savons pas accompagner.
Déni ou ignorance, notre civilisation sécularisée n’a plus de rites d’initiation pour les adolescents. La littérature, en particulier le roman dès qu’il apparaît à la Renaissance, savait narrer les aventures initiatiques de héros adolescents : le roman européen est un roman adolescent. Dostoïevski a mis en évidence le nihilisme dans son roman L’adolescent (1875).
Aux XIXème et XXème siècles, l’enthousiasme idéologique révolutionnaire, qui « du passé faisait table rase », avait pris le relais de la foi : la Révolution a résorbé le besoin de se transcender, et le temps idéal de la promesse s’est ouvert, avec l’espoir que l’homme nouveau, femme comprise, saurait jouir enfin d’une satisfaction totale. Avant que le totalitarisme ne mette fin à cette utopie mécanique, à ce messianisme laïc, qui avait expulsé la pulsion de mort dans l’ennemi de classe, et réprimé la liberté de croire et de savoir.
La maladie d’idéalité n’est pas sans pourquoi, comme le disent la mystique et la littérature. L’expérience psychanalytique, quant à elle,  ne se contente pas non plus d’être un « moralisme compréhensif » (que Lacan redoutait). Ce qui la distingue de la philosophie et de la pédagogie, c’est que dans l’intimité du transfert-contretransfert, identification et désidentification, analysant et analyste, construction et déconstruction du besoin de croire et du désir de savoir, la psychanalyse cherche à affiner l’interprétation de cette malignité potentielle de l’appareil psychique qui se révèle dans les maladies d’idéalité.
La psy se réinvente : le cas Souad
A la Maison de l'adolescent, à l’hôpital Cochin, une équipe interculturelle et ethnopsychiatrique accueille des jeunes qui tentent le suicide, plongent dans l’anorexie ou adhèrent secrètement à des thèses complotistes contre les impurs, pouvant se pervertir en mal radical. Ils trouvent dans l’islam une revanche, la pureté comme seule issue à leur mal-être, avec en prime une communauté offensive et la jouissance morbide de la vengeance par le sacrifice. Pour les aider à investir le goût de la vie, l’équipe réinterroge le religieux, la soumission à l’« orthodoxie de masse » (Abdenour Bidar) qui, en ignorant la personne, en réduisant la femme à une proie, répand dans l’islam une culture de mort. 
Souad a été hospitalisée pour anorexie grave, froide passion mortifère, accès de boulimie et vomissements épuisants : la déliaison est en marche. Ce lent suicide adressé à sa famille et au monde avait aboli le temps, avant de se métamorphoser en radicalisation. Le jeans troué et le gros pull flottant avaient disparu sous la burqa, Souad s’emmurait dans le silence et ne décollait pas d’Internet où, avec des complices inconnus, elle échangeait des mails coléreux contre sa famille d’ « apostats, pires que les mécréants », et préparait son voyage « là-bas », pour se faire épouse occasionnelle de combattants polygames, mère prolifique de martyrs ou kamikaze elle-même.
Méfiante et taiseuse, rétive à la psychothérapie comme beaucoup d’ados, Souad s’est cependant laissée surprendre par la consultation de psychothérapie analytique multiculturelle faite avec une dizaine d’hommes et de femmes de toutes les origines et de diverses compétences, qui n’interrogeaient pas, ne diagnostiquaient pas, ne jugeaient pas. Ils affinent la diversité empathique de leur équipe : identifications disséminées et plurielles, famille recomposée, communauté réparatrice. Proximité maximale avec les affects, sensations et excitations frustrés, humiliés, mortifiés. Et mise en mots de l’effondrement, pour accompagner cette personne qui s’agrippe à la barbarie pour ne pas tomber en morceaux mais jouir à mort. La jeune fille qui provoquait en se décrivant comme un « esprit scientifique », forte en maths et physique-chimie, mais « nulle en français et en philo », commence à trouver du plaisir à se raconter, à jouer avec l’équipe, à rire avec les autres et d’elle-même.
Un défi historique : la formation du « corps enseignant »

