Théories économiques : les fondateurs Chapitre 1 : La théorie symétrique de la valeur : analyse et critique Section I : La théorie symétrique de la valeur, quelques rappels 1) A. Marshall : éléments biographiques
La théorie symétrique de la valeur (TSV) a été élaborée par Alfred Marshall (1842-1924).
Il naît à Londres en 1842, et meurt à Cambridge en 1924. Il enseigne d'abord à Cambridge, puis à Oxford. En 1885, il est nommé professeur d'économie politique à Cambridge où il restera jusqu'à la fin de sa vie. Il enseignera à Pigou et Keynes, et marque profondément l'enseignement de l'économie en Grande-Bretagne.
L'équilibre de Walras n'est pas connu à cette époque, et il faudra attendre pour que la pensée Walrasienne se diffuse.
La théorie symétrique de la valeur est exposée dans un ouvrage qui s'appelle « Principes d'Économie Politique », qui paraît pour la première fois en 1890, et sera réédité 8 fois du vivant de l'auteur, avec de profondes modifications jusqu'en 1924. 2) Deux métaphores
Deux citations de Marshall vont nous permettre d’introduire la TSV:
La valeur normale symbolise la valeur d'équilibre. → « La valeur normale de toute chose se trouve sur la clé de voute d’un arc en équilibre par rapport aux force opposées agissant sur ces deux côtés. Les forces de la demande agissent d’un côté, celles de l’offre de l’autre »
« La symétrie fondamentale des relations générales dans lesquelles la demande et l’offre se situent par rapport à la valeur, ou le principe de coût de production et le principe de l’utilité finale sont sans aucun doute les 2 composantes de la loi unique et universelle de l’offre et de la demande, chacun (des principes) pouvant être comparés à une lame d’une paire de ciseaux.» → Le principe du coût de production va être ce qui va déterminer la fonction d'offre d'un bien. L'utilité marginale étant ce qui va permettre de déterminer la fonction de demande de biens.
3) Détermination simultanée et équilibre partiel
Nous pouvons maintenant préciser en quoi consiste cette symétrie fondamentale des relations dans lesquelles la demande et l'offre se situent par rapport à la valeur. 3 points à préciser :
La valeur d’une marchandise est déterminée à la fois par l’offre et la demande.
Le prix et la quantité d’une marchandise sont déterminés en même temps par la demande et l’offre. A et B sont les deux faces d’une même médaille.
Marshall raisonne dans le cadre de l’équilibre partiel (et non de l’équilibre général comme Walras) : ce qui revient à faire l’hypothèse dans laquelle on considère que ce qui se passe sur le marché d’une marchandise n’influence pas ce qui se passe sur les autres marchés et vice versa. On fait comme si on pouvait isoler un marché et l'étudier ainsi. On dit alors que l'on raisonne toutes choses égales par ailleurs. On dit aussi que l'un fait la clause ceterisparibus. Mais avant d'aller plus loin, il est important de décrire les conditions dans lesquelles une marchandise est produite.
4) Firmes (entreprises) et industries-branche : les conditions de la concurrence
Chez Marshall, chaque petite unité constitue des firmes, et toutes les unités s'appellent branche, ou industrie.
L'existence de nombreuses firmes au sein d'une industrie est importante aux yeux de Marshall pour que soient produites les marchandises dans des conditions de concurrence et non de monopole. 5) Théorie symétrique de la valeur et rendements non proportionnels
Nous allons expliciter les points A et B.
A : la décroissance de la courbe de demande s'appuie, d'après Marshall, sur la décroissance de l'utilité marginale. Ex : Un verre d'eau, ça va, mais au cinquième, on n'a plus soif, donc on est prêt à acheter un verre supplémentaire mais à un prix inférieur, car l'utilité qu'il produira sera inférieure aux premiers verres.
