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L’endettement des ménages : quelles limites ?Un ménage est un ensemble de personnes corésidant. Ces personnes mettent généralement en commun une large partie de leur budget, au point où on peut considérer le ménage comme l’unité de décision pertinente en matière de consommation et d’épargne, à la suite de G. Becker. L’endettement est à la fois une opération financière et un stock. L‘endettement désigne d’une part le fait d’obtenir d’un tiers des liquidités en contrepartie de l’engagement à un remboursement ultérieur et au versement d’intérêts. Pour les ménages l’endettement se fait de nos jours essentiellement par crédit bancaire. L’endettement désigne d’autre part le stock de dettes accumulées et à rembourser. Les limites peuvent désigner les barrières à l’endettement de chaque ménage, ou encore les inconvénients les inconvénients de l’endettement pour les ménages et la collectivité. Les barrières de l’endettement s’ajustent-elles de sorte à en limiter les effets pervers ? Les bornes que l’économie de marché fixe à l’endettement des ménages sont-elles optimales ? I) Approche statique : l’endettement des ménages est borné… A) …par la contrainte budgétaire intertemporelle Les besoins des ménages n’évoluent pas forcément parallèlement à leurs revenus. L’endettement permet alors au ménage d’échelonner dans le temps l’ajustement de ses dépenses à ses revenus. Le modèle microéconomique de l’arbitrage intertemporel du consommateur par I. Fisher (La théorie de l’intérêt, 1930) formalise cet ajustement en considérant un homo oeconomicus vivant deux périodes, 1 et 2. Sous hypothèse qu’il rembourse intégralement ses dettes et que le marché des capitaux est parfait, sa contrainte budgétaire intertemporelle se formalise ainsi :
Le modèle microéconomique de l’arbitrage intertemporel dégage donc les paramètres limitant l’endettement des ménages : son coût fixé par le taux d’intérêt réel, et le fait que la préférence pour le présent est limitée. Les ménages souhaitent conserver du pouvoir d’achat pour consommer dans le futur.
A l’échelle macroéconomique, les limites de l’endettement agrégé des ménages sont liées à la structure par âge de la population. Le modèle prédit qu’une population jeune est davantage endettée qu’une population plus âgée. Il permet de comprendre par exemple pourquoi l’endettement des ménages est plus important aux Etats-Unis qu’en Europe ou qu’au Japon. Cependant, ces modèles supposent des ménages rationnels et des marchés de capitaux parfaits. Les limites de l’endettement se déplacent lorsqu’on relâche ces hypothèses. B) …par l’accès au crédit L’endettement du ménage est conditionné à l’octroi du crédit par la banque. En effet, la relation de crédit est soumise à des asymétries d’information (J. Stiglitz & A. Weiss, “Credit rationing in Markets with Imperfect Information”, American Economic Review, 1981). L’emprunteur connaît mieux que le prêteur sa capacité à rembourser. Or ce risque de défaut est difficilement rémunérable. On pourrait imaginer que l’exposition au risque de défaut soit rémunérée par une prime de risque incorporée au taux d’intérêt, mais dans ce cas l’emprunteur s’exposerait à la sélection adverse : la hausse du taux d’intérêt décourage moins les « mauvais payeurs » que les « bons payeurs » qui anticipent supporter le coût de ce taux au moment d’un remboursement qui est certain.. Le prêteur ferait également alors face à un aléa moral accru : la tentation de faire défaut s’intensifie lorsque le taux d’intérêt augmente. En augmentant le taux d’intérêt, les banques risquent de modifier défavorablement la composition de la population des emprunteurs. La fonction des banques commerciales est de gérer ces asymétries d’information en collectant des informations sur les ménages emprunteurs, en développant une relation suivie de clientèle. La domiciliation de l’ensemble des comptes d’un ménages est ainsi souvent une condition à l’octroi d’un prêt immobilier Les banques peuvent aussi exiger un collatéral servant de garantie au crédit. Elles peuvent aussi sélectionner les emprunteurs en fonction de la stabilité anticipée de leurs revenus. Ainsi, les ménages dont la situation professionnelle n’est pas stable et/ou sans collatéral suffisant ont une capacité d’endettement limitée. C) …par le contrôle de la masse monétaire Les limites de l’endettement des ménages sont donc aussi celles du crédit bancaire. Pour les banques contemporaines, ce ne sont pas les dépôts qui font les crédits, mais les crédits qui font les dépôts. La capacité de crédit d’une banque est donc liée à son pouvoir de création monétaire. Ce pouvoir de création monétaire est lui-même limité par la nécessité des banques de se procurer des liquidités en proportion de leurs crédits, de sorte à satisfaire les besoins de leurs clients en billets et le coefficient de réserves obligatoires. La banque centrale agit ainsi sur les limites de l’endettement des ménages. Le multiplicateur de base monétaire permet de cerner ses modalités d’actions.