Renouer avec le français, apprivoiser avec le langage les pulsions et sensations en souffrance, trouver les mots pour les faire exister, défaire et refaire, les partager : la langue, la littérature, la poésie, le théâtre piègent le manque de sens et déjouent le nihilisme. Roland Barthes, dont nous avons commémoré le 100e anniversaire l’année dernière, n’écrivait-il pas que, si vous retrouvez la signification dans la « plénitude d’une langue », « le vide divin ne peut plus menacer » ? Souad n’en est pas encore là. Elle a remis son jean. Ce sera une longue marche. Mais combien de jeunes filles n’auront pas la chance de Souad d’être reconnues, entendues, soutenues ?
La République se trouve devant un défi historique : est-elle capable d'affronter cette crise que le couvercle de la religion ne retient plus, et qui touche au fondement du lien entre les humains ? De détecter et d’empêcher la radicalisation ? L'angoisse qui fige le pays en ce temps de carnage et de surenchère idéologique sur fond de crise économique et sociale, exprime notre incertitude devant cet enjeu colossal.
Faisons une priorité de la formation, assortie d’une valorisation conséquente d’un corps enseignant et formateur attentif à la psychothérapie analytique. Ce dispositif serait voué à l’accompagnement personnalisé du mal-être psycho-sexuel, du besoin de croire et du désir de savoir des adolescents, et de ce fait nécessiterait une redéfinition de la fonction/vocation de l’enseignement lui-même. Les éducateurs, enseignants, professeurs, auxiliaires de vies, psychologues, mais aussi managers en ressources humaines, entrepreneurs… pourraient créer une véritable passerelle au-dessus l’abîme qui se creuse et de l’état de guerre qui menace. Ainsi compris, l’enseignement est plus qu’une priorité politique : il serait LA condition pour la refondation de l’humanisme dans la diversité devenue ainsi seulement partageable.

