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Baron Clémence Université Paris II Panthéon Assas Le sort des créanciers munis de sûretés après la réforme des procédures collectives et la réforme du droit des sûretés. Sous la direction de Monsieur le Professeur Pierre Crocq Magistère de juriste d’affaires. DESS. DJCE. Mai 2006 « L’université Panthéon Assas (Paris II) Droit - Economie - Sciences sociales, n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires de fin d’études ; ces opinions devront être considérées comme propres à leurs auteurs. » Je tiens à remercier Monsieur A. Gourio et Maitre A. Provansal pour avoir accepté de répondre à mes questions dans le cadre de la réalisation de ce mémoire. Je remercie également Monsieur le Professeur P. Crocq pour son aide et ses conseils. SOMMAIRE INTRODUCTION Lorsque l’on parle crédit, financement d’une entreprise par un tiers, on se doit de penser immédiatement à l’éventuelle défaillance de son débiteur. Et lorsque le débiteur en question est une entreprise il convient pour le créancier d’avoir en tête quelques chiffres… S’agissant de l’année 2005 le nombre de liquidations judiciaires immédiates prononcées par les tribunaux de commerce français se chiffrait à 27 248 contre 14 222 redressements judiciaires, sachant que seulement 102 plans de cession et 355 plans de continuation ont été adoptés1. Pour être encore plus clair il est possible de dire que plus de 90% des procédures collectives ouvertes à l’encontre d’un débiteur se soldent par une liquidation judiciaire. C’est dire l’importance donnée à l’efficacité d’une garantie prise par le créancier2. Pourtant, en matière de procédures collectives, un des principes majeurs reste celui de l’égalité des créanciers car, selon l’article 2085 du code civil, le prix des biens communs du débiteur se distribue entre les créanciers par contribution « à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». Le débiteur n’ayant par hypothèse plus de quoi payer ses créanciers il convient de faire subir à tous les créanciers le poids des pertes. La Cour de Cassation a très tôt reconnu que cette disposition était une disposition d’ordre publique. Elle n’est cependant pas consacrée formellement par la législation sur les procédures collectives et, les magistrats eux-mêmes, reconnaissent qu’une application trop stricte nuirait à l’équité nécessaire en la matière. Ainsi le principe sera parfois invoqué au soutien de certaines dispositions du droit des procédures collectives (déclaration de créances, suspension des poursuites individuelles, interdiction de paiement des créances antérieures…) et parfois écarté aux vues des finalités de la procédure (privilèges des créanciers postérieurs, clause de réserve de propriété…).3 La validité des causes de préférences et des garanties est donc parfaitement admise. Mais reste à savoir ce que l’on entend par privilège, garantie ou encore sûreté. Le vocable de garantie est utilisé pour englober tous les procédés permettant au créancier de garantir l’exécution d’une obligation (y compris la compensation par exemple) et, parmi ces garanties, il y a les sûretés dont un auteur a proposé une définition généralement retenue « une sûreté est l’affectation à la satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine, par l’adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat de base, d’un droit d’agir, accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique en remédiant aux insuffisances de son droit de gage général, sans pour autant être source de profit, et dont la mise en œuvre satisfait le créancier en éteignant la créance en tout ou partie, directement ou indirectement »4. Il faut donc en retenir le caractère accessoire, intentionnel, et la conséquence qui est d’éteindre la créance. Quant au privilège il s’agit d’une sûreté légale5. Mais avant de cerner leur place et leur efficacité lors de la défaillance du débiteur il convient de comprendre quelle a été l’évolution des législations régissant les garanties et les procédures collectives. En matière de procédures collectives la première avancée notable a été faite par la loi du 13 juillet 1967 dont l’objectif était de distinguer l’entreprise de ses dirigeants et par conséquent d’envisager un sauvetage de l’entreprise. Elle a mis en place, lorsque le redressement était possible, le concordat qui était établi et voté par la masse des créanciers, symbole de leur égalité. Mais dans les années qui suivirent les liquidations d’entreprise se sont