La banque centrale peut imposer des normes à M1, c'est-à-dire encadrer le crédit. Elle peut aussi faire varier le coefficient de réserves obligatoires h. Enfin, elle peut faire varier le taux d’intérêt directeur et donc le coût de refinancement des banques commerciales. La banque centrale peut ainsi limiter l’endettement des ménages par une politique de rigueur monétaire. II) Approche dynamique et historique : ces bornes évoluent
A partir des années 1980 le financement de l’économie se transforme en profondeur, passant d’un modèle d’économie d’endettement à un modèle d’économie de marchés de capitaux, comme l’avait annoncé J. Hicks (La crise de l’économie keynésienne, 1974). Pendant les 30 Glorieuses dominait l’économie d’endettement. Le financement de l’économie se faisait essentiellement par endettement auprès des banques, dans un cadre extrêmement réglementé, cloisonné. En France comme dans d’autres pays, la majeure partie du secteur bancaire avait d’ailleurs été nationalisée. Cependant l’économie d’endettement était aussi une économie où l’endettement était assez étroitement contrôlé par la banque centrale via l’encadrement du crédit et le refinancement des banques de second rang. Ces limites ont été repoussées par la désintermédiation financière. En effet, la déréglementation, instaurée en France par la loi bancaire de 1984 et à la même époque la libéralisation des marchés de capitaux, rend le système bancaire et financier plus concurrentiel. Les banques en concurrence cherchent à gagner des parts de marché, ce qui les pousse à diminuer les taux d’intérêt créditeurs, rognant sur la marge bancaire, et aussi parfois à relâcher les conditions d’accès au crédit. Par ailleurs, la titrisation leur permet de reporter le risque de défaut sur les détenteurs de titres. Ainsi se développent les CDO (Collateralized Debt Obligations) : les banques forment des portefeuilles de créances qui sont ensuite vendus sur les marchés financiers. Une autre innovation se diffuse : le crédit à taux variable. Le taux d’intérêt appliqué aux ménages est alors indexé de sorte à dégager la banque du risque de taux. En effet, lorsqu’elle octroie un crédit à taux fixe, la banque est soumise au risque d’une hausse du taux d’intérêt directeur, qui augmenterait son coût de refinancement et donc éroderait sa marge bancaire. Au contraire, si le crédit est octroyé à taux variable, c’est le ménage emprunteur qui supporte le risque de taux. Dans les années qui ont précédé la crise des subprimes les limites de l’endettement des ménages ont donc été repoussées par la désintermédiation et les innovations financières. Cette crise porte d’ailleurs le nom d’une de ces innovations développée aux Etats-Unis, à savoir des crédits à taux variable accessibles à des ménages représentant des risques de défaut élevés.
