1.4Le développement de la Finance Islamique des années 1970 à nos jours 1.4.1Les premiers développements de la Finance Islamique Malgré ses racines théoriques lointaines, la Finance Islamique est une construction contemporaine. Durant des siècles, en effet, il n’y eut pas véritablement un système financier islamique complet. Il n’y eut que l’interdiction du riba. On ne proposa pas des modes de financement alternatifs ni n’imagina d’organisations financières adaptées. Sans les structures et les produits, on ne peut évidemment pas parler de finance proprement dite.
Les premières expériences modernes dans ce domaine datent des années 1960 avec l’expérience des caisses rurales MitGammar en Egypte et du « Piligrim’s Management Fund » (Tabung Hadjji) en Malaisie. Ces institutions avaient comme objectif de réduire l’exclusion bancaire et de promouvoir le développement des couches de population défavorisées. Leur activité qui avait essentiellement un objectif de développement, restait confinée au niveau local. Ainsi, de nombreux économistes, sans ignorer ces premières expériences, s’accordent à considérer comme véritable date de naissance de la Finance Islamique moderne le début des années 1970, au carrefour de la montée du panislamisme et du boom pétrolier. Selon certains observateurs, le développement spectaculaire de la Finance Islamique à partir des années 1970 est une conséquence directe de la mise en exploitation des gisements du pétrole dans le Golfe Persique et des richesses que cette industrie a générées.
En 1970, la création de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) regroupant un grand nombre de pays musulmans remet les préceptes économiques de l’Islam à l’ordre du jour. En 1973, dans la foulée du quadruplement des prix du pétrole et de l’embargo pétrolier arabe, l’OCI décida la création de la Banque Islamique du Développement (IDB). Basée à Djeddah, cette institution posa les jalons d’un système d’entraide fondé sur des principes islamiques. Deux ans plus tard, en 1975, la Dubaï Islamic Bank (DIB), la première banque universelle privée islamique, voit le jour. En 1979, apparaît également la première compagnie d’assurances islamique, Islamic Insurance Company of Soudan.
Au cours de la décennie suivante, le nombre des institutions financières islamiques et le volume de leurs actifs croissent de manière ininterrompue et ces opérateurs commencent, pour la première fois, à étendre leur activité au-delà des frontières physiques du Moyen Orient (en Asie de Sud-Est, dans un premier temps, vers l’Afrique de Nord par la suite). Les banques islamiques continuent à consolider leur base de dépôts et les différents opérateurs profitent des innovations financières afin d’élargir leur offre de produits.
Au cours des années 1990, la croissance des actifs islamiques, largement alimentée par l’explosion de la rente pétrolière, s’accélère. Cette fois, l’accent est mis sur la recherche de solutions concrètes permettant à la fois le respect des normes coraniques et la rémunération des capitaux investis et de l’expertise de la banque. Ces années sont également marquées par une extension de la banque de détail islamique et par un début, même timide, de désintermédiation dans la Finance Islamique. Les règles de fonctionnement des institutions financières islamiques deviennent plus raffinées et les premières tentatives d’homogénéisation de ces normes, certes encore à l’échelle locale ou régionale, ont lieu. Ainsi, en 1991, une organisation chargée d’élaborer des standards comptables appropriés pour les institutions financières islamiques, l’Accounting and Auditing Organization for Islamic Finance Institution (AAOIFI), est créée.
Cette croissance se poursuit au cours des années 2000, mais, plus important, l’intérêt pour la Finance Islamique dépasse pour la première fois les frontières géographiques du monde musulman pour devenir un enjeu mondial.
1.4.2Le tournant du millénaire : le renouveau de la Finance Islamique A l’origine du récent accroissement spectaculaire des actifs islamiques, il y a deux phénomènes : un renouveau spirituel et religieux, qui a généré une demande croissante pour ce type de produits, mais, surtout, l’apparition de poches d’épargne considérables dans certains pays musulmans.
L’accumulation de ces excédents de liquidités s’inscrit dans :
une tendance plus générale de l’accroissement du taux d’épargne des pays émergents ;
une accélération de l’augmentation des revenus pétroliers, liée aux évolutions récentes du prix du pétrole. L’envolée des prix du pétrole a généré un surplus de liquidités estimé à 1 500 milliards de dollars dans les pays du Golfe et l’Asie de Sud-Est ;
une croissance économique solide dans les pays exportateurs de pétrole (cf. Graphique 2) ;
le rapatriement des capitaux musulmans après le 11 Septembre 2001 ;
la saturation et les krachs des marchés boursiers dans la région du Proche et Moyen Orient.
Graphique 2 : PIB/tête (USD) 2007 et évolution 2002-2007 au Moyen-Orient et Malaisie

Source : Global Insight
Cette abondance de liquidités s’est également accompagnée par une véritable explosion de l’épargne publique :
Dans les pays du Proche et Moyen Orient, l’évolution du prix du pétrole et gestion budgétaire plus rigoureuse se sont traduites par un double excédent : excédent budgétaire et excédent extérieur (donc réserves de devises accumulées).
En Asie de Sud-Est, l’accumulation de réserves de devises par les Banques Centrales est liée à un excédent extérieur structurel alimenté par les exportations de produits manufacturés.
Ces tendances se sont accompagnées, dans l’ensemble des pays considérés, par un accroissement de la richesse (mesurée par le taux de croissance réelle ou par le PIB /tête).
Certaines de ces conditions, étaient déjà réunies au début des années 1970, au lendemain des chocs pétroliers et à la veille de la « naissance » de la Finance Islamique moderne. Leur persistance, l’accélération de certains phénomènes et l’apparition de nouveaux facteurs (comme l’affaiblissement du dollar) expliquent, pour partie au moins la croissance spectaculaire des activités de Finance Islamique qu’on a pu observer sur les dix dernières années.
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