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Par Maxime Tourbe Maître de conférences en droit publicUniversité Paris XI Le harcèlement moral dans la fonction publique : l’état du droitDossier Le harcèlementLa loi du 17 janvier 2002 a introduit la notion de harcèlement moral dans le monde du travail en général et au sein de la fonction publique en particulier. Près de dix années après son entrée en vigueur, la mise en œuvre de cette loi par le juge permet d’en évaluer les enjeux ainsi que les limites. Depuis sa création par la loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002, l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 protège l’ensemble des agents publics, titulaires ou non, contre les agissements constitutifs de harcèlement moral (v. encadré). Cette protection bénéficie à l’ensemble des travailleurs quel que soit leur statut, la loi de 2002 ayant introduit un dispositif similaire dans le Code du travailV. art. L. 1152-1 et suiv. du Code du travail. et créé un délit de harcèlement moral ne se limitant pas au secteur privéV. art. 222-33-2 du Code pénal., en posant dans ces trois textes une seule et même définition du harcèlement. Comme ont alors pu le souligner les commentateurs de la loiV. F. Rolin, « Le harcèlement moral au risque du droit administratif », AJDA 2002 p. 733 ; A. Puppo, « Harcèlement moral et fonction publique : spécificités », AJFP 2002 p. 42., l’intervention du législateur s’inscrivait dans un contexte marqué par le succès éditorial du livre de la psychanalyste Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidienParis, Syros, 1998 (réédité en livre de poche aux éditions La Découverte)., mais aussi par l’influence du droit communautaire, à travers la directive du 27 novembre 2000, qui traite du harcèlement en matière d’emploi et de travail et invite les États membres à se saisir du sujetArticle 2, paragraphe 3 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOUE n° L 303 du 2 décembre 2000 p. 16) : « Le harcèlement […] a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Dans ce contexte, la notion de harcèlement peut être définie conformément aux législations et pratiques nationales des États membres ».. Article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnairesAucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires. La loi de 2002 donne donc une consistance juridique à la notion de harcèlement moral dans le monde du travailIl faut noter que la notion a été récemment étendue à la sphère privée, avec la création par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 d’un délit de harcèlement moral au sein du couple, codifié à l’art. 222-33-2-1 du Code pénal., même si les juges judiciaire et administratif n’avaient pas attendu l’entrée en vigueur de ce texte pour sanctionner sur d’autres fondements certains des faits qui recevraient aujourd’hui une telle qualificationEn condamnant par exemple la « mise au placard » d’un agent sur le fondement du droit du fonctionnaire à être nommé dans un emploi vacant de son grade, et par conséquent de recevoir une affectation correspondant à des fonctions effectives (CE 9 avril 1999, Rochaix, n° 155304). Le juge judiciaire qui, pour sa part, n’hésitait pas à qualifier certains comportements de « harcèlement insidieux », mobilisait depuis plusieurs années diverses sources afin de sanctionner des pratiques de harcèlement moral, tel l’art. 1134 du Code civil qui dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi (v. P. Adam, « Harcèlement moral », Rép. Trav. Dalloz, n° 20 et suiv.).. Le cadre juridique créé en 2002 n’en représente pas moins une incontestable avancée qui complète ce dispositif prétorien. Ainsi, en droit de la fonction publique, la notion de harcèlement moral ne se confond-elle pas avec celles, plus classiques, de sanction déguisée ou de détournement de pouvoir, qui pouvaient servir à annuler certains actes exprimant une volonté de harceler leur destinataireSur ce point, v. F. Rolin, préc.. Les situations que recouvrent ces trois notions ne coïncidant pas toujours, celle de harcèlement moral présente un intérêt propre. Peut-être est-ce là l’une des raisons qui a conduit le Conseil d’État à s’inspirer du texte de 2002 pour sanctionner des faits intervenus sous l’empire du droit antérieur, sans clairement exprimer le fondement de sa décisionCE 24 novembre 2006, Mme Baillet, AJDA 2007 p. 428 note P. Planchet, JCP A 2007, 2003, note D. Jean-Pierre. Dans cet arrêt, le comportement en cause, qui a « excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », est simplement qualifié de faute. Plus récemment, une juridiction inférieure a tenté de préciser le fondement d’une telle jurisprudence, en érigeant la prohibition du harcèlement moral en principe général du droit (v. CAA Lyon 18 janvier 2011, n° 09LY00727).. Il faut toutefois reconnaître que la mise en œuvre du dispositif législatif ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés. Au-delà de celles qui sont liées à l’interprétation du texte lui-même, l’apparition de la notion de harcèlement moral dans le droit de la fonction publique, pour heureuse qu’elle soit, recèle certains écueils. La multiplication de requêtes invoquant l’existence d’une situation de harcèlement moral, parfois manifestement infondéesPour un ex. récent, v. CAA Douai 7 juillet 2011, n° 10DA00678., requiert une grande vigilance de la part du juge, à qui il appartient d’identifier les authentiques cas de harcèlement au sein de cet abondant contentieux. Du point de vue des requérants, cette tendance à invoquer trop fréquemment l’existence d’un harcèlement moral présente le risque de désorienter certaines demandes qui auraient pu prospérer sur d’autres terrainsV. par ex. le cas de cet enseignant contractuel qui ne saurait contester la régularité de sa procédure de licenciement, « dès lors qu’il ne recherche la responsabilité de l’administration que sur le seul terrain du harcèlement moral » (CAA Nancy 27 mai 2010, n° 09NC00733).. Une autre difficulté tient à la complexité du phénomène de harcèlement moral, dont il est bien difficile de modéliser un idéal-type, qu’il s’agisse des procédés employés, des conséquences endurées par la victime, ou encore de la part que celle-ci peut avoir prise dans la dégradation de la situation dont elle se plaint. Enfin, le choix des mesures destinées à prévenir ou sanctionner une situation de harcèlement moral, qui incombe tant à l’administration qu’au juge, n’est pas toujours aisé. Près de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2002, l’œuvre du juge, qui n’ignore pas ces enjeux, a permis de préciser les aspects essentiels de ce texte, qu’il s’agisse de la définition et du régime probatoire du harcèlement moral, du rôle de l’administration dans une telle situation ou de la nature des sanctions juridictionnelles. Les critères cumulatifs du harcèlement moralDes agissements répétésLa première condition posée par le texte de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 est l’existence d’« agissements répétés de harcèlement moral ». Sur la nature des comportements visés, on pourrait regretter l’imprécision du législateur, qui n’indique pas en quoi de tels « agissements » peuvent consister. Ce choix se justifie par la volonté de ne pas fixer par avance une liste limitative des comportements pouvant être sanctionnés, lesquels peuvent prendre une multitude de formes : diminution des tâches confiées voire privation de tout travail effectif, changement d’affectation injustifié, mesures visant à isoler l’agent, réflexions désobligeantes ou même injures, dénigrement, brimades, pressions psychologiques diverses… Liste non exhaustive qui permet néanmoins de mettre en évidence l’intérêt majeur de l’emploi du terme « agissements » : ceux-ci ne se réduisent pas aux décisions présentant le caractère d’actes administratifs, Il est donc possible de sanctionner toute une série de comportements contre lesquels il était auparavant difficile de lutter au plan contentieuxCe qu’avait montré dès 2002 F. Rolin (préc.).. Ces agissements doivent présenter un caractère répétitif. Cette condition, qui ressort clairement des termes de la loi, est consubstantielle à la notion de harcèlement. Celle-ci apparaît comme une succession d’agissements qui, envisagés isolément, ne présenteraient pas nécessairement un caractère de gravité mais qui participent d’un processus de déstabilisation. C’est la raison pour laquelle un comportement vexatoire ou humiliant n’est pas constitutif d’un harcèlement moral lorsqu’il est isoléV. par ex. CAA Marseille 18 janvier 2011, n° 08MA01385.. Il faut enfin souligner que la loi est silencieuse sur l’identité des auteurs de harcèlement moral. De tels agissements peuvent en effet ne pas être le fait d’un supérieur hiérarchique, et provenir d’un ou plusieurs collègues, voire de personnes extérieures au service telles que des usagersV. les ex. cités par R. Fontier, « Harcèlement horizontal : la protection fonctionnelle ne se réduit pas à la protection juridique », AJFP 2011 p. 