.CDiscussion L’approche cas-témoins suggère que l’allèle T du gène MTHFR protège contre le risque de FL/P et de FP, alors que l’approche cas-parents ne met pas en évidence de rôle protecteur de l’allèle T de façon convaincante selon le nombre de copies portées par l’enfant. Aucun rôle n’est suggéré pour le génotype de la mère. Aucun des deux schémas d’étude ne suggère de présence d’interaction entre le génotype MTHFR et l’apport en folates sur le risque de FL/P. Des analyses complémentaires de cette étude suggèrent que l’apport alimentaire en folates des mères joue un rôle dans la prévention des fentes orales (Rouget et al. 2005). Echantillonnage « épidémiologique ».
La répartition des cas et des témoins parmi les variables socio-démographiques, le choix de la sélection des cas dans des départements hospitaliers de chirurgie, les proportions attendues entre les groupes FL/P et FP et le sex-ratio observé pour chaque groupe ont été discutés précédemment dans la section consacrée à la description générale des populations de l’étude (partie [Matériel & Méthodes] Description de la population). Apport en folates de la mere.
L’apport alimentaire en folates de la mère est évalué à partir d’un questionnaire standardisé. Le niveau moyen de l’apport dans la population témoin de notre étude (270 µg/jour) est équivalent au niveau estimé dans une étude récente sur un échantillon représentatif des femmes françaises entre 35 et 60 ans (268 µg/jour) (Mennen et al. 2002). Le seuil séparant les apports « faibles » des apports « moyens-forts » en folate alimentaire a été calculé à 217µg/jour à partir du premier tertile observé sur le groupe témoin de notre étude. Cette valeur semble adéquate pour définir un statut de déficience en folates puisque le niveau minimal recommandé pour la population des femmes adultes en Europe est actuellement de 200µg/jour (de Bree et al. 1997). Notons que ce niveau est plus faible que le niveau recommandé en suppléments en acide folique de 400µg/jour, pour les femmes programmant une grossesse, afin de minimiser l’occurrence des ATN. Deux définitions de l’utilisation vitaminique des mères sont proposées dans cette étude puisqu’il n’existe pas à ce jour de consensus établi sur cette définition en rapport avec l’évaluation des risques de fentes orales. Pour un développement embryonnaire optimal, les tissus qui nourissent le fœtus les dix premières semaines de gestation (autres que le placenta) doivent être saturés en nutriments dès la conception ou l’implantation de l’œuf. Le statut en folates de ces tissus atteint un niveau optimal au bout d’approximativement 4 semaines. Pour ces raisons pharmacocinétiques, la deuxième option définissant une mère « utilisatrice de multivitamines » si elle est supplémentée à la fois sur la période préconceptionnelle et au premier trimestre de la grossesse, nous paraît la plus convaincante. Echantillonnage « génétique » et Validite des approches cas-temoin et cas-parents.
Une étude récente a examiné les variations de distribution des génotypes MTHFR à travers différents groupes ethniques et zones géographiques (Wilcken et al. 2003). En Europe, la fréquence du génotype TT s’observe entre 4 et 26% suivant un gradient nord-sud. Dans cette étude, 19% des enfants-témoins possèdent le génotype TT (dont 21% de génotype TT parmi les enfants-témoins des centres de Lyon et Grenoble, 20% pour le centre de Paris, 14% pour Clermont-Ferrand). Cette fréquence est légèrement plus haute que celles rapportées en moyenne par des études précédentes sur la population française (Tableau 33). Tableau 33: Fréquence du génotype MTHFR TT rapportées dans la population française Référence
| Population française
| Fréquence du génotype TT
| Faure-Delanef et al. 1997
| Population témoin (n=374)
