1. Oubli de noms propres








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26.
1) Il s'agit maintenant d'un exemple anodin et dans lequel les mobiles du lapsus n'ont pu être tirés suffisamment au clair. Je le cite cependant à cause de l'évidence du mécanisme qui a présidé à la formation de ce lapsus.
Un Allemand voyageant en Italie a besoin d'une courroie pour serrer sa malle quelque peu détériorée. Il consulte le dictionnaire et trouve que la traduction italienne du mot « courroie » est coreggia. « Je retiendrai facilement ce mot, se dit-il, en pensant au peintre » (Correggio). E entre dans une boutique et demande : une ribera.
Il n'a sans doute pas réussi à remplacer dans sa mémoire le mot allemand par sa traduction italienne, mais ses efforts n'ont pas été tout à fait vains. Il savait qu'il devait penser au nom d'un peintre italien, pour se rappeler le mot dont il avait besoin ; mais au lieu de retenir le nom Corregio qui ressemble le plus au mot coreggia, il évoqua le nom Ribera qui se rapproche du mot allemand Riemen (courroie). Il va sans dire que j'aurais pu tout aussi bien citer cet exemple comme un exemple de simple oubli d'un nom propre.
En réunissant des exemples de lapsus pour la première édition de ce livre, je soumettais à l'analyse tous les cas, même les moins significatifs, que j'avais l'occasion d'observer. Mais, depuis, d'autres se sont astreints à l'amusant travail qui consiste à réunir et à analyser des lapsus, ce qui me permet aujourd'hui de disposer de matériaux beaucoup plus abondants.
m) Un jeune homme dit à sa sœur : « J'ai tout à fait rompu avec les D. Je ne les salue plus. » Et la sœur de répondre : « C'était une jolie liaison. » Elle voulait dire : dire : une jolie relation-SIPPschaft, mais dans son lapsus elle prononça LIPPschaft, au lieu de Liebchaft-liaison. Et en parlant de liaison (sans le vouloir), elle exprima une allusion au flirt que son frère eut autrefois avec la jeune fille de la famille D. et aussi aux bruits défavorables qui, depuis quelque temps, couraient sur le compte de cette dernière, à laquelle on attribuait une liaison.
n) Un jeune homme adresse ces mots à une dame qu'il rencontre dans la rue : « Wenn Sie gestatten, Fräulein, möchte ich Sie gerne begleitdigen. » Il voulait dire : « Si vous permettez, Mademoiselle, je vous accompagnerais volontiers » ; mais il a commis un lapsus par contraction, en combinant le mot begleiten (accompagner) avec le mot beleidigen (offenser, manquer de respect). Son désir était évidemment de l'accompagner, mais il craignait de la froisser par son offre. Le fait que ces deux tendances opposées aient trouvé leur expression dans un seul mot, et précisément dans le lapsus que nous venons de citer, prouve que les véritables intentions du jeune homme n'étaient pas tout à fait claires et devaient lui paraître à lui-même offensantes pour cette dame. Mais alors qu'il cherche précisément à lui cacher la manière dont il juge son offre, son inconscient lui joue le mauvais tour de trahir son véritable dessein, ce qui lui attire de la part de la dame cette réponse : « Pour qui me prenez-vous donc, pour me faire une offense pareille (beleidigen) ? » (Communiqué par 0. Rank).
o) J'emprunte quelques exemples à un article publié par W. Stekel dans le Berliner Tageblatt du 4 Janvier 1904, sous le titre : « Aveux inconscients ».
