Leçon 5 20 Janvier








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- Qu’on retrouve dans…?
J. AUBERT - Dans Circé, entre autres choses.
LACAN - Et que JONES, sur laquelle JONES a beaucoup insisté, JONES, l’élève de FREUD.
J. AUBERT
Oui, c’est cela. Non parce que, il y a un JONES aussi qui - le professeur JONES - qui dans Finnegan’s Wake

jaspine à n’en plus finir. C’est un de ceux qui ont des tas de trucs à raconter sur le bouquin lui même.

Dans Ulysse, le type qui a cette fonction, il s’appelle Mac HUG, quelquefois, enfin, c’est de ceux qui…

Bon, enfin de toute façon, il fallait qu’ils aient des noms qui circulent bien. JONES, ça circule bien.
Autre chose concernant cette dimension imaginaire de la religion, au fond c’est résumé dans Ulysse, dans le fameux passage où se trouvent opposées la conception, disons trinitaire et problématique de la théologie, par opposition

à la conception italienne madonisante, qui bouche évidemment tous les trous avec une image de Marie.
Et alors vous avez pu remarquer dans Ulysse comment il dit qu’au fond l’Église catholique s’est pas mal débrouillée

en plaçant l’incertitude du vide, à la base de tout. Là encore, je brode.
Donc le fonctionnement de ce texte, de ces textes, une des choses au moins, un certain nombre de choses qui font fonctionner, ce sont évidemment des Noms du Père à de multiples niveaux. On saisit bien que dans les deux passages auxquels je me suis accroché, c’est la fonction qui est en cause, c’est la fonction qui apparaissait à travers les aïeux,

à travers la profondeur accordée à tout cela.
Mais, dans Circé, et dans Ulysse dans son ensemble, ce qui fait bouger les choses, ce qui fait artifice, c’est le cache-cache avec les Noms du Père. C’est-à-dire que, à côté justement de ce qui fait mine de trou, il y a les déplacements de trous et il y a les déplacements des noms de pères.
On a aperçu au passage, dans le désordre : ABRAHAM, JACOB, MOÏSE, VIRAG, on aperçoit DEDALUS également.

Et puis on en aperçoit un qui est assez rigolo, parce que dans un épisode qui est assez central…

assez central parce qu’il y a un œil

…c’est le Cyclope, il y a un type qui s’appelle J.J. , J.J. dont on se souvient, si on a de la mémoire, que dans un épisode précédent on l’avait rencontré sous le nom de J.J. O’MOLLOY. C’est-à-dire de la descendance des MOLLOY.

Alors là il faut bien écouter. Un J.J. fils de O’MOLLOY.
Mais là, dans Le Cyclope, il apparaît sous ce nom-là. Alors il a une position assez curieuse ce type.

Parce que il est homme de loi, en principe. Mais homme de loi, je dirai même pas déchu, mais en voie de déchéance.

On nous dit, et là encore les mots anglais sont intéressants : sa clientèle diminue, practice doing lean, sa pratique diminue.
Et qu’est-ce qui se passe pour cet homme de loi dont la pratique fiche le camp ? C’est qu’il joue, gambling.

Le jeu remplace de quelque manière la pratique.

Bon, il y aurait un certain nombre de choses, évidemment, à élaborer à partir de ça, sans doute.
Ce que je voudrais simplement indiquer, c’est la fonction de ce père parfaitement faux, qui a les initiales à la fois de James JOYCE, de John JOYCE, le papa de JOYCE. La parole de ce J.J. O’MOLLOY porte sur les autres pères notamment. C’est lui qui - dans un certain passage - qui se raccroche à l’énigme citée la semaine dernière par LACAN.
C’est lui qui se tourne vers Stephen, dans l’épisode qui se passe dans le Journal, dans la salle de rédaction,

se tourne vers Stephen pour lui donner un beau morceau de rhétorique.
C’est intéressant parce que on sait que d’abord, le O’MOLLOY en question, il s’est tourné vers le jeu.
Et puis pour survivre quand même aussi, il fait du travail littéraire dans les journaux, c’est-à-dire quelque chose qui peut vous renvoyer, dans l’œuvre de JOYCE, aux Morts, la dernière nouvelle de Gens de Dublin, le type qui a écrit des nouvelles dans les… qui a écrit dans les journaux, des comptes-rendus, on sait pas trop quoi, etc. Ça réapparaît également d’une autre manière dans Les Exilés.
Quel genre de littérature ? Est-ce que c’est de la littérature qui reste ? Est-ce que ça mérite de vivre ?

