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LA THEORIE DU CONTRÔLE DES PRIX (Pigou, Keynes, Kalecky, Galbraith, Samuelson, etc.) * Par : Stéphanie Laguérodie et Francisco Vergara « Le contrôle des prix n’a pas fonctionné pendant la Première Guerre mondiale lorsqu’il était ‘sélectif’ ; il n’a pas marché non plus, pendant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il a été ‘généralisé’… les contrôles des prix n’ont jamais fonctionné » Murray Rothbard (1995) « Pendant la Deuxième Guerre mondiale … nous avons contrôlé, ou essayé de contrôler tous les prix … la Loi générale sur les prix maximaux est entrée en vigueur en avril 1942 et ça a marché » John Kenneth Galbraith (1980) Abstract Price controls have always aroused passionate controversy. Before the Second World War, most economists saw them as either impossible to implement or unwise. It was widely believed that – even during a war – prices should remain as free as possible. We recall here how Pigou, Keynes, Alvin Hansen, Kalecki, and some others, saw the problem, with special emphasis on John Kenneth Galbraiths’ opinions. After the War, inflation tended to reappear long before full-employment was reached, even when production and employment were falling. Different explanations were given, and Galbraith tried to draw, from his war-time experience, some lessons that could be relevant for peace-time inflation. He proposed price and wage monitoring for a few hundred big companies and the unions they negotiate with. Whenever troublesome price movements appear (energy, house and food between 2004 and 2008, for example) cause serious concerns, and when it is feared inflation may be coming back, the same rival camps raise their voices and the question of the role of price controls comes back on the agenda. 1. IntroductionDepuis l’époque d’Adam Smith au moins, une des questions qui soulève les passions les plus intenses parmi les économistes est celle du contrôle des prix. Certains prix, sont-ils tellement spéciaux que leur contrôle est justifié ? Des circonstances particulières, peuvent-elles parfois légitimer un contrôle plus général des prix ? La discussion de ces questions est d’un intérêt spécial pour nous, pour deux raisons au moins. D’abord, parce que c’est une question qui revient encore et encore, chaque fois que le comportement des prix crée des problèmes ou soulève des craintes. Qui n’est pas inquiet aujourd’hui de la hausse du prix de la santé et de l’enseignement supérieur ? Qui peut croire que la multiplication par cinq du prix du pétrole (et par 3 de celui des céréales) entre 2004 et 2007, suivie de leur effondrement en 2008, sont des ‘signaux’ qui servent pour orienter l’investissement et la consommation vers des affectations plus efficientes ? Qui peut penser que la bulle de l’immobilier que nous avons connu, et son éclatement ultérieur, ont été des évolutions saines, qu’il ne fallait pas ‘perturber’ ? Et si l’inflation se déchaînait dans les pays qui dévaluent leur monnaie actuellement, ou si elle s’emballait un peu partout lorsque la croissance mondiale reviendra, qui voudrait appliquer les politiques restrictives des années 1980 pour la combattre ? Mais, le sujet nous intéresse aussi car John Kenneth Galbraith (l’auteur que nous commémorons), outre le fait d’avoir eu une grande expérience pratique dans le contrôle des prix (entre 1941 et 1943), a également écrit Une théorie du contrôle des prix, une contribution majeure au débat sur la question. 1. 1. Le point de vue des classiques Rappelons, avant de poursuivre, que les économistes classiques (d’Adam Smith à Pigou) n’adhéraient pas à un laissez-faire doctrinaire sur la question du contrôle des prix. Smith, par exemple, ne croyait pas que le libre mouvement des prix soit toujours la meilleure politique. Il pensait que l’Etat devait veiller à ce que l’école élémentaire soit accessible à tous à un prix modique : « l’Etat peut faciliter l’acquisition de ces connaissance en établissant dans chaque paroisse ou district une petite école où les enfants seront instruits pour un prix si modique, que même un simple ouvrier peut le payer » (Smith, 1776, vol. 2, p. 785). Il était convaincu aussi qu’une partie trop importante de l’épargne britannique allait vers des projets écervelés et qu’un maximum légal suffisamment