1.4.4Un marché dominé par les banques islamiques Le secteur bancaire demeure, incontestablement, un des piliers du développement de la Finance Islamique moderne. Le marché financier islamique est, en effet, encore très largement intermédié (plus de 90% des actifs sont gérés par des intermédiaires financiers) et les banques islamiques occupent une place centrale au sein des institutions financières islamiques (cf. Graphique 5).
Graphique 5 : Composition des actifs islamiques selon le type d’opérateur

Source : A. Hassoun, 2008.
Deux points importants résument la principale différence entre banques islamiques et banques conventionnelles :
La prise en compte d’une dimension morale dans les décisions financières entraîne une modification dans l’organisation interne de la banque (avec notamment la création d’un Shariah board) et implique un certain nombre d’obligations additionnelles (comme la gestion des fonds collectés par la zakat).
Les règles sur lesquelles repose le fonctionnement de la banque islamique vont également modifier la relation banque-client telle qu’elle existe dans l’univers de la finance conventionnelle. Puisque le déposant devient, dans une certaine mesure, investisseur et qu’il porte, en partie, les mêmes risques que la banque, on ne peut plus parler uniquement d’une relation déposant-banque ou prêteur-emprunteur mais d’une véritable relation investisseur-entrepreneur, semblable à celle qui existe dans des opérations d’investissement direct. Ainsi, dans ses décisions d’allocation de crédit, la banque prendra en compte non seulement la solvabilité du client mais également sa qualité d’entrepreneur ainsi que le potentiel économique de son projet. De son côté, le client prend en considération non seulement la rentabilité des placements proposés par une banque mais aussi son engagement social ainsi que, plus généralement, son adhésion aux principes de la Charia.
Cependant, dans la réalité, la frontière entre ces deux catégories d’institutions financières est de moins en mois nette et on observe un certain nombre de convergences entre banques conventionnelles et banques islamiques :
A la recherche d’une plus grande rentabilité, les banques conventionnelles élargissent leurs activités d’investissement, pour compte propre et pour le compte de tiers.
Les banques islamiques, de leur côté, développent des produits, comme la mourabaha, proches des instruments de dette classique, afin de diversifier leur portefeuille d’activités.
Enfin, de plus en plus souvent, les établissements bancaires conventionnels intègrent des critères extra-financiers dans leur gestion quotidienne et dans les décisions d’allocation de leur portefeuille de crédits ou d’investissements.
Ces tendances gomment partiellement les différences entre banques islamiques et banques conventionnelles, sans pour autant les faire disparaître complètement.
A l’image de la Finance Islamique dans son ensemble, les profils des banques islamiques sont extrêmement divers. On peut néanmoins distinguer quatre grands types d’établissements bancaires islamiques :
En premier lieu, les grandes banques islamiques à vocation internationale. Encore assez peu nombreuses, ces institutions ont joué un rôle catalyseur dans l’émergence de l’industrie bancaire islamique. Présentes dans différents pays, elles ont eu un rôle pionnier dans de nombreux domaines, et ont permis d’asseoir la crédibilité de cette industrie naissante. Cette catégorie regroupe tant des organismes créés à l’instigation des autorités publiques, comme la Banque Islamique de Développement (IDB), que des institutions privées, à l’instar de Dallah Al Baraka Group.
La plupart des banques islamiques demeurent, toutefois, des établissements de taille petite ou moyenne, à vocation nationale ou, au mieux, régionale. Une partie de ces banques ont été créées en réponse à la demande croissante de produits financiers islamiques. D’autres, qui étaient à l’origine des banques traditionnelles, se sont « converties » par la suite afin de pouvoir se différencier. En effet, les marchés bancaires des pays musulmans, et en particulier ceux des pays du Golfe, restent encore très concentrés, dominés par quelques grands établissements bancaires. La « spécialisation religieuse » paraît alors une option intéressante pour les établissements de taille petite ou moyenne qui souhaitent conserver leur indépendance tout en restant viables.
Une catégorie plus limitée comprend les banques qui ont adhéré aux principes islamiques sous l’impulsion d’importants changements légaux ou politiques dans leur environnement. C’est essentiellement le cas des secteurs bancaires dans les pays qui ont entièrement islamisé leur économie, comme l’Iran, le Soudan ou le Pakistan.
Enfin, la dernière classe d’acteurs sur le marché bancaire islamique comprend les filiales ou succursales, partiellement ou totalement islamisées, (i.e. islamic windows) des grands établissements bancaires internationaux. En effet, la reconnaissance d’un marché à fort potentiel de développement ainsi que l’existence de liens commerciaux étroits entre les pays musulmans (plus particulièrement les pays exportateurs de pétrole) et les économies industrialisées, ont incité très tôt les grands établissements bancaires internationaux à s’intéresser à ce marché.
La première banque islamique moderne a vu le jour en 1975. On en dénombre aujourd’hui plus de 300 (hors islamic windows) opérant dans 75 pays différents. Depuis la fin de 2007, quelques nouvelles grandes banques islamiques ont vu le jour (en partie, grâce à l’appui des autorités publiques) :
Janvier 2008, Noor Islamic Bank (1 milliard de dollars de capital), créée par le gouvernement du Dubaï ;
Avril 2008, Inma Bank (2,8 milliards de dollars), à l’initiative du gouvernement de l’Arabie Saoudite.
Si ce secteur est encore très fragmenté, dominé par une multitude d’institutions de taille petite ou moyenne, quelques premiers signes de consolidation deviennent visibles.
La part de marché des banques islamiques dans les principaux marchés concernés (en dehors des économies entièrement islamisées) reste encore faible, comparativement aux banques conventionnelles. Toutefois, deux nuances doivent être apportées à ce constat. Premièrement, la situation est très différente en fonction du marché considéré. Par ailleurs, cette situation est en train d’évoluer très rapidement. Dans les pays du Golfe, la part du marché des banques islamiques est aux alentours de 15 % du total des actifs bancaires avec, toutefois, une certaine diversité dans les situations individuelles : près de 30% pour les banques islamiques au Koweït et en Arabie Saoudite et à peine plus de 10% pour le Qatar. Selon certaines prévisions, la part des actifs islamiques dans les actifs bancaires dans les pays du GCC pourrait atteindre 40% en 2010. En Asie du Sud-Est, l’importance des banques islamiques est, en moyenne, moins grande mais les contrastes entre les différents pays concernés sont encore plus prononcés. En Malaisie, la part de marché des banques islamiques est de près de 14 %, et les autorités publiques espèrent atteindre 20% en 2010. A l’opposé, l’Indonésie qui, en termes de population, est la première économie musulmane au monde possède encore très peu de banques islamiques : les actifs de ces institutions représentent moins de 2% des actifs bancaires indonésiens.
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