INTERVENTION DU PROFESSEUR JEAN-FRANÇOIS ALLILAIRE

Psychiatre,

Professeur émérite de l’Université de Paris VI, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière
L’éducation thérapeutique
Dans ce débat, j’orienterai ma réflexion sur le temps long et sur l’évolution de la médecine au fil des générations. Je me placerai sous les auspices de Michel de Montaigne qui affirmait qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. Car il me semble que l’objectif premier de l’éducation nationale, de l’école, c’est d’apprendre à apprendre, c’est de préparer l’avenir de l’individu, de l’aider à se construire.
L’objectif de la médecine, d’Hippocrate au XXème siècle, était essentiellement de soigner le malade et sa maladie. Mais, après la seconde guerre mondiale, après les horreurs de cette période et sous l’influence de l’OMS, émerge une vision de la santé comme état de bien-être physique, mental et social. Vaste programme ! Mais cette conception a conduit la médecine à modifier ses objectifs : ne pas se limiter à soigner le malade et sa maladie, mais apprendre au patient à se maintenir en bonne santé, avec une notion d’autonomie et de qualité de vie ; c’est un objectif très différent mais très complémentaire du précédent. C’est de cette révolution que je voudrais parler, plus encore que de l’évolution scientifique qui est évidemment considérable et qui a même induit dans la pratique médicale certaines dérives techniques, au risque d’en chasser l’humain.
Je parlerai particulièrement de l’éducation thérapeutique. Depuis une génération, la médecine a évolué avec une vitesse extraordinaire vers une attitude marquée par le développement de la responsabilisation et de l’autonomie du patient. Il s’agit de se libérer de cette étonnante emprise du médecin, du diktat du corps médical, pour que le malade devienne effectivement un acteur actif, réactif. Cette mutation, ce dépassement des méthodes traditionnelles ont été considérables ; il s’est agi d’apporter au patient, avec le tact et le sens de la mesure nécessaires, l’ensemble des informations, scientifiques et autres, relatives à sa pathologie et à son traitement. Cette démarche a été récemment renforcée par la loi de 2002, dite loi Kouchner, qui confirme que le médecin a l’obligation de donner à son patient toutes ces informations et qui place juridiquement le patient dans une position d’acteur, alors qu’auparavant il était en quelque infantilisé et soumis aux connaissances et aux prescriptions du médecin. Il faut donner au patient la libre décision concernant le choix de son traitement ; ce principe totalement nouveau doit être pris en compte, au même titre que les considérations scientifiques, humaines, sociales ou autres, pour proposer le meilleur soin tout en privilégiant la sécurité du malade. Il s’agit d’une révolution dans laquelle nous contribuons à l’éducation thérapeutique de nos concitoyens.
Qu’est-ce que l’éducation thérapeutique ? Toujours selon l’OMS, c’est une technique qui vise à aider les patients à acquérir les connaissances dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec la maladie. De plus en plus, la médecine soigne les malades sur la longue durée et ne se limite plus à des interventions ponctuelles comme elle le faisait à une époque où la prévention et la détection n’étaient pas aussi précoces. L’éducation thérapeutique fait partie intégrante de la prise en charge médicale et elle est organisée pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des comportements qui lui sont liés et de l’organisation des procédures hospitalières. L’objectif est de les aider, eux et leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer et assumer leur responsabilité dans leur propre prise en charge, afin de les aider à améliorer leur propre qualité de vie. Quelles en sont les finalités et en quoi consiste-t-elle ? Il s’agit de développer tout ce qui permet l’acquisition et le maintien de compétences d’auto-soins et d’intégrer tout ce qui jusque-là était passivement reçu du médecin, seul jugé apte à pouvoir décider les soins à mettre utilement en œuvre. Cela implique des compétences de sécurité pour permettre à chacun de préserver sa propre vie en tenant compte de ses besoins spécifiques. Il faut mobiliser l’acquisition des compétences nécessaires pour mieux s’adapter ; il faut relier les connaissances théoriques, cognitives, avec les expériences vécues ; il faut former des têtes bien faites ; il faut s’appuyer sur l’expérience du malade, sur ses compétences psycho-sociales et sur celles de son entourage.
Sur quels éléments le médecin s’appuie-t-il pour réaliser l’éducation thérapeutique ? On peut considérer qu’il y a plusieurs étapes :


  • réaliser un diagnostic éducatif sur les ressources dont dispose le patient pour acquérir cette compétence ;




  • définir un programme personnalisé d’éducation thérapeutique, avec des priorités d’apprentissage ; ce programme sera évidemment différent selon qu’il s’agit, par exemple, d’une maladie chronique comme le diabète ou d’une pathologie mentale comme une psychose ou une bipolarité ;




  • planifier et mettre en œuvre des séances d’éducation thérapeutiques qui peuvent être individuelles ou collectives ou alterner les deux ; souvent, le démarrage se fait à l’hôpital où l’équipe de soins explique, expose et situe le contexte pour permettre au patient de s’approprier sa maladie ;




  • réaliser l’évaluation des compétences acquises au fur et à mesure et après le déroulement du programme.