bas imposé au taux d’intérêt (un prix important s’il en est) pouvait inciter les investisseurs à prêter aux entrepreneurs sobres plutôt qu’aux imprudents « qui seuls sont prêts à payer des intérêts élevés » : « Lorsque le taux d’intérêt légal est fixé à peine au-dessus du meilleur taux du marché, les prêteurs de capitaux préfèrent systématiquement, comme emprunteurs, les gens sobres plutôt que les prodigues et les spéculateurs » (Smith, 1776, vol. 1, p. 357). Quant à Pigou, après une discussion détaillée de l’expérience britannique de contrôle des prix en temps de guerre, il conclut que : « L’établissement de plafonds pour certains prix spécifiques … aide l’Etat à contenir cette menace suprême que constitue l’inflation galopante … Le contrôle de certains prix, n’est donc ni condamnée d’avance à l’échec ni nécessairement futile » (Pigou, 1941, p. 118). 1. 2. Ce que l’on doit entendre par ‘contrôle des prix’ Rappelons que, par ‘contrôle des prix’, les auteurs comme Galbraith n’entendaient pas nécessairement l’imposition d’un prix précis auquel les marchandises doivent obligatoirement être achetées et vendues. Ce n’est là qu’une option parmi d’autres. Par contrôle des prix, ils entendaient un large éventail de politiques par lesquels les prix du marché qui créent des problèmes peuvent être modifiés ou influencés ; une palette d’outils parmi lesquels l’Etat peut choisir en fonction du problème particulier qu’il souhaite résoudre ou atténuer. Dans certains cas, il s’agira d’un maximum légal (comme celui proposé par Smith pour le taux d’intérêt) ; dans d’autres il pourra s’agir d’un minimum légal (comme le salaire minimum) ; parfois d’un prix minimum auquel l’administration promet d’acheter et un prix maximum auquel elle promet de vendre (comme pour certains produits agricoles) ; parfois d’un gel temporaire des prix (pour bloquer une spirale inflationnistes, par exemple), etc. C’est probablement pour cette raison que le pluriel price controls est souvent utilisé en anglais. L’idée générale derrière la théorie est que, lorsque le libre mouvement des prix risque de produire des conséquences désastreuses (lors de la mobilisation pour une guerre ou lors de l’apparition d’une bulle spéculative présentant un danger systémique) ou lorsqu’il rend impossible ou très difficile d’atteindre un important objectif national (comme le plein emploi, ou l’accès à la santé pour tous), il est légitime de surveiller les prix et éventuellement faire quelque chose. La plupart des économistes sont d’accord pour aller jusque là, mais ensuite ils excluent le contrôle des prix de la palette d’options disponibles1. Dans sa Théorie du contrôle des prix Galbraith, par contre, écrit « c’est imprudent de décider d’avance que le contrôle des prix ne doit pas être utilisé … c’est une erreur d’exclure a priori une arme de notre arsenal qui pourrait s’avérer indispensable » (1951, p. 15). Le contrôle des prix n’est, bien sur, qu’une partie de la solution ; il s’agira souvent d’une mesure transitoire, destinée à gagner du temps afin de mettre en place une politique d’ensemble. Ce n’est pas une politique à appliquer isolément des autres mesures. Pour être efficace, il a généralement besoin de faire partie d’un ensemble (a package), en combinaison avec des mesures accompagnantes. Et l’ensemble en question doit évoluer avec les circonstances. Galbraith a toujours été clair à ce sujet. En 1941, par exemple, il écrit à propos de l’effort de mobilisation pour la guerre : « Une utilisation raisonnablement pleine des ressources, sans inflation sérieuse, peut être obtenue, mais … nous aurons besoin d’un portefeuille de mesures adaptées aux différentes étapes du processus d’expansion de la production » (Galbraith, 1941, p.84.). Une quarantaine d’années plus tard, se référant à la politique anti-inflationniste en temps de paix, il répétait l’idée : « Le contrôle des prix et des salaires … n’est pas une réponse complète …. Mais, il est une composante nécessaire de n’importe quelle stratégie complète » (Galbraith, 1980, Introduction.). Et les méthodes utilisées pour obtenir la modification souhaitée du comportement des prix peuvent également être très diverses, allant de l’exhortation et la pression morale aux sanctions pénales, en passant par les incitations fiscales, la vente des stocks