« L'exemple suivant révèle un coin désagréable dans la région de mes idées inconscientes. Je dois dire tout de suite qu'en tant que médecin je ne songe jamais à l'intérêt pécuniaire mais, ce qui est tout à fait naturel, à l'intérêt du malade. Je me trouve chez une malade à laquelle je donne des soins pour l'aider à se remettre d'une maladie très grave dont elle sort à peine. J'avais passé auprès d'elle des jours et des nuits excessivement pénibles. Je suis heureux de la trouver mieux, et lui décris les charmes du séjour qu'elle va faire à Abbazia, en ajoutant : « Si, comme je l'espère, vous ne quittez pas bientôt le lit. » Ce disant, j'ai évidemment exprimé le désir inconscient d'avoir à soigner cette malade plus longtemps, désir qui est complètement étranger à ma conscience éveillée et qui, s'il se présentait, serait réprimé avec indignation. »
p) Autre exemple (W. Stekel) : « Ma femme veut engager une Française pour les après-midi et, après s'être mise d'accord avec elle sur les conditions, elle veut garder ses certificats. La Française la prie de les lui rendre, en prétextant : « Je cherche encore pour les après-midi, pardon, pour les avant-midi 27. » Elle avait évidemment l'intention de s'adresser ailleurs, dans l'espoir d'obtenir de meilleures conditions ; ce qu'elle fit d'ailleurs. »
q) Le Dr Stekel raconte qu'il avait à un moment donné en traitement deux patients de Trieste qu'il saluait toujours, en appelant chacun par le nom de l'autre. «Bonjour, Monsieur Peloni », disait-il à Ascoli ; « bonjour, Monsieur Ascoli », s'adressait-il à Peloni. Il n'attribua tout d'abord cette confusion à aucun motif profond ; il n'y voyait que l'effet de certaines ressemblances entre les deux messieurs. Mais il lui fut facile de se convaincre que cette confusion de noms exprimait une sorte de vantardise, qu'il voulait montrer par là à chacun de ses patients italiens qu'il n'était pas le seul à avoir fait le voyage de Trieste à Vienne, pour se faire soigner par lui, Stekel.
r) Au cours d'une orageuse assemblée générale, le Dr Stekel propose : « Abordons maintenant le quatrième point de l'ordre du jour. » C'est du moins ce qu'il voulait dire ; mais, gagné par l'atmosphère orageuse de la réunion, il employa, à la place du mot « abordons » (schreiten), le mot « combattons » (streiten).
s) Un professeur dit dans sa leçon inaugurale : « Je ne suis pas disposé à apprécier les mérites de mon éminent prédécesseur ». Il voulait dire : « je ne me reconnais pas une autorité suffisante… » : geeignet, au lieu de geneigt.
t) Le Dr Stekel dit à une dame qu'il croit atteinte de la maladie de Basedow (goitre exophtalmique) : « Vous êtes d'un goître (Kropf) plus grande que votre sœur. » Il voulait dire. « Vous êtes d'une tête (Kopf) plus grande que votre sœur. »
u) Le Dr Stekel raconte encore : quelqu'un parle de l'amitié existant entre deux individus et veut faire ressortir que l'un d'eux est juif. Il dit donc : « ils vivaient ensemble comme Castor et Pollak » (au lieu de Pollux ; Pollak est un patronyme juif assez répandu). Ce ne fut pas, de la part de l'auteur de cette phrase, un jeu de mots ; il ne s'aperçut de son lapsus que lorsqu'il fut relevé par son auditeur.
v) Quelquefois le lapsus remplace une longue explication. Une jeune femme, très énergique et autoritaire, me parle de son mari malade qui a été consulter un médecin sur le régime qu'il doit suivre. Et elle ajoute : « Le médecin lui a dit qu'il n'y avait pas de régime spécial à suivre, qu'il peut manger et boire ce que je veux » (au lieu de : ce qu'il veut).
Les deux exemples suivants, que j'emprunte au Dr Th. Reik (Internat. Zeitschr. f Psychoanal., III, 1915), se rapportent à des situations dans lesquelles les lapsus se produisent facilement, car dans ces situations on réprime plus de choses qu'on n'en exprime.
x) Un monsieur exprime ses condoléances à une jeune femme qui vient de perdre son mari, et il veut ajouter : « Votre consolation sera de pouvoir vous consacrer entièrement à vos enfants. » Mais en prononçant la phrase, il remplace inconsciemment le mot « consacrer » (widinen) par le mot widwen, par analogie avec le mot Witwe – veuve. Il a ainsi trahi une idée réprimée se rapportant à une consolation d'un autre genre : une jeune et jolie veuve (Witwe) ne tardera pas à connaître de nouveau les plaisirs sexuels.