Bon alors le O’MOLLOY en question, le J.J. en question, on nous dit qu’il se tourne vers Stephen, dans cette salle

de rédaction, et il lui présente un beau spécimen d’éloquence judiciaire.
Ça se trouve - où est-ce que ça se trouve, ça ? - dans l’édition française, page 137 :
« Tourné vers Stephen, J.J. O’Molloy lui dit posément :

l’une des périodes les plus harmonieuses que j’aie jamais entendues de ma vie, je la dois aux lèvres de Seymour Bushe »
qui évidemment, à une lettre près, signifie donc le buisson, et éventuellement - alors là, c’est peut-être trop tôt pour l’indiquer -

c’est également la toison sexuelle, si vous voulez.
« Seymour BUSHE. C’était dans cette affaire de fratricide, l’affaire CHILDS. Bushe était au banc de la défense. »
Alors, ici, une petite interpellation shakespearienne :
« Et dans le porche de mon oreille versa, etc. HAMLET À propos, comment a-t-il découvert ça ?

Puisqu’il est mort en dormant. Et l’autre histoire, la bête à deux dos. »
Ça, c’est donc Stephen qui cogite ça.
« Citez-là ? demanda le professeur. »
Il y en a toujours un pour ça.
«  Italia, Magistra Artium. »
C’est le titre, un de ces titres qui scandent l’épisode de la salle de rédaction.
« Il parlait de la procédure en matière de preuves »
Alors là je vous renvoie au texte anglais qui dit : « he was speaking - ça y est, évidemment il faut que je le retrouve - the law of évidence, he spoke on the law of évidence. » La loi de l’évidence si on veut, mais certainement le témoignage. La loi du témoignage. Non pas exactement le témoignage devant la loi, etc.
« de la procédure en matière de preuves dit J.J. O’MOLLOY, de la loi romaine opposée à la loi mosaïque primitive, la lex talionis.

Et il vint à parler du Moïse de Michel-Ange au Vatican.

- Ah !

- Des termes bien choisis en petit nombre, annonça Lenehan, qui est un »
Bon, je passe sur certaines phrases qui mériteraient, évidemment, sans doute qu’on s’y arrête, mais enfin, j’ai pas le temps.
« J.J. O’MOLLOY reprit, détachant chaque mot. Voici ce qu’il en disait :

une musique figée, marmoréenne figure, cornue et terrible, de la divine forme humaine, symbole éternel de prophétique sagesse,

qui, si quelque chose de ce que l’imagination ou la main d’un sculpteur inscrivit dans le marbre spirituellement transfigurant et transfiguré a mérité de vivre, mérite de vivre. »
Vous avez suivi, bien sûr ! Donc ici, le O’MOLLOY en question ayant commencé par se faire caisse de résonance d’un savoir sur la loi, ayant réparti les lois, les lois par rapport à l’évidence, par rapport au témoignage - allez vous y retrouver ! - ayant fait ceci, c’est lui qui fait parler BUSHE. C’est lui qui fait parler le buisson. C’est lui qui fait parler, qui fait porter témoignage rhétorique sur l’art comme fondant le droit à l’existence - deserves to live - fondant le droit à l’existence de l’œuvre d’art.
Vous voyez l’écho que cela a par rapport à la littérature de journaux, qu’est-ce que ça veut dire, comment ça se situe par rapport à cela. Deserves to live, ce qui mérite de vivre. Et fondant ainsi en droit, le porteur de la loi, Moïse, parce que il restera, peut-être pas en tant que Moïse, mais Moïse du Vatican. C’est comme ça qu’on nous le dit : le Moïse du Vatican, ce qui est évidemment assez intéressant quand on a à l’esprit ce que le Vatican représente du point de vue d’Ulysse.
Alors ce deserves to live, il insiste puisqu’il réapparaît par le biais de la rhétorique sous la forme de l’insistance :

« deserves to live, deserves to live. ».
Il réapparaît avec insistance, mais il est marqué, il est contre-signé par ses effets sur celui auquel la période était destinée, à savoir Stephen. J.J. O’MOLLOY s’était tourné vers lui, et ce qui se passe, c’est que :
« insidieusement gagné par l’élégance de la phrase et du geste, Stephen se sentit rougir. »
Et curieusement ces rougeurs de Stephen, elles sont en série par rapport à d’autres textes de JOYCE,

je pense en particulier à ce texte du Portrait que vous avez pu remarquer lors du voyage à Cork avec son père.

