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Partie I : Les instruments de la minoration des femmes : Normes juridiques et représentations Sauf dans les périodes révolutionnaires, le droit est un reflet plus ou moins décalé des valeurs généralement admises dans une société. Jusqu’à une époque récente, la femme était une mineure pendant toute sa vie, de l’enfance au mariage, à l’exclusion du célibat ou du veuvage. Considérée comme plus faible que l’homme (sauf dans le domaine de la sexualité) elle devait être protégée par lui a priori contre elle-même. Mais dans le domaine qui nous intéresse, la régulation de la domination de la femme a plutôt était assurée par les habitus que par le droit. Cette domination était intériorisée notamment par certaines représentations. Les rôles du droit La minoration des femmes est repose donc davantage sur les mœurs que le droit. Cependant, certaines lacunes du droit permettent parfois aux femmes de retrouver leur capacité : c’est le cas des veuves. Prééminence des habitus sur les normes Le concept d’habitus a été théorisé par Pierre Bourdieu. Toutes nos manières d’agir et de penser sont le produit de notre socialisation (famille, éducation), qui inscrit en nous un habitus, c’est-à-dire un ensemble de dispositions qui guident nos choix dans tous les domaines de l’existence. L’habitus devient ainsi une seconde nature pour les individus: ils ont tellement intégré ces dispositions qu’ils n’ont pas besoin de réfléchir pour faire des choix ajustés à leur condition. Les habitus sont des routines mentales, devenues inconscientes ,qui leur permettent d'agir «sans y penser». La violence symbolique, c’est-à-dire la capacité à perpétuer des rapports de domination en les faisant méconnaître comme tels par ceux (celles) qui les subissent, joue un rôle central dans ce processus d’intériorisation. Dans nombre de situations dont je ne peux donner ici que quelques exemples, le droit n’est pas mis en œuvre pour assurer la domination. À la fin du XIXe siècle, les femmes étaient très rares à faire des études universitaires, et encore moins à les pousser jusqu’au doctorat. Je voudrais évoquer ici le cas de la première française avocate, Jeanne Chauvin, qui montre que non seulement le droit n’était pas l’instrument de son éviction, mais qu’il fut celui de son intégration dans ce métier. Nous sommes en 1892. Une jeune femme de trente ans entre dans une salle de la Faculté de droit de Paris. Elle s’apprête à soutenir sa thèse d’histoire du droit: Étude historique des professions accessibles aux femmes. On y lit que l’inégalité juridique entre les hommes et des femmes trouve sa source dans la Bible et le catholicisme. Un ouvrage académique, mais aussi engagé: Jeanne Chauvin revendique l’égalité entre filles et garçons dans l’éducation et un égal accès pour les deux sexes à toutes les professions, privées et publiques. Fille de notaire, elle est orpheline à seize ans. Brillante élève, elle réussit deux baccalauréats, Lettres et Sciences, et deux licences : Droit et Philosophie. Elle est la deuxième femme licenciée en droit et la première à présenter une thèse dans cette discipline. Mais les choses tournent mal. Avertis de la soutenance et connaissant le contenu de la thèse, des étudiants envahissent la salle en chantant virilement la Marseillaise. Car les idées de Jeanne ne correspondent ni aux mœurs, ni au droit de l’époque. Devant le charivari, celle-ci est ajournée. Mais elle aura lieu quelques jours plus tard, cette fois sans incident. Jeanne est reçue à l’unanimité du jury. Ses tribulations ne sont cependant pas terminées. Elle dispense des cours dans plusieurs lycées parisiens pour jeunes filles8. À cette époque, l’enseignement n’était pas mixte, mais surtout il faudra attendre les années 1920 pour que les programmes soient les mêmes pour les filles et garçons. Le cerveau féminin était réputé trop débile pour l’apprentissage du latin, ce qui rendait difficile l’accès des filles aux professions telles que le droit ou la médecine (en droit, à la fin du XIXe siècle, il n’est pas rare que les doctorants rédigent leurs thèses en latin). Mais Jeanne est aussi une féministe et n’entend pas se satisfaire du métier d’enseignante. Dès 1893 elle demande aux parlementaires d’accorder à la femme mariée le droit d’être témoin dans les