multipliées et le paiement des créanciers, même privilégiés, était très rare du fait du poids des privilèges généraux des salaires, du Trésor Public et de la sécurité sociale. Ainsi sur la base d’un rapport dit rapport SUDREAU de 1975 une importante réforme a été adoptée et s’est traduite par l’adoption de quatre textes dont la loi du 1ier mars 1984 relative « à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises » et la loi du 25 janvier 1985 relative « au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ». L’objectif de cette réforme était de favoriser au maximum la détection en amont des difficultés de l’entreprise afin d’augmenter les chances de son redressement. Pour ce faire, a notamment été instituée la procédure dite de règlement amiable ayant une nature mixte, contractuelle et judiciaire, où le débiteur avec l’aide d’un conciliateur concluait un accord avec ses créanciers pour l’obtention de remises ou délais. Une procédure judiciaire unique a également été mise en place, intitulée redressement judiciaire, débutant par une période d’observation (avec suspension des poursuites pour les créanciers et interdiction des paiements) et débouchant sur un plan de continuation, de cession ou sur une liquidation judiciaire. La finalité de la procédure de redressement était exposée à l’article L620-1 du code de commerce qui prévoyait en premier lieu la sauvegarde de l’entreprise. Le deuxième objectif était le maintien de l’activité et de l’emploi et enfin en troisième et dernière position se trouvait l’apurement du passif. D’une participation active au sort de l’entreprise, les créanciers passaient donc au dernier rang dans les objectifs du législateur et les termes mêmes d’apurement du passif illustraient tout à fait le fait qu’ils ne pourraient être entièrement payés. Et dans cette optique la réforme a choisi de faire disparaître la masse.6 La modification du sort des créanciers s’est également traduite par la création du célèbre « article 40 » devenu L621-32 du code de commerce accordant aux créanciers ayant financé la période d’observation le droit d’être payés prioritairement à tous les autres créanciers même privilégiés sauf ceux ayant des créances de salaire garanties par le super privilège des salaires et ceux dont les créances correspondent à des frais de justice. La célébrité de cet article est cependant en partie liée aux nombreuses critiques dont il a fait l’objet et ce sont, entre autres, ses conséquences qui ont conduit à une nouvelle modification du droit des procédures collectives quelques années plus tard.7 En effet les créanciers munis de sûretés comme une hypothèque ou un gage se voyaient non seulement primés par les privilèges généraux mais également par les créanciers de l’article 40. Beaucoup y ont vu des « sûretés laminées ». Une nouvelle réforme a donc été enclenchée avec la loi du 10 juin 1994 avec quatre objectifs : moraliser les plans de cession, améliorer la prévention, faciliter les procédures en créant notamment la liquidation judiciaire immédiate, et surtout rétablir les droits des créanciers munis de privilèges ou de sûretés. Désormais si les créanciers postérieurs conservent leur position en cas de redressement judiciaire, en cas de liquidation judiciaire, ils seront primés par les créances garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d’un droit de rétention ou nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement.8 Malgré cette avancée la position des créanciers munis de sûretés restait très délicate notamment parce que la plupart des actifs de l’entreprise étaient réservés aux privilèges généraux. A cela il faut ajouter des modifications dans l’ordre communautaire avec le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. Ce dernier vise principalement à harmoniser les chefs de compétence en admettant sous certaines conditions l’ouverture de plusieurs procédures dans différents Etats membres. Il édicte cependant quelques règles matérielles au profit des créanciers concernant leur information, la production des créances et le devenir de leur droit réel.9 La combinaison de ces difficultés et modifications et le besoin d’améliorer encore le sauvetage des entreprises a conduit le législateur à envisager de nouvelles réformes. Après un « document de travail préparatoire » réalisé en octobre 2000 par le ministère de la justice puis abandonné, ce que l’on connaît sous le nom de projet « Perben » a vu le jour et a abouti à la promulgation de la loi de sauvegarde des