stratégiques détenus par l’Etat (dans le cas du pétrole, par exemple), la libéralisation ciblée des importations de certains produits, etc.. Dans ce sens plus large, de telles politiques sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le croit d’habitude, bien qu’elles ne soient pas toujours perçues comme des contrôles des prix. La fameuse politique open market de la Federal Reserve, par exemple, peut être considérées comme faisant partie de cette famille de mesures, puisqu’elle est clairement destinée à modifier le taux d’intérêt qui résulte du libre jeu des forces du marché. Les “disjoncteurs” (circuit breakers) de la Bourse de New York (par lesquels les transactions sont interrompues lorsque Dow Jones chute de plus de 10%) et les “limites des prix” (qui interdisent les transactions à des prix inférieurs à un niveau donné, lors d’une baisse des cours), sont d’autres manières, moins bien connues, de ne pas permettre au libre mouvement des prix de faire des ravages. Afin de ralentir le mouvement de certains prix qu’ils trouvent préoccupants, les gouvernements se servent aussi parfois des outils crées pour assurer la concurrence. Ils menacent ainsi les entreprises avec des enquêtes, des procédures judiciaires, des dénonciations devant l’opinion publique, des amendes et éventuellement même le démembrement. N’oublions pas, enfin, que le prix de nombreux services publics sont aussi très souvent contrôlés. 1. 3. Ce que l’on ne doit pas entendre par ‘contrôle des prix’ Comme cela arrive souvent avec les mots, l’expression ‘contrôle des prix’ est parfois associée, dans l’esprit des gens, avec les mesures irréfléchies et contre-productives que certaines autorités administratives prennent parfois et qui finissent par aggraver le problème qu’il s’agissait de résoudre. Si le prix des céréales augmente trop, par exemple, un gouvernement qui imposerait un prix de vente trop faible, non rémunérateur pour les agriculteurs, les découragerait d’augmenter leur production. Le contrôle des prix n’est pas, non plus, une mesure à appliquer toute seule, sans des politiques complémentaires. Un gouvernement ou une ville qui fait face à une pénurie de logements et qui se limiterait à geler les loyers (sans rien faire d’autre), se trouverait avec toute sorte d’effets secondaires indésirables et n’atteindrait probablement pas ses buts. Les contrôles des prix mal pensés ou sans mesures d’accompagnement, ont assurément été imposés par des autorités locales et nationales craignant le mécontentement populaire, mais il n’ont jamais être proposés par des économistes sérieux (excepté pour obtenir une période de répit permettant de préparer une stratégie plus complète). Néanmoins, c’est ce type de mesures que les ultra-libéraux comme Frédéric Bastiat et Friedrich Hayek adorent fustiger. Ce sont là, probablement, quelques unes des raisons pour lesquelles le mot ‘contrôle’ a acquis des connotations si négatives. Galbraith l’avait bien vu : « J’ai utilisé le mot ‘contrôle’ dans le passé (pendant la guerre), pour que personne ne puisse penser que l’Etat pouvait se dérober de ses responsabilités. Aujourd’hui je propose qu’on utilise une autre expression et que nous parlions de … politique des prix et des revenus » (Galbraith, 1978, p. 109). De nos jours, trente ans plus tard, la nouvelle expression proposée par Galbraith a elle-même acquis quelques connotations négatives. On peut donc utiliser d’autres expressions comme « encadrement » ou « pilotage » ou encore moins controversée comme « surveillance » (le mot anglais monitoring est particulièrement heureux). 1. 4. Le livre de Galbraith Dans son livre Une théorie du contrôle des prix Galbraith retrace son expérience comme contrôleur des prix de Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale et essaye de tirer quelques leçons générales qui pourraient servir dans d’autres circonstances, moins extrêmes. Le livre constitue un tournant important dans sa vie. C’est son manque d’impact sur la profession (sur les économistes professionnels) qui l’a fait comprendre que, s’il voulait influencer le politique, il valait mieux écrire directement pour le grand public et ne pas perdre son temps en essayant de convaincre d’abord « les spécialistes reconnus ». Comme il le rappelle dans ses mémoires « J’ai décidé que désormais je m’adresserais