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PORTRAIT D’UN TRADER Le héros du roman d’Eric Reinhardt cherche à rencontrer un trader dans le cadre de la rédaction d’un roman sur la finance. L’extrait suivant relate leur première rencontre. Je suis allé à Londres pour rencontrer le trader dont Steve Still m'avait laissé les coordonnées. David Pinkus habite dans le quartier de Holland Park, où je me suis perdu pendant une heure, dénombrant, stationnés devant des maisons monumentales, banalisés par leur fréquence, une quantité ahurissante de Porsche, Jaguar, Ferrari, énormes 4 x 4, Aston Martin. Je lui ai téléphoné. Il m'a demandé de le retrouver à son club de tennis où il venait de terminer une partie. Je suis malade comme un chien... Le père de ma femme a passé quelques jours avec nous... il a chopé un truc dans l'avion... une maladie tropicale... - Tu veux qu'on annule? Tu préfères qu'on se voie demain? - Non, c'est bon, ça va aller, c'est juste que je comate, c'est la mort, j'ai chaud, j'ai froid, je vais boire un Coca. Une fois chez lui : Alors comme ça tu prépares un roman sur la finance? - Peut-être. Je veux comprendre le monde dans lequel on vit. Je veux que tu me parles de ton métier. De la finance internationale et des hedge funds. On lit partout que les hedge funds jouent un rôle considérable dans la marche du monde. - Très bien. Ça m'amuse. Je vais tout t'expliquer. J'apprends alors, mesdames messieurs, camarades littéraires, qu'il existe trois types de fonds d'investissement, appelés asset managers dans les pays anglo-saxons. Premièrement les fonds de pension, qui gèrent l'argent que leur confient les salariés d'un certain nombre de pays, au premier rang desquels les États-Unis et la Grande-Bretagne, en vue de leurs retraites. Ces fonds de pension, dans la mesure où ils jouent avec l'argent des retraites, leur activité est régulée : Ils ne sont pas autorisés à prendre des risques démesurés, précise David Pinkus. Il doit y avoir une certaine partie en actions, une certaine partie en obligations d'État, une certaine partie en cash, et un titre ne doit jamais représenter plus de 5 % du portefeuille actions. Si le marché crashe et perd 50 %, seule la moitié des fonds aura perdu 50 %, En d'autres termes le capital placé n'aura diminué que de 25 %. Deuxièmement les mutual funds, l'équivalent des Sicav en France. Il s'agit de fonds constitués par les économies que les particuliers confient à leurs banques, BNP, Société Générale, Crédit Agricole, ce genre d'établissements, me dit David Pinkus, où une personne fait fructifier à elle seule quelques centaines de millions d'euros. Les régulations sont un peu plus souples: Les asset managers des grandes banques peuvent prendre un peu plus de risques. Troisièmement les hedge funds, apparus dans les années soixante-dix avec George Soros.Il s'agit d'investissements RISQUÉS, extrêmement LÈVERÉGÉS, interdits aux particuliers. Je vais t'expliquer dans quelques minutes ce que veut dire ce terme, lèverégé. Seul quelqu'un D'AVERTI est autorisé à placer son argent dans un hedge fund. Qu'est ce que c'est que quelqu'un d'averti? C'est là que la loi est un peu souple. Moi par exemple je vais être quelqu'un d'averti. J'ai un DIPLÔME et je TRAVAILLE dans la FINANCE depuis dix ans. David Pinkus a le droit d'investir dans un hedge fund. Il est censé savoir que son investissement est dangereux. On lui fait signer un papier comme quoi il a compris qu'il peut tout perdre. Le hedge fund il va aller très fort avec son truc. Il part pour faire 100 % par an. Et s'il part pour faire 100 % par an cela veut dire qu'un jour il peut tout perdre : il n'y a pas de magie. Le hedge fund va lui dire: « Je vais faire du très gros », il va lui dire: «Du très risqué », il va lui dire: « Je vais prendre de gros paris », il va lui préciser:« Je vais les twister de façon que si ça marche ça te fasse le carton. » Et donc voilà: il met ou il met pas. Historiquement, les premiers à avoir investi dans les hedge funds et contribué à leur émergence étaient ce qu'on