y) Le même monsieur s'entretient avec la même dame au cours d'une soirée chez des amis communs, et on parle des préparatifs qui se font à Berlin en vue des fêtes de Pâques. Il lui demande : « Avez-vous vu l'exposition de la maison Wertheim ? Elle est très bien décolletée. » Il a admiré dès le début de la soirée le décolleté de la jolie femme, mais n'a pas osé lui exprimer son admiration ; et voilà que l'idée refoulée en arrive à percer quand même, en lui faisant dire, à propos d'une exposition de marchandises, qu'elle était décolletée, alors qu'il la trouvait tout simplement très décorée. Il va sans dire que le mot exposition prend, avec ce lapsus, un double sens.
La même situation s'exprime dans une observation dont Hanns Sachs essaie de donner une explication aussi complète que possible.
z) Me parlant d'un monsieur qui fait partie de nos relations communes, une dame me raconte que la dernière fois qu'elle l'a vu, il était aussi élégamment mis que toujours, mais qu'elle avait surtout remarqué ses superbes souliers (HALBSChuhe) jaunes. – Où l'avez-vous rencontré ? lui demandai-je. – Il sonnait à ma porte et je l'ai vu à travers les jalousies baissées. Mais je n'ai ni ouvert, ni donné signe de vie, car je ne voulais pas qu'il sache que j'étais déjà rentrée en ville. Tout en l'écoutant, je me dis qu'elle me cache quelque chose (probablement qu'elle n'était ni seule ni en toilette pour recevoir des visites) et je lui demande un peu ironiquement : – C'est donc à travers les jalousies baissées que vous avez pu admirer ses pantoufles (HAUsschuhe)… pardon, ses souliers (HALBSchuhe) ? Dans le mot HAusschuhe s'exprime l'idée refoulée relative à la robe d'intérieur (HAuskleid) que, d'après ma supposition, elle devait avoir sur elle au moment où le monsieur en question sonnait à sa porte. Et j'ai encore dit HAusschuhe, à la place de HALBschuhe, parce que le mot Halb (moitié) devait figurer dans la réponse que j'avais l'intention de faire, mais que j'ai réprimée : – Vous ne me dites que la moitié de la vérité, vous étiez à moitié habillée. Le lapsus a, en outre, été favorisé par le fait que nous avons, peu de temps auparavant, parlé de la vie conjugale de ce monsieur, de son « bonheur domestique » (hausliches – de Haus), ce qui avait d'ailleurs amené la conversation sur sa personne. Je dois enfin convenir que si j'ai laissé cet homme élégant stationner dans la rue en pantoufles (HAUSSChuhe), ce fut aussi un peu par jalousie, car je porte moi-même des souliers (HALBschuhe) jaunes qui, bien que d'acquisition récente, sont loin d'être « superbes ».
Les guerres engendrent une foule de lapsus dont la compréhension ne présente d'ailleurs aucune difficulté.
a) « Dans quelle arme sert votre fils ? » demande-t-on à une dame. Celle-ci veut répondre : « dans la 42e batterie de mortiers » (Mörser), – mais elle commet un lapsus et dit Mörder (assassins), au lieu de Mörser.
b) Le lieutenant Henrik Haiman écrit du front 28 : « Je suis arraché à la lecture d'un livre attachant, pour remplacer pendant quelques instants le téléphoniste éclaireur. À l'épreuve de conduction faite par la station de tir je réponds : « Contrôle exact. Repos.» Réglementairement, j'aurais dû répondre : « Contrôle exact. Fermeture. » Mon erreur s'explique parla contrariété que j'ai éprouvée du fait d'avoir été dérangé dans ma lecture.
c) Un sergent-major recommande à ses hommes de donner à leurs familles leurs adresses exactes, afin que les colis ne se perdent pas. Mais au lieu de dire « colis » (GEPÄCKstücke), il dit GESPECKstücke, du mot Speck – lard.
d) Voici un exemple particulièrement beau et significatif, à cause des circonstances profondément tristes dans lesquelles il s'est produit et qui l'expliquent. Je le dois à l'obligeante communication du Dr L. Czeszer, qui a fait cette observation et l'a soumise à une analyse approfondie au cours de son séjour en Suisse neutre, pendant la guerre. Je transcris cette observation, à quelques abréviations près, peu essentielles d'ailleurs.
