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![]() Émile Zola Travail BeQ Émile Zola 1840-1902 Les Quatre Évangiles II Travail roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 110 : version 1.01 La tétralogie des Quatre Évangiles (Fécondité, Travail et Vérité), écrite entre 1898 et 1902, n’a pas été terminé. Vérité a été publié après la mort de Zola, et Justice, ce qui devait être le quatrième volume, n’a pas été écrit et est resté à l’état d’ébauche. Travail Livre IIDans sa promenade au hasard, Luc Froment, en sortant de Beauclair, avait remonté la route de Brias, qui suit la gorge où coule le torrent de la Mionne, entre les deux promontoires des monts Bleuses. Et, comme il arrivait devant l’Abîme, nom que portent dans le pays les Aciéries Qurignon, il aperçut, à l’angle du pont de bois, peureusement rasées contre le parapet, deux figures noires et chétives. Son cœur se serra. C’était une femme à l’air très jeune, pauvrement vêtue, la tête à demi cachée sous un lainage en loques ; et c’était un enfant, de six ans environ, à peine couvert, la face pâle, qui se tenait dans ses jupes. Tous les deux, les yeux fixés sur la porte de l’usine, attendaient, immobiles, avec la patience morne des désespérés. Luc s’était arrêté, regardant lui aussi. Il allait être six heures, le jour baissait déjà, par cette humide et lamentable soirée du milieu de septembre. On était au samedi, et depuis le jeudi, la pluie n’avait pas cessé. Elle ne tombait plus, mais un vent impétueux continuait à chasser dans le ciel des nuages de suie, des haillons d’où filtrait un crépuscule sale et jaune, d’une tristesse de mort. La route, sillonnée de rails, aux gros pavés disjoints par les continuels charrois, roulait un fleuve de boue noire, toutes les poussières délayées des houillères prochaines de Brias, dont les tombereaux défilaient sans cesse. Et ces poussières de charbon, elles avaient noirci de leur deuil la gorge entière, elles ruisselaient en flaques sur l’amas lépreux des bâtiments de l’usine, elles semblaient salir jusqu’à ces nuages sombres qui passaient sans fin, ainsi que des fanées. Une mélancolie de désastre soufflait avec le vent, on eût dit que ce crépuscule frissonnant et louche apportait la fin d’un monde. Comme Luc s’était arrêté à quelques pas de la jeune femme et de l’enfant, il entendit ce dernier qui disait, d’un air avisé et décidé déjà de petit homme : « Écoute donc, ma grande, veux-tu que je lui parle, moi ? Peut-être que ça le mettrait moins en colère. » Mais la femme répondit : « Non, non, frérot, ce n’est pas des affaires pour les gamins. » Et ils se remirent à attendre, silencieux, de leur air de résignation inquiète. Luc regardait l’Abîme. Il l’avait visité, par une curiosité d’homme du métiers lorsqu’il avait une première fois traversé Beauclair, au dernier printemps. Et, depuis les quelques heures qu’un brusqué appel de son ami Jordan l’y ramenait, il avait eu des détails sur l’affreuse crise que venait de traverser le pays : une terrible grève de deux mois, des ruines accumulées de part et d’autre, l’usine ayant beaucoup souffert de l’arrêt du travail, les ouvriers étant demi morts de faim, dans la rage accrue de leur impuissance. C’était l’avant-veille, le jeudi seulement, que le travail avait fini par reprendre, après des concessions réciproques, furieusement débattues, arrachées à grand-peine. Et les ouvriers étaient rentrés sans joie, inapaisés, comme des vaincus qu’enrage leur défaite, qui ne gardent au cœur que le souvenir de leurs souffrances et l’âpre désir de les venger. Sous la fuite éperdue des nuages de deuil, l’Abîme étendait l’amas sombre de ses bâtiments et de ses hangars. C’était le monstre, poussé là, qui avait peu à peu élargi les toits de sa petite ville. À la couleur des toitures dont les nappes s’étalaient, se prolongeaient dans tous les sens, on devinait les âges successifs des constructions. Maintenant, il tenait plusieurs hectares, il occupait un millier d’ouvriers. Les hautes