à un public plus large ». (Galbraith, 1981, p. 174-175). A la fin de sa vie, il continuait à penser qu’Une théorie … était un de ses meilleurs livres. Aucune autre de ses publications ne combinait à un tel degré la connaissance théorique avec l’expérience pratique, nous dit-il. Cette opinion est d’ailleurs partagée même parmi ses adversaires. Ainsi, George Hildebrand, qui rend compte du livre pour la American Economic Review, reconnaît que Galbraith : « apporte au sujet une heureuse combinaison d’expérience administrative de haut niveau avec une connaissance des enjeux théoriques » (Hildebrand, 1952, p. 987). Hildebrand ne peut néanmoins s’empêcher de reprendre les thèses habituelles : « le contrôle des prix n’empêche pas l’inflation. Il la camoufle … il constitue une menace pour la survie d’une société libre … il n’est pas susceptible de fonctionner … si par miracle il marchait, les distorsions qu’il occasionnerait seraient irrationnels du point de vue économique » (Hildebrand, 1952, p. 988-989). Pour Milton Friedman – un autre grand adversaire du contrôle des prix – ce livre fait de Galbraith : « la seule personne qui a fait une tentative sérieuse pour présenter une analyse théorique afin de justifier sa position [une position favorable au contrôle des prix] … Je pense que son analyse est erronée mais, au moins, il s’agit d’une tentative sérieuse d’apporter un fondement théorique pour appuyer un point de vue » (Friedman, 1977, p.12). Friedman voudrait nous faire croire que le contrôle des prix n’a jamais été proposé que par les esprits ‘pratiques’, qui n’ont fait aucune tentative pour le justifier du point de vue théorique (à l’exception de Galbraith qui a avancé de tels arguments mais s’est complètement fourvoyé). Il a tort. Les économistes les plus réputés ont écrit sur le sujet et ont donné des arguments théoriques pour appuyer leurs positions. Nous avons mentionné Adam Smith et Pigou plus haut, mais la liste est bien plus longue. La Première Guerre mondiale venait de se terminer que Frank Taussig publiait son « Price Fixing as seen by a Price-Fixer », retraçant son expérience comme contrôleur des prix du Président Wilson, pendant le conflit (Taussig, février 1919). Environ deux années plus tard, dans son Economie politique de la guerre (1921), A. C. Pigou exprime ses propres opinions basées sur son expérience en Grande-Bretagne. Il consacre un chapitre spécial au contrôle des prix. Vingt ans plus tard, au début de la Seconde Guerre mondiale, Pigou a réécrit son livre en tenant compte de ses réflexions sur le sujet pendant l’entre-deux guerres (Pigou, 1941). Quelques mois plus tard, Keynes publie son How to Pay for the War (1940), un puissant pamphlet critiquant la politique laissez-faire adoptée lors de la Première Guerre mondiale, et proposant que quelque chose de très différent soit fait cette fois-ci. Le sujet a également été traité longuement par Michal Kalecki, dans le Bulletin of the Oxford University Institute of Statistics2. Les Etats-Unis ne sont entrés dans la guerre que deux années après la Grande Bretagne (en décembre 1941), mais les tensions inflationnistes se sont manifestées bien avant. Le problème a attiré l’attention de Alvin Hansen qui, dans The Review of Economic Statistics, exprime des opinions proches de celles de Keynes (Hansen, février 1941). Stimulé par le point de vue de Hansen, John Kenneth Galbraith rédige un commentaire critique (largement diffusé et publié trois mois plus tard dans la même revue), exprimant son désaccord avec Hansen et Keynes (Galbraith, mai 1941). A la fin d’avril 1941, le Président Roosevelt nomme Galbraith à la tête du contrôle des prix, responsabilité qu’il exercera jusqu’en mai 1943. En 1943, 1946 et 1947, il publie plusieurs articles tirant les leçons de son expérience. Le débat sur le contrôle des prix ne se termine évidemment pas avec la Guerre, et chaque fois que les tensions inflationnistes resurgissent, il revient avec la même intensité. Ainsi, lorsque la guerre de Corée commence, Tibor Scitovsky et son équipe à l’Université de Stanford écrivent leur Mobilizing Ressources for War pour la Rand Corporation, une intéressante analyse générale dans laquelle ils font le point sur les différentes politiques anti-inflationnistes (1951). Quelques mois plus tard Galbraith publie le livre que nous avons déjà mentionné – Une théorie du contrôle des prix – dans lequel il résume son expérience et ses réflexions sur le sujet (1952). La question du contrôle des prix revient encore sous les présidents Kennedy, Johnson, Nixon et Carter3. 