B : la courbe OA, ici supposée croissante en Pa, est la somme des courbes d'offre des firmes qui produisent A, c'est donc la courbe d'offre de l'industrie. Ici elle est supposée croissante, ce qui veut dire qu'à chaque fois que je produis une unité supplémentaire, cela est de plus en plus coûteux. Les coûts de production sont donc croissants, en d'autres termes les rendements sont décroissants. La théorie symétrique de la valeur ne s’applique pas pour les rendements constants, elle s’applique pour des rendements croissants ou décroissants (ce sont des rendements non proportionnels). Sraffa écrit : « si le coût de production de chaque unité de marchandise ne variait pas lorsque la quantité produite change, la symétrie offre-demande serait brisée. Le prix serait déterminé exclusivement par les dépenses de production, et la demande ne pourrait avoir sur lui une quelconque influence. » Pour une symétrie fondamentale, il faut que l’offre dépende du prix, que le coût varie lorsque la quantité produite varie. Une relation fonctionnelle entre coûts et quantités produites doit exister. Le coût est une fonction de la quantité produite. C : à l'évidence, qA* et pA* sont déterminés en même temps.
D : supposons que l'offre de A puisse être représentée par une droite parallèle à l'axe des quantités.
Dans le cas où la courbe d'offre est parallèle à l'axe des quantités, le prix d'équilibre est déterminé uniquement par les conditions de l'offre, et la demande ne sert qu'à déterminer la quantité d'équilibre. Dans ce cas, il n'y a pas de symétrie fondamentale entre la demande et l'offre pour déterminer la valeur.
Nous obtenons une telle courbe lorsque les coûts sont constants, ou les rendements sont constants. E : conclusion
Pour qu'il y ait la symétrie fondamentale de l'offre et de la demande dans la détermination de la valeur, il faut que l'offre dépende des prix, c'est-à-dire que le coût varie lorsque la quantité produite varie. On peut avoir aussi bien des coûts de production croissants, donc des RE décroissants et la courbe d'offre est alors croissante.
On peut également avoir des coûts décroissants, avec des RE croissants, fonction d'offre décroissante, rarement représentée. En bref …
La valeur doit être déterminée par l'offre et la demande.
On ne peut avoir de courbe d'offre parallèle à l'axe des quantités. Lorsque la quantité produite varie, le prix varie.
Pour Marshall, la théorie de la valeur doit être étudiée dans le cadre de l'équilibre partiel où les autres marchés ne perturbent pas le marché étudié.
La théorie symétrique de la valeur doit étudier la détermination de la valeur relative dans un cadre de concurrence où la même marchandise est produite par plusieurs firmes.
Sraffa va critiquer cette théorie. (Selon Marshall, la TSV doit être étudiée dans le cadre de l'équilibre partiel. Elle doit étudier la détermination de la valeur relative dans un cadre où une marchandise est produite par plusieurs entreprises (pas d'oligopoles ni de monopoles). Rendements proportionnels et production en situation concurrentielle.) Section II : Le projet critique de Sraffa (1898-1983) Quelques éléments biographiques…
Sraffa a du quitter l'Italie pour ne pas être emprisonné. Il arrive en Angleterre en 1927.
1er article en 1925 : « Sur les relations entre coûts et quantités produites ».
2ème article, 1926 : « La loi des rendements en régime de concurrence ».
Quand il arrive à Cambridge, suite à la demande de Keynes, il va faire cours à des étudiants : Advanced Theory of value. Ce cours (peut être consulté) le rend malade, car c'est un personnage très exigeant.
En 1932, il écrit un article où il critique la théorie monétaire de Hayek.
En 1951, il écrit une introduction aux œuvres de Ricardo « Écrits et correspondances » qu'il éditera.