entreprises le 26 juillet 2005 suivie d’un décret en date du 28 décembre 2005. Elle est entrée en vigueur le 1ier janvier 2006. Le but de cette loi est encore un fois de maximiser la prévention. A ce titre elle conserve ce que l’on connaissait sous le nom de règlement amiable mais cela devient la « conciliation ». Elle instaure également une procédure dite de sauvegarde qui pourra être ouverte sur la seule demande du débiteur et à la condition qu’il ne soit pas en état de cessation des paiements. Viennent ensuite le redressement judiciaire où le débiteur est en cessation des paiements et la liquidation, phase à laquelle a été intégrée la cession comme cela était le cas sous l’empire de la loi de 1967. S’agissant des créanciers, leur sort est revalorisé tant au niveau individuel, notamment par la création d’un nouveau privilège et une future diminution des créances postérieures, que collectif, avec, entre autres, l’instauration des comités de créanciers qui seront consultés sur l’élaboration du plan (sorte de retour à la masse), ou encore les contrôleurs qui deviennent de véritables organes de la procédure.10 Il faut noter qu’au cours de cette évolution la législation sur les procédures collectives a pris de plus en plus d’importance car son champ d’application n’a cessé de s’élargir. La loi de 1967 concernait les commerçants ; celle de 1985 en a fait bénéficier les artisans. En 1988, c’était au tour des exploitations agricoles d’être incluses dans le champ et enfin la loi de 2005 procède à une extension au profit des professions libérales. Mais on ne peut prendre pleinement conscience de l’évolution de la législation sur les procédures collectives sans observer celle propre à la législation sur les sûretés. En effet les textes en la matière dataient de 1804 et nombreux sont ceux qui plaidaient pour une refonte des dispositions de façon à remédier aux difficultés actuelles et ainsi offrir aux législations étrangères une approche plus aisée de notre droit. S’agissant des difficultés, un auteur en distinguait, il y a 10 ans déjà, trois principales : les incertitudes de la politique des sûretés (entre protection du débiteur et développement du crédit), l’inflation des sûretés réelles (multiplication des gages et de la sûreté propriété) et le fort pouvoir des volontés individuelles contournant les interdictions légales. Après avoir démontré que les créanciers aspiraient à la simplicité et à l’efficacité de leur garantie, il concluait en disant « au point de son évolution, notre droit des sûretés réelles est sans doute mur pour une réforme ».11 A cela s’ajoutaient une transformation progressive de la composition des patrimoines avec le développement des meubles incorporels et surtout la soumission de plus en plus forte des sûretés à la législation des procédures collectives. Ces facteurs associés à la célébration du bicentenaire du code civil ont permis de prendre conscience de la nécessité d’une réforme. Ainsi en juillet 2003 un groupe de travail a été mis en place sous la présidence du Professeur Grimaldi.12Ses propositions de réforme ont été remises au garde des sceaux le 31 mars 2005. L’objectif annoncé était de rendre à cette matière une lisibilité et une accessibilité conditions de la sécurité juridique et donc du développement du crédit13. Il s’agissait également de moderniser les textes en ayant à l’esprit leur future exportation au niveau européen et international14. Et par une loi en date du 26 juillet 2005 « pour la confiance et la modernisation de l’économie » le parlement a habilité le gouvernement à légiférer par ordonnance en la matière. Le processus a donc été extrêmement rapide. Précisons cependant que la propriété cédée à titre de garantie n’est pas concernée par cette réforme car la chancellerie a institué un autre groupe de travail en la matière (le groupe de travail sur la fiducie). De plus l’habilitation excluait plusieurs points sensibles de la réforme envisagée à commencer par le cautionnement dont la modification revient par conséquent au Parlement (la numérotation est seule modifiée). Elle excluait également le nantissement d’instruments financiers et celui de monnaie scripturale, le projet proposant d’introduire le premier dans le code civil (ce à quoi les représentants des banques s’étaient fortement opposés)15 et de créer le second. De même, bien que les projets envisagés l’aient retenue, le conseil d’Etat a estimé que l’habilitation ne comprenait pas la proposition faite pour ramener les privilèges