appelle les FAMILY OFFICES, les particuliers fortunés, Bernard Arnault, Albert Frères, les Agnelli, qui ont lancé Louis Bacon, une grande figure de la finance, le créateur de Moore Capital, un énorme fonds. Ces family offices vont être assis sur un, deux, trois milliards de dollars, et ils vont confier quelques centaines de millions de dollars à des jeunes qui débutent. Et ces mecs-là, propulsés par les family offices, ont décollé dans les années quatre-vingt avec l'apparition des PRODUITS DÉRIVÉS, et donc des capacités de LEVERAGE, et donc des capacités de SHORTER. Car, me dit David Pinkus, qu'est-ce qui distingue un hegde fund d'un fonds classique? Comme il peut prendre beaucoup de risques il est autorisé à utiliser tous les produits disponibles sur le marché, notamment les produits dérivés - il en existe ÉNORMÉMENT. Qu'est-ce qu'un produit dérivé ? C'est ce qui donne le RISQUE et le RETURN. Avant, la seule chose qu'on pouvait faire, c'était acheter une action et la revendre un peu plus tard. Le seul risque qu'on pouvait prendre c'était en termes de pondération, placer une partie importante de son capital sur un seul titre, Alors qu'avec les produits dérivés on peut prendre des risques vraiment ÉNORMES. Mais alors: qu'est-ce que c'est qu'un produit dérivé? C'est une OPTION. David Pinkus me demande si je sais ce qu'est une option. - Non. A part le GPS des voitures. Ce trait d'esprit un peu facile le fait sourire: Rien à voir. Je vais t'expliquer. Il précise que c'est facile à comprendre, même pour un littéraire, et qu'il suffit d'écouter. On va dire qu'un titre vaut 25. D'accord? me demande-t-il. Il ne cesse de me sourire, de s'assurer que je comprends ce qu'il raconte, je sens qu'il ralentit à dessein le débit naturellement précipité de son intelligence. Je frappe à sa porte de trader et je lui dis: «Putain, David, j'aimerais bien acheter cette action à 50 entre maintenant et la fin de l'année. Je veux pouvoir l'acheter à 50 QUAND JE VEUX cette année. » Et le titre il vaut 25. « Combien ça va me coûter David ce droit de pouvoir t'acheter cette action à 50 quand je veux cette année?» C'est une sorte d'assurance. Ça se PRICE. Ça se CALCULE. Ce sont des calculs de PROBA. David Pinkus va devoir se livrer à un certain nombre de calculs complexes. Il se dit: «Quelle est la CHANCE que ce truc passe au-dessus de 50 » et il calcule. Il se dit: « Quelle est la CHANCE que ce truc aille à 70» et il calcule. Il se dit:«Quelle est la CHANCE que ce truc dépasse 80» et il calcule. Et il me vend pour 3 euros le droit de lui acheter à 50, n'importe quand dans l'année, une action qui vaut 25 aujourd'hui. Et alors il me demande: « Éric. Pour combien d'actions tu veux en faire?» et je lui dis: « Pour 500000 ACTIONS» et il me répond: « Alors ça va te coûter 1 million 5.» Je lui donne AUJOURD'HUI 1 million 5 et il devra me livrer 500000 titres à 50 n'importe quand dans l'année. C'est simple non? me dit-il avec un regard malicieux. Alors écoute la suite. Il me demande d'imaginer ce qui se passe pour moi si le titre dépasse la barre des 50 et se met à valoir 70. Combien j'ai gagné si je lui achète à 50 un titre qui valait 25 au moment où j'ai acquis l'option et qui vaut maintenant 70. - Beaucoup. 20 x 500 000 moins 1 million 5, je lui dis avec une certaine fierté. Il a l'air étonné. - Exactement, me dit-il. Tu as gagné 9 millions. Il m'invite à examiner ce résultat en me faisant observer que la valeur du titre, en passant de 25 à 70, a été multipliée par presque trois. Le titre a fait fois 3. Si j'avais acheté ce titre à 25 et si je l'avais revendu à 70, j'aurais multiplié mon investissement par trois. Mais là j'ai mis 1 million 5 et je récupère 9 millions: j'ai fait fois 6 au lieu de fois 3 : On dit alors que tu as eu un LEVERAGE de 2. Car, cher ami, me dit-il~ si tu avais voulu acheter 500000 actions à 25, ça t'aurait coûté DOUUUUUZE MILLIONS! Tu aurais dû sortir DOUUUUUUZE MILLIONS! Tu n'as sorti qu'UN MILLION CINQ au lieu de DOUUUUUUZE MILLIONS! Le mot douze s'est étiré dans l'atmosphère comme une