1960, il publie un livre : « Production de marchandises par des marchandises : prélude à une critique de la théorie économique ». 1) Le vice caché de la théorie symétrique de la valeur
a) L’étonnement de Sraffa
Sraffa exprime son étonnement face à « l’accord quasi-unanime auquel sont parvenus les économiques à propos de la théorie symétrique de la valeur dans un système purement concurrentiel ». Il souligne que c’est un trait les plus frappants de l’économie dans son état actuel. Cet accord est étonnant car « et pourtant, sous l’aspect paisible que nous offre la théorie moderne de la valeur, se dissimule un vice qui trouble son harmonie d’ensemble : les problèmes posés par la courbe d’offre fondée sur la loi des rendements croissants ou décroissants ». b) Rendements non proportionnels et théorie symétrique de la valeur : une incohérence
Il cherche à montrer que la loi des rendements non proportionnels ne peut pas être fondée de manière cohérente avec la théorie symétrique de la valeur que Marshall a voulu élaborer, et qu’elle doit donc être rejetée. Sraffa pense qu’en détruisant l’un des éléments de base de la théorie de Marshall, tout le système devrait s’effondrer. 2) De deux lois à une loi
Pour clarifier la nature de la critique adressée à Marshall par Sraffa, nous allons progresser par étape. Marshall parle de la loi des rendements non proportionnels. Sraffa commence par souligner que Marshall n’est pas le premier à parler de rendements non proportionnels. Cependant, il y avait une différence entre Marshall et les anciens. En effet, avant, il y avait, d’un côté, la loi des rendements décroissants, et d’un autre côté, la loi des rendements croissants. De plus, ces rendements n‘étaient pas étudiés dans le cadre de la théorie de la valeur.
La loi des rendements décroissants (liée à la rente foncière)
Théorie des rendements décroissants, ou de la productivité décroissante, ou des coûts croissants.
Avant Marshall, on retrouvait la loi de rendements décroissants chez Turgot et Ricardo. Chez ces auteurs classiques, la théorie des rendements décroissants n’était pas étudiée en liaison avec la théorie symétrique de la valeur, mais en relation avec la théorie de la rente foncière, et donc la théorie de la répartition et non de la théorie de la valeur.
Le but des classiques n’était pas d’établir une relation fonctionnelle entre les quantités produites et les coûts. Ce n’est pas en soi l’accroissement de la quantité produite de blé qui accroissait le prix du blé, mais c’est le fait qu’on était amené à mettre des terres de moins en moins fertiles. Si des terres de même fertilité avaient été disponibles en quantité infinie, on aurait pu accroître la quantité produite sans pour autant accroître le coût.
Chez un auteur comme Ricardo, c'est bien parce que les terres de bonne fertilité étaient disponibles en quantité limitée, que lorsque l'on augmente une quantité produite, on doit passer à une production sur des terres moins fertiles, ce qui augmente le coût de production du blé.
→ Pb de répartition et non pas de valeur Séance 2. Précédemment …
Dans le premier chapitre nous étudions de manière critique la théorie symétrique de la valeur qui est très utilisée en économie.
Etablie pour la première fois par A. Marshall, qui a eu notamment comme étudiants Keynes et Pigou.
Théorie de la symétrie de la valeur : le prix d’une marchandise est déterminé à la fois par l’offre et la demande, d’où les métaphores de Marshall : lames de ciseau.
L’illustration graphique :
(Quantité, prix)
Courbe demande est décroissante : plus le prix est élevé plus la quantité demandée est faible, et vice versa.
S’appuie sur l’utilité marginale : plus un individu a de quantité d’un bien, plus le prix que l’on est prêt à payer est de plus en plus faible.
Courbe d’offre : relation est liée à la relation qui existe entre quantité produite et cout de production. Plus complexe que courbe D car pour la demande l’utilité marginale toujours décroissante donc demande toujours décroissante. Mais ca n’est pas le cas pour l’offre.
Quand la quantité produite augmente, alors cout unitaire diminue. => baisse du prix => fonction d’offre décroissante.
Quand plus je produis plus ça devient difficile de produire et le cout unitaire augmente. => hausse du prix => courbe d’offre croissante => rendements décroissants / couts croissants
Quand la quantité produite augmente mais que le cout unitaire est constant. => Rendements croissant.
