1. Joseph Zobel, La rue Cases-nègres, Paris, Présence africaine, 1950.
difficultés : ****
Je trouvai m’man Tine devant notre cabane. Elle ne m’embrassa pas : elle ne m’embrassait presque jamais. Mais je ne fus pas sans éprouver toute la tendresse et la satisfaction que versait le regard dont elle m’accueillit.
Comment as-tu passé la journée ? me demanda-t-elle.
En vérité, elle ne m’avait jamais parlé avec un ton si doux. Et je lui fis tout le détail. Déjà, j’avais appris les noms de beaucoup d’objets nouveaux : la classe, le bureau, le tableau ; la craie, l’ardoise, l’encre et l’encrier… Je connaissais des expressions nouvelles, telles que : croisez-vous les bras ; faites silence, mettez-vous en rangs, rompez les rangs.
Jamais non plus je n’avais été aussi loquace. Et m’man Tine suivait mon discours avec un visage plus reposé et plus rayonnant que lorsqu’elle fumait sa pipe, et des yeux qui semblait me trouver réellement transfiguré.
2. Laye CAMARA, L’enfant noir, Paris, Plon, 1953.
difficultés : ****
Chante avec nous, disait mon oncle.
Le tam-tam, qui nous avait suivi à mesure que nous pénétrions plus avant dans le champ, rythmait les voix. Nous chantions en chœur, très haut souvent, avec de grands élans, et parfois très bas, si bas qu’on nous entendait à peine ; et notre fatigue s’envolait, la chaleur s’atténuait.
... Ils chantaient, nos hommes, ils moissonnaient ; ils chantaient en chœur, ils moissonnaient ensemble : leurs voix s’accordaient, leurs gestes s’accordaient ; ils étaient ensemble ! – unis dans un même travail, unis par un même chant. La même âme les reliait, les liait ; chacun et tous goûtaient le plaisir, l’identique plaisir d’accomplir une tâche commune. … C’était visiblement ce plaisir-là …qui mettait dans leurs yeux tant de douceur, toute cette douceur dont je demeurais frappé, délicieusement et un peu douloureusement frappé, car j’étais près d’eux, j’étais avec eux, j’étais dans cette grande douceur, et je n’étais pas entièrement avec eux : je n’étais qu’un écolier en visite – et comme je l’eusse volontiers oublié !
3. Ahmadou KOUROUMA, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2000.
difficultés : ***
Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence à conter mes salades.
Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça.
…Et deux… Mon école n’est pas arrivé très loin ; j’ai coupé cours élémentaire deux. J’ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut plus rien, même pas le pet d’une vieille grand-mère. (C’est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d’une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.)
4. Patrick CHAMOISEAU, Chemin d’école, Paris, Gallimard, 1994.
difficultés : *****
- Nous allons étudier, dit le Maître, le son A. Le A c’est la premièrre lettrre de l’alphabet. Contrairement aux pommes, vous connaissez parrfaitement ce que je vais vous montrer. Le nom de ce que vous allez voirr commence avec un A.
D’un sachet, il exhiba un fruit et le disposa avec soin sur le registre d’appel.
- Comment s’appelle ce fruit? Demanda-t-il triomphant après avoir accordé un long moment d’identification collective.
Il avait les mains jointes comme en action de grâce, sa tête penchée sur un côté semblait porter la charge de ses paupières dirigées vers le sol.
Un cri-bon-coeur fusa de l’assemblée :
- Un zanana, mêssié !
Horreur.
Le Maître eut un hoquet. Une agonie déforma son visage. Ses yeux devinrent des duretés étincelantes. Morbleu !... Comment voulez-vous donc avancer surr la voie du savoirr avec un tel langage ! Ce patois de petit-nègre vous engoue l’entendement de sa bouillie visqueuse !... Son indignation était totale. Sa compassion aussi. Il marchait à pas de rage, cherchant sur les figures défaites ceux qui avaient hurlé cette énormité. Une sueur éclaira son front et descendit abîmer la blancheur de son col. Il nous scrutait en circulant sans cesse de la colère à la pitié. Et le son de sa voix contenait un tremblement brisé. Il semblait à présent réfugié sur une rive lointaine et, de là, évaluer notre perdition dans un vieux marigot.