Une éducation thérapeutique de qualité sera évidemment centrée sur le patient et non sur la maladie. C’est l’intérêt porté à la personne, à une prise de décision partagée respectant les préférences du patient qui permettra d’arbitrer le choix entre les différentes options thérapeutiques, en particulier au plan chirurgical, à partir de fondements scientifiques enrichis par l’expérience. Dans les séances collectives d’éducation thérapeutique, il y a un besoin quasi-scolaire d’acquisition des connaissances nécessaire ; mais cette acquisition se fait par petits groupes, en fonction de l’expérience de chacun des patients qui y participent. Elle est totalement intégrée au traitement, à la prise en charge du malade et à sa vie quotidienne ; elle est adaptée à l’évolution de la maladie et prend notamment en compte les phases de crise ou, au contraire, d’accalmie. Suivant les cas, on pourra procéder à une éducation thérapeutique en profondeur ou mettre exclusivement l’accent sur les mesures d’urgence à prendre. Elle est construite avec le patient (si possible en liaison avec ses proches) suivant sa personnalité, son rythme d’apprentissage et son environnement émotionnel, affectif et familial, lequel joue évidemment un rôle essentiel dans la qualité du résultat et la guérison. Elle doit engager le patient dans un apprentissage actif cohérent avec son expérience personnelle et elle doit être multiprofessionnelle et interdisciplinaire. Le multidisciplinaire, déjà évoqué par Julia Kristeva, implique que tous les corps de métier concernés soient présents et décident ensemble le niveau d’éducation auquel il faut placer les propos.
Que peut apporter l’éducation thérapeutique à notre débat d’aujourd’hui, orienté sur la grande question de l’éducation et du rôle des enseignants ? D’abord, elle se conçoit par pathologie et non pas par classe d’âge, ce qui est extrêmement différent. Chacun des patients est à un moment différent de l’évolution de sa maladie et l’expérience des plus anciens va profiter à ceux qui sont au début de leur maladie. Ceux-ci vont s’inspirer de ce qui est décrit pour acquérir des compétences et se les approprier. Nous sommes dans un apprentissage par empathie, qui repose fortement sur la cohérence du groupe et permet une éducation ciblée et adaptée. Il n’y a pas d’enseignement professoral, mais une sorte d’atelier de retour et de partage des expériences. Une comparaison entre l’éducation thérapeutique et l’éducation en général doit aussi tenir compte du fait qu’on est centré sur l’acquisition de compétences pratiques et non sur l’acquisition de connaissances théoriques. Si on prend l’exemple de la lutte contre le tabagisme, les connaissances théoriques sont importantes, mais elles ne suffisent pas pour conduire le sujet à un processus d’interruption de l’addiction. L’éducation thérapeutique est recentrée et repensée à tous les stades de la prise en charge.

Il faut souligner que, pour développer l’éducation thérapeutique, la médecine s’est inspirée de l’apprentissage à l’école et des sciences de l’éducation. Bien sûr, il n’était que temps, à la fin du XXème siècle, de faire évoluer la pratique du paternalisme et de considérer le malade comme un acteur, comme un adulte qui doit s’approprier sa maladie et sa guérison par l’auto-soin. Mais elle a le plus souvent à faire à des adultes malades qui sont en perte d’autonomie éclairée en raison de leur maladie-même, laquelle crée un biais considérable pour l’intégration des connaissances. Il faut en tenir compte car c’est une difficulté fondamentale par rapport à l’éducation en général et, en particulier, à l’éducation thérapeutique.
Je voudrais dire aussi qu’elle pourrait généralement s’appuyer sur des compétences qui auraient été acquises dès l’école, bien avant l’apparition de la maladie, dans le cadre de ce qu’on appelle maintenant la promotion de la santé. Il faut y penser dès l’école, en fonction de la maturité des élèves et de leur expérience propre. C’est un sujet d’actualité qui fait l’objet d’un gros travail de réflexion à l’éducation nationale. Il est clair qu’en primaire l’éducation à la santé, comme l’éducation sexuelle, doit être intégrée à l’enseignement. En secondaire, elle repose évidemment sur l’acquisition des sciences naturelles, comme l’éducation sexuelle, l’éducation aux risques d’addiction et la correction des croyances irrationnelles en matière d’alimentation, de nutrition et de santé (trop souvent répandues dans l’actualité des magazines). Enfin, plus globalement, elle devrait s’appuyer sur un repérage précoce et une correction dès l’école des mauvaises habitudes au regard des déterminants de santé, que ceux-ci soient biologiques, comportementaux ou environnementaux (c’est-à-dire soumis à des influences diverses). Par habitudes comportementales, je fais par exemple allusion à des comportements qui conduisent l’adolescent à entrer dans une addiction et qu’il faudrait prendre en charge dès le départ par un éclairage cognitif, éducatif et informatif appuyé sur l’expérience personnelle d’autres adolescents concernés.
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