Mondialisation et intégration régionale The economical advantages of commerce are surpassed in importance by those of its effects which are intellectual and moral. It is hardly possible to overrate the value, in the present low state of human improvement, of placing human beings in contact with persons dissimilar to themselves, and with modes of thought and action unlike those with which they are familiar… Commerce first taught nations to see with goodwill the wealth and prosperity of one another. Before, the patriot, unless sufficiently advanced to feel the world his country, wished all countries weak, poor, and ill-governed but his own: he now sees in their wealth and progress a direct source of wealth and progress to his own country.
John Stuart Mill. Principles of Political Economy.
Le cours de cette année est centré sur l’histoire de la mondialisation du 14ème siècle à l’époque actuelle. Il est cependant un cours d’analyse économique avant d’être un cours d’histoire. En conséquence j’utiliserai les méthodes théoriques et statistiques de l’économie, même si j’omettrai leurs aspects mathématiques. Pour la culture générale des étudiants, ma plus grande recommandation de lecture est celle de l’hebdomadaire The Economist. Il inclut régulièrement des articles extrêmement clairs et documentés sur les thèmes du cours et sur les autres domaines de l’économie, et démontre que le sérieux et la compétence s’accordent parfaitement avec l’humour. SOMMAIRE L’économie malthusienne
La théorie de l’économie malthusienne
La Peste Noire et l’économie malthusienne du haut Moyen Age
La Route de la Soie et la Peste Noire
Les effets économiques de moyen et long terme de la Peste Noire
Une esquisse de modélisation
Le concept de frontière La période mercantiliste : les 17ème et 18ème siècles
Le mercantilisme et l’Etat-Nation
Le mercantilisme et la préservation des métaux précieux
Le commerce
Les mouvements de main d’œuvre
Eléments d’histoire de l’Europe
Eléments d’histoire de la Chine La Révolution Industrielle (1760-1860) et la Grand Divergence
1. Constatations historiques
L’augmentation de la population en Angleterre
La hausse de l’efficience de la production
Conséquences sur le commerce extérieur de l’Angleterre
Conséquences sur la répartition des revenus en Angleterre
Analyses théoriques des causes de la Révolution Industrielle
La Révolution Scientifique en Europe au cours du 17ème siècle
La qualité des institutions
La transition démographique
Les spécificités de l’Angleterre
Remarques sur la croissance américaine au cours du dix-neuvième siècle
3. La Grande Divergence
Les explications en termes d’avantages naturels ou géographiques
Selon l’analyse néo-classique nous aurions dû avoir une convergence des richesses des nations
Les explications en termes d’externalités de la production
La productivité du travail non qualifié
Un retour sur les « explications » institutionnalistes 4. Le libre échange (1815-1914)
1. Comment définir et mesurer la mondialisation du marché des marchandises
Définitions
Mesures
Evaluation critique
2. Pourquoi le libre échange ?
Les gains directs
Les gains indirects
Les gains intellectuels et moraux
3. Du mercantilisme au libre échange
Les guerres napoléoniennes et leurs conséquences
La baisse des coûts de transport et la libéralisation du commerce international
L’essor de la mondialisation
Les termes de l’échange et l’appauvrissement du Sud
4. A-t-on un retour du mercantilisme à la fin du 19ème siècle ? L’impérialisme
Eléments d’histoire du colonialisme de 1500 à 1800
L’émigration européenne au cours du dix-neuvième siècle
Les faits
Les causes
La convergence des salaires réels durant la période 1850-1913
3. Les migrations asiatiques du 19ème et du début du 20ème siècles
4. La thèse de l’impérialisme
5. Discussion à la lumière des faits Le retour au protectionnisme (1914-1950)
1. Le commerce international
2. Les migrations internationales
3. La political economy de la protection
Le goût pour le statu quo
Revenu moyen et revenu médian
Contradiction des intérêts de classe
L’organisation des groupes d’intérêt
Le théorème de symétrie de Lerner
4. Histoire de la politique commerciale des Etats-Unis
L’histoire ancienne
La période Roosevelt Le retour au libre échange (après 1950)
Le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT)
L’histoire
Succès et limites du GATT
L’ouverture commerciale des pays du Sud
L’industrialisation par substitution d’importations
La croissance tirée par les exportations
Les coûts des transports
Les nouvelles formes du protectionnisme
Les procédures anti-dumping
Les effets de l’anti-dumping
La clause de sauvegarde
La section 301
Les migrations internationales
Les causes des migrations
Les effets des migrations sur les marchés du travail des pays d’accueil
La political economy des contrôles de l’immigration Mondialisation et marchés des capitaux
Théorie : les limites des choix de l’Etat
Illustrations historiques
1870-1914
1914-1945
1945-1971
Après 1972
Intégration des marchés financiers
La structure des stocks d’actifs étrangers
Les investissements du Sud vers le Nord
Les investissements directs
La convergence des taux d’intérêt et de rémunération du capital
Qualité du système financier, croissance et mondialisation
Système financier et système de change
Les pays du Nord après la Seconde Guerre Mondiale
Les pays du Sud après la Seconde Guerre Mondiale
La période 1870-1913
La liberté des mouvements de capitaux est-elle bonne pour les marchés émergents ?