| 18.5%
| Mornet et al. 1997
| Population témoin (n=133)
| 10%
| Thuillier et al. 1998
| Population témoin
Paris (n=107)
| 15%
| Chango et al. 2000
| Paris (étude SU.VI.MAX)
Total (n=291)
Femmes (n=161)
Hommes (n=130)
|
16.8%
13.7%
20.8%
| Wilcken et al. 2003
| Strasbourg (France) (n=178)
| 11.8%
|
La stratégie de recrutement des témoins de notre étude, imposant les critères du centre et de l’origine ethnique de la mère (neuf groupes) identiques aux enfant-cas, doit limiter les biais possibles de stratification de population. Cependant, nous ne pouvons pas exclure que l’association apparente du génotype MTHFR de l’enfant sur le risque de FL/P et de FP estimée par l’approche cas-témoins peut être liée à des résidus d’une stratification de population. Finalement, puisque le schéma d’étude cas-parents est robuste face à ce biais éventuel, ses résultats nous paraissent plus fiables. Certaines études suggèrent que la présence de l’allèle T dans le génotype MTHFR de l’enfant ou de la mère accroît le risque d’avortement spontané. Cet effet est parfois observé en interaction avec d’autres gènes ou n’est pas reproduit dans d’autres études (revue dans Zetterberg 2004). L’existence possible de cette relation conduirait à une distorsion de l’hypothèse de transmission mendélienne parmi les naissances vivantes, hypothèse nécessaire à la validité des résultats de l’analyse cas-parents. Les génotypes du groupe d’enfants-témoins ne dévient pas statistiquement de l’équilibre d’Hardy-Weinberg (cf Annexe 4). Nous devons toutefois rester vigilants quant à l’interprétation des résultats de l’analyse cas-parents. Association entre MTHFR et fentes orales.
Le statut en folates pourrait modifier l’association entre le génotype MTHFR et le risque de maladie : une quantité « adéquate » en folates supprime les différences d’activité enzymatique des génotypes MTHFR (Bailey et Gregory 1999, Finnell et al. 2004). Ces hypothèses pourraient expliquer la variabilité des résultats observés parmi les études du risque de fentes orales associé au gène MTHFR à travers différentes populations d’étude (Gaspar et al. 1999, Shotelersuk et al. 2003, Vieira et al. 2005, revue pour les populations caucasiennes dans la partie [Introduction générale] L’étiologie complexe des fentes orales section .B. 2...v.). L’apport en folates par l’alimentation suit en Europe un gradient nord-sud, atteignant les plus forts niveaux dans la région méditerranéenne, incluant la France (de Bree et al. 1997). Aucune évidence d’un lien entre le gène MTHFR et le risque d’ATN n’est rapportée dans la population française (Mornet et al. 1997, nATN=43, ntémoins=133) ou dans la région sud de l’Europe de l’ouest (Guéant et al. 2003). L’ensemble de ces éléments concorde avec l’absence d’association croissante, observée dans notre étude, entre le gène MTHFR et le risque de fentes orales non syndromiques. Même si l’intérêt des études épidémiologiques sur le risque d’anomalies congénitales est principalement porté sur le génotype TT (Botto et al. 2000), certaines expérimentations in vitro montrent que la réduction de l’activité enzymatique de l’allèle T progresse avec le nombre de copies de l’allèle : comparé au génotype homozygote pour l’allèle C, le statut de l’hétérozygotie aurait un niveau d’activité enzymatique de 65%, et le statut d’homozygotie pour l’allèle T aurait un niveau de 30% (Sharp et Little 2004). Ainsi, la stratégie de regroupement des génotypes CT et TT permet d’offrir une meilleure puissance statistique, cependant l’interprétation de l’association observée par l’approche cas-parents sur le risque de FL/P est rendue difficile par l’absence de cohérence dans les risques associés aux génotypes CT et TT. Interaction entre MTHFR et apport en folates.