Les crises financières provoquent une contraction du crédit, et donc de l’endettement des ménages. C’est d’ailleurs par ce mécanisme que dans les années 1930 comme de nos jours, les crises financières se propagent à la sphère réelle. C’est le processus d’endettement lui-même qui débouche sur la crise financière et la contraction du crédit. Les périodes de prospérité précédant les crises sont marquées par ce que H. Minsky appelle « le paradoxe de la tranquillité » ("The Financial Instability Hypothesis: An Interpretation of Keynes and an Alternative to "Standard" Theory", Nebraska Journal of Economics and Business, 1977). Si elles n’octroient que des financements couverts, les banques perçoivent régulièrement des liquidités par les remboursements de leurs clients. La pression de la concurrence et la quête du profit les poussent alors à utiliser ces liquidités pour des financements non-couverts, voire à la Ponzi : les remboursements sont alors différés. Les ménages ne bénéficient en principe que de crédits à financement couvert, cependant le développement des supbrimes dans les années 2000 fait écho au paradoxe de la tranquillité. Dans une période de confiance et d’abondance de liquidités, les banques ont prêté de façon plus laxiste à un vivier de ménages emprunteurs élargi. H. Minsky souligne que le boom du crédit débouche inéluctablement sur un retournement des marchés à la baisse, lorsque les prêteurs, les banques réalisent le risque auquel la distribution de crédits les soumet. Ainsi en 2007, le marché immobilier et la distribution de crédits se dégradent lorsque les agents prennent conscience de l’augmentation sensible du risque de défaut engendrée par la distribution des crédits subprimes. Le retournement est d’autant plus violent qu’il survient dans un environnement où l’endettement est fort. En effet, ce retournement se propage à la sphère réelle par la spirale dette-déflation (I. Fisher, "The Debt-Deflation Theory of Great Depressions," Econometrica, 1933). Le surendettement pousse à brader ses actifs en raison des besoins de liquidités pour honorer les échéances de la dette. Au niveau des ménages, ces mouvements de vente ont amplifié la baisse des prix sur le marché immobilier. Au niveau de l’économie dans son ensemble, les ventes massives d’actifs et de marchandises pour faire faire à l’endettement alimentent la déflation. Or la déflation alourdit le poids réel de la dette, qu’il devient encore plus difficile de rembourser lorsque les revenus diminuent. Les banques centrales peuvent amortir ce choc par la relance monétaire. Ainsi, dès 2008, elles ont abaissé le taux d’intérêt directeur, conduit des opérations non conventionnelles en allongeant les échéances de prêt aux banques commerciales et en achetant des actifs, et la BCE a même réduit de 2% à 1% le coefficient de réserves obligatoires. Cependant, la relance monétaire peut buter sur une trappe à liquidités : les banques commerciales peuvent préférer conserver leurs liquidités plutôt que de prêter aux ménages dans un environnement incertain. Au début des années 30, la relance monétaire n’a ainsi pas été assez vigoureuse pour contrebalancer ce « credit krach » (M. Friedman & A. Schwartz, A Monetary History of the United States, 1867-1960, 1963). B. Bernanke souligne par ailleurs le poids plus lourd des asymétries d’information et du coût d’intermédiation du crédit en période de crise, ce qui resserre encore les limites de l’endettement des ménages. ("Non Monetary Effects of the Financial Crisis in the Propagation of the Great Depression", The American Economic Review, 1983) Les limites de l’endettement des ménages sont donc procycliques. Leurs capacités d’endettement s’élargissent dans les phases hautes de la conjoncture, pouvant contribuer au gonflement de bulles spéculatives, et elles se réduisent dramatiquement en période de crise. Cette procyclicité est inefficace. Comment la résorber ?
La réglementation prudentielle s’appliquant aux banques a été renforcée après la crise des subprimes. Aux Etats-Unis en particulier la loi Dodd-Frank (2010) vise à mieux protéger les consommateurs de l’opacité des contrats de crédit. Plus indirectement, la réglementation de la titrisation, le durcissement des normes de solvabilité dans le cadre des accords de Bâle III ou encore l’amorce d’une séparation des activités bancaires devraient discipliner la distribution des crédits aux ménages. L’introduction de normes contracycliques dans les accords de Bâle III devraient atténuer la procyclicité de l’endettement. Cependant, J. Stiglitz aux Etats-Unis ou les économistes atterrés en France considèrent que ces réformes sont insuffisantes, sous la pression des lobbies bancaires qui cherchent à garder le contrôle de leurs activités, et souhaitent que ce ne soit pas l’intervention publique mais bien les mécanismes marchands qui continuent à fixer les limites de l’endettement des ménages. Avec le recul d’une perspective historique de très long terme, les limites de l’endettement des ménages s’inscrivent dans des relations de pouvoir (D. Graeber, Dette, 5000 ans d’histoire, 2013). Dès l’Antiquité, l’endettement a été un instrument d’asservissement. Le colonialisme a instauré des relations sociales de domination par la circulation monétaire et l’endettement, par exemple à Madagascar. D. Graeber observe que les cycles d’endettement se soldent par des crises sociales et politiques. C’est l’atteinte à la cohésion sociale qui in fine constitue la limite ultime de l’endettement des ménages, et ce n’est que par l’annulation des dettes qu’elle pourrait être aujourd’hui maintenue. L’approche statique en économie permet ainsi d’identifier les paramètres et mécanismes qui sont censés fixer des bornes à l’endettement des ménages pour en endiguer les effets pervers potentiels. La crise des subprimes a clos une période de libéralisation marquée par la croyance envers la régulation marchande de ces limites, et amorcé peut-être un réencastrement de l’endettement des ménages. Les limites de l’endettement des ménages sont bien des constructions sociales et historiques. |
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