ardoises bleuâtres des grandes halles, aux vitrages accouplés, dominaient les vieilles tuiles noircies des installations premières, beaucoup plus humbles. Par-dessus, on apercevait de la route, rangées à la file, les ruches géantes des fours à cémenter, ainsi que la tour à tremper, haute de vingt-quatre mètres, où les grands canons, debout et d’un jet, étaient plongés dans un bain d’huile de pétrole. Et, plus haut encore, les cheminées fumaient, les cheminées de toutes tailles, la forêt qui mêlait son souffle de suie à la suie volante des nuages, tandis que les minces tuyaux d’échappement jetaient, à des intervalles réguliers, les panaches blancs de leur haleine stridente. On eût dit la respiration du monstre, les poussières, les vapeurs, qui s’exhalaient sans cesse de lui, qui lui faisaient une continuelle nuée de la sueur de sa besogne. Puis, il y avait le battement de ses organes, les chocs et les grondements qui sortaient de son effort, la trépidation des machines, la cadence claire des marteaux-cingleurs, les grands coups rythmés des marteaux-pilons, résonnant comme des cloches, et dont la terre tremblait. Et, plus près, au bord de la route, au fond d’un petit bâtiment, une sorte de cave où le premier Qurignon avait forgé le fer, on entendait la danse violente et acharnée de deux martinets, qui battaient là comme le pouls même du colosse, dont tous les fours flambaient à la fois, dévorateurs de vies. Dans la brume crépusculaire, roussâtre et si désespérée, qui noyait peu à peu l’Abîme, pas une lampe électrique n’éclairait encore les cours. Aucune lumière ne luisait aux fenêtres poussiéreuses. Seule, sortant d’une des grandes halles, par un portail béant, une flamme intense trouait l’ombre, d’un long jet d’asile en fusion. Ce devait être un maître puddleur qui venait d’ouvrir la porte de son four. Et rien autre, pas même une étincelle perdue ne disait l’empire du feu, le feu grondant dans cette ville assombrie du travail, le feu intérieur dont elle était tout entière embrasée, le feu dompté, asservi, pliant et façonnant le fer comme une cire molle, donnant à l’homme la royauté de la terre, depuis les premiers vulcains qui l’avaient conquis. Mais l’horloge du petit beffroi, dont la charpente surmontait le bâtiment de l’administration, sonna six heures. Et Luc entendit de nouveau l’enfant pauvre disant de sa voix claire : « Écoute donc, ma grande, les voilà qui vont sortir. – Oui, oui, je sais bien, répondit la jeune femme. Tiens-toi tranquille. » Dans le mouvement qu’elle avait fait pour le retenir, le lainage en loque était un peu écarté de sa face, et Luc resta surpris de la délicatesse de ses traits. Elle n’avait sûrement pas vingt ans, des cheveux blonds en désordre, une pauvre petite figure mince qui lui parut laide, avec des yeux bleus meurtris de larmes, une bouche pâle, amère de souffrance. Et quel corps léger de fillette sous la vieille robe usée ! et de quel bras tremblant et faible elle serrait dans ses jupes l’enfant, le petit frère sans doute, blond comme elle, bien malpeigné aussi, mais d’air plus fort et plus résolu ! Luc avait senti sa pitié grandir, tandis que les deux tristes êtres, méfiants, commençaient à s’inquiéter de ce monsieur, qui s’était arrêté là, qui les examinait avec tant d’insistance. Elle, surtout, semblait gênée de cette attention d’un garçon de vingt-cinq ans si grand, si beau, avec des épaules carrées et des mains larges, avec un visage de santé et de joie, dont les traits fermes étaient dominés par un front droit en forme de tour, la tour des Froment. Elle avait détourné les yeux, devant les yeux bruns du jeune homme, franchement ouverts, qui la regardaient bien en face. Puis, elle s’était risquée encore, d’un coup d’œil furtif ; et, l’ayant vu alors qui lui souriait avec bonté, elle avait reculé un peu, dans le trouble de sa grande infortune. Il y eut une volée de cloche, un mouvement se fit dans l’Abîme, et la sortie commença des équipes de jour, que les équipes de nuit