2. Le contrôle des prix en temps de guerre Examinons d’abord quelques unes des différentes opinions qui ont été exprimées sur les politiques anti-inflationnistes et le contrôle des prix, au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec un intérêt particulier pour la contribution de Galbraith à ces fascinants débats économiques. 2.1. Le ‘timing’ du contrôle des prix A l’approche de la deuxième Guerre mondiale, il était largement estimé qu’en raison du chômage élevé et des capacités productives excédentaires laissés par la Grande dépression, les tensions inflationnistes ne surgiraient pas aussi rapidement qu’elles l’avaient fait lors de la Première Guerre mondiale. Si de telles tensions devaient apparaître, elles ne le feraient qu’après un certain laps de temps, lorsqu’on approcherait du plein emploi et de la pleine utilisation des capacités productives. Donc, si le contrôle des prix, ou quelque autre politique anti-inflationniste devenaient nécessaires, ce ne serait pas tout de suite. Comme l’écrit à l’époque Mordecai Ezequiel, un important économiste de l’administration Roosevelt : « C’est une des questions sur laquelle les économistes sont, je crois, généralement d’accord entre eux … si l’économie dispose de capacités excédentaires non utilisées, les dépenses [publiques] financées par l’emprunt ne surenchériront pas sur la production existante mais susciteront une production supplémentaire. Vous pouvez donc emprunter, obtenir une production additionnelle pour la guerre, sans tirer le niveau des prix vers le haut » (Mordecai Ezekiel, 1939, p.1). Contrairement aux attentes, l’inflation a commencé immédiatement. Au Royaume-Uni, par exemple, quatre mois après que la guerre ait été déclarée, les prix de gros avaient augmenté de 27%, et le coût de la vie de 10%, bien que le taux de chômage ait à peine diminué. Aux Etats-Unis, l’inflation était passée, en rythme annuel, de 3% en juillet 1940 à 15% en juillet 1941, bien que le taux de chômage soit encore supérieur à 10%, et que les Etats-Unis n’entreraient pas en guerre avant 5 mois. Keynes et Galbraith ont donné chacun une explication différente (mais pas nécessairement contradictoire) de ce phénomène inattendu. Keynes donne une explication macro-économique et Galbraith micro-économique. Commençons d’abord par Keynes. Voici son argument. Pour mener à bien une expédition militaire de courte durée un pays peut se limiter à utiliser ses stocks de munitions et de matériel de guerre, mais pour conduire une guerre importante et de longue durée, il doit augmenter la production de ceux-ci. La main-d’œuvre nécessaire à cette expansion de la production militaire doit venir soit des rangs de ceux qui ont déjà un emploi ailleurs (dans des branches produisant des biens à usage civil), soit des rangs de ceux qui sont sans emploi. Dans les deux cas, l’excès de demande pour des biens civils apparaît immédiatement, quelle que soit la marge de capacité productive inutilisée. Dans le premier cas, parce que la production de biens civiles diminue ; dans le second cas, parce que le nombre de salariés augmente sans une augmentation des biens civils. Comme le dit Keynes : « Même si le niveau des salaires n’augmente pas, la masse salariale croit considérablement en raison du nombre accru des effectifs engagés dans l’armée et dans les emplois civils … Il s’ensuit qu’une quantité plus grande de revenu (dans les poches des consommateurs) rencontrera une quantité de marchandises qui n’a pas augmenté » (Keynes, 1940, p.8). La demande excédentaire apparaît ainsi immédiatement, peu importe la distance qui nous sépare du plein emploi et de la pleine utilisation des capacités installées. Il s’ensuit que, quelle que soit la politique anti-inflationniste choisie par le gouvernement, cette politique doit commencer tout de suite : « Cette analyse de la manière dont surgit l’inflation est fondamentale – écrit Keynes. Mais, elle n’est pas encore comprise par tous … Pendant la dernière guerre j’étais au Ministère des finances (Treasury). Mais, à l’époque, je n’ai jamais entendu