Stephen va avec son père dans un amphithéâtre, amphithéâtre de l’école de médecine où son père a traîné quelque temps, peu de temps semble-t-il, et le père est à la recherche de ses initiales : on cherche les initiales gravées par papa.
Ces initiales, évidemment on ne pense pas que ce sont aussi les siennes : Simon DEDALUS.

Ça s’initiale Stephen DEDALUS. Mais ce sur quoi Stephen tombe, c’est le mot fœtus. Et ça lui fait un effet bœuf :
« Il en rougit, en pâlit… »
Là encore, en rapport avec l’initiale…

dans un autre rapport évidemment, mais en rapport avec l’initiale

…justement le mérite d’exister. Et à ce propos là, je refais, je complète cette série du mérite d’exister par référence à un autre passage qui est dans Dublinois, dans Les Morts, Les Morts qu’on pourrait d’ailleurs très bien traduire Le Mort.
Impossible de décider, de trancher. Le personnage, un des personnages centraux, Gabriel CONROY, va faire un discours, le discours traditionnel de la réunion de famille. C’est lui qui est là, toujours là, pour écrire dans les journaux ou faire les petits discours de ce genre et on vient de parler à table, justement des artistes dont le nom est oublié, de ceux finalement qui n’ont rien laissé, sinon un nom tout à fait problématique :
« Parkinson, dit la vieille tante. Oui, c’est ça, il était formidable, extraordinaire, quelle voix, on n’a jamais entendu ça. »
Alors, lui, ça le fait penser, c’est là-dessus qu’il parle, c’est là-dessus qu’il repart, et il repart en concluant sa première période, une de ses premières périodes sur deux choses :

  • un écho d’une chanson qui s’intitule Love’s Old Sweet Song, La Vieille et douce chanson de l’amour, qui évoque le Paradis Perdu dans ses premières lignes,

  • et l’autre chose, sur laquelle s’achève sa période, c’est une citation de MILTON - pas du Paradis Perdu – mais de MILTON, dans laquelle MILTON dit à peu près ceci -

évidemment, c’est tronqué chez JOYCE

…MILTON dit à peu près ceci :
« J’espère, je voudrais pouvoir léguer aux siècles à venir une œuvre conçue de telle sorte qu’ils ne la laisseront pas volontiers mourir. »
Donc se trouvent jointe dans le discours de JOYCE, la question justement du droit à l’existence, celui du droit à la création et celui de la validité, et celui aussi de la certitude.
Ce que je voudrais rajouter : je voudrais rajouter une première chose concernant le BUSHE.

BUSHE : vous voyez qu’il se construit d’une sorte de série du BUSHE à partir du « holy BUSHE », du BUSHE éloquent qui, parlant de Moïse, parle aussi d’un holy bush, puisque ça, ça se trouve aussi dans la Bible : L’Éternel dit à Moïse que le sol qu’il foule devant le buisson ardent est holy. Le holy bush, un bush qui se révèle avoir un certain rapport au fox.
Car lorsque O’MOLLOY reparaît dans Circé, lorsque J.J. reparaît dans Circé, il a des moustaches de renard,

et quelque chose de BUSHE, de l’avocat BUSHE. Le renard que, lui aussi, on a aperçu à plus d’une reprise dans le Portrait par exemple. Il apparaît bien sûr parce que il est…

Fox est un des pseudonymes de PARNELL

…associé un peu à sa chute, mais il est aussi une sorte de signifiant ramenant la dissimulation, « he was not foxy »

dit le jeune Stephen quand il est à l’infirmerie et qu’il a peur de se faire accuser de fraude.
Et puis, un peu plus tard, lorsqu’il vient de renoncer à entrer dans les ordres, qu’il a aperçu sa carte de visite : « le Révérend Stephen Dedalus, S.J. », il évoque quelle tête il peut bien y avoir là-dessous, et une des choses qui lui revient à l’esprit, c’est :
« Ah oui ! une tête de Jésuite qu’ont certains appelée comme ceci, « Lantern Jaws »,

et d’autres appelée « Foxy Campbell », Campbell le renard. »
Donc, il y a cette série bushe-fox, mais il y a aussi, et ça ça fonctionne, le jeu sur MOLLOY, MOLY, qui s’articule sur le holy. Nous avions : holy, holey, MOLY, MOLLOY, et un autre mot qui ne paraît pas dans Ulysse, mais dont JOYCE dit…

alors là c’est une chose que je tire un petit peu de la manche, plutôt des lettres de JOYCE, mais après tout les lettres c’est des trucs qu’il a écrit, oui