41.. Une dégradation des conditions de travailL’agent qui prétend être victime de harcèlement doit apporter au juge des éléments permettant d’apprécier l’existence d’une dégradation de la situation. Celle-ci peut consister dans la dégradation des moyens matériels nécessaires à l’exercice des fonctions, la dégradation des locaux au sein desquels est affectée la victime (en particulier à la suite d’un déplacement de celle-ci), ou encore la diminution voire la privation des tâches confiéesSur cette typologie, v. B. Arvis, « L’action en réparation des préjudices nés du harcèlement moral auprès du juge administratif : premier bilan », AJFP 2009 p. 259.. La dégradation des conditions de travail peut également se matérialiser dans l’altération des relations entre la victime et sa hiérarchieV. par ex. CAA Marseille 21 juin 2011, n° 09MA00853.. S’agissant cependant de l’un des critères cumulatifs du harcèlement moral, une telle dégradation ne suffit pas à elle seule à en établir l’existenceV. en ce sens CAA Nantes 26 février 2010, n° 09NT01370.. Elle ne peut donc pas être envisagée indépendamment de ses effets sur la personne de l’agent harcelé. Une atteinte à la personne de l’agent harceléOn doit reconnaître au législateur d’avoir été très précis sur la nature des atteintes portées à la victime du harcèlement, comme le révèle la rédaction de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 (v. encadré). Quatre types d’atteintes y sont mentionnés : les atteintes aux droits de l’agent, comme la présence d’un écrit calomniateur au sein de son dossier administratif ou la privation de rémunération consécutive à une « mise au placard » ; les atteintes à la santé mentale ou physique de l’agent, correspondant le plus souvent à l’apparition de troubles psychiques pouvant même dans certains cas mener au suicide ; les atteintes à la dignité, telles que le placement volontaire de l’agent dans des locaux insalubres ou encore les manœuvres visant à lui imputer à tort un comportement d’alcoolisme ; les atteintes à l’avenir professionnel de l’agent, qui peuvent par exemple prendre la forme d’un refus de promotion ou de mutationExemples tirés du tableau dressé dans l’article préc. de B. Arvis. . Il n’est bien évidemment pas nécessaire à la victime de démontrer qu’elle a subi ces quatre types d’atteintes, l’existence d’une seule d’entre elles étant suffisante. L’atteinte ainsi définie doit-elle avoir été portée de manière intentionnelle par l’auteur du harcèlement ? Cette question essentielle est plus difficile à résoudre qu’il n’y paraît. Certes, le texte même de la loi semble permettre la reconnaissance d’un harcèlement non intentionnel, en énonçant que les agissements incriminés peuvent non seulement avoir eu pour objet, mais aussi simplement « pour effet » une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la victime. Force est cependant de constater que la jurisprudence des juges du fond n’est pas encore unifiée sur ce point, car si certaines cours d’appel se tiennent à la lettre de la loiV. par ex. CAA Versailles 18 juin 2009, n° 07VE00787 : « l’existence d’un harcèlement moral n’est pas conditionnée par l’intention malveillante de l’auteur des actes de harcèlement »., d’autres semblent exiger que soit établie l’intention de porter atteinte à la victimeV. ainsi CAA Marseille 14 décembre 2010, n° 09MA00106, selon laquelle les faits ne révèlent pas l’existence d’un harcèlement moral « en l’absence d’intention établie […] d’atteindre la personne de l’agent mis en cause », ou encore CAA Nancy 12 novembre 2009, n° 08NC01441, qui refuse la qualification de harcèlement dès lors que l’altération de la santé de la requérante ne résulte pas d’une « action délibérée de la part de ses supérieurs hiérarchiques ».. Le Conseil d’État ne s’est, quant à lui, pas encore prononcé clairementS’il est fait référence dans un arrêt (CE 26 octobre 2007, n° 284683) au « caractère intentionnel » des agissements du prétendu « harcèlement moral » dont s’estimait victime un militaire, il faut préciser que ce dernier est soumis à un statut autonome auquel n’a pas été étendue la protection contre ce type de harcèlement. Une telle solution ne paraît donc pas transposable en l’état aux fonctionnaires civils bénéficiant de la garantie posée à l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983., contrairement à la Cour de cassation, dont la chambre criminelle a fait de l’intention de harceler l’élément moral du délitV. Cass. crim. 21 juin 2005, n° 04-86936 (affaire impliquant