« Je me permets de vous communiquer un lapsus qu'a commis le professeur M. N. au cours d'une de ses conférences sur la psychologie des sensations, qu'il fit à O. pendant le dernier semestre d'été. Je dois vous dire tout d'abord que ces conférences ont eu lieu dans l'Aula de l'Université, devant un nombreux publie composé de prisonniers de guerre français, internés dans cette ville, et d'étudiants, originaires pour la plupart de la Suisse romande et très favorables à l'Entente. Comme en France, le mot Boche est généralement et exclusivement employé à 0. pour désigner les Allemands. Mais, dans les manifestations officielles, dans les conférences, etc., les fonctionnaires supérieurs, les professeurs et autres personnes responsables s'appliquent, pour des raisons de neutralité, à éviter le mot fatal.
« Or, le professeur N. était justement en train de parler de l'importance pratique des sentiments et se proposait de citer un exemple, destiné à montrer comment un sentiment peut être utilisé de façon à rendre agréable un travail musculaire dépourvu par lui-même de tout intérêt et à augmenter ainsi son intensité. Il raconta donc, naturellement en français, l'histoire d'un maître d'école allemand (histoire que les journaux locaux avaient reproduite d'après un journal allemand) qui faisait travailler ses élèves dans un jardin et qui, pour stimuler leur zèle et leur ardeur au travail, leur conseillait de se figurer que chaque motte de terre qu'ils morcelaient représentait un crâne français. En racontant son histoire, N. s'abstint naturellement de se servir du mot Boche, toutes les fois qu'il avait à parler des Allemands. Mais, arrivé à la fin de son histoire, il rapporta ainsi les paroles du maître d'école : « Imaginez-vous qu'en chaque moche, vous écrasez le crâne d'un Français. » Donc, moche, au lieu de motte.
« Ne voit-on pas nettement combien le savant correct se surveillait, dès le début de son récit, pour ne pas céder à l'habitude et peut-être aussi à la tentation de lancer de sa chaire universitaire le mot injurieux, dont l'emploi avait même été interdit par un décret fédéral ? Et au moment précis où, pour la dernière fois, il échappait au danger en prononçant correctement les mots « instituteur allemand », au moment précis où, poussant un soupir de soulagement, il touchait à la fin de son épreuve – juste à ce moment-là le vocable péniblement refoulé se raccroche, à la faveur d'une ressemblance tonale, au mot motte, et le malheur est arrivé ! La crainte de commettre une gaffe politique, peut-être aussi la déception de ne pouvoir prononcer le mot habituel et que tout le monde attend, ainsi que le mécontentement du républicain et du démocrate convaincu face à toute contrainte qui s'oppose à la libre expression des opinions, se conjuguèrent donc pour troubler l'intention initiale, qui était de reproduire l'exemple en restant dans les limites de la correction. L'auteur a conscience de cette pulsion perturbatrice, et il est permis de supposer qu'il y avait pensé immédiatement avant le lapsus.
