comment articule-t-il ce niveau avec celui du narcissisme ? En particulier avons-nous à situer l'objet(a) comme ce dont la possession, à la limite, serait restauration de la complétude perdue ? Ou encore, si le narcissisme est synonyme de la disparition des limites entre le moi et le non–moi, est–il vraiment à rapprocher de ce qui peut se conduire au cours de la cure de l'ordre d'une évocation fantasmatique de l'objet qui ne paraissait impliquer une structure articulée plutôt qu'une indistinction fusionnelle. Enfin, troisième groupe de remarques, je voudrais pour terminer reprendre les choses au niveau de ce qui fait l'axe du travail de STEIN et lui donne toute sa valeur pour nous, à savoir la mise en place du repérage du choix de la parole de l'analyste comme tel, ou encore du pouvoir de la parole. Ce qui semble d'abord devoir être remarqué c'est que STEIN parait amené à devoir orienter sa recherche par rapport à une série de positions à deux termes :
par exemple l'alternance : régression narcissique, réémergence des conflits,
ou bien l'opposition narcissisme, masochisme.
Ceci recouvrant les dualités freudiennes principe de plaisir – principe de réalité, processus primaire – processus secondaire. S'agit-il là d'un modèle conceptuel que nous devrions considérer comme nécessairement impliqué comme cadrage de la situation analytique ? STEIN voit, bien-sûr, le terme de ses propos : c'est en somme une interrogation sur l'impression
que son texte donne, qui est axé finalement essentiellement sur l'opposition réel–imaginaire en faisant passer au deuxième plan la dimension propre du symbolique. Certes mon impression tient probablement au fait que STEIN, dans ce texte n'expose qu'un des niveaux de son articulation mais à ce niveau–même, la question méritait peut être cependant d'être posée. Par exemple, dans le premier article, la parole de l'analyste prend son poids de ce qu'elle va dans le sens de la régression ou introduit au contraire une rupture restituant alors la dualité des personnes.
La parole est là pour renforcer l'unité ou souligner la dualité. Cette dernière éventualité paraît plus essentielle puisque STEIN soutient son point de vue en situant la parole comme ce qui intervient pour rompre le narcissisme en séparant le moi de ses objets. La parole est coupure. Elle est cette coupure qui introduit la double polarité sujet-objet. J'avoue ici ne pas très bien savoir s'il y a lieu d'introduire essentiellement la parole comme coupure engendrant une dualité
et ne pas saisir non plus exactement comment cette présentation s'accorde avec ce qui est dit des moments narcissiques
de la cure où le sujet écoute en dedans et parle dans un seul et même mouvement, où ça parle, la parole semblant épouser le flux psychique sans faille ni coupure. Dans le deuxième article, la parole s'oppose au narcissisme comme le principe de réalité au principe de plaisir : elle est ce qui oblige le patient à constater qu'il y a réalité, de son impossibilité de son accomplissement narcissique. Il y a là aussi une dualité sous la parole supportée et imposée au sujet. La parole est située du côté du réel représenté par l'analyste comme maître de la frustration. Ceci serait-il à mettre au compte de l'erreur transférentielle ? Il me semble cependant que l'articulation de la parole et du réel comme tel gagnerait à être précisée. C'est la même question qui se poserait enfin à propos de la fin de la cure comme savoir sur la frustration. Ce n'est pas l'analyste, nous dit STEIN, qui frustre le sujet de sa toute-puissance, mais la « frustration est la réalité même de l'existence ».
Le psychanalyste aurait-il alors à jouer les représentants de la réalité dans le but d'y ramener ses patients ? Je force ici le texte et c'est seulement dans le but d'interroger STEIN sur le rôle décisif qu'il accorde à la frustration. Il me semble que la catégorie plus radicale du manque peut se révéler plus maniable aux différents niveaux de la structure en permettant par exemple de situer la castration par rapport à la frustration et d'articuler plus précisément le symbolique par rapport au réel et à l'imaginaire. Je clos ici ces remarques qui visaient seulement à introduire une discussion.