5. Dany LAFERRIERE, L’odeur du café, Montréal, VLB, 1991.
difficultés : **
L’été 63
J’ai passé mon enfance à Petit-Goâve, à quelques kilomètres de Port-au-Prince. Si vous prenez la nationale sud, c’est un peu après le terrible morne Tapion. Laissez rouler votre camion (on voyage en camion, bien sûr) jusqu’aux casernes (jaune feu), tournez tranquillement à gauche, une légère pente à grimper, et essayez de vous arrêter au 88 de la rue Lamarre.
Il est fort possible que vous voyiez, assis sur la galerie, une vieille dame au visage serein et souriant à côté d’un petit garçon de dix ans. La vieille dame, c’est ma grand-mère. Il faut l’appeler Da. Da tout court. L’enfant, c’est moi. Et c’est l’été 63.
(…)
La mer
Je n’ai qu’à me tourner pour voir un soleil rouge plonger doucement dans la mer turquoise. La mer des Caraïbes se trouve au bout de ma rue. Je la vois scintiller entre les cocotiers, derrière les casernes.
(…)
La bicyclette rouge
Cet été encore, je n’aurai pas encore la bicyclette tant rêvée. La bicyclette rouge promise. Bien sûr, je n’aurai pas pu la monter à cause de mes vertiges, mais il n’y a rien de plus vivant qu’une bicyclette contre un mur. Une bicyclette rouge.
(…)
Robe jaune
Je ne l’ai pas vue venir. Elle est arrivée dans mon dos, comme toujours. Elle revenait de la messe de l’après-midi avec sa mère. Vava habite en haut de la pente. Elle porte une robe jaune. Comme la fièvre du même nom.
(…)
Le paradis
Un jour, j’ai demandé à Da de m’expliquer le paradis. Elle m’a montré sa cafetière. C’est le café des Palmes que Da préfèRe, surtout à cause de son odeur. L’odeur du café des Palmes. Da ferme les yeux. Moi, l’odeur me donne des vertiges.
6. Assia DJEBAR, L’amour, la fantasia, Paris, Albin Michel, 1985.
difficultés : *****
Fillette arabe allant pour la première fois à l’école, un matin d’automne, main dans la main du père. Celui-ci, un fez sur la tête, la silhouette haute et droite dans son costume européen, porte un cartable, il est instituteur à l’école française. Fillette arabe dans un village du Sahel algérien.
Villes ou villages aux ruelles blanches, aux maisons aveugles. Dès le premier jour où une fillette « sort » pour apprendre l’alphabet, les voisins prennent le regard matois de ceux qui s’apitoient, dix ou quinze ans à l’avance : sur le père audacieux, sur le frère inconséquent. Le malheur fondra immanquablement sur eux. Toute vierge savante saura écrire, écrira à cour sûr « la » lettre. (Viendra l’heure pour elle où l’amour qui s’écrit est plus dangereux que l’amour séquestré.)
7. Nina BOURAOUI, Garçon manqué, Paris, Stock, 2000.
difficultés : ***
Tout me sépare de ma vie algérienne. Tout. Ce bruit. Cette gare. Ces voyageurs pressés. Mon grand-père. Qui ne dit rien sur Alger. Sur ses plages. Sur le soleil. Sur la chaleur étouffante. Sur la vie de plus en plus difficile des Algériens. Sur l’avenir des Algériens. Sur la souffrance des Algériens. Sur le manque. Sur les pénuries. Sur la violence naissante. Rien. Il demande des nouvelles de mon père. Ses dernières missions. Son tour du monde. Son travail. Ses responsabilités. Ça tombe bien, mon père n’est pas un ouvrier. Pas un travailleur immigré. Pas de ceux-là qu’on a dû vite loger dans des baraquements, des bidonvilles, des villages Sonacotra. Sans eau. Sans électricité. Ceux qu’on a humiliés. Qu’on a regroupés. Qu’on a isolés. Qu’on a tardé à instruire. Par peur de la révolte. Qu’on a exploités. Qu’on a ramenés d’Algérie. Comme une denrée. Des mains fortes. De la chair ouvrière. Des hommes. Puis leurs femmes. Ramenées. Comme des paquets. Par la poste. Par ces bateaux bondés. Dans une inhumanité certaine. Cette honte. Lente à accepter. A reconnaître. Cette honte française. Non, mon père est économiste. Tant mieux. Il voyage beaucoup. Ouf. C’est un Algérien diplômé. Bravo. Un haut fonctionnaire.