« Le professeur N. ne s'est pas aperçu de son lapsus ; du moins ne l'a-t-il pas corrigé, bien que cela se produise le plus souvent automatiquement. En revanche, les auditeurs, Français pour la plupart, ont accueilli ce lapsus avec une véritable satisfaction, comme un jeu de mots voulu. Quant à moi, j'ai suivi avec une profonde émotion ce processus inoffensif en apparence. Car si j'ai été obligé, pour des raisons faciles à comprendre, de m'abstenir de toute étude psychanalytique, je n'en ai pas moins vu dans ce lapsus une preuve frappante de l'exactitude de votre théorie concernant le déterminisme des actes manqués et les profondes analogies entre le lapsus et le mot d'esprit. »
r) C'est également aux pénibles et douloureuses impressions du temps de guerre que doit son origine le lapsus suivant, dont me fait part un officier autrichien, rentré dans les foyers, le lieutenant T. :
« Alors que j'étais retenu comme prisonnier de guerre en Italie, nous avons été, deux cents officers environ, logés pendant plusieurs mois dans une villa très exiguë. Durant notre séjour dans cette villa, un de nos camarades est mort de la grippe. Cet événement a naturellement produit sur nous tous la plus profonde impression, car les conditions dans lesquelles nous nous trouvions, l'absence de toute assistance médicale, notre dénuement et notre manque de résistance rendaient la propagation de la maladie plus que probable. Après avoir mis le cadavre en bière, nous l'avons déposé dans un coin de la cave de la maison. Le soir, alors que nous faisions, un de mes amis et moi, une ronde autour de la maison, l'idée nous est venue de revoir le cadavre. Comme je marchais devant, je me suis trouvé, dès mon entrée dans la cave, devant un spectacle qui m'a profondément effrayé ; je ne m'attendais pas à trouver la bière si proche de l'entrée et à voir à une si faible distance le visage du mort que le vacillement de la lumière de nos bougies avait comme animé. C'est sous l'impression de cette vision que nous avons poursuivi notre ronde. En un endroit d'où nos regards apercevaient le parc baigné par la lumière du clair de lune, une prairie éclairée comme en plein jour et, au-delà, de légers nuages vaporeux, la représentation que me suggérait toute cette atmosphère s'était concrétisée par l'image d'un chœur d'elfes dansant à la lisière du bois de cyprès proche de la prairie.
« L'après-midi du jour suivant, nous avons conduit notre pauvre camarade à sa dernière demeure. Le trajet qui séparait notre prison du cimetière de la petite localité voisine a été pour nous un douloureux et humiliant calvaire. Des adolescents bruyants, une population railleuse et persifleuse, des tapageurs grossiers ont profité de l'occasion pour manifester à notre égard des sentiments mêlés de curiosité et de haine. La conscience de mon impuissance en face de cette humiliation que je n'aurais pas supportée dans d'autres circonstances, l'horreur devant cette grossièreté exprimée de manière aussi cynique, m'ont rempli d'amertume et m'ont plongé dans un état de dépression qui a duré jusqu'au soir. À la même heure que la veille, avec le même compagnon, j'ai repris le chemin caillouteux qui faisait le tour de notre villa. En passant devant la grille de la cave où nous avions déposé la veille le cadavre de notre camarade, je me suis souvenu de l'impression que j'avais ressentie à la vue de son visage éclairé par la lumière des bougies. Et à l'endroit d'où j'apercevais à nouveau le parc étendu sous le clair de lune, je me suis arrêté et j'ai dit à mon compagnon : « Ici nous pourrions nous asseoir sur l'herbe (Gras) et chanter (singen) une sérénade. » Mais en prononçant cette phrase j'avais commis deux lapsus : Grab (tombeau), au lieu de Gras (herbe) et sinken (descendre), au lieu de singen (chanter). Ma phrase avait donc pris le sens suivant : « Ici nous pourrions nous asseoir dans la tombe et descendre une sérénade. » Ce n'est qu'après avoir commis le second lapsus que j'ai compris ce que je voulais ; quant au premier, je l'avais corrigé, sans saisir le sens de mon erreur. Je réfléchis un instant et, réunissant les deux lapsus, je recomposai la phrase : «descendre dans la tombe » (ins Grab sinken). Et voilà que les images se mettent à défiler avec une rapidité vertigineuse : les elfes dansant et planant au clair de lune ; le camarade dans sa bière ; le souvenir réveillé ; les diverses scènes qui ont accompagné l'enterrement ; la sensation du dégoût et de la tristesse éprouvés ; le souvenir de certaines conversations sur la possibilité d'une épidémie ; l'appréhension manifestée par certains officiers. Plus tard, je me suis rappelé que ce jour-là était l'anniversaire de la mort de mon père, souvenir qui m'a assez étonné, étant donné que j'ai une très mauvaise mémoire des dates.