LACAN
Sans m'attarder à tout ce que j'ai fait dire à CONTÉ, je crois que - m'adressant à STEIN - il ne peut que reconnaître
qu'il y a là l'exposé le plus strict, le plus exact, le plus articulé, le plus honnête et j'ajouterai, le plus sympathique qu'on puisse donner de ce que nous connaissons actuellement de sa pensée, dans un effort qui n'a pas manqué de le frapper
pour autant qu'incontestablement ce sont des avenues, si je puis dire, qui nous ont déjà servi au moins pour une grande part et qu'il était même votre fin de les intégrer, de mettre l'accent sur ce en quoi, mon Dieu, elles vous servent et rendent compte d’une authentique expérience. Ce n'est pas maintenant que - moi - je vais mettre en valeur tout ce qui m'apparaît dans la position qui est la vôtre, garder la marque d'une sorte de retenue, de tension, de freinage liée à d'autres catégories qui sont celles, je dois dire, plus courantes dans la théorie commune qui est donnée actuellement de l'expérience analytique et dont les deux termes sont très bien marqués aux deux pôles dans ce que vous avez exposé, d'une part la notion, si discutable et dont ce n'est pas pour rien que
je ne l'ai pas discutée jusqu'à présent à savoir celle du narcissisme primaire. J'ai considéré que, au point de mon élaboration, elle n'était jusqu'à présent, pour personne de ceux qui me suivent au moins, abordable. Vous verrez que…
avec les dernières notations topologiques que je vous ai données, il va paraître tout à fait clair que la différence de ce que j'ai assené comme articulation avec ce qui est jusqu'ici reçu dans cet ordre et montré en même temps, ce qui est toujours nécessaire, comment la confusion a pu se produire
…que c'est là un nœud, qu'avant de l'aborder, on en approche, ce n'est pas maintenant que je vais le marquer. Peut–être même pas aujourd'hui du tout, quoique, que je peux peut-être à la fin de la séance en donner une indication. D'autre part, le centrage tout à fait articulé et précis que vous donnez du schéma de la psychanalyse comme restant sur la frustration puisque, dites-vous, c'est autour de la frustration que se situe et même, comme vous le dites, que c'est là ce qu'on appelle à proprement parler le transfert, à savoir que l'analyste est - au départ - le représentant pour le sujet du pouvoir, de la toute–puissance, qui s'exerce sur lui sous la forme de la frustration et que - à la fin - la terminaison aboutira à ce savoir sur le fait que la frustration est l'essence divine de l'existence. Je pense que là aussi, ce que j'ai fait et amené consiste proprement à dire qu'il n'y a pas que cet axe et que, en tout cas, la définition que vous donnez à la page 3 ou 4 de l'article sur transfert et contre-transfert, que ce qu'il en est, quand vous dites que ceci est à proprement parler le transfert, c'est très précisément pour dire le contraire que j'ai introduit le transfert par cette formule-clé, pour obtenir ce point de fixation mental à la direction que j'indique, c'est à savoir que le transfert est essentiellement fondé en ceci que, pour celui qui entre dans l'analyse, l'analyste est le sujet supposé savoir. Ce qui est strictement d'un autre ordre, comme vous le voyez, à ce que je développe actuellement.
C'est cette distinction de la demande et du transfert qui reste au départ, dans l'analyse autour de cette Entzweiung de la situation analytique elle-même par quoi tout peut s'ordonner d'une façon correcte c'est-à-dire d'une façon qui fasse, en quelque sorte, aboutir l'analyse à un terme, une terminaison à proprement parler, qui est d'une nature essentiellement différente de ce savoir sur la frustration. Ceci n'est pas la fin de l'analyse. Je dis cela pour axer en quelque sorte, je ne dis pas qu'avec ça je clos le débat, au contraire, je l'ouvre, je montre que les lignes de fuite sont complètement différentes de ce que j'appellerai, en abrégé votre systématique qui après tout…
que je n'ai pas de raison de considérer comme close. Peut-être que vous la rouvrirez. C'est votre systématique conçue, fermée, avec ce que nous avons actuellement, qui présente déjà un certain corps. Je regrette assurément que CONTÉ, dans un dessein que l’on peut dire de rigueur, voyant qu'il n'arrivait pas tout à fait
à voir le virage, la transformation, qui se produit dans votre troisième article, qui contient également des choses, à mes yeux, extrêmement discutables, nommément l'accent que vous mettez sur la communication. Il s'agit évidemment toujours du sens qu'a la parole de l'analyste. Je souligne d'ailleurs, au point où nous en sommes de l'avancement des choses, que je ne considère pas que nous allons liquider tout ce débat aujourd'hui. Le quatrième mercredi de Janvier nous permettra de donner… Au point où nous en sommes du temps, est-ce que vous verriez déjà, vous, des choses qui vous paraîtraient bonnes à dire ou voulez-vous par exemple laisser MELMAN - qui a aussi quelque chose à dire - MELMAN avancer ce qu'il a apporté ? STEIN : Je crois qu'il vaut mieux que je laisse d'abord parler les autres. LACAN : Mais oui, parce qu'après tout, même si aujourd'hui vous n'avez pas tout votre temps de réponse, nous sommes réduits à un nombre limité justement pour ça, pour que nous considérions… pour que l'enregistrement de ce qui a été reçu puisse d'ici là mûrir. D'autres peut-être voudront intervenir. Je donne la parole à MELMAN. STEIN : Je voudrais quand même, avant que MELMAN ne parle, dire combien j'ai apprécié l'exposé de CONTÉ.