allaient remplacer ; car jamais la vie dévorante du monstre ne s’arrête, il flambe et forge jour et nuit. Pourtant, les ouvriers tardèrent à paraître, la plupart avaient demandé une avance, bien que le travail n’eût repris que depuis le jeudi, tant la faim était grande dans les ménages, après les deux mois de terrible grève. Et on les vit enfin qui sortaient, qui défilaient, un à un ou par petits groupes, la tête basse, sombres et pressés, serrant au fond de leur poche les quelques pièces blanches, si chèrement gagnées, qui allaient donner un peu de pain aux petits et à la femme. Et il disparaissaient, par la route noire. « Le voilà, ma grande, murmura l’enfant. Tu le vois bien, il est avec Bourron. – Oui, oui, tais-toi. » Deux ouvriers venaient de sortir, deux compagnons puddleurs. Et le premier, celui qui était avec Bourron, avait sa veste de drap jetée sur l’épaule, âgé de vingt-six ans à peine, roux de cheveux et de barbe, plutôt de petite taille, mais de muscles solides, le nez recourbé, sous un front proéminent, les mâchoires dures et les pommettes saillantes, pourtant de rire agréable, ce qui en faisait un mâle à conquêtes. Tandis que Bourron, de cinq ans plus âgé, serré dans sa vieille veste de velours verdâtre, était un grand diable sec et maigre, dont la face chevaline, aux joues longues, au menton court, aux yeux de biais, exprimait la tranquille humeur d’un homme facile à vivre, toujours plié sous la domination de quelque camarade. D’un coup d’œil, ce dernier avait aperçu la triste femme et l’enfant, de l’autre côté de la route, à l’angle du pont de bois ; et il donna un coup de coude au compagnon. « Vois donc, Ragu. La Josine et Nanet sont là... Méfie-toi, si tu ne veux pas qu’ils t’embêtent. » Ragu, rageur, serra les poings. « Sacrée fille ! J’en ai assez, je l’ai fichue à la porte... Qu’elle me cramponne, tu vas voir ! » Il semblait un peu ivre, comme la chose arrivait, les jours ou dépassait les trois litres, dont il disait avoir besoin pour que le brasier du four ne lui desséchât pas la peau. Et, dans cette demi-ivresse, il cédait surtout à la vantardise cruelle de montrer à un camarade comment il traitait les filles, quand il ne les aimait plus. « Tu sais, je vas te la coller au mur. J’en ai assez ! » Josine, avec Nanet dans ses jupes, s’était avancée doucement, peureusement. Mais elle s’arrêta, en voyant deux autres ouvriers aborder Ragu et Bourron. Ceux-là faisaient partie d’une équipe de nuit, ils arrivaient de Beauclair. Le plus âgé, Fauchard, un garçon de trente ans, qui en paraissait quarante, était un arracheur, ruiné déjà par le travail vorace, la face bouillie, les yeux brûlés, son grand corps cuit et comme noué par l’ardeur des fours à creusets d’où il tirait le métal en fusion. L’autre, Fortuné, son beau-frère, un garçon de seize ans, à qui l’on en aurait donné à peine douze tant il était de chair pauvre, le visage maigre, les cheveux décolorés, semblait n’avoir plus grandi, hébété, mangé par sa besogne machinale de manœuvre, assis à la manette de mise en marche d’un marteau-cingleur, dans l’ahurissement de la fumée et du vacarme qui l’aveuglait et l’assourdissait. Fauchard avait au bras un vieux panier d’osier noir, et il s’était arrêté, pour demander aux deux autres, de sa voix sourde : « Est-ce que vous avez passé ? » Il voulait savoir s’ils avaient passé à la caisse, s’ils venaient de toucher une avance. Et, lorsque Ragu, sans répondre, eut simplement tapé sur sa poche, où des pièces de cent sous sonnèrent, il eut un geste d’attente désespérée. « Tonnerre de bon Dieu ! dire qu’il faut que je me serre le ventre jusqu’à demain matin, et que, cette nuit, je vais encore crever de soif, à moins que ma femme, tout à l’heure, ne fasse le miracle de m’apporter ma ration ! » Sa ration, à lui, était de quatre litres par journée ou par nuit de travail, et il disait que ça suffisait bien juste à lui humecter le corps tellement les fours lui tiraient l’eau et le sang de la chair. Il avait eu un regard