…lorsqu’il indique, il donne le nom de quelque chose qui est censé faire fonctionner, entrer dans le fonctionnement de Circé, c’est cette plante : l’ail doré, que HERMÈS a donné à ULYSSE pour qu’il se tire d’affaire chez Circé. Et ça s’appelle moly.


Là où ça devient drôle, c’est que il y a entre les deux, entre moly et MOLLY, une différence qui est de l’ordre de la phonation. Ce qui se phonise - je ne sais pas comment il faut dire - dans Ulysse c’est MOLLY avec une voyelle simple,

et le moly dont il parle c’est une diphtongue, une ditongue comme on disait autrefois, et la ditongue se transforme

en consonance en même temps que la diphtongue se transforme en une voyelle simple, il y a un redoublement consonantique, un redoublement de consonance et c’est cette consonance qui apparaît dans Ulysse sous la forme de MOLLY.
C’est trop beau pour être vrai. Alors ce qu’il dit de MOLLY - de moly, pardon ! – de cette plante, ce sont des choses curieuses, il en dit des choses différentes :

  • l’une que, je crois, LACAN analysera,

  • une autre que je me contente de signaler.


C’est donc le don d’HERMÈS, Dieu des voies publiques, et c’est l’influence invisible…

prière, hasard, agilité, présence d’esprit, pouvoir de récupération

…qui sauve en cas d’accident. C’est donc quelque chose qui confirme BLOOM dans son rôle de prudence,il est le prudent.

Il est celui qui répond finalement assez à la définition que j’ai trouvée en note dans le LALANDE12 sur cette question de la prudence. C’est curieusement décevant LALANDE sur la question de la prudence, probablement parce que c’est surtout Saint THOMAS qui en parle. Il y a une petite note sans nom d’auteur, une citation qui dit ceci :

prudence, l’habileté dans le choix des moyens d’obtenir pour soi-même le plus grand bien-être, et c’est comme ça justement qu’on se supporte, semble-t-il, dirait BLOOM.
La deuxième chose que je voulais ajouter, avant de me taire, c’est simplement souligner qu’il s’agit dans toutes ces choses de la certitude, notamment. De la certitude et de comment on peut fonder ça. La certitude, elle réapparaît justement

à propos du fameux VIRAG. Parce que je ne vous ai pas tout dit, je me suis arrêté dans la citation, la fameuse citation

où on parlait de VIRAG, où on parlait, où les autres, O’MOLLOY, racontaient ce qu’il en était de VIRAG.
À la page 331, dans Ulysse :
Il s’appelait Virag. C’était le nom du père qui s’était empoisonné. Il a obtenu de changer de nom par décret, pas lui, le père.

- Voilà le nouveau Messie de l’Irlande, dit le citoyen, l’île des Saints et des Sages !

- Oui, eux aussi, ils attendent encore leur rédempteur ? dit Martin. Tout comme nous, en somme.

- Oui, dit J.J., et chaque fois qu’ils ont un enfant mâle, ils croient que ça peut être le Messie.

Et tout Juif est, paraît-il, dans une agitation extraordinaire jusqu’à ce qu’il sache s’il est père ou mère.
Alors là-dessus je serai bref, indiquant simplement ce qui apparaît peut-être par delà l’humour qui constitue

un des fonctionnements de ce texte du Cyclope, un humour de bistrot, mais un humour qui est bien là.

Un humour qui d’ailleurs, serait à rattacher à d’autres problèmes touchant l’antisémitisme, et je n’ai pas le temps

de le raccrocher là.
Identification imaginaire qui, je crois, situe le problème également de la problématique de la succession,

la problématique du Messie, et à travers elle, la problématique de la succession.