Charles MELMAN
Je reprendrai les choses au point même où CONTÉ les a fait partir. Du fait de ces travaux de STEIN, on peut penser
qu'ils méritent une attention d'autant plus sympathique et soucieuse, qu'ils semblent constituer une sorte de réflexion
sur une théorie générale de la cure psychanalytique, et que STEIN fait carrément partir sa réflexion du pouvoir de la parole de l'analyste, ce qui - dit STEIN - débouche sur le problème du pouvoir de la parole en général et qui culmine à la fin de ce premier article paru dans la Revue Française de psychanalyse, Mars-Avril l964, dans cette formule : « Considérer le contenu des paroles prononcées, ne suffit jamais à rendre compte du changement produit par la parole en celui qui l'entend. Envisager, comme je l'ai fait ici, contrairement à la coutume, le discours analytique, autrement que du strict point de vue du contenu des paroles prononcées, ce paraît être un pas à la suite duquel l'intelligence du dit contenu se trouvera fondée sur celle du pouvoir de la parole. Car, c'est bien en apparence sur l'intelligence du contenu que se fonde pour l'essentiel l'action consciente du psychanalyste dans le progrès de la cure. » Le petit point que l'on pourrait remarquer c'est que, passer du pouvoir de la parole de l'analyste au pouvoir de la parole en général constitue un franchissement, constitue un pas, bien entendu, à mes yeux tout à fait souhaitable, mais qui implique bien, néanmoins, que nous avons affaire dans l'analyse au langage. Et cette deuxième proposition, qu'il s'agit de considérer le contenu des paroles prononcées paraît une illustration si saisissante de ce qu'elle veut dire, que l'on pourrait aller chercher sa valeur, son poids, non seulement au niveau de son contenu mais également de son contenant, pour y remarquer par exemple que, au niveau de son contenant, il manque certains termes qui sont ceux, tout simples…
que je me permets de réintroduire ici pour la clarté de ce que je veux dire
…qui sont les termes, bien entendu, de signifiant et de signifié, et dont je pense que leur introduction, met mieux sur les rails ce que STEIN veut dire. En effet, que dit l'auteur ?
Je reprends ici un petit point développé par CONTÉ. C'est que la parole dans la cure aurait deux faces :
l'une, celle du patient qui est ordonnée pour l'association libre et qui oriente irrésistiblement le patient dans la régression vers une expansion narcissique - narcissisme primaire - et dont le bien-être extrême, ultime, hypothétique, est lié au sentiment de fusion avec l'analyste, la dite fusion pouvant figurer la retrouvaille avec l'objet perdu, mythique, premier, du désir.
L'autre face de la parole est celle de l'analyste dont celui-ci dispose et dont il peut se servir, soit pour favoriser cette régression vers cette expansion narcissique de type primaire, soit introduire une inévitable coupure,
celle de la réalité dont, à tort, le patient le ferait agent. On ne peut que marquer déjà ici la position assez particulière accordée par STEIN à la parole de l'analyste et qui, semble-t-il s'éclaire encore mieux dans ce dernier travail fait tout récemment aux lundis de Pierra AULAGNIER à Sainte-Anne,
dernier travail qui porte pour titre Le Jugement du psychanalyste et où l'auteur dit ceci : « La parole exceptionnelle du psychanalyste qui vient combler l'attente du patient est effectivement reçue avec plaisir. Elle neutralise une tension dans un sentiment d'adéquation et de soulagement même si tout de suite après, elle doit susciter la colère, l'opposition ou la dénégation.