« Après réflexion, tout m'était apparu clair ; mêmes conditions extérieures dans les deux soirées consécutives, même heure, même éclairage, même endroit et même compagnon. Je me suis souvenu du sentiment de malaise que j'avais éprouvé lorsqu'il avait été question de l'extension éventuelle de la grippe, mais aussi du commandement intérieur qui m'interdisait de céder à la peur. La juxtaposition des mots « wir könnten ins Grab sinken » (nous pourrions descendre dans la tombe) m'a, elle aussi, révélé alors sa signification, en même temps que j'ai acquis la certitude que c'est seulement après avoir corrigé le premier lapsus (Grab – tombeau, en Gras – herbe), correction à laquelle je n'ai d'abord attaché aucune importance, que pour permettre au complexe refoulé de s'exprimer, j'ai commis le second (en disant sinken – descendre, au lieu de singen – chanter).
« J'ajoute que j'avais à cette époque-là des rêves très pénibles, dans lesquels une parente très proche m'était apparue, à plusieurs reprises, comme gravement malade, et même une fois comme morte. Très peu de temps avant que je sois fait prisonnier, j'avais appris que la grippe sévissait avec violence dans le pays habité par cette parente – à laquelle j'avais d'ailleurs fait part de mes très vives appréhensions. Plusieurs mois après les événements que je raconte, j'ai reçu la nouvelle qu'elle avait succombé à l'épidémie quinze jours avant ces mêmes événements. »
z) Le lapsus suivant illustre d'une façon frappante l'un des douloureux conflits si fréquents dans la carrière du médecin. Un homme, selon toute vraisemblance malade incurable, mais dont la maladie n'est pas encore diagnostiquée d'une façon certaine, vient à Vienne s'enquérir de son sort et prie un de ses amis d'enfance, devenu médecin célèbre, de s'occuper de son cas – ce que cet ami finit par accepter, bien qu'à contre-cœur. Il conseille au malade d'entrer dans une maison de santé et lui recommande le sanatorium « Hera ». – Mais cette maison de santé a une destination spéciale (clinique d'accouchements), objecte le malade. – Oh non, répond avec vivacité le médecin : on peut, dans cette maison, faire mourir (um brigen)… je veux dire faire entrer (UNTERbringen) n'importe quel malade. Il cherche alors à atténuer l'effet de son lapsus. – Tu ne vas pas croire que j'ai à ton égard des intentions hostiles ? Un quart d'heure plus tard, il dit à l'infirmière qui l'accompagne jusqu'à la porte : – Je ne trouve rien et ne crois toujours pas qu'il soit atteint de ce qu'on soupçonne. Mais s'il l'était, il ne resterait, à mon avis, qu'à lui administrer une bonne dose de morphine, et tout serait fini. Or il se trouve que son ami lui avait posé comme condîtion d'abréger ses souffrances avec un médicament, dès qu'il aurait acquis la certitude que le cas était désespéré. Le médecin s'était donc réellement chargé (à une certaine condition) de faire mourir son ami.
n) Je ne puis résister à la tentation de citer un exemple de lapsus particulièrement instructif, bien que, d'après celui qui me l'a raconté, il remonte à 20 années environ. Une dame déclare un jour, dans une réunion (et le ton de sa déclaration révèle chez elle un certain état d'excitation et l'influence de certaines tendances cachées) : Oui, pour plaire aux hommes, une femme doit être jolie ; le cas de l'homme est beaucoup plus simple : il lui suffit d'avoir cinq membres droits ! Cet exemple nous révèle le mécanisme intime d'un lapsus par condensation ou par contamination (voir p. 62). Il semblerait, à première vue, que cette phrase résulte de la fusion de deux propositions :
il lui suffit d'avoir quatre membres droits

il lui suffit d'avoir cinq sens intacts.
Ou bien, on peut admettre que l'élément droit est commun aux deux intentions verbales qui auraient été les suivantes
il lui suffit d'avoir ses membres droits

et de les maintenir droits tous les cinq.