un agent public en la personne d’une secrétaire de mairie harcelée par le maire)., mais dont la chambre sociale a affirmé que le harcèlement moral est constitué « indépendamment de l’intention de son auteur »V. Cass. soc. 10 novembre 2009, n° 08-41497, Dalloz actualité 30 novembre 2009 obs. S. Maillard.. L’enjeu est de taille, tant il est vrai que poser comme condition l’intention de nuire présente certaines vertus. Cela permet en particulier d’éviter une dilution de la notion de harcèlement moral ainsi qu’une atteinte excessive à l’exercice du pouvoir hiérarchique, en n’autorisant pas à ranger sous la qualification de harcèlement tout défaut d’organisation du service ou tout style de management susceptible de causer – de manière non intentionnelle – des troubles aux agents. De tels écueils semblent en tout état de cause avoir été évités par les juridictions administratives, qui bien qu’indécises sur l’intention de nuire, ont plus clairement posé comme condition du harcèlement le caractère personnel de l’atteinte à la victime, critère objectif sans doute plus opératoire. Ainsi le comportement fautif de l’administration dans l’organisation du service ne permet-il pas en lui-même de conclure à l’existence d’un harcèlement moral dès lors que l’examen précis de la situation de la requérante ne révèle pas d’atteinte personnelle à ses droitsCAA Bordeaux 23 décembre 2010, n° 09BX02176.. De même un professeur des universités n’est-il pas victime de harcèlement moral dès lors que les modifications de son service d’enseignement et les conditions matérielles d’exercice de ses fonctions dont il se plaint « résultent de contraintes de gestion et concernent l’ensemble des professeurs »CE 26 novembre 2008, n° 305076.. Un régime probatoire aménagéPour la victime, la preuve de l’existence d’un harcèlement moral n’est pas aisée à apporter. C’est ce qui a conduit le législateur à prévoir, dans le code du travail, un régime probatoire spécifique en la matière. Le salarié ou candidat à un emploi qui l’invoque doit établir des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, à la suite de quoi le défendeur doit prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement (art. L. 1154-1 c. trav.). Un tel aménagement de la charge de la preuve n’est pas sans rappeler celui qui existe, mutatis mutandis, en matière de discriminationÀ la différence près qu’en matière de discrimination, le plaignant doit non pas « établir » mais « présenter » des faits permettant d’en présumer l’existence (v. art. 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008).. Lors du vote de la loi du 17 janvier 2002, le régime instauré dans le code du travail n’a cependant pas été étendu à la fonction publique, laissant au juge le soin de déterminer les règles en la matière, ce que vient de faire le Conseil d’ÉtatCE, sect., 11 juillet 2011, n° 321225, JCP A 2011, act. 531, comm. J.-G. Sorbara.. Il en résulte que l’agent qui invoque un harcèlement doit soumettre au juge des éléments de faits susceptibles d’en faire présumer l’existence, et l’administration doit produire en sens contraire « une argumentation de nature à démontrer » que les agissements en cause ne sont pas constitutifs d’un harcèlement. Au vu de ces échanges contradictoires, le juge forme sa conviction en ordonnant le cas échéant toute mesure d’instruction utile. Cet aménagement de la charge de la preuve, qui contrairement au code du travail n’exige pas du défendeur qu’il prouve l’inexistence du harcèlement, tient ainsi compte du rôle actif que joue traditionnellement le juge administratif dans l’administration de la preuveDe la même manière que le Conseil d’État n’a pas suivi la lettre de la loi préc. du 27 mai 2008 en matière de discrimination, en exigeant de l’administration non pas qu’elle prouve l’absence de discrimination, mais plus simplement qu’elle produise des éléments permettant d’établir que la décision contestée repose sur des motifs objectifs (v. J.-G. Sorbara, « Maintien du mode probatoire en trois temps de la jurisprudence Barel-Perreux en matière de discrimination », JCP G 2011, 90).. Il se justifie par ailleurs si l’on considère que ce qui doit être prouvé dans les cas de harcèlement est un comportement, qui présente un caractère objectif, et non une intention subjective plus difficile à démontrerV. en ce sens les conclusions de J.