notre problème financier discuté dans ces termes » (1940, p.70). Michal Kalecki fournit un bon exemple de ceux qui, au début de la guerre, n’avaient pas les idées très claires sur le sujet. Ainsi, en juin 1940, dans le Bulletin of the Oxford University Institute of Statistics, il écrit : « Le problème fondamental de l’économie de guerre … consiste à empêcher la hausse violente des prix qui doit se produire, car les ressources productives sont limitées » (Kalecki, 1997, vol. VII p.3). Un an plus tard, dans The Banker, il avait assimilé la remarque faite par Keynes : « L’inflation surgit en temps de guerre, parce que le volume de l’emploi est maintenu, voire augmenté, tandis que la production de biens de consommation diminue considérablement » [le fait que les ressources productives sont ‘limitées’ n’entre pas dans l’argument] (1997, vol. VII p. 20). Dans le cas de Kalecki, sa première formule (erronée) n’a pas eue d’influence sur ce qu’il proposait. Il ne l’a nullement utilisé comme un argument pour différer le début de la politique anti-inflationniste. Au contraire, il était favorable au contrôle des prix et au rationnement dès le début du conflit, les considérant comme nécessaires pour préserver les intérêts des classes travailleuses et pour partager équitablement le fardeau de la guerre. Galbraith présente son explication alternative sous la forme d’un commentaire critique du célèbre article d’Alvin Hansen « Dépenses militaires et potentiel d’inflation » (février 1941). Dans ce texte, Hansen estimait qu’en 1940, le taux d’utilisation des capacités productives était approximativement de 80% et il concluait que « les craintes d’inflation sont exagérées » : « Lorsque nous nous penchons sur le danger d’inflation, nous constatons que la situation actuelle est différente de celle que nous avons connu pendant la Première Guerre mondiale … nos capacités productives sont énormes … nous abordons le problème de la prévention de l’inflation à partir d’une position plus avantageuse que lors de la Première Guerre mondiale » (Hansen, fév. 1941, p.6). Son argument est que, lors de la mobilisation, l’inflation peut entrer dans le système pour deux raisons différentes : lorsque la production rencontre des goulets d’étranglement spécifiques et lorsqu’on approche du plein emploi, chacune de ces deux causes d’inflation exigeant, pour les contenir, des politiques très différentes. Lorsqu’on approche de la pleine utilisation des capacités installées, il peut s’avérer utile de contrôler les prix. Mais, si le prix d’un produit spécifique commence à augmenter en raison d’un goulet d’étranglement particulier, la seule politique cohérente est de concentrer les efforts afin de desserrer le goulet d’étranglement ; il serait erroné de bloquer la hausse du prix correspondant et se priver ainsi de « l’arme importante des hausses des prix spécifiques, lorsque celles-ci peuvent aider à éliminer les goulets d’étranglement » (en attirant le capital et le travail) : « Si nous parvenons à éviter, ou tout au moins à minimiser, l’inflation due aux goulets d’étranglement … nous rencontrerons finalement le problème de l’inflation générale lorsque nous approcherons du plein emploi » (Hansen, février 1941, p. 6). Galbraith commence sa critique de Hansen en suggérant diplomatiquement que les commentaires qu’il est sur le point à faire « complètent plus qu’ils ne contredisent » les arguments de Hansen. Mais ensuite il remet en cause non seulement la distinction que Hansen fait, mais également sa proposition principale : « Le Professeur Hansen distingue entre une hausse des prix provoquée par des goulets d’étranglement et une autre due au fait que nous approchons le plein emploi … je me demande si cette distinction a une quelconque utilité » (Galbraith, mai 1941, p. 82-83). Après plus de dix ans de Dépression – écrit Galbraith – les branches qui peuvent rapidement augmenter leur production, et celles qui éprouveraient rapidement des goulets d’étranglement, sont si étroitement imbriquées que toute distinction entre les deux semble purement académique : « L’apparition de l’inflation aura peu ou pas de rapport avec l’approche du plein emploi … les décisions importantes dans le domaine de la politique des prix et de la politique budgétaire, devront être prises bien avant qu’on ne soit