La fonction d’offre est liée à l’évolution du cout en fonction des quantités produites. Théorie symétrique de la valeur :
- Pour que la valeur soit déterminée à la fois par l’offre et par la demande, donc la courbe d’offre ne doit pas être parallèle à l’axe des abscisses. Il faut donc que l’on ait des rendements soient croissants soient décroissants. Ce sont ainsi des rendements non proportionnels.
- Cette théorie est établie dans l’équilibre partiel. = ce qui se passe sur un marché n’influence pas sur divers marchés, vice versa. Toute chose égale par ailleurs.
- doit être établie dans le cadre de la concurrence pure. Pour Marshall elle concerne les conditions de production des marchandises : elle doit être produite par un ensemble de firmes regroupées dans la branche ou encore une industrie. On appelle industrie ou branche le regroupement de chaque firme ou entreprise.
Cette conception de la concurrence est propre à Marshall. Un économiste ami de Keynes : Sraffa s’étonne très rapidement de l’accord quasi unanime de cette théorie.
Il pense qu’il y a des incohérences logiques au sein de cette théorie. Il va développer une critique interne et non pas externe (c’est-à-dire non par rapport a une autre théorie).
Il va procéder par étape. La conclusion à laquelle il va arriver est qu’on ne peut pas arriver du a l’universalité, au fait de l’équilibre partiel et du fait de la situation de concurrence. On peut avoir ¾ mais jamais les 4 en même temps.
La loi des rendements croissants
Productivité croissante ou coûts décroissants
Renvoie à Adam Smith avec sa manufacture d’épingles.
Pour Smith, la division du travail au sein d’une manufacture va permettre un accroissement de la productivité du travail pour un certain nombre de raison, les rendements sont donc croissants.
Division du travail* : on va subdiviser de nombreuses taches. Un ouvrier produisait une épingle à lui seul (toutes les étapes) ! Smith considère qu’une fois que la division du travail est établie, la productivité du travail a augmenté.
Les causes identifiées par Smith de ces rendements croissants:
- il n’y a plus la perte de temps
- à force de faire les mêmes choses, on devient plus habile
- à force de faire les mêmes choses, on va être plus attentifs => innovations via progrès techniques.
Les rendements sont ainsi croissants. Mais cette croissance n’est pas liée à la théorie de la valeur mais à la théorie de la production.
Le second point très important est qu’il ne s’agit pas dune relation fonctionnelle entre couts et quantité produites.
Car : courbe d’offre est décroissante par rapport au prix, car derrière il y a une relation entre offre et prix lié à relation entre cout et quantité. Le coût est donc une fonction de la quantité. Il y a donc une relation fonctionnelle entre le cout et la quantité.
Pour qu’il y ait une fonction d’offre qui ne soit pas horizontale, il faut que l’offre soit croissante ou décroissante.
Chez Smith les rendements décroissants ne sont pas liés à une relation fonctionnelle entre coûts et quantités produites.
Supposons qu’on a instauré la division du travail dans la manufacture. Les ouvriers se disent qu’avant ils produisaient à eux tous 20 épingles. Maintenant suite à la division du travail on produit 200 épingles. Pourquoi on produirait plus par jour ? Et ne pas travailler moins par jour et obtenir les 20 épingles ? Dans ce cas, la diminution du coût unitaire n’est pas liée à un accroissement de la productivité. Tableau récapitulatif des rendements croissants et décroissants avant Marshall :
Loi des rendements décroissants
| Loi des rendements croissants
| Turgot, Ricardo
| Smith
| Terre, rente
| Division du travail, progrès technique
| Répartition et pas de la valeur
| Production et pas de la valeur
| Pas de relation fonctionnelle entre couts et quantités produites
| Pas de relation fonctionnelle entre couts et quantités produites
| → Pas de relation fonctionnelle entre quantités et couts.
La relation fonctionnelle entre quantités et couts : ce en quoi consiste justement la loi des rendements non-proportionnels. |