Trois études épidémiologiques récentes ont examiné l’interaction entre l’apport en folates de la mère et le génotype MTHFR sur le risque de fentes orales. Il s’agit d’une étude cas-témoins sur une population californienne de 1987 à 1989 (Shaw et al. 1998, 1999), d’une étude cas-parents sur une population norvégienne de 1996 à 1998 (Jugessur et al. 2003) et d’une étude cas-témoins (accompagné d’un TDT) sur une population néerlandaise de 1998 à 2000 (van Rooij et al. 2003) (Tableau 34). Shaw et al. (1998) et Jugessur et al. (2003) ne rapportent aucune évidence statistique d’interaction entre le génotype MTHFR et l’apport en folates sur le risque de FL/P. L’étude de van Rooij et al. (2003) observe que le risque de FL/P associé au génotype TT porté par la mère, comparé au génotype CC, est environ trois fois plus fort parmi les mères non supplémentées en acide folique que les mères supplémentées en période périconceptionnelle. Ils estiment un risque augmenté et significatif de FL/P chez les mères TT et n’utilisant pas de suppléments vitaminiques (OR=5.9, IC95% :1.1,30.9), comparé aux mères CC et supplémentées. Ce risque est plus élevé pour les mères TT n’utilisant pas de suppléments vitaminiques et avec un faible apport alimentaire en folates (OR=10.0, IC95% :1.3,79.1). Parmi les 88 triades, Jugessur et al. (2003) montre un risque de FP augmenté associé à l’allèle T porté par l’enfant, et de façon inattendue ce risque est significativement plus important sur la strate des mères supplémentées par rapport aux mères non supplémentées.
Tableau 34: Résumé des risques de FL/P et de FP portés par les génotypes MTHFR sur chaque strate d’apport en folates, parmi les études épidémiologiques existantes incluant l’étude présente Génotype MTHFR C677T
RR [IC95%] : TT versus CC
| FL/P
| FP
| Enfant
| Mère
| Enfant
| Mère
| Mère utilisatrice de suppléments en multivitamines contenant de l’acide folique
| Shaw et al. 1998, 19991 (cas-témoins)
| Oui
Non
| 0.7 [0.4,1.4]
1.4 [0.5,3.6]
|
| 0.4 [0.2,1.1]
0.9 [0.2,3.3]
|
| Jugessur et al. 20031 (cas-parents)
|
| CT/TT versus CC
| CT/TT versus CC
| Oui
Non
| RR non reportés ;
Interactions non significatives
| 4.3 [1.5,12.0]
1.4 [0.7,2.8]
| 0.8 [0.3,1.9]
1.4 [0.7,2.8]
| van Rooij et al. 20032 (cas-témoins)
| Oui
Non
| 2.4[0.5,12.3]
2.1(=3.5/1.7)
| 1.2 [0.4,3.7]
3.5 (=5.9/1.7)
|
|
| Notre étude3 (cas-parents)
| Oui
Non
| 0.9 [0.2,3.9]
0.9 [0.4,2.3]
| 2.1 [0.5,7.8]
0.4 [0.1,1.2]
|
|
| Apport alimentaire en folates
|
|
|
|
| van Rooij et al. 2003 (cas-témoins)
| Niveau moyen-fort
Niveau faible
| X
1.3(=1.4/1.1)
| 1.7 [0.6,4.9]
1.6 (=2.8/1.8)
|
|
| Notre étude (cas-parents)
| Niveau moyen-fort
Niveau faible
| 0.8 [0.3,2.2]
1.4 [0.4,4.5]
| 0.4 [0.1,1.7]
1.2 [0.4,3.9]
|
|
| RR : Risque Relatif ; IC : Intervalle de Confiance
1 Oui : utilisation de suppléments vitaminiques le mois précédant la conception ou les deux mois après la conception
2 Oui : utilisation de suppléments vitaminiques sur la période entière de 4 semaines avant la conception à 8 semaines après la conception
3 Oui : utilisation de suppléments vitaminiques le mois précédant la conception ou le 1er trimestre de grossesse
nr : résultats non rapportés
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Conclusion.
L’ensemble de ces études, incluant l’étude présente, rapporte des résultats contradictoires quant au rôle du gène MTHFR et à l’existence d’une interaction entre le génotype MTHFR et l’apport en folates de la mère dans l’étiologie des fentes orales. Ce résultat peut s’expliquer par un manque de puissance statistique ou par l’absence de considération de l’apport alimentaire moyen en folates pour certaines populations d’étude (Shaw et al. 1998, 1999, et Jugessur et al. 2003). Il peut aussi refléter la complexité de la relation entre le polymorphisme MTHFR C677T, l’apport maternel en folates, et le risque de fentes orales, pouvant possiblement faire intervenir d’autres polymorphismes du gène MTHFR, des gènes du transport des folates, des gènes impliqués dans le métabolisme de l’homocystéine, ou l’action d’autres nutriments tels les vitamines B6 et B12. 3
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