proches du plein emploi » (Galbraith, mai 1941, p. 83). Il semble juste de mentionner ici Bernard Baruch, qui avance une troisième raison pour laquelle le contrôle des prix devait commencer immédiatement. Lorsque la crainte de guerre apparaît, les hommes d’affaires anticipent que la demande de certaines marchandises va augmenter et que leurs prix vont flamber. Cette anticipation les pousse à surenchérir pour les stocks existants et les contrats à terme de ces marchandises. Les prix commencent ainsi à augmenter avant que l’excès de demande (dont parle Keynes) n’entre dans le circuit, avant même que les goulets d’étranglement (dont parle Hansen) ne se manifestent (Adams, 1942, pp. 111-142). 2.2. Quelle politique anti-inflationniste ? Les économistes convenaient dans l’ensemble que la mobilisation pour la guerre engendre un excès de demande et des tentions inflationnistes, mais ils étaient très divisés sur ce qu’il fallait faire à cet égard. C’est sur ce sujet qu’on trouve les contributions les plus originales de Galbraith à la question du contrôle des prix mais, afin de comprendre, un survol préliminaire de ce que les autres pensaient à ce sujet est nécessaire. La première politique qui vient spontanément à l’esprit d’un ‘économiste de formation’, lorsqu’il y a excès de demande, est de laisser le marché rétablir l’équilibre. N’est-ce pas ce que le libre mouvement des prix est censé faire ? Mais, même si c’était vrai que le mécanisme des prix fait cela en temps de paix, il y a plusieurs raisons pour lesquelles on ne peut pas compter sur lui en temps de guerre. La plus importante est qu’il prend trop de temps. Comme l’expliquait Mordecai Ezekiel : « Si vous comptez sur l’augmentation des prix pour stimuler l’expansion de la production … vous risquez de perdre beaucoup de vies avant que la recherche de profit n’ai livré le matériel requis » (Ezekiel, 1939, p. 9). Pour paraphraser Keynes, on pourrait dire que si nous comptons sur les forces du marché en temps de guerre, nous serions morts « à court terme aussi ». Pigou dit la même chose : « Dans un conflit international intense, le retard est extrêmement dangereux. Le temps est crucial pour la victoire … la contrainte légale aide la transition de la production de paix à la production de guerre à se faire beaucoup plus rapidement … La transformation de l’industrie, pour la rendre appropriée aux besoins de la guerre, doit donc être aidée par une coercition directe de la part de l’Etat » (Pigou, 1941, p. 70-71). Scitovsky est du même avis : « Le mécanisme du marché prend du temps – parfois beaucoup de temps – pour effectuer les ajustements aux changements de l’offre et de la demande. En fait, la lenteur du mécanisme du marché fut l’argument principal avancé durant la Seconde Guerre mondiale en faveur des contrôles directs » (Scitovsky, 1951, p. 139). Un autre argument contre le libre mouvement des prix est que, lorsque la mobilisation en faveur de la guerre a lieu, l’excès de demande augmente non seulement pour les biens militaires mais aussi pour les biens à l’usage civil (pour les raisons expliquées ci-dessus par Keynes). Si le prix de vente des biens civils augmente, l’augmentation des profits dans ces branches attirerait les capitaux, en les détournant de la production militaire, ce qui est précisément ce qu’on voulait éviter. Comme l’écrit Seymour Harris : « les mouvements incontrôlés des prix peuvent attirer du travail et du capital vers des productions dont on peut se passer en temps de guerre » (Harris, 1945, p.30). Un dernier argument contre le libre mouvement des prix en temps de guerre est qu’il ne rétablit pas l’équilibre. Comme le dit Keynes : « l’Etat ayant pris les marchandises dans la production desquelles une partie du revenu de la population a été gagné, il ne reste rien en quoi cette partie du revenu peut être dépensé … si les prix grimpent, les recettes supplémentaires gonflent simplement le revenu de quelqu’un d’autre, le revenu disponible sans contrepartie en marchandises civiles demeure identique … c’est une certitude arithmétique » (Ibid., p.61). Et il arrive à la conclusion (qui sera contestée par Galbraith) : « On doit trouver un moyen pour retirer ce pouvoir d’achat du marché … C’est le seul moyen » (Ibid., p. 8-9). |
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