longue note de flûte. Moi, Éric Reinhardt, héritier fortuné, spéculateur exaucé, j'ai eu tout l'upside pour un million cinq de cash! En réalité je n'ai jamais payé les actions: Je les ai portées pour toi en quelque sorte... me dit David Pinkus. Avec ce système j'ai bénéficié du même move mais je n'ai mis qu'une partie de l'argent au départ. C'est ça le leverage. Tu t'es lèverégé. Avec seulement UN MILLION CINQ tu as eu de l'EXPOSITION sur VINGT-CINQ millions d'une action. Et un hedge fund c'est ça qu'il fait, il est autorisé à s'exposer sur beaucoup plus que l'argent qu'il possède. J'apprends alors que les produits dérivés, ça se fait À LA HAUSSE, ça se fait À LA BAISSE, Il existe des trucs de FOUS FURIEUX, tu peux décliner À L'INFINI et imaginer N'IMPORTE QUOI! s'exclame David Pinkus que cette panoplie d'outils spéculatifs a l'air de rendre heureux. Par exemple je me réveille un matin avec l'envie ardente de gagner énormément d'argent. Beaucoup plus en tout cas que sur le trade précédent. Je frappe alors à la porte de David Pinkus et je lui dis: «David, écoute, je voudrais pouvoir t'acheter à 50, entre maintenant et la fin de l'année, une action qui vaut 25 aujourd'hui. Mais je te rends tout l'upside à partir de 70. À combien tu me le fais?» En d'autres termes: si le prix de l'action se situe entre 50 et 70, je gagne, mais s'il dépasse la barre des 70, je perds. Quel est l'intérêt pour moi? dis-je à David Pinkus. Il me répond qu'au lieu de me vendre cette option à 3 euros il me la vend à 1 euro 50. Et si ça reste entre 50 et 70, si le cours de l'action s'arrête à 69. C'est le méga-JACKPOT, c'est du DÉLIRE, c'est FANTASTIQUE! La dernière fois, combien on avait dit, on avait gagné combien, tu avais fait fois 6 la dernière fois. Tu avais gagné 9 millions. À présent, avec un investissement de départ de 750 mille au lieu d'1 million 5, tu ne fais plus fois 6, tu fais fois DOUUUUUUZE! Tu gagnes à présent NEUF MILLIONS en n'ayant mis au départ que 750 mille! Tu fais fois DOUUUUUUZE alors que le titre n'a fait que fois 3! On dit dans ce cas que j'ai été extrêmement LÈVERÉGÉ: le titre a fait fois 3 et moi j'ai fait fois 12: leverage de 4. En revanche, si le titre ne va pas à 50 mais s'arrête à 49, combien j'ai gagné? Zéro. J'ai même perdu 750 mille. En résumé, si l'action fait fois 2, de 25 à 50 : je perds tout, et si elle fait fois 3, de 25 à 70: je multiplie mon investissement par 12. Et ce genre d'opération je peux le faire sur un milliard, Tu peux mettre UN MILLIARD sur une opération telle que celle-ci! Et si ça marche! C'est DOUUUUUUUZE MILLIAAAAAAARDS dans ta TIRELIRE! Tu te retrouves avec DOUUUUUUUZE MILLIAAAAAAARDS dans ta TIRELIRE! Cet exemple, mesdames messieurs, c'était pour vous donner le concept essentiel du LEVERAGE. On comprend mieux pourquoi c'est interdit aux particuliers, aux mutual funds et aux fonds de pension. GROSSO MODO : soit je fais fois 12 soit je perds tout. Autre façon de se lèveréger et de prendre du risque : emprunter de l'argent. Il existe un certain nombre de personnes qui seront ravies de me prêter de l'argent. Je suis un hedge fund et j'ai deux cents millions d'euros confiés par des investisseurs: Assez classique. Deux cents. Trois cents. J'ai une banque et j'ai le droit d'être à découvert. C'est ça le gros secret, me dit David Pinkus. En plus. C'est-à-dire que j'achète pour 1 milliard d'actions alors que je n'ai que 200 millions au départ. Ma banque me prête 800 millions. Je lui dois de l'argent. Ce n'est pas un problème. J'ai donc 200 millions qui m'ont été confiés par des investisseurs, qui prennent le risque, QUI PRENNENT LE RISQUE, me répète avec insistance David Pinkus, et à qui je dis: «Si tu perds tu perds tout », et moi je joue en réalité sur un milliard. La banque ne prend aucun risque car j'ai des ratios à respecter: si je commence à perdre elle récupère son argent. La banque vérifie que si elle vend les actions que je possède elle peut récupérer son argent. Si je suis à 30 ou 40 % du niveau où elle risquerait de ne pas pouvoir récupérer son