EXERCICES PROPOSÉS :
niveau minimum : B1 –
exercices portant sur l’ensemble des textes (7 extraits)
1. exercices de compréhension et de production écrites
préparant l’apprentissage de l’écriture de CV, ou la récapitulant
matériel : articles biographiques sur les auteurs des extraits (tirés des dictionnaires littéraires, des anthologies, des manuels)
travail en groupe d’abord, puis au TBI
déroulement de l’activité en groupe :
trouver (souligner) les informations les plus importantes des biographies
établir des catégories (naissance : date+lieu, études/formation, expériences du travail, carrière d’écrivain, langue(s) d’écriture etc.)
mise en commun au TBI : tableau Excel p. ex.
définir ensemble les catégories valables pour tous les écrivains
remplir le tableau Excel au TBI
devoir à domicile : d’après ces catégories, écrire le CV d’un personnage célèbre (sans donner son nom : les autres devront le deviner +/ou son propre CV)
exercices de compréhension écrite et de production/interaction orale
préparés par l’exercice précédent
matériel : les 7 extraits de texte + le tableau Excel des données biographiques des auteurs
travail en groupe, puis au TBI
déroulement de l’activité en groupe :
chercher dans les textes les indices (lexiques en général) qui font référence à un pays/aire linguistique/culturelle
attribuer les extraits aux auteurs
préparer l’argumentation
mise en commun au TBI :
compléter le tableau Excel : attribuer les extraits aux auteurs
donner son opinion, la défendre et argumenter
exercice préparant l’étude de la francophonie
matériel : carte des pays du monde au TBI et sur papier
travail commun :
situer les pays d’origine des auteurs des 7 extraits sur la carte
chercher et nommer les autres pays francophones
faire la différence entre les pays francophones (le français comme langue maternelle/officielle/véhiculaire/d’éducation/d’expression)
exercices portant sur plusieurs extraits
2.1. exercices de compréhension écrite et de production écrite et orale (logique, structuration, expression)
matériel : 2 extraits de texte coupés en fragments, puis mélangés en un seul texte
travail en groupe ou individuellement
déroulement de l’activité :
reconstituer les 2 extraits
argumenter, défendre ses versions
suggestions :
plus difficile :
texte d’Assia Djebar + texte de Nina Bouraoui
texte de Camara + texte de Zobel
plus facile :
texte de Bouraoui et de Kourouma
texte de Kourouma et de Zobel ou de Camara
exercices portant sur un seul extrait
3.1. exercice de compréhension écrite et de production écrite et orale : reconstitution d’un extrait coupé en fragments
suggestions : texte de Kourouma, de Zobel, de Bouraoui
exercice de compréhension écrite et de production/interaction orale ou écrite : le jeu des hypothèses
( le texte est coupé en fragments, la linéarité est respectée, mais on montre les fragments un par un, et les élèves sont invités à faire des hypothèses sur la suite, en fait, à continuer/réécrire le texte)
suggestions : texte de Kourouma, de Chamoiseau
exercices de production écrite portant sur les différents registres de langue : réécriture des extraits dans un autre registre (littéraire/standard/familier)
suggestions : texte de Kourouma, de Bouraoui, de Zobel, de Camara
exercices de production écrite portant sur les particularités stylistiques : réécriture des extraits dans un autre style (p. ex. nominalisation/verbalisation)
suggestions :
verbaliser les extraits d’Assia Djebar et de Bouraoui
nominaliser les extraits de Chamoiseau, de Kourouma, de Laferrière
exercices de production écrite : exercices créatifs
donner des titres
continuer les textes
« exercices de style » : réécriture d’un extrait dans d’autres styles (texte de Bouraoui)
écriture créative s’inspirant des extraits (texte de Laferrière : Mes souvenirs d’enfance/L’odeur de…/L’été 1993 etc. ; texte de Chamoiseau et de Zobel : Ma première journée à l’école
Dr. TÓTH Réka
ELTE – Budapest
2014 |