désolé sur son panier vide, où ne ballottait qu’un morceau de pain. Quand il n’avait pas ses quatre litres, c’était la fin de tout, l’agonie noire dans le travail écrasant, devenu impossible. « Bah ! dit complaisamment Bourron, ta femme ne va pas te lâcher, il n’y a pas sa pareille pour décrocher le crédit. » Mais tous les quatre, arrêtés dans la boue gluante du chemin, se turent et saluèrent. Luc venait de voir s’avancer sur le trottoir assis au fond d’une petite voiture qu’un domestique poussait, un vieux monsieur à la face large, aux grands traits réguliers, encadrés de longs cheveux blancs. Et il avait reconnu Jérôme Qurignon. M. Jérôme comme tout le pays l’appelait, le fils de Blaise Qurignon, l’ouvrier étireur, fondateur de l’Abîme. Très âgé, devenu paralytique, il se faisait ainsi promener, par tous les temps, sans une parole. Ce soir-là, comme il passait devant l’usine, pour rentrer chez sa petite-fille, à la Guerdache, une propriété du voisinage, il avait d’un simple signe donné l’ordre au domestique de ralentir, et, de ses yeux restés clairs, vivants et profonds, il regardait longuement le monstre en travail, les ouvriers de jour qui sortaient et les ouvriers de nuit qui entraient, sous le louche crépuscule tombant du ciel livide, sali de la fuite éperdue des nuages. Puis, son regard arrêta sur la maison du directeur, une bâtisse carrée au milieu d’un jardin, qu’il avait lui-même fait construire quarante ans plus tôt, et où il avait régné en roi conquérant, gagnant des millions. « Ce n’est pas M. Jérôme qui est embarrassé pour son vin de ce soir », avait repris Bourron en ricanant, à voix plus basse. Ragu haussa les épaules. « Vous savez que mon arrière-grand-père était le camarade du père de M. Jérôme. Deux ouvriers, parfaitement ! et qui étiraient ici le fer ensemble, et la fortune pouvait tout aussi bien venir à un Ragu qu’à un Qurignon. C’est la chance, quand ce n’est pas le vol. – Tais-toi donc, murmura de nouveau Bourron, tu vas te faire arriver des histoires. » La crânerie de Ragu tomba, et comme M. Jérôme, en passant devant le groupe, regardait les quatre hommes de ses grands yeux fixes et limpides, il salua de nouveau, avec le respect peureux de l’ouvrier qui veut bien crier contre le patron, mais qui a le long esclavage dans le sang, et qui tremble devant le dieu souverain dont il attend toute vie. Lentement, le domestique poussait toujours la petite voiture, et M. Jérôme disparut, par la route noire conduisant à Beauclair. « Bah ! conclut philosophiquement Fauchard, il n’est pas si heureux, dans sa roulante, et puis, s’il comprend encore, ça n’a pas été si drôle pour lui, les affaires qui se sont passées. Chacun a ses peines... Ah ! tonnerre de bon Dieu ! pourvu seulement que Natalie m’apporte mon vin ! » Et il entra dans l’usine, emmenant le petit Fortunée qui, l’air hébété, n’avait rien dit. Leurs épaules déjà lasses se perdirent dans l’ombre croissante, dont le flot noyait les bâtiments ; tandis que Ragu et Bourron se remettaient en marche, l’un débauchant l’autre, l’emmenant vers quelque cabaret de la ville. On pouvait bien boire un coup et rire un peu, après tant de misère. Alors, Luc, qu’une curiosité apitoyée avait fait rester là, adossé au parapet du pont, vit Josine marcher de nouveau à petits pas chancelants, pour barrer la route à Ragu. Un instant, elle avait dû espérer qu’il prendrait le pont et rentrerait chez lui ; car c’était la route directe du vieux Beauclair, un amas sordide de masures où habitaient la plupart des ouvriers de l’Abîme. Mais, lorsqu’elle eut compris qu’il descendait vers le beau quartier, elle fut envahie par la certitude de ce qui allait arriver, le cabaret, la paie bue, la soirée passée encore à attendre, mourante de faim avec son petit frère, au vent aigre de la rue. Et la souffrance, la colère brusque lui donnèrent un tel courage, qu’elle vint se planter, elle si chétive et si lamentable, devant l’homme. |
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