-E. Soyez sous CAA Versailles 19 novembre 2010 (n° 09VE00839, AJFP 2011 p. 228), qui distingue les agissements de harcèlement des faits de discrimination, lesquels reposent sur une intention de nuire.. Le rôle de l’administration face au harcèlement moralLes obligations de l’administration vis-à-vis de l’agent harceléConfirmant une solution déjà adoptée par plusieurs juridictions inférieures, le Conseil d’État a récemment jugé que les faits de harcèlement entraient dans le champ d’application de la protection que l’administration est tenue d’assurer à ses agents publics « contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions » (art. 11 de la loi du 13 juillet 1983)CE 12 mars 2010, Cne Hoenheim, n° 308974, JCP A 2010, 2154, comm. D. Jean-Pierre.. À condition que l’agent qui invoque un harcèlement moral démontre la réalité de telles attaquesV. en ce sens CE 4 avril 2011, n° 334402., il pourra bénéficier non seulement d’une assistance juridique, mais aussi de mesures que l’administration devra prendre en fonction de la situation : engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre de l’auteur du harcèlement, mesure d’éloignement de celui-ci, rétablissement dans ses droits de l’agent victime du harcèlementV. en ce sens Rép. min. n° 3765, JO Sénat 3 juillet 2008 p. 1350. Pour un ex. de demande d’éloignement de l’agent harceleur implicitement refusée et exigée par le juge, v. TA Nice 15 juin 2010, n° 0706362, note R. Fontier, AJFP 2011 p. 41.. Toujours est-il qu’en pratique, la mise en œuvre de la protection fonctionnelle ne sera pas toujours aisée, en particulier dans le cas où le supérieur hiérarchique tenu d’accorder une telle protection est souvent aussi la personne accusée de harcèlement, ayant logiquement quelque réticence à admettre la réalité de la menace et donc du harcèlementIl reviendra alors au juge, souligne dans son commentaire préc. D. Jean-Pierre, de décider d’enjoindre l’administration à accorder une telle protection, comme ce fut le cas dans l’affaire jugée par le Conseil d’État le 12 mars 2010.. L’administration est-elle tenue par ailleurs d’admettre l’exercice du droit de retrait par un agent s’estimant victime de harcèlement moral ? Rappelons que ce droit, garanti notamment par le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 (art. 5-6), ne peut s’exercer qu’en cas de « danger grave et imminent ». Dans une telle affaire, le Conseil d’État a jugé que l’administration n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en refusant de reconnaître l’existence d’un danger grave et imminentCE 16 décembre 2009, Min. Défense, n° 320840.. Il ne faut pas pour autant en déduire que l’existence d’un harcèlement moral ne puisse justifier, en toute hypothèse, l’exercice du droit de retrait, si l’on songe par exemple au cas d’un agent au bord du suicide ou proche d’un syndrome d’épuisement professionnelAinsi que le souligne fort justement D. Jean-Pierre dans son commentaire de la décision du Conseil d’État (« Droit de retrait et harcèlement moral devant le Conseil d’État », JCP A 2010, 2075).. Enfin, parmi les obligations pesant sur l’administration vis-à-vis d’un agent se prétendant victime de harcèlement, figure celle de ne prendre aucune mesure de rétorsion. C’est ce qu’impose le deuxième alinéa de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Destinée à inciter les agents victimes d’agissements de harcèlement à les dénoncer sans crainte de faire l’objet de représailles, cette obligation est strictement appliquée par le juge administratif, sans toutefois être absolue. Ainsi, le dépôt d’une plainte pour harcèlement moral ne peut fonder la décision de révocation de l’agent auteur de la plainte, quand bien même celle-ci aurait fait l’objet d’un classement sans suite pour absence d’infractionCAA Nantes 4 décembre 2009, n° 09NT01302.. Il a même été interdit au maire d’une commune de licencier le membre de son cabinet ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, nonobstant les dispositions autorisant le licenciement de ce type de collaborateur dès lors que le lien de confiance est rompu, condition bel et bien remplie en l’espèceCAA Marseille 2 juillet 2009, n° 07MA01157.. A en revanche été jugée régulière la sanction prise à l’encontre d’un directeur d’hôpital qui avait dénoncé publiquement des faits de harcèlement dans des termes excédant les limites du devoir de réserve auquel il était soumisTA Montpellier 7 avril 2009, n° 0704068, concl. A. Baux, AJDA 2009 p. 1205.. De même et conformément à la rigueur de la jurisprudence relative à ce type de « licenciement », la radiation des cadres pour abandon de poste d’un agent s’estimant victime de harcèlement moral est