Le problème de la parole du roi fondant la légitimité. La parole du roi qui est ce qui permet - même si le ventre de la mère a menti - de retomber sur ses pieds, par une légitimation.
C’est le problème de la légitimation, c’est-à-dire de la possibilité de porter la marque du roi, la couronne, στέϕανος [stephanos], quelque chose comme ça en grec, ou bien de porter la marque du roi, telle qu’elle apparaît dans Circé à propos de VIRAG qui dégringole par la cheminée, le grand-père, avec l’étiquette - l’étiquette ça vient tout de suite comme ça -

basilical grammate, avec le gramme du roi.
Cette problématique de la légitimité qui se révèle problématique de la légitimation, a une dimension,

prend peut-être figure ici, de dimension imaginaire et de sa récupération. Cette certitude, il me semble que JOYCE l’utilise, la met en scène, dans ses rapports avec les effets de voix.
Même si une parole paternelle est contestée en tant que parole, en tant que ce qu’elle dit, il me semble que quelque chose - suggère-t-il - en passe dans la personnation, dans ce qui est derrière la personnation, dans ce qui est du côté de la phonation peut-être, du côté de ce qui est également quelque chose qui mérite de vivre dans la mélodie. Dans la mélodie, et pourquoi ?
Peut-être justement à cause de ce quelque chose qui a des effets, malgré tout, sur la mère à travers la mélodie.

L’allégresse, fantasmal mirth, l’allégresse fantasmatique de la mère qui est évoquée au début, vers les pages 10, 13

dans Ulysse, elle a affaire justement à la pantomime et au vieux Royce, et au vieux Royce qui chantait.
Donc, quelque chose passe à travers la mélodie.
Non pas peut-être seulement la sentimentalité, puisque la culture irlandaise, au tournant du siècle,

c’est fait en grande partie des mélodies de MOORE, que dans Finnegan’s Wake, JOYCE appelle MOORE’s maladies,

les Maladies de MOORE. C’était le triomphe de papa JOYCE, de John JOYCE. Mais peut-être justement

que dans cet art de la voix, dans cet art de la phonation, en est-il passé suffisamment pour le fils.
Donc, si la certitude quant à ce qu’on fabrique, a toujours quelque chose à voir avec le miroir, avec ces effets de miroir qu’il faudrait énumérer, cela a à voir aussi avec les effets de voix du signifiant.
Et je voudrais simplement rappeler que la fameuse nouvelle Les Morts

par laquelle JOYCE a ficelé Gens de Dublin, à un moment absolument crucial de sa production poétique, au moment où les choses se sont, d’une certaine manière débloquées, ont commencé à jouer

Les Morts - disent certains - ça lui est venu lorsque son frère lui a parlé d’une interprétation particulière d’une mélodie de MOORE sur les revenants, qui met en jeu des revenants et un dialogue entre des revenants et des vivants.
Et Stanislas lui avait dit, le type qui a chanté ça l’a chanté d’une façon intéressante, d’une façon justement qui disait quelque chose. Et comme par hasard, JOYCE s’est mis à écrire Les Morts à ce moment-là. Et au centre…

un des centres tout au moins

…de cette nouvelle, c’est le moment où la femme du héros est médusée, gelée, comme l’autre : Moïse, là, en entendant un chanteur tout enroué, chanter cette fameuse mélodie.
Et quel effet ça fait sur le héros ? Ça lui symbolise sa femme ! Il dit à ce moment-là…

il l’aperçoit en haut de l’escalier, dans l’obscurité

…et il se dit : qu’est-ce qu’une femme dans l’obscurité… symbolise ? Il la décrit en termes réalistes, vaguement réalistes, mais il dit en même temps : qu’est-ce que ça symbolise ? Ça symbolise une certaine écoute, entre autres choses.
Alors, cette certitude et ces problèmes de la certitude et de ses fondements par rapport aux effets de voix sur le signifiant, JOYCE a voulu en énoncer des règles dans une science esthétique. Mais il s’est aperçu peu à peu que c’était moins lié à la science que ça, et que c’était justement un savoir-faire lié par une pratique du signifiant.
Et évidemment ici, ce que j’ai très présent à l’esprit, ce qui s’impose à moi…

à travers, au-delà de ce que ARISTOTE a dit sur la πρᾶξις [praxis] dans la Poétique

…c’est la définition de LACAN : « action concertée par l’homme ». Et alors « concertée », évidemment nous prépare

à ce qui met en mesure de traiter le Réel par le Symbolique.
Et la question de la mesure, eh bien, on l’aperçoit très précisément dans Circé, au moment où BLOOM entrant dans le bordel est aperçu par Stephen qui se tourne. Et cette évocation de la mesure est - comme par hasard - aussi une citation de l’Apocalypse.
Alors je m’arrête, avant que ça devienne par trop apocalyptique.