actes publics ou privés et d’admettre la capacité des femmes mariées à disposer des produits de leur travail de leur industrie personnels. Le 24 novembre 1897, elle se présente à la Cour d’appel de Paris pour prêter son serment d’avocate après que le bâtonnier lui ait refusé son inscription au barreau. La première chambre civile refuse d’accéder à sa requête au motif que : «… au législateur seul appartient le droit de modifier les lois ou d’en édicter de nouvelles, tandis que le pouvoir judiciaire n’est appelé qu’à interpréter et appliquer les lois existantes ». Argument contestable : aucune loi n’interdisait explicitement aux femmes de devenir avocates. Simplement, ce cas n’était pas prévu car il ne correspondait pas aux mœurs. Des mouvements féministes s’emparent de l’affaire et entreprennent des parlementaires. Raymond Poincaré et R.Viviani présentent une proposition de loi permettant l’accès des femmes au barreau. Elle est votée par 319 voix contre 114 et publiée au Journal officiel le 1er décembre 1900.Dix huit jours plus tard, Jeanne prête serment, précédée le 5 décembre par Madame Petit. Jeanne sera la première avocate de France à plaider, en 1907. Elle mourra à soixante quatre ans, en 1926, sans avoir fondé de famille. Autre exemple, celui de l’exclusion des femmes de l’apprentissage de la musique. Plus exactement, de la composition musicale, car on a toujours admis que les femmes pouvaient jouer des instruments de musique, tout au moins de certains, comme nous le verrons. Mais par une infirmité de son intelligence, la femme n’est pas capable de créer : elle ne peut que reproduire. Elle ne crée que dans la fonction de maternité. Il s'agit de l'accès officiel des femmes à la composition. Jusqu'ici, elles avaient pu composer, mais uniquement dans un cadre privé, avec l'appui de leur famille, en général de leur père, plus rarement de leur mari. (Clara Schumann avait bénéficié du soutien des deux ; Fanny Mendelssohn avait épousé un peintre, Hensel, mais son père lui avait fait donner des leçons, comme à Félix, sur lequel il fondait bien davantage des projets d'avenir.). Le Conservatoire national de musique fut créé par la Révolution française, le 3 août 1795. Les cours y étaient gratuits. 115 maîtres y enseignaient à 600 élèves, des filles et garçons choisis dans tous les départements. Une classe de composition était prévue. À l'origine, le projet de l'établissement était net : former une élite artistique patriotique pour la célébration des fêtes nationales9. Il ne semble pas qu'aucune prescription juridique ait interdit l'accès des filles aux classes de composition, mais il faudra attendre la seconde partie du XIXe siècle pour en trouver. En pratique, pendant la plus grande partie du XIXe siècle, partout en Europe, il y avait surtout des filles dans les classes de chant, de piano et de harpe10 La situation est à cet égard différente à l'Ecole nationale des beaux-arts, juridiquement fermée aux filles. En 1893 encore, en réponse à une lettre du Figaro, le secrétaire de l'Ecole répond que les jeunes filles ne sont pas admises à l'Ecole, aucun arrêté ministériel n'ayant été pris en ce sens. Par ailleurs, le verrouillage de ces institutions en commandait un autre : celui de l'accès aux prestigieux prix de Rome (supprimés seulement en 1968, à l'initiative d'André Malraux). Aucune règle écrite n'interdisait les prix de Rome aux jeunes filles. Pour autant, on n'était pas dans une situation de pur fait : pour s'inscrire, il fallait obtenir au préalable l'autorisation du Directeur des Beaux-arts (dans le cas de la musique, cette demande était transmise par la direction du Conservatoire). Or, l'accès au prix de Rome était essentiel dans une carrière artistique : en dehors du séjour à Rome, il procurait une reconnaissance symbolique dont bénéficiait l'artiste sa vie durant (même si tous les artistes, comme Debussy, n'appréciaient pas forcément leur séjour à Rome). Comme le dit Mme Bertaux (la fondatrice et première présidente de l'Union des femmes peintres et sculpteurs) en 1889 : « Être Prix de Rome ! À part la preuve d’aptitudes pour le grand art, cela signifie se trouver désormais à l’abri des plus terribles éventualités, c’est avoir dans l’Ecole des Beaux-Arts une famille qui vous prend en tutelle, vous prodigue sans frais le plus large enseignement