régulière, la rupture du lien entre l’administration et l’agent étant imputée à ce dernierV. par ex. CAA Bordeaux 4 mai 2010, n° 09BX01800, qui prend tout de même soin de constater que la radiation des cadres ne trouve pas son origine dans la volonté de harceler moralement l’intéressé.. La sanction du comportement de l’agent harceleurL’auteur des agissements de harcèlement, s’il est aussi un agent public, est passible d’une sanction disciplinaire, comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Le ministère de la fonction publique a encouragé l’administration à utiliser dans de tels cas toute la gamme des sanctions existantes, en fonction des circonstances propres à chaque affaireRép. min. n° 13166, JO Sénat 28 juillet 2011 p. 1989.. Si l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au déclenchement des poursuites disciplinaires, le juge peut vivement l’encourager à faire usage de son pouvoir de sanction, lorsqu’il estime par exemple nécessaire le déplacement de l’agent harceleurMême si l’administration conserve le choix des moyens entre la sanction de déplacement d’office ou la mutation dans l’intérêt du service (v. en ce sens TA Nice 15 juin 2010, préc.).. Il faudrait cependant veiller à ne pas inverser la logique prônée par la loi, en ne préférant pas le déplacement de la victime à celui de l’auteur du harcèlement, comme cela arrive malheureusement trop souvent en pratiqueV. par ex. ce cas révélé par la HALDE d’un enseignant victime de harcèlement moral en lien avec son orientation sexuelle, placé en arrêt maladie puis muté dans un autre établissement (délib. n° 2008-174 du 7 juillet 2008).. Les sanctions juridictionnelles du harcèlement moralÀ l’égard de l’administrationEn matière de harcèlement moral, le contentieux relatif à la fonction publique se distingue du contentieux relatif au secteur privé, lequel se noue essentiellement à l’occasion de la rupture du contrat de travailV. P. Adam, « Harcèlement moral », Rép. Trav. Dalloz, n° 237.. Les requêtes d’agents publics formées devant le juge administratif ont quant à elles principalement deux objets : faire annuler certains actes administratifs, que ceux-ci participent du processus de harcèlement ou aient été pris en considération de la dénonciation de tels agissements ; obtenir réparation par la mise en jeu de la responsabilité de l’administration. Les agissements de harcèlement moral correspondent en effet à une violation de la loi qui, comme toute illégalité, ouvre par principe droit à réparation sur le terrain de la responsabilité pour faute. Une faute de service pourra ainsi être retenue, que la hiérarchie ait directement contribué au harcèlement, qu’elle se soit abstenue d’agir face à de tels agissements, ou encore qu’elle ait indirectement contribué à la dégradation des conditions de travail et au harcèlementV. D. Jean-Pierre, comm. sous CE 24 novembre 2006, Mme Baillet, préc.. Les mécanismes classiques du droit de la responsabilité administrative étant applicables, se pose une question délicate : la responsabilité de l’administration peut-elle être atténuée en raison du comportement de la victime ? Sur cette question, la position du Conseil d’État vient d’évoluer dans un sens qui pourrait bien, contrairement aux apparences, être défavorable aux victimes de harcèlement. La haute juridiction avait dans un premier temps admis un partage de responsabilités dans une décision qui relevait que la victime, en raison d’une mauvaise volonté persistante et d’une forme d’insubordination avait « largement contribué, par son attitude, à la dégradation des conditions de travail dont elle se plaint »CE 24 novembre 2006, Mme Baillet, préc.. Une telle solution, qui avait certes le mérite de refléter la complexité que peut revêtir le phénomène de harcèlement, était toutefois très défavorable à la victime, dont le comportement pouvait aller jusqu’à justifier l’exonération de toute responsabilité de l’administration et donc la priver d’indemnisationAinsi dans cette affaire où le juge, qui reconnaît l’existence d’un harcèlement moral, relève « l’attitude excessivement agressive » de la requérante (CAA Nantes 13 juin 2008, n° 07NT02298).. Il apparaissait en outre difficile de justifier l’idée selon laquelle des faits de harcèlement moral pourraient en quelque sorte être « excusés »Même si le Conseil d’État avait pris soin de préciser que la faute de la victime n’autorisait pas le juge à se dispenser d’examiner la réalité du harcèlement (CE 17 mars 2010, n° 310707).. C’est ce qui