[Applaudissements]


LACAN
Je vais dire un mot de conclusion. Je remercie Jacques AUBERT de s’être mouillé.
Car il est évident que…

comme l’auteur de Surface and Symbol, dont je vous ai dit le nom la dernière fois

…il est évident que le terme dont cet auteur se sert pour dire, pour épingler, l’art de JOYCE :

qu’il s’agit là de inconcevably, inconcevablement, private jokes, des jokes inconcevablement privés.
Dans ce même texte apparaît le mot que j’ai dû chercher dans le dictionnaire : « eftsooneries ».

Je ne sais pas si ce mot est commun. [À Jacques Aubert] Vous ne le connaissez pas ? Eftsooneries, ça ne vous dit rien ?

C’est-à-dire « after soon », des eftsooneries, donc des choses renvoyées « à tout à l’heure ». Il ne s’agit que de ça.

Non seulement ces effets sont renvoyés à tout à l’heure, mais ils ont un effet le plus souvent déroutant.
C’est évidemment l’art de Jacques AUBERT qui vous a fait suivre un de ses fils, de façon telle qu’il vous tienne en haleine. Tout ceci n’est évidemment pas sans fonder ce à quoi j’essaie de donner une consistance, et une consistance dans le nœud.
Qu’est-ce qui, dans ce glissement de JOYCE…auquel je me suis aperçu que je faisais référence dans mon séminaire Encore. J’en suis stupéfait ! J’ai demandé à Jacques AUBERT si c’était là le départ de son invitation à parler de JOYCE,

il m’a affirmé qu’à ce moment-là le séminaire Encore n’était pas encore paru, de sorte que ça ne peut pas être ça

qui l’a invité à me présenter ce trou dans lequel je me risque pas, sans doute par quelque prudence,

la prudence telle qu’il l’a définie.
Mais le trou du nœud ne m’en fait pas moins question. Si j’en crois SOURY et THOMÉ…

puisqu’aussi bien c’est eux à qui je dois mention de ceci dont sans doute je m’étais aperçu, bien sûr

…c’est que le nœud borroméen - lequel n’est pas un nœud, mais une chaîne - si ce nœud, on ne peut en repérer la duplicité - je veux dire qu’il y en a deux - qu’à ce que les cercles, les ronds de ficelle, soient coloriés.
S’ils ne sont pas coloriés…

ce qui veut dire que quelque chose distingue, quelque chose : la qualité colorée distingue chacun des deux autres

…si ce n’est qu’à l’aide de ce barbouillage que nous pouvons faire qu’il y ait deux nœuds, puisque ceci est équivalent au fait que s’ils sont incolores, si rien ne les distingue autrement dit, rien non plus ne distingue l’un de l’autre.
Vous me direz que dans la mise à plat, il y en a un qui est lévogyre et l’autre qui est dextrogyre, mais c’est justement là

qu’est le tout de la mise en question de la mise à plat. La mise à plat implique un point de vue, un point de vue spécifié.

Et ce n’est sans doute pas pour rien que n’arrive pas d’aucune façon à se traduire dans le Symbolique la notion de la droite et de la gauche.
Pour le nœud, ceci ne commence à ex-sister qu’au-delà de la relation triple. Comment se fait-il que cette relation triple ait ce privilège ? C’est bien là ce dont je voudrais m’efforcer de résoudre la question.
Il doit y avoir là quelque chose, et qui ne doit pas être sans rapport avec cet isolement que nous a fait Jacques AUBERT de la fonction de la phonation précisément dans ce qu’il en est de supporter le signifiant.
Mais c’est bien là le point vif sur lequel je reste en suspens : c’est à savoir à partir de quand la signifiance

en tant qu’elle est écrite se distingue des simples effets de la phonation ?
C’est la phonation qui transmet cette fonction propre du nom et c’est du nom propre que nous repartirons, j’espère,

la prochaine fois que nous nous retrouverons.


10 Février 1976
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