immobiliers au rang d’hypothèques légales. Elle comprenait en fait l’introduction de dispositions pour permettre le nantissement de stocks ainsi que pour « simplifier la constitution des sûretés réelles mobilières et leurs effets et étendre leur assiette ». Le gouvernement était aussi habilité à améliorer le fonctionnement de l’antichrèse, à permettre le crédit hypothécaire rechargeable et le prêt viager hypothécaire et à simplifier la mainlevée hypothécaire et diminuer son coût. Enfin il devait codifier à droit constant les dispositions sur la réserve de propriété ainsi que donner une base légale à la garantie autonome, à la lettre d’intention et au droit de rétention.16 L’ordonnance a été approuvée en conseil des ministres le 22 mars 2006, publiée au journal officiel le 24 mars 2006 et selon la chancellerie elle est applicable à 80% dès sa parution. Seuls cinq décrets devront encore être publiés.17 L’innovation la plus visible est la création d’un livre IV dans le code civil consacré aux sûretés. Ce livre devait selon le projet commencer par l’énumération d’une série de principes directeurs comme l’affirmation que la sûreté ne peut être une source d’enrichissement pour le créancier mais là encore cela n’a pas été repris par l’ordonnance. Si, s’agissant des particuliers les dispositions phares étaient le crédit hypothécaire rechargeable et le prêt viager hypothécaire18, pour les entreprises parmi les innovations les plus commentées, il faut retenir le gage sans dépossession ou encore l’autorisation du pacte commissoire, mesures que nous commenterons ultérieurement. Il ne faut cependant pas voir dans ce nouveau livre un complet bouleversement du droit des sûretés. En effet selon les membres du groupe de travail cette réforme a été conçue comme un simple prolongement des avancées légales ou jurisprudentielles.19 Ainsi les procédures collectives et les sûretés sont fortes de deux modifications majeures et extrêmement récentes. Et l’étude de leur impact est nécessairement très importante car ces deux matières sont des fondamentaux de notre économie. L’éternel problème sous jacent est en effet l’équilibre entre la protection des intérêts du créancier et celle des intérêts du débiteur. Il ne faut pas oublier que la sûreté se caractérise par sa fonction qui est de payer le créancier. Elle a donc vocation à démontrer toute son utilité lors de la défaillance du débiteur. A trop vouloir préserver l’entreprise au détriment des créanciers on risque de décourager le crédit en général ; inversement le sauvetage d’une entreprise nécessitera des efforts de la part des créanciers au risque pour eux de tout perdre en définitif, et trop favoriser les créanciers risquerait de décourager l’initiative individuelle. Or l’histoire des évolutions législatives n’est constituée que de ce conflit, la balance penchant d’un côté ou de l’autre au fur et à mesure des réformes. Un auteur a pu dire que l’on constate constamment « entre les sûretés et les procédures collectives quelques chose de la vieille rivalité entre le canon et la muraille. Chaque fois qu’un édifice est levé…les créanciers cherchent un moyen de contourner l’obstacle ou d’y pénétrer. »20 Et on ne peut pas nier en effet que si ces matières ne peuvent se lire l’une sans l’autre, cette imbrication déforme également certains de leurs principes : le droit des sûretés vient mettre à mal le principe de l’égalité des créanciers et la finalité du droit des procédures collectives justifie le détournement de certaines notions comme le caractère accessoire du cautionnement ou la modification de l’ordre des paiements. Mais comme un autre auteur n’a pas manqué de le faire remarquer il y a également un enrichissement réciproque des deux matières.21 Par exemple la législation des procédures collectives permet de s’interroger sur la nature ou le régime d’une sûreté. S’agissant des deux réformes le problème est que la première n’a pas tenu compte des travaux réalisés par le groupe de travail sur la seconde ce qui explique certaines incohérences que nous rencontrerons. Et pour mesurer les conséquences concrètes de ces évolutions sur les créanciers munis de sûretés, les imbrications entre elles et les réelles avancées, il nous faut étudier l’impact de la réforme des procédures collectives sur le droit des sûretés (PREMIERE PARTIE) puis l’impact de la réforme du droit des sûretés sur la législation en matière de procédures collectives (DEUXIEME PARTIE). |
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