Rien ne nous empêche d'admettre que ces deux phrases ont contribué à introduire, dans la proposition énoncée par la dame, d'abord un nombre en général, ensuite le nombre mystérieux de cinq, au lieu de celui, plus simple et plus naturel en apparence, de quatre. Cette fusion ne se serait pas produite, si le nombre cinq n'avait pas, dans la phrase échappée comme lapsus, sa signification propre, celle d'une vérité cynique qu'une femme ne peut énoncer que sous un certain déguisement. – Nous attirons enfin l'attention sur le fait que, telle qu'elle a été énoncée, cette phrase constitue aussi bien un excellent mot d'esprit qu'un lapsus amusant. Tout dépend de l'intention, consciente ou inconsciente, avec laquelle cette femme a prononcé la phrase. Or, son comportement excluait toute intention consciente ; il ne s'agissait donc pas d'un mot d'esprit !
La ressemblance entre un lapsus et un jeu de mots peut aller très loin, comme dans le cas communiqué par 0. Rank, où la personne qui a commis le lapsus finit par en rire comme d'un véritable jeu de mots Internat. Zeitschr. f. Psychoanal., I, 1913) :
« Un homme marié depuis peu et auquel sa femme, très soucieuse de conserver sa fraîcheur et ses apparences de jeune fille, refuse des rapports sexuels trop fréquents, me raconte l'histoire suivante qui l'avait beaucoup amusé, ainsi que sa femme : le lendemain d'une nuit au cours de laquelle il avait renoncé au régime de continence que lui imposait sa femme, il se rase dans la chambre à coucher commune et se sert, comme il l'avait déjà fait plus d'une fois, de la houppe déposée sur la table de nuit de sa femme, encore couchée. Celle-ci, très soucieuse de son teint, lui avait souvent défendu d'utiliser sa houppe ; elle lui dit donc, contrariée : « Tu me poudres de nouveau avec ta houppe ! » Voyant son mari éclater de rire, elle s'aperçoit qu'elle a commis un lapsus (elle voulait dire : tu te poudres de nouveau avec ma houppe) et se met à rire à son tour (dans le jargon viennois pudern – poudrer – signifie coïter ; quant à houppe, sa signification symbolique – pour phallus – n'est, dans ce cas, guère douteuse). »
L'affinité qui existe entre le lapsus et le jeu de mots se manifeste encore dans le fait que le lapsus n'est généralement pas autre chose qu'une abréviation :
i) Une jeune fille ayant terminé ses études secondaires se fait inscrire, pour suivre la mode, à la Faculté de Médecine. Au bout de quelques semestres, elle renonce à la médecine et se met à étudier la chimie. Quelques années après, elle parle de ce changement dans les termes suivants : « la dissection, en général, ne m'effrayait pas ; mais un jour où je dus arracher les ongles des doigts d'un cadavre, je fus dégoûtée de toute la chimie. »
k) J'ajoute encore un autre cas de lapsus, dont l'interprétation ne présente aucune difficulté. « Un professeur d'anatomie cherche à donner une description aussi claire que possible de la cavité nasale qui, on le sait, constitue un chapitre très difficile de l'anatomie du crâne. Lorsqu'il demande si tous les auditeurs ont bien compris ses explications, il reçoit en réponse un oui unanime. À quoi le professeur, connu pour être un personnage fort présomptueux, répond à son tour : « je le crois difficilement, car les personnes qui se font une idée correcte de la structure de la cavité nasale peuvent, même dans une ville comme Vienne, être comptées sur un doigt… pardon, je voulais dire sur les doigts d'une main. »
h) Le même anatomiste dit une autre fois : « En ce qui concerne les organes génitaux de la femme, on a, malgré de nombreuses tentations (Versuchungen)… pardon, malgré de nombreuses tentatives (Versuche) »…
u) Je dois au docteur Alf. Robitschek ces deux exemples de lapsus qu'il a retrouvés chez un vieil auteur français (Brantôme [1572-1614] : Vies des dames galantes. Discours second). Je transcris ces deux cas dans leur texte original.