De là sa comparaison fréquente à une substance, nourriture, sperme, ou enfant qui viendrait remplir le ventre du patient quitte parfois à ce qu'il en ait la nausée. Qu’ayant reçu une interprétation vers la fin de la séance, une patiente réponde : vous m'avez fait plaisir, je voudrais partir là-dessus, qu'à la séance suivante elle évoque : le plaisir que j'ai quand vous me parlez, le côté inattendu de vos paroles et pourtant, c'est comme un miracle mais cette comparaison ne me plaît pas car dans le miracle - ajoute la patiente - il y a quelque chose de passif et que la patiente a du mal à expliciter son et pourtant qui se réfère à la peur que le plaisir ne dure pas et à son impression de ne pas pouvoir saisir tout ce que son psychanalyste lui dit. Et cela se termine ainsi ! Et l'on ne sera pas surpris de voir dans la suite, qu'elle avait reçu l'interprétation comme un enfant que son psychanalyste lui aurait donné : satisfaction coupable. »
Et il me semble que c'est au niveau d'une formulation ici devenue tout à fait claire que se précise mieux sans doute ce que voulait dire STEIN quand il disait que le contenu n'épuisait pas la parole de l'analyste.
Et en effet, ce contenu tel qu'il est appelé loi, semble évoquer « nul signifié qui appellerait par là-même quelque articulation signifiante » mais semble essentiellement évoquer la place d'où la parole de l'analyste prendrait cette brillance si singulière. Je ne crois pas forcer ici la pensée de STEIN en citant par exemple cette phrase, toujours dans ce dernier travail lorsqu'il dit que : « La parole du psychanalyste est toujours attendue comme la répétition d'une parole déjà prononcée. » J'aurai tendance bien entendu à dire : « comme l'évocation d'une place déjà là de toujours ». Je continue STEIN : « Parole mythique, parole fondatrice qui l'établit à la fois (qui établit le patient à la fois) car ces deux effets sont inséparables en tant qu'objets du désir de l'Autre et en tant que sujet d'une faute originelle. » Et il me semble que, toujours en accordant à ces éléments leur place qui, à nos yeux parait très importante dans le travail de STEIN et dans les effets qu'il fournit, je dirai que, supposer que la parole de l'analyste s'exerce à cette place dont j'essayais tout à l'heure d'évoquer la brillance si particulière, suppose bien entendu que l'analyste accepte ou entérine, pose tout simplement que sa parole vienne de ce lieu, et il me semble que tout un certain nombre d'articulations présentes
dans le texte pourraient éventuellement s'ordonner autour de cette position supposée de la parole de l'analyste dans la cure. Par exemple, lorsqu'il est dit que par ses libres associations l'analysé « dans le parfait accomplissement de son don » (c'est une citation) cherche à réaliser sa parole vers cette même place qui est celle visée de l'analyste, on peut penser donc que, si par ce don, l'analysé cherche à rejoindre ici ce qui peut lui sembler la place où la parole de l'analyste, il est susceptible éventuellement d'inscrire, disons un vécu, pour simplifier un terme de fusion mythique voire même dans quelque chose qui peut, à ce moment-là prendre le terme de cette extension narcissique si particulière susceptible d'aboutir à ces effets extrêmes c'est-à-dire à celui d'une fusion avec l'analyste. J'ai un petit peu là-dessus… J'ai l'impression que je n'ai pas dit cela tout à fait clairement mais ce que je veux dire c'est qu'à partir du repérage de cette place on peut se demander si effectivement, à partir de ce moment-là, le mouvement de l'analysé dans la cure n'est pas une tentative de rejoindre un lieu à partir duquel effectivement une fusion mythique peut, de toujours, être supposée et peut–être évidemment, dans ce mouvement situer quelque chose qui est ce bien-être ineffable inscrit sous le terme de l'expansion narcissique primaire. On pourrait également se demander si situer la chose ainsi…
je veux dire la parole de l'analyste à cette place ne vient pas, cette parole qui peut, soit combler cette régression narcissique, soit introduire la coupure
…si voir les choses ainsi ne vient pas rappeler cette bivalence courante et fréquente qui rappelle une spéculation fréquente qui a sans doute sa valeur sur le bon et sur le mauvais objet. On pourrait se demander si également situer les choses ainsi n'est pas quelque chose qui permette de comprendre…
car à mes yeux, je dois dire, ça a paru comme assez surprenant
…le fait que si le sujet vient à manquer à la règle fondamentale dans la cure, il puisse immédiatement se sentir coupable de masturbation. On peut donc dire que là aussi, en situant les choses ainsi, où coupable de quelque satisfaction auto-érotique originelle. On pourrait donc se demander si le refus du patient lorsqu'il vient à manquer à la règle fondamentale, de perdre quelque chose, en obéissant à cette règle imposée par l'analyse, si ce refus du patient n'est pas quelque chose qui prend |