Quelques remarques sur les évolutions récentes des systèmes bancaires et financiers dans le monde
De la répression à la libéralisation financière
Innovations financières et nouveaux acteurs 9. L’Organisation Mondiale du Commerce
L’Uruguay Round
L’Organisation Mondiale du Commerce
Les normes sociales
La protection de l’environnement
La santé publique : bœufs aux hormones et OGN
Quelques conflits commerciaux récents
L’échec du Doha round
Un départ favorable
Les difficultés des négociations agricoles
L’échec
Conclusion 10. Les accords préférentiels d’échange
Définitions
Eléments théoriques et méthodologiques
La théorie classique des unions douanières : l’argumentation en termes d’avantages comparatifs
La théorie moderne des unions douanières : l’argumentation en termes d’avantages de distance
Comment mesurer les effets des accords préférentiels sur les échanges internationaux
Les accords préférentiels entre pays industrialisés
L’Union Européenne
L’Accord de Libre Echange d’Amérique du Nord (NAFTA)
L’accord de libre échange entre les Etats-Unis et l’Australie
Les accords préférentiels entre pays émergents
Les Amériques
L’Asie
Les accords préférentiels entre pays industrialisés et pays émergents
L’Afrique, l’Europe et les Etats-Unis
Les accords entre les Etats-Unis et des pays des Caraïbes, d’Amérique centrale ou du sud
Conclusion
11. Questions actuelles sur la mondialisation
1. La sous-traitance et les délocalisations
2. La mondialisation accroît-elle l’inégalité des revenus dans les pays du Nord ?
3. Effets de la mondialisation sur l’emploi
La protection de la propriété intellectuelle Chapitre 1
L’économie malthusienne
Je consacre un chapitre à une période ancienne, ainsi qu’à développer des aspects qui semblent loin de la mondialisation, pour plusieurs raisons. D’abord ce chapitre vous permettra de comprendre les mécanismes économiques malthusiens qui étaient présents de façon très pure en Europe de l’Ouest avant le 17ème siècle et qui ont caractérisés la plus grande partie de l’histoire de l’humanité. Ces mécanismes étaient encore présents, bien que de façon atténuée, dans les pays industrialisés sur la période 1850-1913, et sont à l’origine de l'impérialisme, qui fut une caractéristique importante du capitalisme de cette époque. Ils disparurent ensuite dans les pays industrialisés, et nous verrons que cela peut expliquer la décolonisation rapide qui suivit la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Enfin, des régions de pays en développement et quelquefois des pays entiers, souvent situés en Afrique sub-Saharienne, ont leur économie fonctionnant encore selon le mode malthusien.
1. La théorie de l’économie malthusienne Cette théorie repose sur trois hypothèses :
Le taux de naissance dans une société donnée est déterminé par ses normes sociales, qui régulent la fécondité, mais il augmente aussi avec le pouvoir d’achat des individus.
Le taux de décès dans chaque société diminue quand le pouvoir d’achat des individus augmente.
Le pouvoir d’achat des individus diminue quand la population augmente. Cette théorie peut être résumée dans les deux graphiques suivants.
Taux de naissance
Taux de décès
Population
Revenu par tête
y*
y0
Supposons que le revenu par tête soit à une date donnée égal à , c’est-à-dire soit relativement élevé. Alors, le taux de naissance dans la société est supérieur au taux de décès. En conséquence la population augmente. Cette évolution démographique entraîne une baisse progressive du revenu par tête jusqu’au niveau . Alors, le taux de naissance devient égal au taux de décès et la population atteint une valeur fixe stationnaire. Ainsi, si les trois lignes des graphiques ne bougent pas, la population et le revenu par tête tendent à se fixer à des niveaux constants au cours du temps. La valeur stationnaire du revenu par tête est appelée revenu de subsistance. Cette dénomination est trompeuse. Ce revenu est toujours très supérieur au niveau en deçà duquel les individus ne pourraient plus vivre. Il diffère entre pays et entre périodes puisque les trois lignes du graphiques changent au cours du temps et diffèrent entre nations. Ce qui est important dans ce concept est que ce revenu est celui qui prévaut dans le long terme dans une société donnée ; il ne présente aucune tendance à la hausse au cours du temps, contrairement à ce que l’on observe actuellement, ou plus précisément depuis la Révolution Industrielle. On peut aussi remarquer que le taux de décès reste constant au cours du temps. Il devient alors égal à l’inverse de l’espérance de vie à la naissance. La fixité de la population des différents pays avant la Révolution Industrielle est approximativement vérifiée par les faits. Le tableau ci-dessous montre une faible expansion sur une période de cinq siècles, qui contraste avec les fortes expansions démographiques qui ont été observées ultérieurement dans le monde, par exemple depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il nous faudra cependant expliquer pourquoi la population a augmenté (même à un faible rythme) au lieu de rester constante dur la période 1300-1800.