avec les plus illustres professeurs, vous soutient d’abord, vous encourage ensuite et vous protège toujours ». L’accès de rares femmes aux classes de composition s'opère dans la seconde moitié du XIXe siècle, de manière progressive et encore relativement peu connue dans ses modalités. Cette intégration se réalise de manière très différente de celle des filles à l'Ecole des Beaux-arts : amorcée en 1897, elle suscita beaucoup de polémiques publiques, dont une manifestation des étudiants de l'Ecole, aux cris de « A bas les femmes ! ». Ceux-ci craignaient en effet la concurrence des filles, non sans raison. Il reste que le contexte était devenu favorable à une telle intégration. À la fin du siècle, on peut en effet parler d'une nouvelle Querelle des femmes. Les femmes se sont organisées en associations. En 1881, Mme Léon Bertaux fonde l'Union des femmes peintres et sculpteurs, reconnue d'utilité publique en 1888. En 1904, est créée l'Union des femmes professeurs et compositeurs, toujours en activité actuellement11, qui vise à réhabiliter le patrimoine musical féminin. Des hommes les soutiennent : il existe donc un certain nombre de partisans de l'ouverture aux femmes de professions jusqu'ici masculines. Comme nous l'avons vu en lisant les textes de Mme Virginie Demont-Breton et Eugène de Solière12, il ne faut pas confondre ce féminisme avec celui des suffragistes, considéré comme beaucoup plus inquiétant. Au contraire, les partisans de cette ouverture de ces professions aux femmes prenaient bien soin de marquer leurs distances, et de se situer toujours dans la perspective d'une distinction entre les sexes, dont ils réclament non l'uniformisation, mais l'équivalence. Les femmes sont de plus en plus présentes dans l'enseignement général. L'enseignement secondaire (en ce qui concerne les jeunes filles, il a été fondé par la loi Camille Sée le 21 décembre 1880) n'en compte que quelques centaines en 1880 (elles seront 38 000 en 1914, contre 100 000 garçons)13. En 1861, Julie Daubié est la première femme à réussir le baccalauréat. Les filles commencent cependant à pénétrer dans l'enseignement universitaire : elles sont 624 (du moins pour les Françaises, auxquelles il faut ajouter des étudiantes étrangères en 1900. Les Facultés de médecine, des lettres ou des sciences leur étaient ouvertes depuis le Second Empire, le droit et la pharmacie attendront la fin du siècle (en 1923, les filles constituent 6,8 % des étudiants en droit). Jeanne Chauvin est la première femme docteur en droit, le 2 juillet 1892. Cependant, si le climat est incontestablement à la promotion intellectuelle des femmes dans le domaine de l'éducation, il ne semble pas que les compositrices de cette époque aient été lycéennes et encore moins étudiantes en université, à la possible exception d'Hélène Fleury : leur formation, comme au début du XIXe siècle, s'effectua en pensionnat ou en cours privés. De toute façon, elles n'auraient guère pu acquérir de formation musicale dans l'enseignement public, (encore moins en composition). Celui-ci fut obligatoire pour les filles dans les écoles publiques de 1834 à 1850, facultatif de 1852 à 1882, redevint obligatoire à partir de 1882, mais disparaît progressivement du second cycle. Persistance de la séparation entre les genres : dans les lycées de garçons, la musique n'est enseignée qu'à partir de 193814. Comme durant les siècles précédents, le milieu familial reste déterminant, même s'il n'est plus exclusif : on devient toujours musicienne de père en fille, comme pour les artistes peintres. Quelques exemples : Pierre Candeille (1744-1827) fut le professeur de sa fille Julie (1767-1834) ; même apprentissage pour Louise Geneviève Rousseau (1807/1810-1838), arrière petite nièce de Jean-Jacques Rousseau, devenue Mme de La Hye. En revanche, deux figures-phare du XXe siècle, les soeurs Boulanger, ne furent pas initiées à la musique par leur père, trop âgé mais encore influent, mais par leur mère, une musicienne beaucoup plus jeune. La célèbre cantatrice Pauline Viardot-Garcia (1821-1910) prit ses premières leçons de chant avec son père. En revanche, Hippolyte Chaminade (1826-1887), important assureur, refusa que sa fille Cécile (1857-1944) entre au Conservatoire, malgré l'avis contraire de son épouse, estimant que son avenir était celui d'une épouse