argent elle me fait vendre les actions. La banque peut vérifier au jour le jour ?.. dis-je à David Pinkus. Celui-ci ouvre de grands yeux : Non! Pas au jour le jour! À LA MINUTE! - Et s'ils s'aperçoivent... S'ils s'aperçoivent que je commence à perdre? Coup de fil. Tout de suite. Immédiatement. Ils reprennent leur pognon. Il faut vendre. Les mots vont vite. Ils ont l'air d'être aspirés par un énorme ventilateur mental, funeste, disposé à l'horizon de la spéculation. David Pinkus traduit de cette manière la tragédie du trader en chute libre, l'urgence incandescente à laquelle il se trouve acculé par le système qui se retourne contre lui. Donc, mesdames messieurs, écoutez bien, exemple classique, je vous fais le truc dans les deux sens, hedge fund de 200 millions, leverage de 5, GROS LEVERAGE, j'emprunte 800, je joue sur 1 milliard, j'achète pour 1 milliard d'un titre, imaginons que celui-ci fasse 20 %, j'avais 200 millions, je gagne 200 millions: je fais 100 %. Pourquoi? Performance de 20 %, fois 5 de leverage: 100 %. Inversement, hedge fund de 200 millions, leverage de 5, j'emprunte 800, je joue sur 1 milliard, j'achète pour 1 milliard d'un titre, imaginons que celui-ci perde 20 %, j'avais 200 millions, je perds 200 millions: je perds l'intégralité de ma mise de départ: 100 %. La banque, si je commence à perdre, si elle voit qu'il ne me reste que 820 millions, Et même ça commence plus haut, elle commence à te taper dessus à 880 millions, elle t'appelle et elle te dit (le ton de David Pinkus est solennel): « Faut vendre. » Pourquoi? Même ton grave: « Parce que bientôt tu vas plus pouvoir me rembourser.» La banque ne te laisse JAMAIS PASSER sous 800 millions. Elle sait combien tu lui dois. Ben bien sûr... Ils sont pas cons... Elle sait à peu près le temps qu'il faut pour que tu sortes de ton truc. Et donc quand tu arrives à 800 tu rends 800 à la banque et tu te tournes vers tes investisseurs. Et combien il leur reste? me demande David Pinkus. Niet. Zéro. Ils ont perdu. Donc, leverage de 5, si ça perd 20 %, je perds 100 %, si ça gagne 20 %, je gagne 100 %. C'est ça le leverage. Voilà ce que font les hedge funds. C'est ça le secret des hedge funds. Non seulement je peux aller sur des actifs risqués mais je peux multiplier le risque via l'emprunt. C'est le gros concept du hedge fund. Maintenant, ajoute David Pinkus, qu'est-ce que ça veut dire que HEDGER ? Ça va te faire rire. Hedge: PROTECTION. Se hedger: se PROTÉGER. Et pourquoi ça s'appelle PROTECTION ? C'est qu'au départ, les produits dérivés, ils ont été inventés pour PROTÉGER les gens. Non pas pour prendre des risques mais pour se protéger. Par exemple une action vaut 25, je pense qu'elle va aller à 50, j'aimerais bien l'acheter mais j'ai un peu peur. J'aimerais bien de l'exposition sur 20 millions d'euros mais j'ai un peu peur. Je suis prêt à payer 1 million mais pas à prendre le risque de porter 20 millions. Alors les mecs sont venus et ils m'ont dit: «T'inquiète pas Éric. Je te le fais à 1 million. Mais par contre tu n'auras que l'upside au-dessus de 50 », pour reprendre l'exemple de tout à l'heure. C'était présenté comme ça au départ. C'était plus SECURE. Idem pour les futures. - Les futures? Pardon. J'ignore ce que sont les futures, dis-je à David Pinkus. Il déguste à petites gorgées un thé brûlant que sa femme lui a servi. Il me répète régulièrement qu'il a la fièvre. Des gouttes de sueur coulent sur ses tempes. Je regarde ses cuisses de temps à autre, massives, charnelles, abondamment poilues. Il est étrange de l'écouter parler cuisses nues de quelque chose d'aussi abstrait que la finance, vêtu d'une chemisette de tennisman. Les futures? C'est un autre produit dérivé. C'est un ENORME produit dérivé. C'est le PREMIER produit dérivé. C'est le plus GROS produit dérivé. C'est absolument GIGANTESQUE le marché des futures. LA MOITIÉ DU MONDE TOURNE EN FUTURES! Ce sont des marchés de transaction à terme: on réalise des transactions qui ne se règlent qu'à une certaine date, |
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