« Si ay-je cogneu une très belle et honneste dame de par le monde, qui, devisant avec un honneste gentilhomme de la cour des affaires de la guerre durant ces civiles, elle luy dit : « J'ay ouy dire que le roy a faict rompre tous les c… de ce pays-là. » Elle vouloit dire les ponts. Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant à son amant, elle avait encor ce nom frais en la bouche ; et le gentilhomme s'en eschauffer en amours d'elle pour ce mot. »
« Une autre dame que j'ay cogneue, entretenant une autre grand dame plus qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle luy dit après : « Non, madame, ce que je vous en dis : ce n'est point pour vous adultérer ; voulant dire adulatrer, comme elle le rhabilla ainsi : pensez qu'elle songeoit à adultérer. »
Dans le procédé psychothérapeutique dont j'use pour défaire et supprimer les symptômes névrotiques, je me trouve très souvent amené à rechercher dans les discours et les idées, en apparence accidentels, exprimés par le malade, un contenu qui, tout en cherchant à se dissimuler, ne s'en trahit pas moins, à l'insu du patient, sous les formes les plus diverses. Le lapsus rend souvent, à ce point de vue, les services les plus précieux, ainsi que j'ai pu m'en convaincre par des exemples très instructifs et, à beaucoup d'égards, très bizarres. Tel malade parle, par exemple, de sa tante qu'il appelle sans difficulté et sans s'apercevoir de son lapsus, « ma mère » ; telle femme parle de son mari, en l'appelant «frère ». Dans l'esprit de ces malades, la tante et la mère, le mari et le frère se trouvent ainsi « identifiés », liés par une association, grâce à laquelle ils s'évoquent réciproquement, ce qui signifie que le malade les considère comme représentant le même type. Ou bien : un jeune homme de 20 ans se présente à ma consultation en me déclarant : « Je suis le père de N. N. que vous avez soigné… Pardon, je veux dire que je suis son frère ; il a quatre ans de plus que moi. » Je comprends que par ce lapsus il veut dire que, comme son frère, il est malade par la faute du père, que, tout comme son frère, il vient chercher la guérison, mais que c'est le père dont le cas est le plus urgent. D'autres fois, une combinaison de mots inaccoutumée, une expression en apparence forcée suffisent à révéler l'action d'une idée refoulée sur le discours du malade, dicté par des mobiles tout différents.
C'est ainsi que dans les troubles de la parole, qu'ils soient sérieux ou non, mais qui peuvent être rangés dans la catégorie des « lapsus », je retrouve l'influence, non pas du contact exercé par les sons les uns sur les autres, mais d'idées extérieures à l'intention qui dicte le discours, la découverte de ces idées suffisant à expliquer l'erreur commise. Je ne conteste certes pas l'action modificatrice que les sons peuvent exercer les uns sur les autres ; mais les lois qui régissent cette action ne me paraissent pas assez efficaces pour troubler, à elles seules, l'énoncé correct du discours. Dans les cas que j'ai pu étudier et analyser à fond, ces lois n'expriment qu'un mécanisme préexistant dont se sert un mobile psychique extérieur au discours, mais qui ne se rattache nullement aux rapports existant entre ce mobile et le discours prononcé. Dans un grand nombre de substitutions, le lapsus fait totalement abstraction de ces lois de relations tonales. Je suis sur ce point entièrement d'accord avec Wundt qui considère également les conditions du lapsus comme très complexes et dépassant de beaucoup les simples effets de contact exercés par les sons les uns sur les autres.
Mais tout en considérant comme certaines ces «influences psychiques plus éloignées », pour me servir de l'expression de Wundt, je ne vois aucun inconvénient à admettre que les conditions du lapsus, telles qu'elles ont été formulées par Meringer et Mayer, se trouvent facilement réalisées lorsqu'on parle rapidement et que l'attention est plus ou moins distraite. Dans certains des exemples cités par ces auteurs, les conditions semblent cependant avoir été plus compliquées. Je reprends l'exemple déjà cité précédemment.
Es war mir auf der Schwest…

Brust so schwer 
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