a peut-être conduit le juge du Palais-Royal à modifier sa jurisprudence en décidant qu’il serait désormais impossible, dès lors que le harcèlement est établi, d’atténuer la responsabilité de l’administration en raison du comportement de la victime, et ce en raison de « la nature même des agissements en cause »CE sect., 11 juillet 2011, préc.. Mais le caractère apparemment favorable à la victime de ce changement de jurisprudence pourrait n’être qu’illusoire. En effet, le Conseil d’État autorise toujours à prendre en compte le comportement de la victime, en amont si l’on peut dire. Pour déterminer si le harcèlement moral est bien constitué, le juge devra ainsi tenir compte des comportements respectifs du « harceleur » et du « harcelé ». Tout dépendra de l’application qui sera faite de ce nouveau principe, mais il est parfaitement envisageable que dans des cas où la victime ayant « contribué » à son harcèlement recevait une indemnité minime sous l’empire de la jurisprudence antérieureV. par ex. le cas de cet agent ayant fait preuve « d’une mauvaise volonté persistante et d’un comportement querelleur durant l’accomplissement des rares tâches qui lui ont été confiées », dont l’indemnisation a été réduite à un tiers du montant du préjudice (CAA Versailles 19 novembre 2010, préc.). , elle ne soit plus indemnisée du tout en raison d’un comportement conduisant le juge à rejeter purement et simplement la qualification de harcèlement. À l’égard de l’auteur du harcèlementEn plus de la sanction disciplinaire à laquelle il s’expose lorsqu’il est lui-même agent public, l’auteur du harcèlement moral, quelle que soit sa qualité, est passible d’une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (art. 222-33-2 C. pén.)Pour un ex. de harcèlement moral d’un agent public ayant donné lieu à une condamnation pénale, v. Cass. crim. 21 juin 2005, préc.. La création d’un délit de harcèlement moral par la loi du 17 janvier 2002 répondait certainement à la volonté de reconnaître la gravité de tels agissements, mais il est permis de s’interroger sur le caractère superfétatoire de la sanction pénale dans certains cas, notamment lorsqu’une sanction disciplinaire suffisamment grave a déjà été prononcée. C’est ce que reconnaît implicitement le parquet qui classe sans suite une plainte pour harcèlement moral en précisant aux plaignants que cette décision est motivée par la révocation de l’agent visé par la plainte et la volonté de privilégier le traitement interne de l’affaireComme l’explique très clairement le juge administratif validant la décision de révocation (CAA Nancy 5 juillet 2010, n° 10NC00037).. Du point de vue de la responsabilité civile, le caractère personnel de la faute de l’agent auteur du harcèlement semble ne pas faire de doute, mais l’incertitude demeure quant à sa nature exacte. S’agit-il d’une faute personnelle « dépourvue de tout lien avec le service », exonérant l’administration de toute responsabilité et ne permettant pas à la victime d’obtenir réparation auprès d’elle ? Tel a été le sens d’une décision audacieuse mais isolée d’un tribunal administratif, dont le jugement n’a d’ailleurs pas été suivi par la cour d’appelV. TA Versailles 15 octobre 2004, Balenguer, concl. P. Léglise, AJFP 2005 p. 99 ; CAA Versailles 6 juillet 2006, n° 04VE03517.. Même si le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur ce point, tout porte à croire que le harcèlement moral est constitutif d’une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, qui expose certes son auteur à une action récursoire de l’administration mais permet à la victime d’obtenir auprès de celle-ci la réparation de son préjudice. Dimension interpersonnelle et contexte professionnelEn dépit de la difficulté de convaincre le juge, les décisions qui constatent l’existence d’un harcèlement moral au sein de la fonction publique ne sont pas inusuelles, près de dix ans après l’introduction du dispositif législatif. Ce progrès du droit participe de la prise en compte croissante des risques psychosociaux au sein de l’administration. Comme l’y invitait récemment l’un des contributeurs de cette revue (Cahiers de la fonction publique, juin 2011, p. 14), il convient cependant de ne pas envisager cette problématique générale au seul prisme du harcèlement moral qui, centré sur la dimension interpersonnelle d’une situation dégradée, n’invite peut-être pas assez fermement à s’interroger sur le contexte professionnel qui l’a rendue possible. |
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