et mère. Mais pour celles qui pouvaient entrer au Conservatoire, quelles étaient au XIXe siècle les possibilités de formation en composition musicale ? Tout d'abord, précisons que les classes n'étaient pas mixtes, ce qui n'avait rien d'étonnant pour l'époque : c'était aussi le cas dans l'enseignement général. C'était également la règle suivie dans tous les conservatoires européens. Cependant, la ségrégation était particulièrement marquée au Conservatoire. Un règlement édicté sous la Restauration imposait aux filles et aux garçons des entrées distinctes dans l'établissement : un jour Berlioz se trompa et fut réprimandé par le gardien...15 Les garçons avaient des professeurs hommes exclusivement ; les filles, soit des hommes, soit des femmes. À rang égal, les professeurs femmes recevaient des traitements inférieurs à ceux des hommes. Cette ségrégation était juridiquement instituée, puisque le règlement intérieur de 1806 précise : « Les classes des élèves des deux sexes sont séparées, il n'existe de réunion que dans les classes de répétition de scène chantée et ces réunions ont lieu en présence des parents »16. De même, à la fin du siècle, il est expressément prévu (article 33 de l'arrêté ministériel du 11 septembre 1878) dans l'organisation du Conservatoire que les mères peuvent chaperonner leurs filles durant les cours (ce qu'elles devaient faire tout particulièrement quand les professeurs étaient des hommes...). En 1822, le règlement du Conservatoire prévoit que les classes d'harmonie, de contrepoint et de fugue sont réservées aux hommes. Mais en 1826, Cherubini ajoute à la classe masculine d'harmonie et d'accompagnement pratique une classe préparatoire réservée exclusivement aux femmes, innovation saluée par le Journal des débats du 6 octobre : « La science de l'harmonie se propage dans l'école française d'une manière aussi brillante que rapide (...) Et nous voyons y figurer des demoiselles parmi les lauréats d'harmonie et parmi les professeurs qui enseignent cette science ». L'arrêté ministériel du 11 septembre 1878, portant règlement du Conservatoire, prévoit aussi (art. 4) quatre classes d'harmonie écrite pour les hommes et deux pour les femmes. En revanche, en ce qui concerne les trois classes de composition (art. 7), il se borne à préciser que l'enseignement comprend le contrepoint et la fugue, la composition et l'instrumentation. Ce qui semble vouloir dire que la participation de filles n'était pas prévue (sans être interdite pour autant), car sinon on ne voit pas pourquoi le même principe de ségrégation n'aurait pas été appliqué, comme dans toutes les autres classes où étaient susceptibles de se présenter des filles (dans le même sens, aucune division entre les sexes n'est prévue à l'art. 17 pour les classes d'instruments à vent, traditionnellement réputés non féminins). Toujours dans le régime de 1878, la ségrégation règne aussi dans l'organisation des concours (art. 57). Les élèves du même sexe et de la même spécialité concourent ensemble, sauf dans les concours de déclamation lyrique et de déclarations dramatiques ; cependant, même dans ce dernier cas, des récompenses distinctes sont attribuées aux garçons et aux filles. Nous savons par ailleurs qu'à cette époque, la classe d'harmonie ne comptait que 62 élèves sur un total de 600 inscrits au Conservatoire, toutes classes confondues. Les hommes y étaient nettement majoritaires : 43 garçons pour 19 filles17. Ajoutons que la classe d'orgue fut toujours considérée comme la classe « officieuse » de composition. À la fin du XIXe siècle, le règlement du Conservatoire la qualifie ainsi : « L'étude de l'orgue, destinée principalement à l'improvisation, se rattache essentiellement à celles de l'harmonie et de la composition, indispensables à l'organiste ». La classe fut ouverte aux filles dès les années 1820 (mais même encore aujourd'hui, on compte relativement peu de femmes organistes... Faut-il en voir les causes dans le caractère sacré de l'instrument-la femme a toujours été tenue à l'écart de la musique sacrée-, sa puissance, dont la maîtrise exige des qualités « viriles » ? On « touche » le clavecin, mais on « tient » les orgues...). L’'harmonie semble donc avoir été accessible aux filles de façon relativement précoce. Cependant |
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