Millions de personnes
| Population en 1300
| Population en 1800
| Norvège
| 0.40
| 0.88
| Italie du Sud
| 4.75
| 7.9
| France
| 17
| 27.2
| Angleterre
| 5.8
| 8.7
| Italie du Nord
| 7.75
| 10.2
| Islande
| 0.084
| 0.047
|
La baisse du revenu par tête quand la population augmente n’est rien d’autre que la loi des rendements décroissants. Son fondement est que certains facteurs de production, indispensables, sont disponibles en quantité fixe. Il s’agit principalement des terres arables. Augmenter les quantités de travail, de capital et de biens intermédiaires, appliquées à une superficie donnée de terre, permet d’accroître la production agricole, mais dans une proportion moindre que l’augmentation de ces inputs. Cela implique que la production par travailleur diminue avec le nombre de travailleurs. Bien sûr, quand le nombre de travailleurs augmente, la nature de la production change. Par exemple dans les régions côtières de Chine et du Japon en 1800, une acre (un demi hectare) de terre suffisait à nourrir une famille. A la même époque l’Angleterre utilisait un travailleur agricole pour 20 acres de terre. Cela explique que l’élevage, qui est une activité qui demande beaucoup de terre et peu de travail, était beaucoup plus pratiqué en Angleterre qu’en Chine. Le revenu de subsistance dépend (uniquement) des deux fonctions (ou lignes) reliant le taux de naissance et le taux de natalité au revenu par tête. Si on translate verticalement vers le haut la ligne taux de naissance dans le premier graphe, on voit aisément que le revenu de subsistance baisse et que la population augmente. Ainsi, si les familles du pays A ont davantage d’enfants pour chaque niveau de revenu que les familles du pays B, alors le revenu par tête du pays A sera plus bas que le revenu par tête du pays B (toutes choses égales par ailleurs). En conséquence, un contrôle de naissance (moral restraint dans la terminologie de Malthus) conduit à une augmentation du revenu par tête et à une baisse de la population. Il conduit aussi à une baisse du taux de mortalité, c’est-à-dire une hausse de l’espérance de vie. Le contrôle des naissances a toujours existé. Son mode et son intensité diffèrent cependant entre les sociétés. Dans l’Europe du Nord-ouest il prenait la forme d’un mariage tardif pour les femmes, d’une forte proportion d’entre elles qui ne se marnaient pas et d’un faible nombre de naissances en dehors des liens du mariage. En revanche le taux de fécondité des femmes mariées était élevé. En Chine et au Japon, qui présentaient un taux de naissance du même ordre que l’Europe du Nord-ouest, pratiquement toutes les femmes étaient mariées à un jeune âge. Mais le taux de fécondité des femmes mariées était plus bas qu’en Europe. De plus la société comprenait une proportion d’hommes nettement plus élevée que de femmes, ce qui impliquait qu’une proportion notable d’hommes restaient célibataires. Un point intéressant est que l’âge du mariage des femmes baissa en Angleterre au cours du 18ème siècle. Simultanément la proportion de femmes non mariées diminua. Cela conduisit à une hausse du taux de naissances alors même que les salaires et revenus réels stagnaient. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre 3. Une translation verticale vers le bas de la ligne taux de décès conduit à un revenu par tête plus bas et à une population plus élevée. L’espérance de vie, qui est l’inverse du taux de décès, devient plus élevée. Ainsi, une amélioration dans les conditions d’hygiènes ou une baisse de la violence et des désordres, qui réduisent le taux de décès, conduisent aussi à un plus bas niveau de vie et à une espérance de vie plus longue. Le premier résultat est contre intuitif puisqu’il affirme que les guerres et les épidémies améliorent le niveau de vie des survivants, alors que les progrès de la médecine, l’amélioration des traitements d’eau ou des ordures dans les villes appauvrissent la population. Il permet cependant de comprendre beaucoup de choses (passées et actuelles) comme nous le verrons. Enfin, un progrès de la technologie, par exemple une nouvelle technique agricole ou la découverte d’une nouvelle culture (comme la pomme de terre qui a été introduite en Europe et en Chine après la découverte des Amériques), conduit à une translation verticale vers le haut de la ligne du second graphique. On voit que dans le court terme (quand la population ne s’est pas encore ajustée) le revenu par tête augmente. Mais ensuite la population augmente progressivement et le revenu par tête baisse. Dans le long terme le revenu par tête revient à sa valeur initiale et la population est simplement plus élevée. Ainsi, des innovations technologiques (il y en a eu beaucoup du temps des Romains à la fin du 18ème siècle) ne conduit qu’à une amélioration transitoire du niveau de vie et se borne, dans le long terme, à permettre l’existence d’une population plus élevée.
2. La Peste Noire et l’économie malthusienne du haut Moyen Age
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